La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/04/2023 | FRANCE | N°20/01134

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 06 avril 2023, 20/01134


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°134/20223



N° RG 20/01134 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QPSD













SA KEOLIS [Localité 6]



C/



M. [P] [B]























Copie exécutoire délivrée

le : 06/04/2023



à : Maîtres

BALLU-GOUGEON

QUESNEL





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 06

AVRIL 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du pro...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°134/20223

N° RG 20/01134 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QPSD

SA KEOLIS [Localité 6]

C/

M. [P] [B]

Copie exécutoire délivrée

le : 06/04/2023

à : Maîtres

BALLU-GOUGEON

QUESNEL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 06 AVRIL 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 Janvier 2023, devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [X] [U], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Avril 2023 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 30 mars 2023

****

APPELANTE :

SA KEOLIS [Localité 6] Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Audrey BALLU-GOUGEON de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [P] [B]

né le 24 Mars 1965 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparant en personne, assisté de Me Anne-Marie QUESNEL de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA Kéolis [Localité 6], filiale du groupe Kéolis, a pour activité l'exploitation de transports en commun de l'agglomération rennaise.

M. [P] [B] a été embauché par la SA Kéolis [Localité 6] selon un contrat à durée indéterminée en date du 30 septembre 1995. Il exerçait les fonctions de conducteur receveur.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective du transport public urbain de voyageurs.

En 2015, M. [B] a bénéficié d'une longue période d'arrêt de travail. Il a été reconnu travailleur handicapé le 26 juin 2016.

Suite à sa reprise en septembre 2016, M. [B] s'est vu proposer plusieurs missions et aménagements de poste conformes aux avis de la médecine du travail.

Par courrier en date du 05 septembre 2016, la société Kéolis [Localité 6] a affecté le salarié à une mission de renfort auprès de l'accueil infractions dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.

Du 24 janvier au 03 mars 2017, M. [B] était affecté au poste de gardien parc relais à mi-temps et au service fraude.

En février 2017, M. [B] a posé sa candidature à un poste de responsable de groupe, candidature qui n'a pas été retenue.

En mars 2017, M. [B] a été de nouveau placé en arrêt de travail.

Le 1er avril 2018, M. [B] a été classé en invalidité catégorie 1.

Le 03 avril 2018, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte au poste de conducteur receveur en précisant qu'il pouvait occuper une fonction de type administratif ou de commercial sédentaire.

La société Kéolis [Localité 6] a alors adressé plusieurs offres de reclassement à M. [B], dont, le 21 juin 2018, un reclassement sur le poste d'agent conseil, information et vente à temps partiel (57%) avec formation préalable.

Par courriel du 22 juin suivant, M. [B] a refusé ce poste en raison des horaires irréguliers et de l'obligation de travailler le samedi.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 05 juillet 2018, la société Kéolis a informé le salarié de son impossibilité de le reclasser, en conséquence du refus du poste proposé.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 05 juillet 2018, M. [B] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 16 juillet 2018, reporté au 27 juillet suivant.

Puis, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 1er août 2018, M. [B] s'est vu notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 26 novembre 2018 afin de voir :

- Déclarer abusif le licenciement prononcé,

- Condamner en conséquence la Société Kéolis à lui payer les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 21 099,96 euros,

- Indemnité compensatrice de préavis : 3 516,66 euros,

- Indemnité de congés payés afférente : 351,67 euros,

- Article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros.

La SA Kéolis [Localité 6] a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner M. [B] à verser à la société Kéolis une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 euros

- Condamner le même aux entiers dépens.

Par jugement en date du 24 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit que le licenciement pour impossibilité de reclassement de M. [B] est requalifié en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Condamné la SA Kéolis [Localité 6] à verser à M. [B] les sommes de 3 516,66 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 351,66 euros correspondant aux congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2018, date de la citation.

- Dit que l'exécution provisoire est de droit pour les sommes ci-dessus, à caractère salarial, en application de l'article R. 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 677,29 euros.

- Condamné la SA Kéolis [Localité 6] à verser à M. [B] la somme de

21 099,96 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent jugement.

- Ordonné à la SA Kéolis [Localité 6] de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômages versées à M. [B], dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage.

- Condamné la SA Kéolis [Localité 6] à verser à M. [B] la somme de

1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la SA Kéolis [Localité 6] aux dépens.

