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31/08/2011 | FRANCE | N°06/01576

France | France, Cour d'appel de Versailles, 31 août 2011, 06/01576


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES



Code nac : 80A
15ème chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 31 AOUT 2011

R.G. No 10/04986

AFFAIRE :

Benoit, Vincent, Mathieu Y...




C/

S.A. SOCIETE GENERALE



Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 14 Mars 2008 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : Encadrement
No RG : 06/01576



Copies exécutoires délivrées à :

Me Jérémie ASSOUS
Me Dominique SANTACRU



Copies certifiée

s conformes délivrées à :

Benoit, Vincent, Mathieu Y...


S.A. SOCIETE GENERALE

le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN AOUT DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 80A
15ème chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 31 AOUT 2011

R.G. No 10/04986

AFFAIRE :

Benoit, Vincent, Mathieu Y...

C/

S.A. SOCIETE GENERALE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 14 Mars 2008 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : Encadrement
No RG : 06/01576

Copies exécutoires délivrées à :

Me Jérémie ASSOUS
Me Dominique SANTACRU

Copies certifiées conformes délivrées à :

Benoit, Vincent, Mathieu Y...

S.A. SOCIETE GENERALE

le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN AOUT DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur Benoit, Vincent, Mathieu Y...

né le 19 Février 1976 à SARCELLES (95200)
Chez Mlle A...

...

75015 PARIS

comparant en personne, assisté de Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS

****************

S.A. SOCIETE GENERALE
17 cours Valmy
92987 PARIS LA DEFENSE CEDEX

représentée par Me Dominique SANTACRU, avocat au barreau de PARIS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mai 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :

Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président,
Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller,
Madame Isabelle OLLAT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Pierre-Louis LANE,

PROCEDURE

Le 6 mai 2008, M. Benoît Y... a régulièrement interjeté appel du jugement déféré, l'appel visant la totalité des dispositions du jugement.

FAITS

M. Benoît Y..., né le 19 février 1976, a été engagé par la SOCIETE GENERALE par contrat à durée indéterminée, en date du 29 mars 2000 en qualité d'assistant trader au sein de la branche "International et Finance", statut jeune cadre, niveau H, emploi : "Trader Actions", moyennant une rémunération annuelle brute de 210. 000 francs répartie sur 13 mois, soit 16. 153, 84 francs mensuels bruts (2. 462, 63 €).
Il percevait chaque année un bonus annuel à compter de mars 2001.
Le 7 et le 11 juillet 2005, Nicolas B..., supérieur hiérarchique de M. Benoît Y..., émettait des critiques sur sa stratégie d'option, lui reprochant des pertes financières pour l'entreprise et le dépassement de limite de risque pendant son absence.
Fin juillet 2005, il lui était proposé de prendre en charge une nouvelle activité "arbitrage de fusions acquisitions".
En septembre 2005, l'employeur le plaçait en binôme avec M. C... qui venait d'arriver et son rôle consistait essentiellement au reporting.
L'activité d'arbitrage d'ADRs (American Depositary Receipts) était transférée aux Etats-Unis en octobre 2005 et le salarié se voyait confier une fonction de trading en "Relative Value" entraînant une baisse de sa rémunération variable.
Le salarié avait un bilan d'évaluation en novembre 2005 avec sa hiérarchie qui lui annonçait un bonus d'un faible montant et celle-ci lui fixait des objectifs le 18 janvier 2006 pour l'année 2006.
Par courrier en date du 25 janvier 2006, le salarié refusait la modification substantielle de son contrat de travail consistant dans le retrait de ses fonctions et de ses responsabilités et demandait à son employeur d'engager de toute urgence la procédure de licenciement consécutive à son refus.
Le salarié réiétérait son refus d'accepter des modifications successives de son contrat de travail.
La SOCIETE GENERALE précisait par courrier du 1er février 2006 qu'elle n'avait pas l'intention de licencier le salarié et lui demandait de se ressaisir et de remplir les objectifs fixés pour l'année 2006.

