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14/03/2023 | FRANCE | N°20/01617

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 14 mars 2023, 20/01617


ARRET N°142

du 14 mars 2023



N° RG 20/01617 - N° Portalis DBVQ-V-B7E-E5CM





S.A.R.L. [B] ET FILS





c/



[O]















Formule exécutoire le :

à :



la SCP ACG & ASSOCIES



la SELARL PERSEE

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 14 MARS 2023



APPELANTE :



d'un jugement rendu le 14 octobre 2020 par le TJ de CHALONS EN CHAMPAGNE



S.A.R.L. [B] ET FILS<

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[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Gérard CHEMLA de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS





INTIME :



Monsieur [H] [O]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représenté par Me Matthieu CIUTTI de la SELARL PERSEE, avocat au barrea...

ARRET N°142

du 14 mars 2023

N° RG 20/01617 - N° Portalis DBVQ-V-B7E-E5CM

S.A.R.L. [B] ET FILS

c/

[O]

Formule exécutoire le :

à :

la SCP ACG & ASSOCIES

la SELARL PERSEE

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 14 MARS 2023

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 14 octobre 2020 par le TJ de CHALONS EN CHAMPAGNE

S.A.R.L. [B] ET FILS

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Gérard CHEMLA de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

INTIME :

Monsieur [H] [O]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Matthieu CIUTTI de la SELARL PERSEE, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame MAUSSIRE, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère

Madame Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Madame Eva MARTYNIUK, greffière lors des débats et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors du prononcé

DEBATS :

A l'audience publique du 31 janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 mars 2023,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Selon deux devis acceptés les 13 et 17 décembre 2014 ayant pour montants respectifs 77.880 euros TTC et 12.000 euros TTC, M. [H] [O] a confié à la société [B] et Fils qui exploite un chantier naval et assure des prestations de réparation et rénovation de bateaux commerciaux et de plaisance, des travaux de construction d'un bateau fluvial.

Le premier devis du 13 décembre 2014 porte sur la fabrication':

- d'une coque (longueur 19,90 mètres sur 4,50 mètres de large),

- d'une super structure (18,850 mètres de long sur 4,50 mètres de large),

- d'une descente d'escalier à l'avant avec accès au logement,

- d'une marquise en acier, une découpe d'ouvrants sur marquise (X4), et de deux portes de marquise,

- d'ouvrants sans fourniture (X10),

- et d'un gouvernail (sans fourniture hydrauliques et électriques).

Le second devis du 17 décembre 2014 porte':

- sur la pose et l'installation d'une cuve à gasoil avec jauge de raccordement moteur,

- sur la pose et la soudure de 10 boulards et renforts,

- l'installation et la mise en ligne du moteur,

- le suivi de la construction et la mise à l'eau du bateau.

Il prévoit la fourniture par M. [O] du moteur, des fenêtres, de l'appareil à gouverner, de l'hélice (treuil, chaîne, ancre) et de toutes autres fournitures.

M. [O] s'est acquitté de la somme totale de 68.380 euros par 3 versements au cours de la période du 19 décembre 2014 au 14 février 2015.

Les travaux ont été stoppés à compter de l'été 2015 au motif d'un conflit persistant opposant les parties tenant à la mauvaise exécution ou l'inexécution de leurs obligations réciproques soit celles de la société [B] et Fils de refaire des modifications à l'arrière du bateau pour le rendre conforme aux plans initiaux et de terminer la construction, et celle de M. [O] de livrer les matériels nécessaires indispensables pour achever la construction, dont le moteur.

Le 27 janvier 2017, M. [O] a fait assigner la société [B] et Fils devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne afin d'obtenir l'organisation d'une expertise qui lui a été refusée par ordonnance du 4 avril 2017 au motif d'une part, qu'il ne justifiait d'aucun désordre affectant les travaux déjà réalisés par la société [B] et Fils et d'autre part, que la situation de blocage constatée et empêchant l'achèvement des travaux ne nécessitait pas d'avis technique.

Le juge des référés l'a condamné sous astreinte à livrer au constructeur les éléments nécessaires à la bonne fin de la construction de la coque du bateau dans un délai de 2 mois et à défaut, de retirer la coque du chantier naval par ses propres moyens, sous astreinte.

M.[O] a alors, par courrier d'avocat du 5 mai 2017, puis signification du 22 mai 2017, informé la société [B] et Fils qu'il entendait respecter les termes de cette ordonnance, qu'il lui demandait de reprendre les travaux de construction de son bateau de longueur 19900 mm et lui réclamait par ailleurs des renseignements nécessaires pour commander le matériel.

Par courrier du 19 juin 2017 adressé à M. [O], la société [B] et Fils a constaté l'absence de livraison par ce dernier des éléments nécessaires à la bonne fin de sa mission et l'a mis en demeure de retirer immédiatement la coque de son chantier naval'; le 29 novembre 2017, elle a saisi le juge de l'exécution d'une demande de liquidation de cette astreinte pour la période courant à compter du 13 juin 2017.

Auparavant, par ordonnance du 19 juin 2017, le président du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne a fait droit à la requête de M. [O] aux fins de désignation d'un huissier à l'effet de constater en présence de tout technicien ou expert maritime de son choix, l'état dans lequel se trouve la construction réalisée par la société [B] et Fils, d'en assurer la description et de faire état de toutes observations utiles en tant que de besoin.

L'huissier a dressé son procès verbal le 5 septembre 2017 en présence de l'expert maritime Monsieur [E] [R] Fils.

Finalement le 30 novembre 2017, M. [O] a fait assigner la SARL [B] et Fils devant le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne afin d'obtenir la résolution du contrat aux torts exclusifs de cette société et d'obtenir le remboursement des sommes réglées et des dépenses engagées pour parvenir à la réalisation du bateau outre indemnités.

Par jugement du 15 mai 2018, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a sursis à statuer sur la demande de liquidation de l'astreinte dans l'attente du jugement rendu dans l'instance de résolution judiciaire engagée par M. [O] selon l'assignation précitée.

