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23/10/1998 | FRANCE | N°1998-3234

France | France, Cour d'appel de Versailles, 23 octobre 1998, 1998-3234


I-1

Considérant que le COMITE D'HYGIENE, DE SECURITE ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL dit C.H.S.C.T. n° 1 de l'établissement de Rueil de la société RENAULT a entendu, par délibération du 3 mars 1998, avoir recours à une expertise en application de l'article L 236-9 du Code du Travail, motif pris de risques graves constatés selon lui dans l'établissement ; que le C.H.S.C.T. rattachait ces risques d'une part au suicide d'un salarié survenu en septembre 1997, suicide légitimant une interrogation sur les conditions du travail, et d'autre part à des accidents de la circulation surve

nus notamment en 1997 à des membres du personnel appelés à des dép...

I-1

Considérant que le COMITE D'HYGIENE, DE SECURITE ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL dit C.H.S.C.T. n° 1 de l'établissement de Rueil de la société RENAULT a entendu, par délibération du 3 mars 1998, avoir recours à une expertise en application de l'article L 236-9 du Code du Travail, motif pris de risques graves constatés selon lui dans l'établissement ; que le C.H.S.C.T. rattachait ces risques d'une part au suicide d'un salarié survenu en septembre 1997, suicide légitimant une interrogation sur les conditions du travail, et d'autre part à des accidents de la circulation survenus notamment en 1997 à des membres du personnel appelés à des déplacements liés à l'implantation de leurs sites d'activité ; I-2

Considérant que la direction de la société n'a pas souscrit à une telle mesure et a poursuivi l'annulation de la délibération du comité y recourant ; que par ordonnance du le 8 avril 1998 le Juge des Référés délégataire du Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre a rejeté cette demande et a alloué au C.H.S.C.T. une somme de 10.000,00 F pour frais hors dépens ; II

Considérant que la société RENAULT, appelante, réitère sa demande d'annulation de la délibération du 3 mars 1998 ; que le C.H.S.C.T. conclut à la confirmation de l'ordonnance et demande que soit portée à 20.000,00 F la somme lui revenant au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; III III-1

Considérant que la mission que le C.H.S.C.T. entend confier à l'association agréée ERETRA, composée selon ses écritures de spécialistes en ergonomie, en psychiatrie et en psychologie du travail, est sur le premier point d'"analyser les situations de

travail réelles, l'organisation et les charges de travail, les méthodes de gestion et de management, mais aussi investir d'autres pistes apparaissant (au) cours de leur intervention" ; qu'elle consiste sur le deuxième point à "analyser le circuit de déclaration des accidents... rechercher les facteurs de risques professionnels de cette activité de conduite" ; III-2

Considérant que pour souscrire à cette mesure et rejeter la demande d'annulation le premier juge, après avoir admis l'existence du risque grave allégué, a relevé que ladite mesure était nécessaire au comité pour lui permettre d'exercer avec compétence les responsabilités que lui impartit l'article L 236-2 du Code du Travail, "à partir d'une information nécessairement autonome et indépendante pour assurer sa crédibilité et sa pleine efficacité" ; qu'à cela le C.H.S.C.T. intimé ajoute que la mission envisagée vise à lui procurer une assistance qualifiée afin de contribuer à la prévention d'un risque, et souligne les liens existant selon lui entre les événements déplorés et la gestion de l'établissement ; qu'il déclare encore que le recours, par lui, à une expertise doit être distingué du recours à une investigation pareillement dénommée comme mesure d'instruction, et qu'étant lui-même composé de personnes dont la compétence technique n'est pas caractérisée une telle mesure lui est nécessaire ; qu'il fait état de difficultés rencontrées par lui, du fait de la société RENAULT, pour participer à des investigations et débats relatifs au "stress", phénomène en cause ; III-3