Le salarié prenait acte de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur par courrier du 3 avril 2006.
Par courrier en date du 13 avril 2006, la SOCIETE GENERALE précisait que la baisse du bonus 2006 (perçu le 23 mars à hauteur de 50. 000 €) est due aux mauvais résultats du salarié au cours de l'année 2005 et considérait le départ de celui-ci comme une démission.

***
L'entreprise emploie plus de onze salariés et la convention collective applicable est celle de la banque.
La rémunération brute mensuelle du salarié était de 4. 615, 38 € au moment de la rupture des relations contractuelles.
Le 6 juin 2006, M. Benoît Y... a saisi la juridiction prud'homale aux fins de dire que la rupture est un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner son employeur au paiement de diverses sommes à ce titre.

***
Par jugement rendu le 14 mars 2008, le conseil de prud'hommes de Nanterre, section Encadrement, a :

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, en relevant qu'il n'a pas été versé aux débats d'éléments permettant de prouver la diminution des responsabilités du salarié
- débouté M. Benoît Y... de l'intégralité de ses demandes
- condamné M. Benoît Y... aux dépens.

Suite à l'ordonnance de radiation prononcée le 10 février 2010, le conseil de l'appelant a sollicité la réinscription de l'affaire le 20 octobre 2010.

**
Vu les conclusions de M. Benoît Y..., appelant, visées par le greffier et soutenues oralement, par lesquelles il demande à la cour de :

- constater que M. Benoît Y... a bien été rétrogradé à compter de l'arrivée de M. C...

- dire que sa prise d'acte s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- infirmer le jugement

- condamner la SOCIETE GENERALE à lui payer les sommes suivantes :

* 78. 846 € au titre du préavis de licenciement
* 7. 884, 60 € au titre de congés payés sur préavis
* 125. 819 € au titre de l'indemnité de licenciement
* 26. 282 € pour non-respect de la procédure de licenciement
* 315. 384 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 157. 692 € au titre de l'indemnité pour préjudice lié à la rétrogradation
- constater que le bonus versé chaque année à M. Benoît Y... revêt le trois caractères de généralité, constance et fixité exigés par la jurisprudence
- dire que le bonus versé à M. Benoît Y... est un élément normal du salaire
- A titre subsidiaire,
- constater que la SOCIETE GENERALE n'a pas communiqué les montants des bonus alloués et sollicités dans le cadre de la sommation de communiquer qui lui a été adressée
- constater que le bonus de M. Benoît Y... versé en 2006 est bien inférieur aux bonus versés à ses anciens collègues se trouvant dans une situation identique
- dire que la SOCIETE GENERALE a violé le principe " A travail égal, salaire égal"
- En tout état de cause, condamner la SOCIETE GENERALE au paiement des sommes suivantes :
* 200. 000 € au titre de rappel de salaire 2005 (bonus)
* 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens

Le salarié soutient que c'est parce qu'il a été injustement rétrogradé qu'il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, que la SOCIETE GENERALE a modifié unilatéralement et substantiellement son contrat de travail, qu'il a été privé des fonctions qui lui avaient été confiées lors de son embauche et s'est retrouvé à assumer de nouvelles fonctions avec des responsabilités moindres, alors qu'aucun reproche ne lui a été fait pendant 7 ans et que sa rémunération fixe annuelle a sans cesse été augmentée en 2005, qu'un certain nombre de ses activités lui a été retiré et son service a été délocalisé aux Etats-Unis en juillet 2005 sans qu'on lui propose d'y partir avec son équipe, contrairement à ses collaborateurs, qu'il n'a plus d'équipe sous ses ordres, qu'il a perdu un échelon hiérarchique sur l'organigramme depuis l'arrivée de Renaud C... en septembre 2005, que selon la jurisprudence, si la transformation des fonctions du salarié aboutit à une diminution de ses responsabilités à un niveau inférieur, il y a bien modification de son contrat de travail et ce, peu importe que son salaire n'ait pas été revu à la baisse, que cette perte de responsabilité et des activités qu'il gérait depuis près de 7 ans a été accompagnée d'une baisse de rémunération importante, son bonus s'élevant à 50. 000 € en mars 2006 au titre de l'exercice 2005 alors qu'il était de 290. 000 € en mars 2005 au titre de l'exercice 2004.