Par jugement en date du 14 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a ordonné la résolution du contrat de construction du bateau fluvial conclu entre Monsieur [H] [O] et la SARL [B] et fils le 13 décembre 2014, et ce rétroactivement au jour de la conclusion du contrat et a condamné la SARL [B] et fils à restituer à Monsieur [H] [O] la somme de 68.340,00 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2017.

Il a en outre':

- Dit n'y avoir lieu à restitution de la construction inachevée par Monsieur [H] [O] à la SARL [B] et fils'puisque celle-ci se trouvait au chantier naval;

- Débouté Monsieur [H] [O] de sa demande au titre des dommages et intérêts complémentaires concernant les factures DB INNOVATION des 22 décembre 2014, 1er avril 2014 et 13 janvier 2015, ainsi que les frais d'achat peinture et du treuil ;

- Débouté Monsieur [H] [O] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive et injustifiée ;

- Débouté la SARL [B] et fils de ses demandes reconventionnelles tendant à l'exécution forcée du contrat, à la livraison du matériel sous astreinte et tendant à être autorisée à déplacer la coque du bateau hors de son chantier aux frais exclusifs de Monsieur [H] [O] ;

- Débouté la SARL [B] et fils de sa demande reconventionnelle d'expertise judiciaire, au titre des frais de gardiennage et en dommages et intérêts ;

- Débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- Condamné la SARL [B] et fils et Monsieur [H] [O] aux dépens de l'instance par moitié, en ce compris les frais de constat de Maître [V] [T], huissier de justice à VITRY-LE-FRANCOIS, et du cabinet EXPERTS CLEMENT&ASSOCIES, dont distraction au profit de Maître Arnaud Gervais, avocat de Monsieur [H] [O], et de la SCP ACG, avocat de la SARL [B] et fils.

Le tribunal s'est fondé sur l'article 1184 ancien du code civil et a retenu':

- que quelque soit l'existence ou l'absence d'une faute d'une des parties il fallait constater que les travaux n'avaient pas été intégralement réalisés pendant les près de trois ans qui ont séparé la conclusion du contrat de l'introduction de l'instance au fond', y compris plusieurs éléments qui pouvaient être exécutés malgré l'absence de livraison du moteur: trappe, escalier, boulards arrières, gouvernail ;

- que pour une large part de ceux qui l'avaient été, ils n'étaient pas conformes aux stipulations contractuelles (longueur du bateau réduite de 15cm) ou aux règles de l'art au delà de simples finitions (soudure des tôles bordées-absence de peinture sur la coque);

- qu'en outre, la société [B] et Fils n'avait pris aucune mesure conservatoire pendant l'exécution des travaux pour protéger le bateau de la corrosion';

- que dans le même temps, M. [O] n'avait pas fourni l'intégralité des pièces qu'il s'était engagé à remettre ce qui n'avait pas permis à la société [B] et Fils de dimensionner la salle des machines en considération de la puissance du moteur qui a été modifiée';

-que la résolution judiciaire du contrat aux torts partagés des parties pour inexécution ou mauvaise exécution de prestations qui ne sont pas isolables et paralysent depuis des années la poursuite du contrat, devait dès lors être prononcée.

S'agissant des conséquences de la résolution prononcée, le tribunal a jugé que l'inexécution de M. [O] faisait obstacle à son indemnisation pour l'achat du premier moteur qu'il n'a jamais livré et que par ailleurs, les demandes reconventionnelles de la SARL [B] et Fils aux fins d'exécution forcée du contrat, de livraison du matériel par M. [O] et d'autorisation de déplacer la coque du bateau hors du chantier étaient devenues sans objet comme la demande d'expertise judiciaire du fait de cette résolution.

Il a rajouté que les dommages intérêts au titre des frais de gardiennage n'ont pas été prévus par le marché de travaux et ne reposent sur aucun fondement contractuel, et enfin qu'il n'y a aucune corrélation temporelle entre les documents comptables produits par la SARL [B] et Fils pour montrer une baisse de chiffre d'affaires et l'attitude de M. [O], pas plus que de lien de causalité entre celle-ci et le placement des salariés en chômage partiel ou l'état de santé de M.[B].

Par déclaration du 23 novembre 2020, la SARL [B] et fils a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne.

La SARL [B] et Fils a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande d'expertise.

M. [O] s'est opposé à cette demande, a demandé qu'il soit fait injonction à la société [B] et Fils de produire aux débats l'intégralité des plans qu'elle a fait établir, contrôler et valider pour réaliser le bateau litigieux et que la radiation de l'affaire soit prononcée en application de l'article 524 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 23 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a débouté M. [O] de sa demande de radiation, débouté la SARL [B] et Fils de sa demande d'expertise et enjoint à cette société de communiquer à M. [O] l'intégralité des plans précités, dans un délai d'un mois, sans prononcer d'astreinte.

Par arrêt en date du 10 mai 2022, la cour d'appel de Reims a conclu que le procès verbal de constat d'huissier du 5 septembre 2017 était opposable à la société [B] et ne saurait être écarté des débats, l'huissier ayant signifié au gérant de la société [B] et Fils l'ordonnance le désignant pour procéder aux constats sur le bateau, en lui laissant le temps d'en prendre connaissance avant de débuter sa mission à laquelle M. [B] ne s'est pas opposé et à laquelle il a assisté.

Avant dire droit, la cour a ordonné une expertise confiée à Monsieur [J] [X], expert inscrit sur la liste établie par la cour d'appel de Paris, avec pour mission de dire s'il est possible d'installer dans la salle des machines du navire construit par la société [B] et Fils un autre moteur que celui acquis par M. [H] [O], de même puissance (80 CV) ou d'une puissance différente, tout en restant apte à assurer la propulsion du bateau et a sursis à statuer sur l'ensemble des prétentions des parties dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert.

L'expert a déposé son rapport le 30 septembre 2022.