***

La SA Kéolis [Localité 6] a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 14 février 2020.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 08 décembre 2022, la SA Kéolis [Localité 6] demande à la cour de :

- Réformer le jugement en ce qu'il a :

' Dit que le licenciement pour impossibilité de reclassement de Monsieur [B] est requalifié en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

' Condamné la SA Kéolis [Localité 6] à verser à M. [B] les sommes de 3 516,66 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 351,66 euros correspondant aux congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2018, date de la citation.

' Fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de

2 677,29 euros.

' Condamné la SA Kéolis [Localité 6] à verser à M. [B] la somme de

21 099,96 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent jugement.

' Ordonné à la SA Kéolis [Localité 6] de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômages versées à M. [B], dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage.

' Condamné la SA Kéolis [Localité 6] à verser à M. [B] la somme de

1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

' Condamné la SA Kéolis [Localité 6] aux dépens y compris les frais éventuels en cas d'exécution forcée de la présente décision.

Statuant de nouveau :

- Débouter Monsieur [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- À tout le moins, réduire à de plus proportions, les condamnations mises à la charge de Kéolis,

- Condamner Monsieur [B] à verser à la Société Kéolis la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner le même aux entiers dépens.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 07 août 2020, M. [B] demande à la cour de :

- Déclarer abusif le licenciement qui lui a été notifié ;

- Condamner, en conséquence, la Société KEOLYS à lui payer les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 21 099,96 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 3 516,66 euros

- Indemnité de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis : 351,66 euros

- Article 700 du code de procédure civile : 2 000,00 euros.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 13 décembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 24 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

'Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le vendredi 27 juillet 2018 au cours duquel nous avons évoqué en detail votre situation.

Comme évoqué lors de cet entretien, vous avez rencontré le médecin du travail le 3 avril 2018. Lors de cet examen, le médecin du travail a porté un avis libellé comme suit :

inapte au poste de conducteur-receveur. Conformémen tà l'article R 4624-42 CT, inaptitude prononcée suite à :

Entretien avec le salarié réalisé Ie 27/02/2018

Entretien avec l'empIoyeur réalisé Ie 07/03/2018

Etude de poste réalisée Ie 07/02/2018

Etude des conditions de travail réalisée Ie 07/02/2018

Fiche entreprise réalisée Ie 07/06/2017

Avis d'inaptitude : inapte au poste de conducteur-receveur. Pourrait occuper un poste de type administratif ou commercial sédentaire ».

Nous avons alors recherché un poste de reclassement dans l'entreprise ainsi que dans toutes les filiales du Groupe. Par courrier en date du 9 mai 2018 nous vous avons proposé les postes suivants :

I Agent d'lnformation et Vente -A Keolis [Localité 6]

I Assistant patrimonial ' Keolis [Localité 6]

I Agent d'Exploitation ' EFFIA Stationnement

I Coordinateur Webcomers - Transpole ([Localité 3])

I Coordinateur Partenariats prévention- Transpole ([Localité 3])

I Technicien documentaliste ' Transpole ([Localité 3])

I Technicien d'exploitation poste de commande métro (Agent Technique Opérationnel)

Transpole ([Localité 3])

I Administrateur Sl Métiers (H/F) ' Keolis [Localité 4]

I Responsable planning ' Keolis [Localité 4]

Vous avez expressement refusé par courrier en date du 15 mai l'ensemble de ces propositions conformes aux preconisations du medecin, hormis la proposition de poste d'agent d'information et vente au sein de Keolis [Localité 6].

En conséquence, vous avez été reçu le 22 mai par notre pôle recrutement et le 28 mai par les responsables de l'agence commerciale.

Nous vous avons ensuite confirrmé notre proposition de poste, assortie d'une période de formation préalable, lors d'un entretien le 19 juin, et par courrier en date du 21 juin 2018.

Toutefois, vous avez notifié votre refus de donner suite sur ce poste par un mail en date du 22 juin 2018.

Malheureusement, comme indiqué dans notre courrier en date du 3 juillet 2018 il s'est avéré qu'aucun autre poste compatible avec les preconisations du médecin n'était disponible et qu'aucun aménagement de ce poste de travail n'était possible.