Vu les conclusions de la SOCIETE GENERALE, intimée, visées par le greffier et soutenues oralement, par lesquelles elle demande à la cour, de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- débouter M.. Benoît Y... de l'intégralité de ses demandes
- condamner M. Benoît Y... à lui verser la somme de 1. 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

La SOCIETE GENERALE n'a pas soutenu oralement ses conclusions écrites relatives à la durée de travail de M. Benoît Y... du fait de l'abandon de ce chef de demande par le salarié en cours de procédure.

L'employeur réplique que le salarié n'a pas été rétrogradé, mais que la baisse de son bonus résulte de ses mauvaises performances et aucunement de son changement de fonction, rappelle que celui-ci a été embauché comme assistant trader sans que soit spécifié le type de produit sur lequel il devait travailler, qu'il a toujours effectivement exercé les fonctions de trader, que seule la nature des produits sur lesquels il travaillait a été modifiée : a exercé des fonctions de trading sur des ETFs, puis sur les ADR's, puis en matière de fusions acquisitions, qu'il y a bien eu changement de fonction comme le permettait son contrat de travail, qui relève du pouvoir de direction de l'employeur, mais en aucun cas, modification du contrat de travail, que le salarié n'a pas changé d'échelon hiérarchique, que M. C..., trader plus expérimenté, a été embauché pour travailler avec lui mais n'est pas son supérieur hiérarchique, que la création d'un niveau intermédiaire entre un salarié et son supérieur hiérarchique n'entraîne pas en soi, une rétrogradation lorsque le salarié conserve ses prérogatives, son secteur et sa rémunération sans être dépossédé de ses fonctions, que l'appelant a conservé sa classification, sa rémunération annuelle brute garantie et ses fonctions, que le changement de fonctions au sein de l'activité "Relative Value" ne s'est accompagné d'aucune perte de fonction managériale dès lors que le salarié n'en a jamais eu, que le changement de fonctions en juillet 2005 a permis au salarié de bénéficier d'une augmentation substantielle de sa rémunération annuelle brute garantie (de 22, 45 %), qu'il a bénéficié d'une promotion au niveau I au 1er janvier 2005, qu'il avait expressément accepté sa nouvelle mission le 5 août 2005 et exprimé sa satisfaction, que l'essentiel de sa contestation résulte non pas d'une modification de son contrat de travail, mais de la baisse de son bonus qui lui a été versé en mars 2006 que le salarié appréhende comme un droit irrévocablement acquis, voire comme une rente de situation, qu'il a attendu la perception du bonus pour prendre acte de la rupture.

Il ajoute que ce n'est pas le changement de fonctions qui a entraîné la baisse du bonus, mais bien la faiblesse de ses performances dans le cadre de fonctions qu'il avait expressément acceptées, qu'il a enfreint les règles relatives aux limites de risques dans le cadre de son activité de directionnelle intra day, ce qui a conduit sa hiérarchie à devoir lui rappeler la nécessité de s'y conformer, que les prestations du salarié se sont considérablement dégradées dans le courant de l'année 2005, notamment sur l'activité ADRs et sur les options.
MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la demande de requalification de la prise d'acte de rupture du contrat de travail en licenciement aux torts de l'employeur

Considérant que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ;

Que lorsque le salarié, sans invoquer un vice de consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission ;

Que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ;

Considérant en l'espèce, que par courrier en date du 25 janvier 2006, le salarié refusait la modification substantielle de son contrat de travail et prenait acte de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur par courrier du 3 avril 2006 ;

Considérant que dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut être amené à faire évoluer les fonctions et les attributions du salarié ;

Qu'en principe, le simple changement des tâches attribuées au salarié ou la réorganisation de ses responsabilités constituent un changement des conditions de travail qui s'imposent à ce dernier, dès l'instant où la rémunération et la qualification ne sont pas affectées ;