Il observe qu'il n'existe pas de dossier technique du projet du maître d'ouvrage ni de cahier des charges et qu'il n'a remis au chantier [B] qu'une esquisse de son projet fluvial et un plan grand format du projet avec plusieurs niveaux de détails des cotes'; que la société dont c'était la première expérience de construction disposait d'un plan général avec une vue en plan et une vue en élévation qui définit une coque de 19,90X4,5X1,5m mais ne peut constituer un plan d'exécution et ne comporte pas d'estimation de poids'; que les parties restaient dans l'attente des données relatives aux équipements à poser.

Il a rajouté qu'un projet de construction ne peut aboutir sans respecter une méthodologie par étapes propres à la construction navale'; que l'évaluation des espaces puis l'estimation du déplacement du navire constituent des préalables indispensables et que sans un devis de poids estimé puis précisé, son enfoncement dans l'eau, donc sa résistance à l'avancement, demeurent inconnus'; que la puissance propulsive ne peut être déterminée pour une puissance donnée'; que pour aboutir, le projet de M. [O] et la construction inachevée de la société [B] et Fils nécessiteraient une aide scientifique que pourrait apporter un bureau d'étude navale spécialisé.

Il observe par ailleurs qu'à ce stade de la construction, et en l'absence physique de cloison transversale à l'avant du compartiment moteur, la position longitudinale du moteur dans la coque n'est pas limitée'; qu'en posant virtuellement cette cloison et en faisant les relevés in situ, seuls exploitables, il apparaît un espace de 1335 mm soit un espace suffisant pour la mise en place de l'installation de propulsion de M. [O] autour de laquelle doit exister un accès suffisant pour permettre son entretien aisé et sans danger.

Il a trouvé parmi 10 autres moteurs de 80CV analysés, quatre autres moteurs présentant des encombrements inférieurs à celui du Craftsman CM4.80.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 janvier 2023, la SARL [B] et Fils, appelante, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal judiciaire du 14 octobre 2020 en ce qu'il a rejeté la demande de remboursement des factures « DB INNOVATION, peinture, treuil et moteur » et de dommages et intérêts de Monsieur [O] pour procédure abusive et d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne du 14 octobre 2020 pour le surplus.

Il est demandé à la cour, statuant à nouveau, de':

- prononcer la résiliation du contrat aux torts de M. [O] et ce à compter de l'ordonnance de référé inexécutée par M. [O] du 4 avril 2017;

-confirmer les termes de l'ordonnance de référé du 4 avril 2017 en ce qu'elle a ordonné à M. [O] de retirer la coque du chantier naval par ses propres moyens et sous astreinte de 100 euros par jour, ou autoriser la société [B] à déplacer la coque hors de son chantier aux frais exclusifs de M. [O]

A titre subsidiaire,

- ordonner une mesure d'expertise aux fins de :

*Dire si les travaux réalisés par la SARL [B] et Fils correspondent aux prestations fixées dans les devis et aux évolutions demandées par le client,

* Et faire les comptes entre les parties compte tenu de la résiliation.

En tout état de cause,

- débouter M. [O] de toutes ses demandes plus amples ou contraires ;

- condamner M. [O] à réparer les préjudices subis par la société [B], à savoir 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour le trouble de jouissance, ainsi que 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la résistance abusive de M. [O] ;

- condamner M. [O] à payer une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens d'instance de première instance et d'appel, en ce compris les frais de constat et d'expertise.

La SARL [B] et Fils conteste tous les désordres qui lui sont reprochés expliquant qu'ils ne pouvaient en aucun cas être relevés sur un bateau qui est toujours en phase de construction et non de finition et dont les travaux ont été bloqués par le fait que Monsieur [O], qui a apporté des modifications aux plans initiaux ayant eu pour conséquence de modifier la longueur du bateau de quelques centimètres, sans aucune incidence sur la future conformité du bateau, n'a pas fourni les matériaux nécessaires malgré ses sollicitations en ce sens; que M. [O] n'a pas respecté ses engagements contractuels et qu'il est le principal responsable des faits à l'origine de l'inexécution de la construction'; qu'aussi, en présence d'un contrat à exécution successive ou échelonné dans le temps, le contrat n'a pas à être rétroactivement résolu, mais n'est résilié que pour l'avenir.

Elle soutient qu'elle a exécuté les travaux qu'il lui était possible de faire en l'état ; que pour soutenir le contraire, M. [O] se base uniquement sur un procès-verbal de constat obtenu aux termes d'une procédure non contradictoire au cours de laquelle elle n'a pas pu être assistée de son avocat et sur lequel l'expert privé missionné par Monsieur [O] a commis des erreurs signalés par l'expert judiciaire nommé par la cour'; que notamment les mesures mentionnées dans le procès-verbal et dans le rapport d'expertise sont totalement fausses'; que le rapport de l'expert maritime nommé par la cour ne révèle aucunement les défaillances que lui reproche le demandeur, que ses constatations ne sont pas développées et qu'il ne se borne qu'à constater l'état d'inachèvement des travaux et le fait qu'elle aurait pu poursuivre des travaux de soudure dans l'attente du matériel à livrer par son client'; qu'il peut être rajouté qu'il ressort de ce rapport d'expertise qu'il est possible d'installer un moteur de 80CV dans la salle des machines, capable de propulser le futur bateau, sans pouvoir déterminer la vitesse.

Elle en conclut au bien fondé de sa demande en prononcé de la résiliation du contrat aux torts de M. [O], à la date à laquelle il a été vainement condamné par le juge des référés à fournir les éléments nécessaires à la poursuite de la construction du bateau soit au 4 avril 2017.

Sur ses demandes d'indemnisation':

- Dommages et intérêts pour trouble de jouissance subi par la société [B] et Fils et frais de gardiennage du fait que la coque de bateau est stationnée depuis 2015 sur le chantier, qu'elle l'empêche d'accueillir d'autres bateaux'; une indemnisation à hauteur de 1000euros / an depuis 2016 est demandée.