Par conséquent, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour impossibilité de reclassement suite à l'avis d'inaptitude rendu par le medecin du travail le 3 avril 2018.

Votre licenciement prend effet a la date d'envoi de ce courrier, soit le 16 août 2018.

De ce fait, vous n'effectuerez pas de préavis et ne beneficierez pas d'une indemnité compensatrice de préavis.'

La société Keolis crique le conseil de prud'hommes en ce qu'il a retenu que :

-par courrier LR-AR du 21 juin 2018, elle aurait proposé un poste d'agent conseil information et vente en précisant la nécessité d'une formation,

-par courriel du 22 juin 2018 M. [B] aurait confirmé son souhait de retrait de sa candidature pour ce poste en raison des horaires irréguliers et du fait du travail le samedi,

-par courrier LR-AR daté du 27 juin 2018 et reçu par la société le 2 juillet 2018, M. [B] l'informerait de son souhait d'accepter la proposition de reclassement,

-par courrier LR-AR daté du 3 juillet 2018 et reçu par le salarié le 5 juillet 2018, la société a accusé réception de l'e- mail du 22 juin 2018 confirmant le retrait de sa candidature, pour en déduire ce qui suit 'pour le conseil de prud'hommes, la société Keolis s'est fondée uniquement sur le courrier adressé par M. [B] en date du 22 juin 2018 pour engager la procédure de licenciement à compter du 3 juillet 2018 alors que le courrier écrit par M. [B] le 27 juin 2018 a été reçu par la société le 2 juillet 2018.

Or, dans son courrier du 27 juin, M. [B] accepte la proposition de poste.

M. [B] ayant accepté la proposition de poste, la société Keolis ne pouvait pas le licencier.'

Elle considère que le conseil de prud'hommes a, ce faisant, commis une erreur d'appréciation au regard des échanges entre le salarié et la société en ce que :

-le courrier du salarié du 27 juin 2018 n'était pas un courrier valant acceptation, au regard de ses réserves,

-M. [B] a par courriel maintenu sa position en adressant de nouveau son courriel de refus du 22 juin 2018, le 28 juin 2018, soit postérieurement au courrier édité le 27 juin 2018,

-si son argumentation a pu être évolutive, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes au motif que la société l'a licencié alors qu'il avait accepté une des propositions de reclassement formulées par la direction, or il n'en est rien, le salarié ayant clairement refusé les propositions de reclassement non pas en raison de difficultés en lien avec son état de santé, mais uniquement de son refus de travailler sur des horaires irréguliers incluant la journée du samedi,

-contrairement à ce qu'il soutient, un seul poste d'agent information et vente lui a été proposé le 9 mars et le 21 juin 2018, puisque le courrier du 21 juin précise 'nous faisons suite à notre courrier du 9 mai 2018", le contenu du poste étant strictement identique, à l'exception du temps partiel qui a été fixé à 57% au lieu de 50% ce qui, étant favorable au salarié, avait été convenu entre les parties .

Subsidiairement, elle conteste le montant des indemnités allouées par les premiers juges, sur la base d'un salaire moyen erroné et alors que le salarié ne justifie pas de l'étendue de son préjudice.

M. [B] réplique que les affirmations de la société sont contraires à la réalité et que le conseil de prud'hommes a fait une exacte appréciation des faits, puisque :

-la société lui a adressé le 9 mai 2018 neuf propositions de postes de reclassement, dont l'une d''agent d'information et vente à [Localité 6] à temps partiel 50%, 17h30 hebdomadaires avec travail régulier le samedi et ponctuel dimanche/jours fériés moyennant une rémunération de 13 500 euros bruts par an' a été acceptée par lui le 16 mai 2018 par envoi en LR-AR,

-plusieurs échanges sont intervenus ensuite entre lui-même et le pôle de recrutement, lors desquels la société lui a proposé d'autres postes de reclassement, ainsi, par téléphone, le 24 mai 2018, un poste à 67%, qu'il a également accepté : le poste à 50% proposé et accepté dans le tableau du 9 mai 2018 n'était plus disponible et la société précisait qu'une agence devait ouvrir à la gare de [Localité 6] ; le 15 juin, lui a été proposé un poste à 70%, car celui à 67% n'était plus non plus disponible, M. [E] précisant que le poste serait disponible au début du mois de septembre 2018,