Que la création d'un niveau intermédiaire entre un cadre et son supérieur hiérarchique n'entraîne pas en soi, rétrogradation ;

Que toutefois, lorsque l'étendue des fonctions et le niveau de responsabilité d'un cadre sont fortement réduits, il y a modification du contrat nécessitant l'accord du salarié même si la rémunération ou la qualification ne sont pas affectées ;

Considérant en l'espèce, qu'il résulte des pièces et des débats, que M. Benoît Y..., jeune diplômé de l'E.N.S.A.M et titulaire d'une formation complémentaire en finance à H.E.C, à l'issue d'un stage de quatre mois de juin à octobre 1999 et d'un C.D.D de 6 mois en qualité d'assistant trader en date du 1er octobre 1999, a été embauché par C.D.I du 29 mars 2000 par la SOCIETE GENERALE à compter du 4 avril 2000 ;

Que le contrat de travail précise que le salarié est recruté en qualité de jeune cadre, "vos premières fonctions seront celles d'assistant trader au sein de la branche International et Finance, à la Défense, mais nous nous réservons le droit de vous changer d'affectation fonctionnelle ou géographique au cours de votre carrière pour tenir compte de nos besoins et des aptitudes que nous vous reconnaîtrons. Ces fonctions s'exerceront dans un poste de niveau H" ;

Considérant que si la fonction d'assistant trader est reconnue à M. Benoît Y..., les attributions contractuelles du salarié ne sont nullement décrites, en l'absence de fiche de poste produite, le conseil de la SOCIETE GENERALE ayant précisé au cours des débats et sur question de la cour, que sa cliente n'établit pas ce document pour cette fonction, alors que selon la cour, la fiche de poste est un outil de cadrage et de transparence dans la gestion des ressources humaines ;

Qu'il en résulte que les missions contractuelles du salarié ne sont nullement définies, que le rattachement hiérarchique et fonctionnel du salarié reste ignoré, de même que le niveau de formation exigé, le degré d'autonomie et de responsabilité ;

Que les bulletins de paie mentionnent indifféremment au titre de l'emploi exercé par M. Benoît Y... : "Trader Actions" ;

Qu'il résulte de la clause contractuelle sus-mentionnée et des dispositions de l'article 1134 alinéa 1er, que le changement de fonction de M. Benoît Y... au cours de sa carrière décidé par la SOCIETE GENERALE, au regard des besoins de l'entreprise et des aptitudes reconnues au salarié, est censé résulter non d'une modification unilatérale, mais de la volonté commune des parties ;

Qu'en l'espèce, il ressort des écritures de parties, que M. Benoît Y... fut responsable dès son embauche au sein de la SOCIETE GENERALE des activités ETFs (Exchange Traded Fund ou trackers : fonds négociés en bourse), Certificats (valeur mobilière cotée ) et Arbitrage d'ADRs ( American Depositary Receipts, titres émis et cotés aux Etats-Unis qui représentent des sociétés cotées sur des places étrangères, opération financière par laquelle on vend et on achète une même valeur boursière, mais sur un marché différent) ;

Qu'il a conceptualisé l'activité Arbitrage d'ADRs et pris en charge le démarrage sur cinq ans des activités ETFs et Certificats et résolu les difficultés inhérentes au démarrage de ces trois activités ;

Qu'en août 2004, les Certificats ont été retirés de l'activité de M. Benoît Y... du fait selon ce dernier, de leur meilleure profitabilité ;

Que du fait du transfert de l'activité d'arbitrage d'ADRs à New York prévu en octobre 2005, M. Benoît Y... s'est retrouvé seul à Paris, sans équipe à diriger et M. D... ( supérieur hiérarchique N +2) lui a proposé d'occuper le poste de trader au sein de l'équipe Risk-arbitrage en juillet 2005, ce que celui-ci a accepté sans réserve ;
Qu'il a été ensuite été question en septembre 2005 de lui proposer de travailler pour l'activité de "Event-Driven/Relative Value" sous la responsabilité d'un nouvel arrivant, Renaud C..., trader expérimenté, le salarié précisant dans son courrier de prise d'acte de la rupture du 3 avril 2006 qu'il ignorait totalement le fonctionnement de cette activité qui ne correspondait pas à son expérience et qui entraînait une baisse importante de sa rémunération ;