- Dommages et intérêts en raison de l'obligation de M. [B] de procéder à des réductions de temps de travail de ses salariés pendant le temps de l'attente des pièces et de prendre le risque de devoir en licencier si le chantier naval n'était pas en mesure de reprendre de nouvelles commandes de bateaux.

Sur les demandes d'indemnisation de M. [O], la concluante souligne que M. [O] a annulé une commande de moteur et ne fournit pas de justificatif d'achat et que la procédure n'est pas abusive en ce que elle se limite à demander l'infirmation d'un jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 9 janvier 2023, Monsieur [H] [O] demande à la cour, au visa des articles 1103, 1217 et 1231-1 du code civil et des pièces, de :

- Confirmer le jugement dont appel dans la mesure utile et ce, notamment en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat conclu entre les parties avec toutes conséquences en terme de restitution du prix de vente payé par Monsieur [H] [O] ;

Et statuant à nouveau dans la mesure utile, de :

- Prononcer la résolution judiciaire de ladite convention aux torts exclusifs de la SARL [B] et Fils ;

- Condamner en conséquence la société [B] et Fils à verser à Monsieur [O] les sommes suivantes :

A titre du remboursement des sommes réglées à la SARL [B] et Fils';

38.940,00 euros réglée le 19 décembre 2014,

19.400,00 euros réglée le 12 février 2015,

10.000,00 euros réglée le 14 février 2015,

Le tout majoré des intérêts au taux légal à compter de la date de versement des sommes précitées jusqu'à parfait remboursement;

Au titre du remboursement des autres sommes réglées par Monsieur [O] afin de parvenir à la réalisation du bateau commandé :

Factures DB INNOVATION : 13.876,26 euros

Frais de transport DB INNOVATION : 180,00 euros

Peinture : 788,00 euros

Treuil: 1.121,28 euros

Moteur: 11.143,75 euros

Le tout majoré des intérêts au taux légal à compter de la date de la décision à intervenir jusqu'à parfait remboursement.

- Débouter la SARL [B] et Fils de l'ensemble de ses demandes et autres prétentions plus amples ou contraires ;

- Condamner la SARL [B] et Fils à payer à Monsieur [O] les sommes de 1.280,96 euros et 1.609,90 euros correspondant aux frais exposés par lui au titre du procès-verbal de constat dressé par Maître [T], Huissier de Justice, et du rapport d'expertise établi par Monsieur [R], Expert du Cabinet CLEMENT et ASSOCIES, le 5 septembre 2017 - Condamner la société [B] et Fils à payer à Monsieur [O] la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ;

- Condamner la société [B] et Fils à payer à Monsieur [O] la somme de 6.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société [B] et Fils aux entiers dépens, en ce compris les frais d'exécution.

Sur le fondement des articles 1103 et 1217 du code civil, Monsieur [O] invoque un manquement de l'appelante à ses obligations contractuelles, en ce que l'ouvrage présente de nombreux désordres, malfaçons, non façons et retards constatés par l'expert maritime et repris dans le procès verbal du 5 septembre 2017, qui justifient la résolution judiciaire du contrat. Il estime la restitution du prix versé à la somme de 68 340,00 euros et sollicite le remboursement des frais qu'il a lui-même exposés pour acquérir le matériel nécessaire à la réalisation des travaux représentant au total 27.109,03 euros.

Il soutient que l'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée au fond et que la résolution judiciaire conduira à remettre les parties dans leur état initial, empêchant la SARL [B] de se prévaloir de l'astreinte.

En réponse à la partie adverse, le concluant indique que les plans du bateau ont été élaborés par un architecte professionnel approuvés par les Voies Navigables de France (VNF) et ne pouvaient donc être modifiés à la convenance du constructeur, qu'une modification substantielle de la taille nécessitait l'accord des autorités fluviales, au risque à défaut d'aboutir à une non conformité.

Il soutient qu'il n'est pas responsable du sous dimensionnement de la salle des machines et que dès 2015 la SARL a été informée des dimensions du moteur ( moteur de 80 CV CM4.80 INTERCOOLING BOBTAIL).

Il souligne que la solution du litige dépend, non pas de la question du moteur, mais de la construction du navire dans son intégralité : mesures incohérentes, corrosion, soudures hors règles de l'art, malfaçons multiples, tout autant d'éléments qui mènent à la conclusion que ce chantier est littéralement un désastre technique, opérationnel et financier'; que l'erreur de mesure dont la SARL [B] et Fils est à l'origine, contraint désormais à` raisonner sur le fait de savoir s'il est possible d'installer un autre moteur mais que l'objet du litige se situe sur l'ensemble de la structure.

Sur la demande de résiliation du contrat demandée par la SARL [B] et Fils, le concluant souligne que s'il n'a pas été amené à livrer l'intégralité des matériels concernées, c'est en raison des désordres dénoncés dès 2015, et observe que la SARL [B] ne les a jamais réclamés avant la procédure qu'il a entamée'; qu'il lui a par ailleurs toujours fourni les informations sur les dimensions du moteur ou des fenêtres qui lui ont d'ailleurs été livrées et qu'il n'a donc pas commis de manquement justifiant la résiliation du contrat.

S'agissant des demandes indemnitaires de la SARL [B] et fils, il estime':

- qu'aucun élément ne vient justifier le trouble de jouissance subi par la SARL [B] au titre des frais de gardiennage notamment, qu'elle lui avait expressément dit en 2014 que le bateau «' restera sur son emplacement de construction jusqu'à ce que la couche de peinture soit mise sous le fond du bateau ainsi que sur le bordail », alors que ces prestations de peinture n'ont jamais été réalisées et que le bateau est toujours en phase de construction et non de finition.

- qu'il a réglé la plupart des sommes demandées, de sorte qu'il ne saurait supporter les problèmes économiques subis par l'entreprise et sans lien de causalité avec de quelconques manquements qui pourraient lui être reprochés'; qu'au contraire il a lui même subi un préjudice financier et dû renoncer à ce bateau inachevé qui devait lui servir de résidence, malgré une santé psychologique fragile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2023.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat

Sur le fondement de l'article 1184 du code civil dans sa version applicable au présent litige, la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera pas de manière grave à son engagement.

