La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/02/2018 | FRANCE | N°16/03890

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 20 février 2018, 16/03890


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre







ARRÊT N° 00091



CONTRADICTOIRE



DU 20 FÉVRIER 2018



N° RG 16/03890







AFFAIRE :



[I] [C]



C/



SA RTE - RESEAU DE TRANSPORT ET D'ELECTRICITE



SA EDF







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Ind

ustrie

N° RG : f 13/02254







Copies exécutoires délivrées le 20 février 2018 à :

- la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

- la SELAFA B.R.L. Avocats



Copies certifiées conformes délivrées le 21 février 2018 à :

- M. [I] [C]

- la SA RTE - RESEAU DE TRANSPOR...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N° 00091

CONTRADICTOIRE

DU 20 FÉVRIER 2018

N° RG 16/03890

AFFAIRE :

[I] [C]

C/

SA RTE - RESEAU DE TRANSPORT ET D'ELECTRICITE

SA EDF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Industrie

N° RG : f 13/02254

Copies exécutoires délivrées le 20 février 2018 à :

- la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

- la SELAFA B.R.L. Avocats

Copies certifiées conformes délivrées le 21 février 2018 à :

- M. [I] [C]

- la SA RTE - RESEAU DE TRANSPORT ET D'ELECTRICITE

- la SA EDF

- Me Sophie BRASSART

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT FÉVRIER DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 05 décembre 2017 puis prorogé au 09 janvier 2018, au 30 janvier 2018, au 13 février 2018 et au 20 février 2018, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0503 substituée par Me Farouk BENOUNICHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0503

APPELANT

****************

La SA RTE - RÉSEAU DE TRANSPORT ET D'ELECTRICITE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305

INTIMÉE

****************

La SA EDF

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R087

PARTIE INTERVENANTE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Sylvie BORREL, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Marion GONORD

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société EDF, à l'origine une entreprise publique, regroupait à la fois les activités de productions, de transport et de distribution d'électricité.

Suite à une directive européenne de 1996 à effet au 1er janvier 2000, la loi du 10 février 2000 a créé le Réseau Transport Électrique (RTE), afin que le gestionnaire du réseau de transport d'électricité soit indépendant des autres activités d'EDF et notamment de la production d'électricité.

Dans le cadre de la loi du 9 août 2004, visant cette séparation des activités de production et de transport d'électricité et ouvrant ces domaines à la concurrence, a été créée le 1er septembre 2005 la société RTE, filiale d'EDF suite à un apport partiel d'actifs, et ce pour la gestion du transport d'électricité.

M. [C] a travaillé à compter du 1er octobre 1968 au sein du TEO-GET Poitou-Charente au sein de la société EDF, comme ouvrier puis agent technique et enfin contremaître sur 3 sites puis responsable de ligne, faisant l'essentiel de sa carrière dans la région [Localité 1] ; il a pris sa retraite le 31 janvier 2002.

Le 18 juin 2013 il a saisi, avec ses deux autres anciens collègues, le conseil de prud'hommes de Nanterre pour demander réparation par la société RTE de son préjudice d'exposition à l'amiante et à d'autres produits toxiques.

Par jugement du 22 juillet 2016, dont il a interjeté appel le 29 juillet, le conseil l'a débouté de sa demande en dommages et intérêts au titre de son préjudice d'exposition à l'amiante, jugeant qu'il ne pouvait rien réclamer à la société RTE, dont il n'était pas salarié, et l'invitant à actionner l'employeur qu'il avait au moment de sa prise de retraite, à savoir la société EDF.

En appel, M. [C] a sollicité l'intervention forcée de la société EDF.

Par écritures soutenues oralement à l'audience du 19 septembre 2017, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu comme suit :

M. [C] demande l'infirmation du jugement et :

* à titre principal, prie la cour de juger que la société RTE, venant partiellement aux droits de la société EDF, l'a exposé de manière fautive à l'inhalation de fibres d'amiante, ce qui constitue la violation de son obligation de sécurité et de son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, lui causant un préjudice d'exposition fautive à un matériau hautement cancérigène, et demande en conséquence la condamnation de la société RTE à lui payer, sur le fondement de son préjudice d'exposition fautive à l'amiante, les sommes suivantes avec le bénéfice de la capitalisation :

- 26 135,78 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'exposition à l'amiante, basant ses calculs sur le nombre de jours travaillés qu'il précise et multiplie par une indemnité journalière de 4 €,

- 2 000 € au titre des frais irrépétibles.