Considérant que l'appelant fait valoir qu'il y a eu modification unilatérale et substantielle de son contrat de travail : ses fonctions et ses responsabilités lui ont été retirées, du fait du transfert de l'activité d'arbitrage d'ADRs aux Etats-Unis en octobre 2005, sans aucune justification ni explication et sans qu'un poste de niveau équivalent lui soit proposé, qu'ensuite on lui a proposé de travailler pour l'activité de "Event-Driven/ Relative Value", qu'il a fait l'objet d'une rétrogradation par déclassement hiérarchique, du fait de la modification du degré de subordination vis à vis de la direction à compter de l'arrivée de Renaud C... en septembre 2005, étant réduit à un simple rôle de reporting (opération consistant à dresser périodiquement des rapports et bilans analytiques sur les activités et résultats d'une organisation, d'une unité de travail) ;

Mais considérant qu'en voulant faire évoluer les fonctions de trader du salarié, lequel connaissait tous les ans une progression de rémunération, qui venait de passer au 1er février 2005 du niveau H au niveau I dans la grille de classification des cadres, avec nouvelle progression de salaire au cours de la même année à compter du 1er juillet 2005 ( salaire de base de 3. 769, 23 € en février 2005 porté à 4. 615, 38 €), l'employeur lui a en fait imposé une modification substantielle de son contrat de travail, le salarié s'étant vu retirer ses responsabilités dans le cadre de l'activité d'arbitrage d'ADRs, alors qu'il avait été l'initiateur de ce trading au sein de la salle qu'il dirigeait depuis 5 ans et sans que la direction lui propose de suivre l'activité transférée à New-York contrairement à ses collaborateurs, ayant cessé d'avoir les fonctions d'encadrement qu'il assurait depuis fin 2001 (management d'une équipe de traders : Thierry E..., de David F..., du stagiaire Nicolas G..., assistant trader- pièces 12 et 13), perdant son autonomie et ses capacités d'initiative du fait qu'il devait désormais demander une autorisation pour passer un ordre, effectuer des reporting incessants à son collègue (pièce 10), en référer à Renaud C..., trader expérimenté, nouvellement embauché en septembre 2005 et avec lequel il était censé travailler en binôme, créant ainsi un rattachement hiérarchique de fait ( N +1) au vu des organigrammes présentés dans les écritures de l'appelant et du récapitulatif des objectifs assignés à M. Benoît Y... pour 2006 par mail du 18 janvier 2001 (pièce 10) adressé par Maxime H..., ainsi rappelé (extraits) :
"- En charge du suivi du book holding et du book long short
* suivi et reporting du risque
* A noter que la décision concernant tes propositions sur la gestion de la position doit être collégiale et donc validée in fine par Renaud
* communication systématique après le close des trades exécutés sur la journée (mail à Renaud, JF et moi)
- Participation active au morning meeting de l'équipe à 8h45
- Envoi d'un mail de synthèse de ce qui s'est dit à ce morning meeting avant midi (mail à Renaud, JF, PYM et moi)
- Envoi systématique d'un report post close européen spécifique sur les holdings et le LSE (mail à Renaud seulement qui fera la synthèse)
- Vérification au quotidien de la convergence des Pnls entre le report global de Renaud et Eliot avec envoi quotidien par mail d'un report notifiant l'écart jour, MTD et YDT (tu peux t'organiser avec le MO pour mettre en place ce suivi) " ;

Que le récapitulatif des objectifs fixés à M. Benoît Y... précise que ces points relèvent du "business daily", c'est à dire, qu'il s'agit de tâches journalières ;