Ainsi, lorsque le contrat ne contient aucune clause expresse de résolution, la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier qu'une partie y mette fin de façon unilatérale mais à ses risques et périls dans la mesure où il appartient au juge d'apprécier souverainement, en cas d'inexécution partielle, si la gravité du manquement reproché est assez importante pour que la résolution ou la résiliation du contrat puisse être prononcée.

La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut également demander que l'autre soit forcée à remplir son obligation lorsque l'exécution est possible.

En l'espèce, la société [B] et Fils demande la résiliation du contrat à la date du 4 avril 2017, correspondant à celle à laquelle a été rendue l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne condamnant vainement M. [O] sous astreinte à lui livrer le matériel nécessaire pour achever la construction du bateau qu'il lui avait confiée et la condamnation de M.[O] à retirer la coque du chantier.

M. [O] estime que la gravité des malfaçons affectant le bateau et de l'inexécution de l'obligation de son contractant de l'achever, justifie la résolution du contrat.

Il en résulte donc qu'aucune des parties ne réclame la poursuite du contrat et l'exécution forcée par l'autre partie de ses obligations contractuelles et qu'elles s'accordent sur le point de voir constater que la contrat est rompu et que la construction du bateau dans les conditions qu'elles avaient définies dans le cadre des deux devis des 13 et 17 décembre 2014, est définitivement impossible.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il prononce la résiliation du contrat liant les parties.

Sur les torts des parties

La construction d'un bateau comporte plusieurs étapes de la conception à la fabrication de la coque, au montage/soudage armement équipement, mise à l'eau et autres finitions de sorte qu'il s'agit d'un contrat à exécution successive.

Aussi, une inexécution au cours de cette construction n'entraîne pas forcément l'anéantissement rétroactif du contrat et la remise en état des parties dans leur situation antérieure (remboursement de tous les acomptes- restitution de la construction) mais peut autoriser un apurement des comptes en fonction des tranches de construction achevées et exploitables distinctement.

Le juge peut prononcer la résiliation à la date de sa décision ou une autre date à laquelle il lui apparaît que les parties ont entendu mettre fin au contrat.

Dans ce cas, l'anéantissement n'a lieu qu'à partir de ce moment.

Mais si la gravité de l'inexécution ne permet pas la conservation d'une partie de la construction, elle entraîne la résolution du contrat'; dans ce cas, elle a pour effet d'anéantir le contrat dès son origine et de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient antérieurement.

En l'espèce, les parties ont conclu deux devis distincts.

Le premier du 13 décembre 2014 d'un montant de 77 880 euros TTC porte sur la fabrication d'une coque (longueur 19,90mètres sur 4,50 mètres de large) et super structure (18,850 mètres de long sur 4,50 mètres de large), d'une descente d'escalier à l'avant avec accès au logement, d'une marquise en acier, d'une découpe d'ouvrants sur marquise (X4) ou pas (X10) mais sans fourniture, de deux portes de marquise et d'un gouvernail (sans fourniture hydrauliques et électriques).

Deux acomptes «'sur travaux de construction de la coque et la structure'» ont été réglés les 19 décembre 2014 et 15 février 2015 pour un total de 58 388 euros (38 940 euros + 19 440).

Un second devis du 17 décembre 2014 d'un montant de 12 000 euros porte sur la pose et l'installation des éléments d'équipement': cuve à gasoil avec jauge de raccordement moteur, pose d'un arbre à hélice, pose et soudure de 10 boulards et renforts, installation et mise en ligne du moteur, suivi de la construction et mise à l'eau du bateau.

Il prévoit la fourniture par M. [O] du moteur, des fenêtres, de l'appareil à gouverner, de l'hélice (treuil, chaîne, ancre) et de toutes autres fournitures.

Il en ressort que le contrat est divisible entre les travaux de construction de coque, marquise, ouvertures qui doivent conduire à offrir à leur achèvement une structure exploitable, travaux entièrement et uniquement confiés à la société [B] et Fils, d'une part, et les travaux d'installation et de pose des équipements sur cette structure jusqu'à la mise à l'eau du bateau d'autre part et dans le cadre desquels il était prévu l'intervention active de M. [O] tenu de livrer des équipements.

Les inexécutions et malfaçons reprochées, leur gravité et les conséquences sur la date de résiliation du contrat peuvent le cas échéant s'apprécier au sein de chacune de ses phases.

Sur la taille du bateau

Les mails échangés entre les parties au début de l'année 2015 montrent la satisfaction de M. [O] sur la qualité de la construction jugée très bien faite voire impeccable.

En février 2015, il remercie son contractant d'avoir peint le bateau, «'il est beau'»; le 4 mars , il écrit encore dans un mail ayant pour objet «'peinture plus durcisseur':'magnifique bateau de belle fabrication'».

Mais dans un courrier du 9 avril 2015, M. [O] lui fait observer des longueurs non conformes du bateau et de la salle des machines à l'arrière du bateau, trop petite et ne permettant pas l'installation du moteur et de l'arbre à hélice qu'il avait choisis, le manque de place pour l'installation du gouvernail et en conclut que la meilleure solution est de vendre la coque pour lui permettre de récupérer les fonds versés.

Encore le 30 juin 2015, M. [O] se plaint d'un défaut de conformité de la taille de la salle de machine «'qui ne fait pas 2000 mm sur 4500 mm'» et réclame les dimensions prévues sur les plans initiaux en précisant «'1500 mm arrière marquise 2000 mm marquise et salle de machine 14000 pont avant nez mesures sur plans'».

La société [B] et Fils n'a jamais contesté la non conformité de la structure aux plans et il est acquis aux débats que la longueur totale de la coque est de 19 775 au lieu de 19 900 et ne correspond donc pas aux spécifications contractuelles initiales.