Il demande aussi la remise par la société RTE de l'attestation d'exposition à l'amiante mais aussi à 8 autres différents produits toxiques (tels que notamment hydrocarbures, plomb, résines, trichloréthylène), sous astreinte de 80 € par jour de retard, sollicitant la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour non remise de l' attestation d'exposition à l'amiante.

* à titre subsidiaire, fait les mêmes demandes à l'égard d'EDF, priant la cour de retenir la responsabilité d'EDF concernant le préjudice d'exposition fautive et la délivrance des attestations.

La société EDF sollicite sa mise hors de cause et le rejet de toutes les demandes, soulevant in limine litis la prescription des actions des 3 salariés, et l'irrégularité de sa mise en cause, tout en soutenant avoir transmis à la société RTE ses obligations à l'égard des salariés transférés.

Au fond, à titre principal, elle sollicite sa mise hors de cause, au vu du traité d'apport partiel d'actif conclu avec la société RTE.

A titre subsidiaire, elle invoque la jurisprudence sur le préjudice d'anxiété liée au risque d'exposition, car elle n'est pas sur la liste des établissements ACAATA (car ses salariés n'auraient jamais manipulé l'amiante de manière significative; le préjudice d'anxiété n'est pas distinct du préjudice d'exposition).

A titre très subsidiaire, elle invoque l'absence d'exposition fautive à l'amiante, aux substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR, catégorie d'ACD) et aux ACD (agents chimiques dangereux) et le respect de son obligation de sécurité concernant ces substances, ayant mis en place des mesures d'information et de protection dès 1978.

Elle demande la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société RTE conclut au rejet de toutes les demandes, reprenant les mêmes arguments de fond que la société EDF, et sollicitant la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, précisant ne pas être sur la liste des établissements ACAATA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'irrecevabilité des demandes à l'encontre de la société EDF :

Sur l'irrecevabilité de l'intervention forcée en appel :

La société EDF soutient que sa mise en cause en appel est irrecevable à deux titres, en la forme, pour avoir été mise en cause par conclusions signifiées par RPVA et non par signification, et en raison de l'absence d'évolution du litige.

* Sur la forme :

La société EDF soutient que l'appelant aurait dû la mettre en cause en appel par la voie de l'assignation, s'agissant d'une demande incidente devant être formulée en appel par voie d'assignation, au vu des articles 63, 66 et 68 du code de procédure civile.

L'appelant ne répond pas sur ce point.

Selon l'article 68 du code de procédure civile, les demandes incidentes, telle que l'intervention volontaire ou forcée, sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense.

Elles sont faites à l'encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance. En appel, elles le sont par voie d'assignation.

Cependant, selon l'article 114 du code de procédure civile : "aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public."

Les dispositions de l'article 68 susvisé ne sont pas prescrites à peine de nullité et n'ont pas causé de grief à la société EDF qui a pu connaître les arguments de l'appelant qui lui a communiqué ses conclusions et pièces par la voie électronique le 29 octobre 2016.

Cette exception sera donc rejetée.

* Circonstance née du jugement ou postérieure :

L'article 555 du code de procédure civile subordonne la recevabilité de l'intervention forcée à la constatation que l'évolution du litige implique la mise en cause du tiers en raison de la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieur à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

La société EDF soutient que c'est par erreur que les appelants ne l'ont pas mise en cause devant le conseil, ce qui rend irrecevable l'intervention forcée en appel.

L'appelant ne répond pas sur ce point.

Or, en l'espèce, la question de droit sur la mise en cause de la société EDF, en tant qu'ancien employeur ayant transféré ses droits et obligations à la société RTE (ce que la société EDF soutient, cf plus bas) suite à un apport partiel d'actifs - placé sous le même régime que le transmission universelle des biens- a donné lieu à des décisions de la Cour de Cassation (Soc. 18 juin 2014) et encore récemment, précisément au sujet de la transmission des obligations liées au préjudice d'anxiété (Soc.22 novembre 2017- 20 décembre 2017) ; cette problématique n'est donc pas si évidente, ce qui explique l'absence de mise en cause de la société EDF en première instance et l'invitation du conseil à la mettre en cause.