Considérant que si M. Benoît Y... continuait d'exercer le métier de trader (même qualification professionnelle d'assistant trader), avait conservé le même positionnement hiérarchique, sans rétrogradation de niveau (même classification), avait conservé le même salaire de base (rémunération annuelle brute garantie), il avait perdu le management d'une équipe de traders, restant seul à Paris, recommencait à zéro sur une autre activité, étant souligné que la baisse importante de sa rémunération variable ne peut être prise en considération, s'agissant d'un bonus discrétionnaire ;

Que la création d'un niveau intermédiaire entre un cadre et son supérieur hiérarchique, compte tenu de la réorganisation de l'entreprise décidée par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de gestion et de direction, n'entraîne pas en soi, rétrogradation, lorsque le salarié conserve ses prérogatives, son secteur et sa rémunération sans être dépossédé de ses fonctions ;

Mais considérant en l'espèce, que M. Benoît Y... du fait que sa nouvelle activité de trader est essentiellement dédiée au reporting, impliquant perte d'autonomie et d'initiative, subit une diminution significative de ses responsabilités et de ses prérogatives même si celle-ci n'a pas de répercussion sur sa qualification et sa rémunération annuelle brute ;

Qu'une telle réduction de ses responsabilités en septembre 2005, alors qu'il connaissait une progression régulière de carrière ( en particulier, changement de classification le 1er février 2005 accompagné d'une progression de salaire) constitue au regard de son statut de cadre, impliquant une capacité à concevoir, décider et entreprendre, de son expérience professionnelle et de sa formation, non pas une simple évolution des fonctions de trader, ou un simple changement de son affectation professionnelle, en vertu de la clause de mobilité fonctionnelle insérée au contrat, mais une véritable modification de son contrat de travail qui ne pouvait lui être imposée de façon unilatérale et sans son accord, justifiant, de par son importance et par suite de son refus par le salarié, la prise d'acte de la rupture par M. Benoît Y... aux torts de l'employeur et rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle ;

Que le changement de poste imposé au salarié avec diminution importante de ses responsabilités laisse supposer que la SOCIETE GENERALE envisageait de se séparer de lui en invoquant son insuffisance professionnelle (par analogie, en faisant application de l'article 26 alinéa 1er de la convention collective de la banque, tel que précisé dans la décision produite aux débats relative à un trader : Société Générale/Gosse, qui prévoit que l'employeur dans cette hypothèse, doit d'abord rechercher le moyen de confier au salarié un autre poste) ;

Que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail entre les parties constitue une démission et rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre des indemnités de rupture ;

- Sur les demandes indemnitaires du salarié

Considérant que le contrat de travail du salarié ayant été modifié substantiellement, les griefs du salarié sont fondés et la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Considérant que comme le soutient à titre subsidiaire l'intimée, les indemnités sollicitées doivent être calculées sur la base de la rémunération brute annuelle garantie de M. Benoît Y... telle qu'elle est fixée lors de la rupture de la relation contractuelle, soit 60. 000 € annuels, ce qui représente un montant mensuel brut de 4. 615, 38 € sans inclure le bonus discrétionnaire, qui n'est garanti ni dans son principe ni dans son montant et dont l'attribution est faite en dehors de toute obligation conventionnelle et légale ;

Qu'en effet, ce bonus qui n'est ni contractualisé ni conventionnalisé, tient compte selon les pièces produites de la prestation individuelle et du comportement au travail du salarié, de la performance de l'unité au sein de laquelle il est affecté, ainsi que plus généralement, de l'évolution du marché du travail et la SOCIETE GENERALE s'est gardée de faire droit à la sommation de communiquer visant à obtenir le mode de calcul du bonus attribués à certains salariés ;

* Sur l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés

Considérant que par application de l'article 29 de la convention collective, le salaire de base annuel est le salaire y compris le 13ème mois, mais à l'exclusion de toute prime fixe ou exceptionnelle ainsi que de tout élément variable ;

Que le préavis de 3 mois s'établit donc à : 4. 615, 38 € x 3 = 13. 846, 15 €, outre 1. 384, 61 € au titre des congés payés sur préavis ;

* Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement

Considérant que par application de l'article 26-2 de la convention collective, il sera alloué la somme de 16. 584 € ;