-le 22 juin 2018, il a écrit un mail pour confirmer son retrait de candidature du poste commercial à la suite de l'entretien téléphonique du 21 juin 2018,

-parallèlement, et dans le cadre de ces échanges, la société Keolis lui a adressé le 21 juin 2018 en LR-AR (postée le 25 juin et qu'il a reçue le 26 juin 2018) une proposition de poste de reclassement, cette fois-ci à 57%, mais en précisant qu'il ne possédait pas, à ce jour, les compétences nécessaires pour l'assurer et prévoyait, dès lors, de lui faire suivre une formation de remise à niveau en informatique et en langue anglaise, ces deux formations étant indispensables pour cette fonction, et que la proposition de reclassement ne deviendrait définitive qu'à l'issue de la période de formation validée par un acquis de connaissance,

-que par LR-AR du 27 juin 2018 reçue par la société le 2 juillet 2018, il a accepté ce poste, mais que curieusement, par LR-AR, l'employeur a pris acte de son refus et l'a licencié pour ce motif, sans mentionner sa lettre du 27 juin reçue le 2 juillet, se référant exclusivement au mail du 22 juin précédent, qu'il a écrit avant de prendre connaissance du courrier du 21 juin réceptionné le 26 juin,

-son mail du 28 juin 2018 n'est pas une réaffirmation de sa volonté de retirer sa candidature, mais un simple transfert de nouveau d'une copie de son mail du 22 juin à la suite d'un entretien téléphonique avec Mme [V], qui ne l'avait pas reçu ; il n'a jamais reçu le mail du 19 juin de M. [E], n'a pas reçu de convocation pour une formation en informatique le 21 juin, n'a jamais refusé de travailler les samedis mais il souhaitait ne pas travailler tous les samedis et, s'il a ajouté dans son courrier du 27 juin qu'un rythme régulier et un roulement d'un samedi sur deux, comme effectué ces vingt denières années en tant que conducteur de bus, devait être envisagé pour son acceptation à ce poste, pour autant il a accepté la proposition.

Il en conclut que l'employeur n'a pas été loyal dans ses offres de reclassement selon l'obligation définie par les articles L1226-2 et suivants du code du travail; qu'en effet lui-même a répondu positivement à des postes qui ont été successivement déclarés indisponibles ; que notamment le poste proposé le 9 mai, accepté le 15 mai suivant n'était plus disponible et que le poste mentionné dans le courrier daté du 21 juin 2018 n'est pas précis et était soumis à une obligation de formation.

***

L'article L1226-2 du code du travail dispoe que :

'Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.'

En application de l'article L1226-2-1 du code du travail :

'Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

La recherche de reclassement doit être menée par l'employeur de manière sérieuse et loyale.

Le courrier de proposition de 9 postes de reclassement adressé au salarié le 9 mai 2018 par LR-AR précisait 'nous vous remercions de nous faire part, avant le 16 mai 2018, de votre réponse concernant ces propositions, en nous retournant un exemplaire de l'annexe complétée et signée : par courrier ou remise en main propre à l'attention de [J] [V], [Adresse 7] ou par mail à [J] [V] (dont l'adresse mail était précisée).

M. [B] justifie, par sa pièce 31, avoir fait retour de sa réponse par courrier recommandé, à l'adresse indiquée, le 26 mai 2018. Il s'agit d'une acceptation, sans conditions.

Il justifie, par sa pièce 32, avoir eu des échanges téléphoniques avec la DRH, Mme [V] ou M. [E], entre le 17 mai et le 19 juin, notamment le 9 mai, le 24 mai, le 15 juin, le 21 juin 2018.

La société justifie, par sa pièce 16, que, contrairement à ce qu'il affirme, M. [B] a bien adressé un mail à la DRH du 19 juin 2018 qui avait pour objet de confirmer la bonne réception des différents rendez-vous et M. [E] atteste que le salarié était d'accord pour le poste d'agent d'information et vente à temps partiel qui lui avait été proposé suite à leurs différents entretiens, qu'il était également d'accord sur le parcours de formation proposé, mais qu'il a tout annulé le jour même du lancement, le 21 juin 2019 (en fait 2018)à 9 heures, 15 minutes avant le début de la formation par téléphone ce qui est contesté par l'intimé.