Il s'agit ici de savoir si le préjudice d'exposition ou le préjudice lié à un éventuel non respect de l'obligation de sécurité de la société EDF, était constitué à la date du transfert des salariés d'EDF à RTE, sachant que ce transfert est intervenu en 2005 à une date où l'appelant était déjà retraité d'EDF depuis 5 ans mais conservait ses droits liés à son contrat de travail ayant pris fin.

Or pour déterminer si ces préjudices étaient constitués, il importe d'avoir connaissance des éléments sur l'exposition aux produits dangereux (amiante et autres) détenus par la société EDF, ayant employé l'appelant pendant 32 ans, ce qui rend donc son intervention forcée nécessaire pour appréhender la solution du litige.

C'est au vu de ces éléments, mettant en évidence la complexité des points de droit et de fait justifiant la connaissance d'aspects techniques en possession de la seule société EDF, que le conseil a invité M. [C] à mettre en cause cette dernière.

Au vu de ces circonstances de fait et de droit qui ont conduit au jugement, et qui sont donc nées du jugement, il y a lieu de rejeter l'exception.

Sur la prescription :

La loi du 17 juin 2008 a réduit de 30 ans à 5 ans la prescription des actions personnelles ou mobilières, modifiant l'article 2224 du code civil actuellement en vigueur disposant que ces actions se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'article L.1471-1 du code du travail, modifié par la loi du 14 juin 2013 (entrée en vigueur le 16 juin 2013) a réduit ce délai à 2 ans pour les actions portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail, telle que l'action en dommages et intérêts de M. [C] au titre de son préjudice d'exposition.

La société EDF soutient que les salariés ont eu connaissance de leur exposition à l'amiante et aux autres produits entre 1977 et 1982, donc 30 ans se sont écoulés depuis, de sorte que leur action serait prescrite depuis 2012, soit avant la saisine du conseil le 18 juin 2013.

L'appelant soutient qu'il faut décompter la prescription à compter de la cessation de son activité le 30 avril 2000, correspondant à la fin de son exposition à l'amiante et aux autres produits dangereux.

Il s'agit d'abord de savoir si l'action de M. [C] était en cours avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 soit avant le 19 juin 2008 ; il pouvait saisir le conseil après cette date, sans que la durée totale de la prescription excède 30 ans (du 19 juin 1983 au 19 juin 2013).

Or, il a saisi le conseil le 18 juin 2013.

La prescription quinquennale s'applique lorsque la connaissance des faits se situe entre le 19 juin 1983 et le 16 juin 2013.

En effet, la loi du 14 juin 2013 réduisant la prescription de 5 à 2 ans, s'applique aux prescriptions en cours à la date de sa promulgation le 16 juin 2013.

Il faut donc rechercher si M. [C] avait connaissance de son éventuelle exposition à l'amiante et aux produits CMR avant le 19 juin 1983, étant rappelé que c'est le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène à prendre dans les établissements exposant les salariés à des poussières d'amiante qui a marqué le début de la prise de conscience au niveau national des dangers liés à l'amiante.

Les sociétés EDF et RTE invoquent une note du 21 octobre 1980 (pièce 23) du service de production thermique qui demande aux chefs de GRPT d'informer et diffuser (sans préciser à qui) les modalités spéciales à mettre en oeuvre pour des travaux sur du matériel comportant de l'amiante, que M. [C] dément avoir reçu.

La société EDF produit également des carnets de prescriptions au personnel à partir de 1982 relatives notamment aux produits dangereux dont l'amiante, sans établir que M. [C] en aurait eu personnellement connaissance (pas de reçu de remise, ni de preuve d'envoi d'une note circulaire à M. [C]).

De son côté, M. [C] établit que les questions d'exposition à l'amiante et les dangers qu'elle présente n'ont été débattues au sein du CHSCT qu'à partir du 23 septembre 1997 (cf page 16), de sorte qu'il n'en a eu connaissance qu'à partir de cette date.

Dès lors, la prescription n'a couru qu'à compter du 23 septembre 1997, tant concernant l'action relative à l'exposition à l'amiante que celle relative aux autres produits dangereux, de sorte que les actions de M. [C] n'étaient pas prescrites à la date de saisine du conseil.