Puisque la société s'est engagée contractuellement à fournir une structure d'une dimension définie, elle était tenue sur ce point à une obligation de résultat.

Elle soutient pour s'exonérer de sa responsabilité qu'elle a suivi les instructions de son client qui lui avait demandé de relever l'arrière du bateau et qui lui avait donné l'inclinaison voulue devant ses salariés témoins qui en attestent'; que M. [O] ne pouvait pas changer d'avis tout le temps.

Elle supporte la charge de la preuve que d'une part, cette demande de modification de l'inclinaison commandait nécessairement le raccourcissement de la longueur du bateau d'autre part ,dans ce cas, qu'elle en a averti son client dans le cadre de son obligation de conseil et enfin qu'il lui a donné son accord.

La société [B] produit un mail du 6 juillet 2015 dans lequel M. [O] reconnaît «'oui j'ai dit à toi et à tes ouvriers de remonter la tôle à hauteur 700 ou 800 sur une pente pour hélice 18 pouces 4 pales gouvernail 650 hauteur sur 110 après salle de machine 2000'» mais ce mail est confus et ne suffit pas à considérer qu'il reconnaît ainsi qu'il savait que la modification du bateau réclamée allait entraîner une modification de sa dimension et cette preuve ne ressort pas plus de la lecture des attestations des propres salariés qui doivent être lues avec précaution au regard du lien de subordination les unissant à celui pour lequel ils attestent et qui ne se prononcent pas précisément sur la longueur finale du bateau.

Ainsi, l'appelante défaille dans la preuve que M. [O] lui a demandé de modifier les dimensions du bateau et dans tous ses mails sur ce point précis, M. [O] a toujours persisté à réclamer les dimensions prévues au plan.

Notamment encore alors qu'il a sous astreinte été condamné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne à livrer au constructeur les éléments nécessaires à la bonne fin de la construction de la coque du bateau et à défaut de retirer la coque du chantier naval par ses propres moyens, et qu'il a a par courrier d'avocat du 5 mai 2017 puis signification du 22 mai 2017 informé la société [B] et Fils qu'il entendait respecter les termes de cette ordonnance et livrer le matériel en lui demandant de reprendre les travaux de construction de son bateau, il a précisé «'de longueur 19900 mm'» en lui réclamant par ailleurs des renseignements nécessaires pour qu'il puisse commander le matériel .

Il faut souligner toutefois que le document d'une demi page établi par M.[N], expert fluvial, à la demande de la société [B] et Fils , qui n'est contredit sur ce point que par les allégations de M.[O], laisse penser qu'une modification de la taille, pour revenir aux dimensions contractuelles, reste toujours possible sans compromettre la destination finale du bateau et l'obtention du titre de navigation'; et cette proposition de revenir aux plans initiaux a été faite à M.[O] par la société [B] et Fils qui lui demandait toutefois préalablement de faire un écrit précisant ce souhait et acceptant le paiement du travail qui en résulterait pour le chantier qui n'a jamais été obtenu.

Par ailleurs, même en conservant une longueur diminuée, le rapport de l'expert judiciaire nommé par la cour dans son arrêt du 10 mai 2022 permet de conclure à la possibilité d'installer le moteur choisi par M. [O] ou d'autres modèles de moteurs de la puissance de 80CV choisie par celui-ci.

Aussi, le manquement se limite à la constatation d'une différence de taille de 12 cm sur une longueur de 1990 cm soit de moins de 1% qui peut être rectifiée, qui n'interdit pas la pose du moteur et n'a pas de conséquences développées et démontrées sur l'aménagement intérieur ou les aspects techniques ou administratifs.

Ce manquement ainsi constaté n'apparaît pas d'une gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat aux torts de la société [B] et Fils .

Il s'agit dès lors d'analyser l'existence et la gravité d'autres manquements reprochés à la société [B] et Fils qui pourraient s'y rajouter.

Sur les autres manquements

Il n'est rien dit au contrat sur l'obligation de mise en peinture de la coque.

Une discussion s'est instaurée à ce sujet dès le début de l'année 2015, M. [O] demandant s'il lui est possible de venir le poncer et mettre une couche d'epoxyte,'la société [B] et Fils lui précisant «'la peinture on ne l'a pas encore faite car il faut que l'on meule toutes les soudures avant de peindre'».

Si M. [H] [O] écrit le 8 avril 2015 à la société [B] et Fils «'qu'il a vu beaucoup d'eau et de rouille'», il ne répond plus à celle-ci qui lui écrit «'«'c 'est quoi le problème pour le bateau'' D'après mon salarié tu ne peux pas peindre à l'intérieur je ne sais pas pour quelle raison'; d'après lui le bateau resterait 1 an à son emplacement, et n'ayant pas reçu tout le matériel que tu as commandé par tes propres moyens nous avons été obligé de ralentir les travaux'; je pense avoir été compréhensif jusqu'à maintenant nous avons même mis de la peinture sur toutes les parties terminées, alors que nous ne devions faire que le fond'; il était bien convenu que ce soit toi qui t'occupes de la peinture intérieure'; comme je t'ai dit hier il est préférable de peindre au fur et à mesure que nous avançons pour éviter de tout poncer à la fin'».

Il peut s'en déduire qu'un accord entre les parties mettait tout au moins à la charge de M. [H] [O] l'exécution de la peinture intérieure et à celle de la société [B] et Fils celle du « fond'».

Mais dans tous les cas, la société [B] et Fils n'en était pas moins tenue de respecter les règles de l'art s'agissant du traitement et de la tenue des tôles qu'elle posait.

Il lui appartenait, de même de s'assurer dès 2015, de la bonne conservation de ces tôles jusqu'à l'installation des équipements qui devaient lui être livrés par M. [H] [O], sur une structure dont elle restait contractuellement responsable jusqu'à la mise à l'eau, le cas échéant jusqu'à la résiliation du contrat ou la mise en demeure qu'elle faisait à M. [O] de récupérer l'ouvrage, mise en demeure qui n'interviendra qu'en juin 2017 après l'ordonnance de référé du 4 avril 2017, et demande de résolution qui ne résultera que de l'assignation du mois de septembre 2017.