Mais considérant qu'une expertise, mesure confiée à un technicien, a d'ordinaire pour objet d'éclairer celui qui y a recours sur une question de fait qui requiert les lumières dudit technicien, ces lumières s'entendant de la mise en oeuvre d'un savoir spécifique propre à la solution de questions autrement insusceptibles de réponses sérieuses ; qu'un tel objet est celui de toute expertise, y

compris de celle prévue à l'article L 236-9 du Code du Travail pour l'édification du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail dans l'exercice de ses responsabilités et prérogatives légales, lesquelles impliquent certes le recours à une information autonome ; qu'elle ne doit, de la part de celui qui y recourt, ni constituer une délégation d'attributions ni remédier à une carence ou à une abstention dans l'exercice d'une obligation ou d'une faculté ou encore dans la réflexion, dans la documentation ordinaire ou dans l'effort de formulation préalables à un tel exercice ; que ces principes s'appliquent à un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail envisageant de recourir à une expertise ; que leur respect se reconnaît à la mission impartie à l'expert ; III-4

Considérant que l'énoncé même de la "mission" qui serait confiée, en l'espèce, à un expert et qui est rappelée au paragraphe III-1 ci-dessus, enseigne que les questions posées, sous couvert de technicité, résultent en fait de la formulation intellectualisée, sophistiquée ou redondante de préoccupations légitimes mais usuelles et immédiates à la conscience de chacun, telles les peines et soins du travail, les procédés de gestion et les dangers ou risques de la circulation, tous éléments certes sujets à commentaires éclairés mais avant tout justiciables d'un débat civique et de bon sens après recueil des informations utiles, y compris dans des circonstances graves telles celles mentionnées plus haut ; qu'il est dans le rôle d'un C.H.S.C.T. de participer à un tel débat et d'en assumer la responsabilité et les servitudes en utilisant et au besoin en réclamant, pour sa recherche d'informations, les moyens auxquels lui donnent droit les articles L 236-2 et suivants du Code du Travail, et ce sans recourir, aux frais de l'employeur, à un organisme agréé pour d'autres tâches ; que cet impératif, certes inhérent à tout comité, s'impose particulièrement à ceux établis dans des entreprises

importantes telles la société RENAULT, une présumée présence, en leur sein, de personnes informées et motivées permettant de les créditer d'une capacité suffisante à la démarche en cause ; que l'ordonnance sera donc infirmée et la délibération du 3 mars 1998 annulée ; IV

Et considérant que le C.H.S.C.T. ne disposant d'aucune ressource propre pour former les recours inhérents à sa fonction ou assurer sa défense lorsqu'il est assigné, aucun dépens ne peut être mis à sa charge ; que les dépens de première instance et d'appel seront donc supportés par la société RENAULT. PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirmant l'ordonnance entreprise,

Annule la délibération du 3 mars 1998 par laquelle le COMITE D'HYGIENE, DE SECURITE ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL dit C.H.S.C.T. n° 1 de l'établissement de Rueil de la société RENAULT a décidé de recourir à une expertise,

Laisse à la charge de la société RENAULT les dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de Maître X..., Avoué. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRÊT : Monsieur GILLET, Président, qui l'a prononcé, Mademoiselle IMBERT, Greffier, qui a assisté au prononcé, LE GREFFIER

LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1998-3234
Date de la décision : 23/10/1998

Analyses

TRAVAIL REGLEMENTATION - Hygiène et sécurité - Comité d'hygiène - de sécurité et des conditions de travail - Recours à un expert - Cas - Existence d'un risque grave dans l'établissement - Caractérisation - Nécessité.

Aux termes de l'article L.236-9, I,1°, du Code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement, et une telle mesure ne doit constituer ni une délégation d'attribution ni le remède à une abstention ou à une carence dans l'exercice d'une obligation ou d'une faculté

TRAVAIL REGLEMENTATION - Hygiène et sécurité - Comité d'hygiène - de sécurité et des conditions de travail - Recours à un expert.

Lorsque les questions posées dans l'énoncé d'une mission, sous couvert de technicité, résultent en fait de la formulation intellectualisée, sophistiquée ou redondante de préoccupations légitimes, mais usuelles et immédiates à la conscience de chacun, elle ne répondent pas au critère de technicité


Références :

Code du travail L236-9 I 1°

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-10-23;1998.3234 ?
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