La société EDF soutient encore que même si l'action de M. [C] n'est pas prescrite à l'égard de la société RTE, elle serait prescrite à son égard vu sa mise en cause tardive et irrégulière en appel.

Or, la cour a déjà rejeté plus haut ces exceptions de procédure.

Sur la mise hors de cause de la société EDF :

M. [C] dirige, à titre principal, ses demandes contre la société RTE, et à titre subsidiaire contre EDF.

La société EDF soutient qu'à la suite du traité d'apport en date du 30 juin 2005, elle a cédé à la société RTE des ouvrages du réseau public de transport d'électricité et des biens y afférent, avec le personnel attaché à l'activité, cette cession emportant transfert à la société RTE de la totalité des obligations qui lui incombaient au titre des activités de transport d'électricité, y compris celles relatives aux contrats de travail, notamment celui de M. [C].

Or, il résulte des articles L.236-3, L.236-20 et L.236-22 du code de commerce et de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass- Soc 18 juin 2014) que, sauf dérogation expresse prévue dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actifs emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité faisant l'objet de l'apport, ce qui est le cas en l'espèce.

La société RTE ne conteste pas le fait qu'elle vient aux droits de la société EDF en ce qui concerne l'activité de transport d'électricité, dans laquelle travaillait M. [C] et auquel la société RTE a remis un certificat de travail pour sa période de travail au sein d'EDF.

Il convient donc de mettre la société EDF hors de cause et d'infirmer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société RTE.

Sur la responsabilité de la société RTE dans le préjudice d'exposition fautive à l'amiante résultant de la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail :

Les données techniques :

L'amiante, qui recouvre une variété de silicates hydratés se formant naturellement au cours du métamorphisme des roches, est connue depuis l'antiquité et a été utilisée depuis le 19ème siècle de manière importante dans l'industrie et le bâtiment en raison de ses propriétés thermiques de résistance au feu et d'isolant et de son faible prix. En France, le fibrociment, mélange d'amiante et de ciment, est le matériau le plus utilisé dans le second oeuvre depuis la fin des années 1960.

L'amiante a été utilisée en grande quantité dans les installations des centrales thermiques et nucléaire construites par EDF (à partir des années 1970), même si EDF n'en produisait pas ni n'en transformait.

Elle était également utilisée, ce qui concerne le présent litige, dans la protection des câbles électriques, les canalisations d'eau et de gaz, plaques d'égout en fibrociment, les revêtements d'isolation (Eternit), d'où l'exposition possible des anciens ouvriers d'EDF comme les trois anciens salariés ayant saisi la cour à la même audience, dont M. [C], lequel travaillait sur les lignes de haute, très haute et basse tension.

Ce dernier, comme ses anciens collègues, soutient avoir été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante et autres produits CMR au cours de sa longue carrière professionnelle au sein d'EDF, sans jamais bénéficier de protections individuelles ou collectives, ce qui induirait son éventuelle contamination et la diminution de son espérance de vie.

Les données médicales :

Selon l'ouvrage intitulé "Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante" de l'INSERM paru en novembre 1997, établi à la demande de la direction des relations du travail et de la direction générale de la santé, le temps de latence entre l'exposition à l'amiante et la manifestation de pathologies liées est de 30 à 40 ans.

Ces pathologies, en particulier le mésothéliome (cancer du poumon) et l'asbestose (fibrose pulmonaire pouvant conduire à une insuffisance cardiaque), ont une incidence, essentiellement due aux expositions professionnelles à l'amiante, qui augmente chaque année dans les pays industrialisés comme la France.

Au sein d'EDF-GDF, 65 cancers des poumons ont été reconnus comme maladie professionnelle liée à l'amiante entre 1977 et 2000, selon un article de l'institut de veille sanitaire en date d'août 2006.

Les données juridiques :

L'article L 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité du travail, des actions d'information et de formation, et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Cette obligation de sécurité et de prévention de l'employeur est méconnue lorsque l'employeur, averti de la situation de danger, s'est abstenu de prendre les mesures adaptées pour y mettre fin.