Ainsi, il appartient à la société [B] et Fils de démontrer qu'elle a pris des mesures pour une mise hors d'eau et d'air et pour limiter les effets de la corrosion pendant le temps des discussions entre les parties.

Or, le constat d'huissier assisté d'un expert maritime et fluvial et rapport complémentaire de celui-ci du même jour précités, qu'a fait établir M. [O] le 5 septembre 2017, soit dans le temps concomitant à la date de la mise en demeure de juin 2017 de son contractant, montrent que toutes les tôles n'ont pas été pré peintes au montage qu'elles ont été assemblées à l'état brut et que les parties non peintes sont recouvertes de fleur de rouille.

Par ailleurs, de ces constats, il ressort que la coque et le pont présentent des désordres et que la taule, selon les endroits,n'est pas soudée ou avec des soudures non meulées, pas parfaitement arrondies, non régulières et continues, qu'elle présente des jours et des traces de soufflage, ce qui conduit l'expert à conclure au delà d'un défaut de finition de l'ouvrage, à un défaut d'exécution et un manque de matière.

Encore sont relevés des suintements et de l'eau stagnante au fond de la cale qui s'infiltrent et s'évacuent par la cornière, qui selon l'expert, révèlent un défaut d'étanchéité et aussi des traces de corrosion sur le fond et les varangues faisant craindre un risque de corrosion caverneuse.

M. [H] [O] conteste la validité de ces constats et à ce titre la cour ne peut que reprendre les développements du premier juge comme ceux de son arrêt avant dire droit du 22 mai 2022 dans lesquels sont explicités à la société [B] et Fils les motifs pour lesquels le principe du contradictoire a été respecté dans le cadre de l'organisation de cette mesure à laquelle il a assisté et qui avait été organisée par le président du tribunal judiciaire de Châlons-en-champagne saisi sur requête.

Aussi, lui sont opposables les constatations qui y sont faites par le commissaire de justice comme les avis qui y sont donnés par l'expert autorisé à l'assister.

Pour soutenir que ces appréciations sont contestables, la société [B] et Fils prétend que les soudures manquantes seraient normales en phase de construction, que si la coque n'est pas soudée, c'est en raison de la nécessité de permettre l'écoulement des eaux de pluie jusqu'à la finition de celui-ci. Mais, elle ne produit que le bref document de M.[N] du 27 février 2019 précité qui se limite à affirmer «'que la construction est de conception robuste, en cours de réalisation et faite dans les règles de l'art  » sans contrer les points litigieux soulevés par le constat d'huissier et M.[R].

En outre, la société [B] et Fils avait tout moyen de compléter les éléments du dossier en sollicitant des avis techniques d'expert plus étayés que ceux de l'huissier de justice et de l'expert maritime [R] et n'a produit que le bref document de M.[N] précité après s'être opposé à la demande d'expertise judiciaire réclamée par M. [H] [O] au conseiller de la mise en état qui a été rejetée par ordonnance du 4 avril 2017.

Aussi, n'apparaît pas ce jour à la cour, la nécessité de faire droit à sa demande subsidiaire d'organisation d'une mesure d'expertise pour apprécier l'état de la construction, mesure coûteuse qui retarderait encore la solution d'un litige de plus de 7 ans alors qu'une mesure d'instruction n'a pas pour objet de suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve et que la cour dispose des éléments suffisants pour trancher le litige.

Et ce d'autant qu'outre les désordres précédents, l'expert ayant assisté l'huissier de justice, affirme que les travaux auraient pu être avancés par le constructeur tant en utilisant le matériel (fenêtres) dont il disposait (le chassis des ouvertures) que pour faire avancer d'autres parties du chantier dans l'attente du reste du matériel.

La société [B] et Fils pouvait, comme elle l'affirme, organiser comme elle le souhaitait les étapes de construction du bateau mais elle devait la poursuivre'; à défaut, il lui appartenait de démontrer tout au moins que l'absence des pièces lui occasionnait des surcoûts importants non prévus au devis, de grue et de personnel, qu'elle avait réclamé la signature d'un avenant à son client, tous éléments qui ne ressortent que de ses allégations dans ses conclusions mais pas de la lecture de ses mails.

La cour constate alors outre les désordres sur la coque développées précédemment, l'importance des inexistants au moment de la rupture du contrat, qui constituent donc ce jour des non façons de la structure soit, outre la cuve de gasoil, les boulards à l'arrière du bateau, le retrait des structures au droit des ouvertures pour pouvoir positionner les châssis des fenêtres livrées depuis mars 2015 ou la mise à l'eau prévus dans le second devis, également l'escalier, la timonerie, la porte de marquise, le gouvernail l'arbre à hélice et sa mèche (qui ne dépend que de la puissance du moteur- 80CV-et qui selon les déclarations de M.[B] à l'huissier pouvait être installé au regard de l'avancée de la construction) et la trappe pour l'arrière du bateau, tous éléments qui figurent au premier devis et s'insèrent dans la structure.

Sur la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société [B] et Fils

M. [H] [O], victime d'une inexécution du contrat, avait la faculté, sans faute, de choisir de vouloir mettre un terme au contrat, ce qu'il a fait dans un premier temps ou de réclamer l'exécution forcée, choix qu'il a ensuite fait et ce tant que son attitude ne bloquait pas la poursuite du chantier et qu'il n'avait pas été statué sur sa demande de résolution formée par assignation du 30 novembre 2017.

Puisque ni le comportement de M. [H] [O] ni l'absence de livraison de tout le matériel n'empêchaient la poursuite du contrat, la société [B] et Fils ne pouvait interrompre l'exécution de ses obligations ni subordonner la poursuite de leur exécution à la livraison de tout le matériel alors qu'il peut être rappelé qu'elle disposait de plus de 75% du prix total convenu.