* Sur l'indemnité due pour non-respect de la procédure de licenciement

Considérant que ce chef de demande n'étant pas argumenté, celui-ci sera rejeté ;

* Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Considérant que le salarié demande une indemnité représentant 12 mois de salaire, alors que l'employeur offre à titre subsidiaire, le minimum prévu par la loi, soit 6 mois de salaire ( 27. 692, 31 €, en excluant le bonus ) ;

Considérant que le salarié a quitté le secteur bancaire et a créé sa propre entreprise "Myhome Rénovation" en 2006 spécialisée dans la rénovation d'intérieurs ;

Qu'au regard du préjudice subi et de l'ancienneté du salarié, il lui sera alloué une indemnité représentant 10 mois de salaire, soit la somme de 4. 615, 38 € x 10 = 46. 153, 80 €, en excluant la prise en compte du bonus, ainsi que précisé ci-dessus ;

* Sur les dommages-intérêts au titre du préjudice subi lié à la rétrogradation

Considérant que M. Benoît Y... fait valoir qu'il a subi un préjudice financier et moral très important (non-respect des échéances de crédit, dégradation des relations avec son épouse à l'origine du divorce) et sollicite la somme de 157. 692, 28 €, soit 6 mois de salaire incluant le bonus ;

Considérant qu'il sera alloué au salarié la somme de 3. 000 € de ce chef ;

* Sur le rappel de salaires au titre du complément de bonus dû au titre de l'année 2005

Considérant que M. Benoît Y... soutient que le bonus versé chaque année revêt le trois caractères de généralité, constance et fixité exigés par la jurisprudence et qu'il est un élément normal du salaire et invoque à titre subsidiaire, la violation du principe "A travail égal, salaire égal", fait valoir que l'employeur doit justifier toute inégalité de rémunération entre salariés d'une même catégorie par des éléments objectifs et matériellement vérifiables en soulignant que l'intimée doit justifier la différence de bonus entre Olivier I... qui aurait perçu au titre de l'année 2005 un bonus de près de 900. 000 € et lui-même qui n'a perçu que la somme de 50. 000 € ;

Considérant que le moyen tiré de la discrimination sera écarté, dès lors que la SOCIETE GENERALE explique la faiblesse du bonus perçu par l'appelant en mars 2006 au titre de l'exercice 2005 par sa performance insuffisante en produisant les pièces 11 à 13 mettant en évidence les reproches faits par Nicolas B..., supérieur hiérarchique N+1 de Benoît Y..., les 7 mai, 7 juillet 2005 et 11 juillet 2005, à propos de pertes enregistrées par la société de son fait dans la gestion des risques et à propos de sa stratégie d'option : "Pas de passage de relais du book pendant ton absence et gestion des gammas par téléphone... C'est irresponsable" (extrait du mail en date du 11 juillet 2005 ) ;

Que le salarié sera débouté de sa demande de sa demande de rappel de salaire ;

- Sur l'article 700 du CPC

Considérant qu'il sera alloué une indemnité au titre des frais irrépétibles à l'appelant, ainsi que précisé au présent dispositif ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

DIT que la prise d'acte par M. Benoît Y... s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

CONDAMNE la SOCIETE GENERALE à payer à M. Benoît Y... les sommes suivantes :

- 13. 846, 15 € au titre du préavis de licenciement
- 1. 384, 61 € € au titre de congés payés sur préavis
- 16. 584 € € au titre de l'indemnité de licenciement
- 46. 153, 80 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 3. 000 € au titre de l'indemnité pour préjudice lié à la rétrogradation

DÉBOUTE M. Benoît Y... de ses demandes pour non-respect de la procédure de licenciement et au titre d'un rappel de salaire au titre du bonus 2005

Y ajoutant,

CONDAMNE la SOCIETE GENERALE à payer à M. Benoît Y... à payer la somme de 3. 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

REJETTE toute autre demande

CONDAMNE la SOCIETE GENERALE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

et signé par Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président, et par Monsieur Pierre-Louis LANE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 06/01576
Date de la décision : 31/08/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-08-31;06.01576 ?
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