La réglementation en matière de protection des salariés exposés à des dangers liés à des matériaux s'est agrégée au fur et à mesure des années à compter de la fin du XIXème siècle, partant de textes généraux sur l'hygiène et la sécurité pour arriver à des textes spéciaux :

- La loi du 12 juin 1893 l'hygiène et la sécurité des travailleurs, puis le décret du 20 novembre 1904, prescrivaient de maintenir en état constant de propreté les locaux de travail par de fréquents nettoyage, d'évacuer les poussières, vapeurs et gaz par tout moyen d'élimination et de ventilation ; ces dispositions seront précisées par le décret du 10 juillet 1913,

* puis modifiées par le décret du 13 décembre 1948, lequel prescrivait en cas d'impossibilité de mettre en place des équipements de protection collectifs, le port des masques et de dispositifs individuels de protection,

* puis par le décret du 6 mars 1961, lequel dispose en son article 6a : "Les travaux dans les puits, conduites de gaz, canaux de fumée...fosses, galeries ou en tous lieux autres que les locaux destinés au travail, où l'aération est insuffisante, ne doivent être entrepris qu'après assainissement de l'atmosphère par une ventilation efficace...pendant l'exécution de ces travaux l'assainissement de l'atmosphère doit être maintenu soit par ventilation naturelle, soit par l'introduction d'air neuf à raison de 300 m3 d'air par heure et par personne occupée..."

* et finalement par le décret du 15 novembre 1973 précisant que "les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques seront évacués directement en dehors des locaux de travail au fur et à mesure de leur production... pour les poussières déterminées par les meules... et tout autre appareil mécanique, il sera installé des tambours en communication avec une ventilation aspirante énergique..."

L'ensemble de ces dispositions a été intégrée dans la partie réglementaire du code du travail.

C'est ainsi qu'antérieurement à 1977 la réglementation imposait déjà aux employeurs de protéger ses salariés contre les poussières, notamment les poussières d'amiante, connues depuis l'ordonnance du 2 août 1945 et le décret du 15 septembre 1955 (la première ayant créé le tableau 25 des maladies professionnelles telle que la fibrose pulmonaire liée à l'inhalation de poussières de silice ou d'amiante, le second ayant précisé la liste des travaux susceptibles de causer les maladies asbesotiques visées au tableau 30 des affections respiratoires liées à l'amiante) pour causer des maladies professionnelles, comme l'a également constaté de manière constante la Cour de Cassation dans ses décisions depuis 1992 (Arrêt [W]/SNCF soc. 3 décembre 1992, crim. 28 février 2002, EDF civ. 3 juillet 2008, civ.19 novembre 2009, crim. 24 juin 2014).

Il ressort de l'expertise collective INSERM déposée en juin 1996 que la publication de rapports scientifiques relatifs aux risques de maladies des travailleurs exposés à l'amiante et aux poussières d'amiante, est relatée à partir de 1930 en France, avec une confirmation détaillée par l'étude de Doll en 1955 pour une population de travailleurs de l'amiante textile en [Localité 2], puis par l'étude de [N] en 1960 aux Etats-Unis ; en 1964 lors du congrès international sur l'asbestose organisé à [Localité 3] étaient présents les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et les professeurs de médecin concernés par les pathologies liées à l'amiante.

Ce sont ces travaux scientifiques qui ont conduit les administrations du travail et de la santé à prendre en France les dispositions réglementaires successives avant et après 1977.

On peut en déduire que les employeurs étaient informés avant 1977 des risques, liés à l'amiante et à l'inhalation de poussières d'amiante, pour la santé de leurs salariés.

La société EDF étant utilisatrice d'amiante, en particulier dans ses centrales thermiques mais aussi dans les canalisations d'eau et de gaz et la protection des câbles électriques (milieu de travail de M. [C]), et la société RTE venant aux droits de cette dernière, ne pouvaient donc ignorer ces risques et devaient mettre en place des mesures de protection.

A partir de 1977, la réglementation a été spécifiquement déclinée pour les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.

- L'article 1 du décret 77-949 du 17 août 1977 précise qu'il est applicable aux établissements soumis aux dispositions de l'article L. 231-1 du code du travail, pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tous produits ou objets susceptibles d'être à l'origine d'émission de fibres d'amiante ; il dispose en son article 9 que "L'employeur est tenu de remettre des consignes écrites à toute personne affectée aux travaux définis à l'article 1 de manière à l'informer des risques auxquels son travail peut l'exposer, des précautions à prendre pour éviter ces risques; cette information écrite devra être complétée par une information orale dispensée par le médecin du travail."