Le chantier n'a pas été abandonné par M.[O] mais arrêté par la société [B] et Fils et cet arrêt a été fait à ses risques et périls.

Il supposait pour être justifié, qu'elle soit ce jour en mesure de démontrer qu'il était la conséquence de manquements de M. [H] [O] suffisamment graves pour fonder une demande en résiliation judiciaire du contrat à cette date aux torts de son client.

A défaut, compte tenu de l'importance des manquements constatés aux règles de l'art et aux stipulations contractuelles, tenant à la modification des dimensions, à l'existence de malfaçons constatées sur la coque, à l'inexécution de nombreuses prestations prévues au premier devis qui pouvaient être réalisées sans les éléments d'équipement, compte tenu du délai écoulé depuis l'arrêt des travaux de construction de cet ouvrage qui avait été payé à 75% de son prix dans les 3 mois de la conclusion du contrat, la cour en conclut à l'existence de manquements suffisamment graves de ce professionnel, tenu d'une obligation de résultat et de l'exécution d'un travail conforme aux règles de l'art, pour justifier le prononcé de la résolution du contrat à ses torts exclusifs.

Sur les conséquences de la résolution aux torts exclusifs de la société [B] et Fils

Sur les demandes de la société [B] et Fils

Ainsi que l'a parfaitement développé le premier juge, la résolution du contrat opère la révocation des obligations réciproques des parties et remet les choses en l'état, de sorte que la société sera déboutée de sa demande d'exécution forcée du contrat et demande de condamnation corrélative de M. [H] [O] à lui livrer le reste des équipements nécessaires pour achever le bateau.

Par ailleurs, des conséquences de cette résolution, résultent ses droits à conserver l'ouvrage qu'elle a commencé à construire et qui se trouve sur son chantier et d'en disposer.

Mais dans la mesure où le contrat est résolu à ses torts exclusifs, elle est déboutée de ses demandes en réparation des préjudices résultant de l'inexécution contractuelle qu'elle reproche à M. [O] et notamment d'un préjudice économique en lien avec le temps consacré ou gaspillé par son personnel pour la construction du bateau au détriment du reste de ses activités, avec le trouble de jouissance occasionné par l'encombrement de son chantier par le bateau avec un préjudice moral de son gérant dont l'état de santé se serait dégradé en raison de son inquiétude sur les conséquences économiques de ce contrat.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute la société [B] et Fils de toutes ses demandes en exécution forcée du contrat et indemnitaires.

Sur les demandes de M. [O]

La révocation des obligations de M. [H] [O] contraint la société [B] et Fils à lui rembourser les sommes que celui-ci lui a versées à titre d'acompte pour le montant total de 68 380 euros outre intérêt au taux légal à compter de la demande en justice valant mise en demeure du 30 novembre 2017.

M. [O] sollicite le remboursement des frais qu'il a vainement engagés.

Le contractant à qui l'inexécution n'est pas imputable peut obtenir des dommages et intérêts en plus de la restitution des prestations versées.

Il doit démontrer l'existence d'un préjudice en lien avec l'inexécution du contrat.

S'agissant des factures de la société DB Innovation des 22 décembre 2014, 1er janvier 2015 et 1er avril 2016, correspondant aux frais de transport et au coût d'un moteur pour un total de (11 076 +2800 + 180) leur paiement est justifié par les 3 ordres de virement de la société générale.

Mais la livraison de ce moteur qui était annoncée le 1er avril 2015 par M. [O] pour le 7 ou 8 avril suivant n'a pas été réceptionnée par la société [B] et Fils qui s'en est plaint dès le 8 avril 2015 à M. [O] en lui écrivant «' je viens d'avoir un appel de la personne qui a traité l'affaire avec toi pour ton moteur. C'est quoi cette histoire que je ne veux pas du moteur''

Tu as commandé ce moteur personnellement sans passer par moi ainsi que tous les autres accessoires'; je n'ai jamais rien dit au sujet de ce moteur'; il me le faut pour continuer les travaux'; évite de dire ce que je n'ai pas dit !!'».

Une demande de remboursement par M.[O] à la société DB Innovation a été faite par courrier recommandé du 14 avril 2015.

Et en mai 2017, M.[O] écrira par son avocat ,que le moteur est en cours de commande. Enfin, ce moteur n'a finalement jamais été livré malgré injonction sous astreinte du juge des référés.

En conséquence, la preuve de l'engagement inutile de frais pour l'acquisition d'un moteur pour ce bateau n'est pas démontré.

En outre, avec le premier juge, la cour constate que M. [H] [O] ne justifie pas de l'engagement de frais pour l'achat de peinture et la location d'un treuil.

Par ailleurs, le comportement de la société [B] et fils ne traduit pas d'errements ou de résistance abusive et les problèmes de santé décrits par M.[O] sont antérieurs à la conclusion du contrat à la lecture des premiers mails échangés et produits et expliquent l'absence de suivi de la construction pendant de longues périodes et une première volonté dès juin 2015 de rompre le contrat avant de choisir de l'achever.

Ces éléments ne permettent pas de retenir l'existence d'un préjudice moral en lien de causalité avec l'exécution du contrat ou le déroulement de la présente procédure.

Les frais de constat et d'expertise amiable resteront à la charge de celui qui les a réclamés pour venir au soutien de la preuve des faits utiles à ses prétentions.

En conséquence, M.[O] est débouté de ses demandes en réparation.

Le jugement est, dès lors, confirmé en toutes ses dispositions si ce n'est juger que la résolution est prononcée aux torts exclusifs de la société [B] et Fils .

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne du 14 octobre 2020 en toutes ses dispositions si ce n'est de dire que la résolution du contrat est prononcée aux torts exclusifs de la société [B] et Fils.

Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,

Prononce la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société [B] et Fils;

Condamne la société [B] et Fils à payer à M.[O] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure et la déboute de ses prétentions à ce titre;

Condamne la société [B] et Fils aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 20/01617
Date de la décision : 14/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-14;20.01617 ?
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