Le mail du 19 juin 2018 de M. [E] à M. [B] fixe les rendez-vous pour l'évaluation de son niveau en informatique (le 21 juin 2018) et en anglais (les 25 et 26 juin 2018).

Ces rendez-vous ont donc été organisés suite à l'accord donné par M. [B] le 16 mai 2018 sur l'une des propositions de poste faites le 9 mai 2018, que le médecin avait validée le 30 mai 2018 après étude de poste.

Le contenu des échanges téléphoniques entre le salarié et la DRH n'est toutefois pas connu de sorte que, même si la société se réfère, dans son courrier du 21 juin 2018, à sa proposition du 9 mai 2018, il ne peut être exclu qu'il y ait eu téléphoniquement une autre proposition sur un poste de même profil, puisque le temps de travail n'est pas le même, que le courrier ne fait aucune allusion au retrait par M. [B] de son accord pour ce poste, pourtant exprimé téléphoniquement le même jour dès 9 heures selon M. [E] et, à la différence de la proposition du 9 mai 2018, elle n'est pas définitive, le courrier mentionnant qu'elle ne le deviendra qu'à l'issue des périodes de formation, qui devront être validées par un acquis des connaissances, ce qui a pu déterminer un quiproquo dans la réponse du salarié par téléphone le 21 juin 2018, confirmée par mail le 22 juin, d'autant que la proposition du 9 mai mentionnait au titre des conditions de travail du poste à 50% 'travail régulier le samedi' et que le poste refusé par M. [B] impliquait, selon la précision non contestée figurant dans son mail un travail 'tous les samedis'.

Au vu de l'ensemble des pièces produites, il n'est pas établi que le retrait d'acceptation de M. [B] du poste de reclassement proposé soit relatif au poste accepté sans condition le 26 mai 2018 et que la proposition de reclassement du 21 juin 2018, 'non définitive'aux termes même de la lettre de proposition, concerne ce même poste.

La société Keolis soutenant qu'il s'agit du même poste, il ne peut qu'en être conclu qu'elle ne justifie pas avoir loyalement adressé au salarié une proposition claire, précise et définitive de reclassement, postérieurement à son acceptation du 9 mai 2018, de sorte que le jugement entrepris, qui a considéré le licenciement de M. [B] comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse doit être confirmé. Il doit l'être également en ce qu'il a condamné l'employeur au remboursement des indemnités Pôle Emploi le cas échéant versées au salarié dans la limite de 6 mois, par application de l'article L1235-4 du code du travail.

En application de l'article L1235-3 du code du travail, M. [B] peut prétendre, du fait de son ancienneté de 22 ans, à une indemnité comprise entre 3 et 16,5 mois de salaire, sur la base d'un salaire moyen de référence 2688 euros. Il ne produit aucun justificatif de sa situation depuis le licenciement, se bornant à affirmer qu'il a suivi une formation et est actuellement inscrit à Pôle Emploi, alors que la société Keolis souligne qu'il semble avoir retrouvé un emploi rapidement puisqu'il a écrit moins d'un mois après son licenciement qu'il était inutile de lui renvoyer des offres d'emploi car cela ne l'intéressait plus. Il convient de réparer le préjudice que lui a occasionné la rupture, au vu de son âge (né en 1965), de son ancienneté, et des éléments soumis à la cour sur sa situation, par la condamnation de la société Keolis à lui payer la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en infirmation du jugement entrepris sur le quantum retenu. La société sera condamnée au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis de un mois, dont l'inexécution est imputable à l'employeur, pour un montant de 2688 euros bruts, outre 268, 80 euros de congés payés afférents, par voie d'infirmation du jugement.

Il est inéquitable de laisser à M. [B] ses frais irrépétibles d'appel qui seront mis à la charge de la société appelante, à hauteur de 1500 euros. La société Keolis, qui succombe, sera déboutée de sa propre demande présentée sur le même fondement et condamnée aux dépens d'appel. Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme partiellement le jugement entrepris,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

Condamne la SA Keolis [Localité 6] à payer à M. [P] [B] les sommes de :

- 2688 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 268,80 euros bruts de congés payés afférents,

-12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

-1500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Le confirme en ses autres dispositions,

Déboute M. [P] [B] du surplus de ses demandes,

Déboute la SA Keolis [Localité 6] de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SA Keolis [Localité 6] aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 20/01134
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;20.01134 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award