Pour connaître l'état de l'atmosphère des lieux de travail, le décret prévoyait un contrôle de cette atmosphère au moins une fois par mois ; il précisait en son article 4 qu'en cas de travaux occasionnel et de courte durée, et s'il est techniquement impossible de respecter les dispositions de l'article 3 - de procéder par voie humide, ou dans des appareils capotés et mis en dépression ou par tout autre moyen efficace autorisé par le médecin du travail, et ce au delà d'une certaine concentration de fibres d'amiante dans l'air, soit 2 fibres par cm3- des équipements de protection individuelle (équipements respiratoires individuels et vêtements de protection) attribués individuellement, doivent être mis à disposition du personnel exposé à l'inhalation de poussières d'amiante (article 8).

En mai 1977 le docteur [P], médecin-chef du service de médecine du travail de la société EDF-GDF, dans une note intitulée "problèmes posés par l'utilisation de l'amiante notamment avec la société Electricité et Gaz de France" indique que l'amiante est présente en grande quantité dans l'ensemble des installations, et qu'il est établi un lien entre l'exposition aux poussières d'amiante et des affections graves ; il recommande donc de déterminer les valeurs d'empoussiérage de nature à réduire les risques, d'utiliser des produits de remplacement de l'amiante, et de mettre en place une prévention collective et individuelle pour les travaux de réfection et de démolition des installations comprenant des matériaux à base d'amiante.

La société EDF soutient que les niveaux de concentration en fibres d'amiante dans l'air mentionnés dans le décret de 1977 de 2 fibres/cm3 n'ont jamais été atteints sur le site de [Localité 4], alors que M. [C] ne travaillait pas sur ce site mais en [Localité 1] ; elle fait également valoir que les poussières inhalées par ce dernier ne correspondraient pas à des poussières d'amiante, alors qu'elle n'établit pas avoir effectué, avant ou après 1977, de contrôle de la nature de ces poussières sur les postes où intervenait M. [C], notamment à [Localité 5], [Localité 6], [Localité 7], [Localité 8], [Localité 9], [Localité 10], [Localité 11], [Localité 12], [Localité 13]...

Or, dès août 1977 la société EDF aurait donc dû mesurer l'atmosphère des lieux où M. [C] travaillait pour surveiller la concentration de fibres d'amiante dans l'air et mettre à sa disposition des équipements de protection individuelle, tout en l'informant des risques auxquels il était exposé.

* Le décret n° 96-98 du 7 février 1996, relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante, édicte des obligations à la charge de l'employeur à l'égard des salariés susceptibles d'être en contact avec des poussières d'amiante :

Art. 2. - Le chef d'établissement concerné doit procéder à une évaluation des risques afin de déterminer, notamment, la nature, la durée et le niveau de l'exposition des travailleurs à l'inhalation de poussières provenant de l'amiante ou de matériaux contenant de l'amiante.

Cette évaluation doit porter sur la nature des fibres en présence et sur les niveaux d'exposition collective et individuelle, et comporter une indication des méthodes envisagées pour les réduire.

Les éléments et résultats de cette évaluation sont transmis au médecin du travail, aux membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, aux délégués du personnel ainsi qu'à l'inspecteur du travail et aux agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale.

Art. 3. - Le chef d'établissement est tenu d'établir pour chaque poste ou situation de travail exposant les travailleurs à l'inhalation de poussières d'amiante une notice destinée à les informer des risques auxquels ce travail peut les exposer et des dispositions prises pour les éviter.

Cette notice est transmise pour avis au médecin du travail. L'employeur informe ensuite le salarié, dans les meilleurs délais, des risques ainsi évalués.

Art. 4. - En application des articles L. 231-3-1 et L. 231-3-2 du code du travail, le chef d'établissement organise à l'intention des travailleurs susceptibles d'être exposés, en liaison avec le médecin du travail et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, les délégués du personnel, d'une part, une formation à la prévention et à la sécurité, et notamment à l'emploi des équipements et des vêtements de protection adaptés, d'autre part, une information concernant les risques potentiels sur la santé, y compris les facteurs aggravants dus notamment à la consommation du tabac, ainsi que les précautions à prendre en matière d'hygiène.

Art. 5. - Lorsque la nature des activités ne permet pas une mise en oeuvre efficace des moyens de protection collective ou que, malgré cette mise en oeuvre, la valeur limite d'exposition précisée dans chacune des sections du chapitre III ci-après du présent décret risque d'être dépassée, le chef d'établissement est tenu de mettre à la disposition des travailleurs les équipements de protection individuelle appropriés et de veiller à ce qu'ils soient effectivement utilisés.

Il doit tenir compte de la pénibilité de chaque tâche pour déterminer, après avis du médecin du travail, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, la durée maximale du temps de travail avec port ininterrompu d'un équipement de protection individuelle.

L'entretien et la vérification de ces équipements sont à la charge du chef d'établissement.

* Le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 a interdit la fabrication, la transformation, la vente, l'importation de toutes les variétés de fibre d'amiante, mais à titre exceptionnel et temporaire cette interdiction ne s'appliquent pas aux matériaux ou produits qui contiennent de la fibre de chrysotile, lorsqu'il n'existe aucun substitut pour assurer une fonction équivalente ; dans ce dernier cas, il convient de respecter les règles posées par le décret du 7 février 1996 susvisé.

* L'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sur le financement de la sécurité sociale a créé un dispositif d'allocation de cessation anticipée d'activité dite "ACAATA", permettant aux salariés ayant travaillé dans un établissement listé par arrêté ministériel de partir en préretraite amiante, sans pour autant être atteint d'une maladie professionnelle consécutive à une exposition à l'amiante.

Ce classement sur cette liste dite ACAATA est réservé aux établissements :

- ayant utilisé l'amiante de façon reconnue, habituelle et conséquente, comme les sociétés fabriquant des matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante,

- dans lesquels l'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante, présentait un caractère significatif.

Cela exclut donc les établissements dans lesquels les salariés manipulaient de l'amiante de manière occasionnelle et ponctuelle, selon des décisions du Conseil d'Etat (CE- 2 octobre 2009).

En revanche, le seul fait qu'un établissement soit inscrit sur cette liste ouvre droit pour tous ses salariés, y compris ceux qui n'ont pas été effectivement exposés à l'amiante, au bénéfice de cette allocation ACAATA.

Depuis un arrêt fondateur de la chambre sociale de la Cour de Cassation en date du 11 mai 2000, les salariés de ces établissement inscrits sur cette liste peuvent bénéficier, à certaines conditions, de la réparation de leur préjudice d'anxiété pour avoir été exposé à l'amiante, lequel est fondé sur l'obligation de sécurité.

En effet, il existe un risque de déclarer une pathologie liée à l'amiante plus de 30 ou 40 ans après l'exposition, d'où cette inquiétude permanente reconnue et donnant lieu à des dommages et intérêts.

La Cour de Cassation distingue deux situations de salariés :

- ceux éligibles au dispositif de l'ACAATA qui bénéficient d'une présomption d'exposition à l'amiante du fait du classement de leur société sur la liste, et peuvent être indemnisés au titre de ce préjudice d'anxiété (Cass. soc 4 décembre 2012) ; la haute juridiction a précisé que le préjudice d'anxiété ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, mais est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés (Cass. soc 2 juillet 2014), et que le préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est inclus dans le préjudice d'anxiété et ne peut faire l'objet d'une indemnisation distincte (Cass. soc 27 janvier 2016) ;

- ceux qui n'y sont pas éligibles, du fait de l'absence de classement de leur société sur la liste des établissements donnant droit à l'ACAATA (Cass. soc 25 mars 2015, 17 février 2016).

S'agissant des salariés ayant développé une pathologie liée à l'amiante, leur indemnisation relève exclusivement du tribunal des Affaires de sécurité sociale au titre des maladies professionnelles.

Toutefois, si le salarié a travaillé sur un site non inscrit sur la liste dite ACAATA, il peut bénéficier d'une indemnisation s'il rapporte la preuve d'une exposition certaine et significative, et de la réalité de son préjudice.

En l'espèce, ni la société EDF, ni la société RTE ne sont classées sur la liste dite ACAATA des établissements.

*

M. [C], qui entretenait les postes de basse et haute tension en tant que "lignard", invoque la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Il ne se fonde pas sur le préjudice d'anxiété jurisprudentiellement reconnu, qui dépend d'une exposition théorique qui est reconnue du fait de l'inscription de l'employeur sur la liste de l'ACCATA, mais sur son exposition effective à l'amiante (qu'il nomme préjudice d'exposition fautive, de nature différente du préjudice d'anxiété) et son droit à réparation sur le fondement des principes généraux de la responsabilité civile.

Il soutient avoir été effectivement exposé à l'amiante (témoignages, base de donnée Matex listant les expositions par fiche de poste des salariés d'EDF - GDF de 1978 à 1998, établie par des médecins du travail...)

La société RTE soutient que le préjudice d'exposition à l'amiante et le préjudice d'anxiété lié à cette exposition sont un seul et même préjudice issu du même fait générateur, et que M. [C] n'est pas éligible à la réparation de son préjudice d'anxiété du fait de l'absence d'inscription de la société sur la liste dite ACAATA.

M. [C] ne rapporterait en outre pas la preuve d'avoir été exposé de manière significative à l'inhalation de poussières d'amiante, ni la preuve d'un préjudice, ni enfin celle du lien entre la faute et le préjudice.

***

En application de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en faisant des actions de prévention des risques professionnels, des actions de formation et d'information et en mettant en place une organisation et des moyens adaptés.

En application de l'article L. 1222-1 du code du travail, l'employeur doit exécuter le contrat de travail de bonne foi.

Il s'agit de rechercher dans un premier temps si M. [C] prouve avoir été exposé à l'amiante de manière significative en raison des manquements de la société EDF à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail et à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.

Dans un second temps, il conviendra de caractériser son préjudice en lien avec le non respect de ces obligations.

M. [C] soutient qu'en violation des obligations de sécurité et de prévention, la société EDF n'a pas mis en oeuvre son obligation d'information individuelle et écrite sur les risques liés aux travaux effectués en présence d'amiante, en contravention à l'article 9 du décret du 17 août 1977, et qu'elle n'a pas mis à sa disposition des moyens de protection, tels que des équipements de protection individuels.

Or, M. [C] a travaillé comme agent technique d'octobre 1968 à novembre 1982 au CRTT Ouest sous-groupe Poitou-Charente devenu GET Poitou-Charente, puis il est devenu contremaître jusqu'en juin 2000, avant de devenir adjoint HT responsable ligne puis attaché jusqu'à son départ à la retraite le 31 janvier 2002, poste qui l'amenait à travailler dans une équipe pour l'entretien et la rénovation des postes électriques vétustes de basse, haute et très haute tension sur les 4 départements du Poitou, effectuant quotidiennement le remplacement de transformateurs, la découpe et le perçage de plaques et joints amiantés, le tirage de câbles dans les locaux amiantés.

Le fait qu'il ait été effectivement exposé à l'amiante et à des poussières d'amiante est d'ailleurs corroboré à la fois par l'existence de fiches de suivi post-professionnel, par le témoignage de ses collègues et par les compte-rendus de réunion du CHSCT.

En effet, il ressort de la fiche dite de suivi médical post-professionnel de M. [C], établie par le centre national de santé, sur la base des fiches de poste des médecins du travail d'EDF, que ce dernier a été exposé :

- de manière peu fréquente (sans précisions sur le nombre de jours) aux poussières d'amiante entre octobre 1968 et décembre 1996, soit 28 ans, avec un taux de 0,1 à 1 fibre d'amiante par cm3.

Selon l'attestation de M. [Q], qui était dans son équipe de 1971 à 1983, M. [C] découpait des plaques de caniveaux en fibrociment*, réparait des joints en amiante, et prenait son poste dans les vestiaires de locaux vétustes reconnus comme contenant des poussières d'amiante au poste de [Localité 14], puis au poste de [Localité 8] de 1983 à 1990 dans des locaux (ateliers) où étaient découpés des dalles de fibrociment, la toiture étant aussi en cette matière.

Ces éléments sont confirmés par M. [Z], son ancien collègue, dans une attestation où il précise que ces locaux de travail étaient vétustes, mal nettoyés, alors qu'ils recevaient du matériel à découper contenant de l'amiante.

Dans une autre attestation d'un ancien collègue M. [F], ce dernier indique qu'ils ont travaillé dans un milieu très fortement amianté, en respirant aussi d'autres produits toxiques.

M. [Y] indique enfin dans son attestation que lui et M. [C] ont travaillé entre 1982 et 2002 dans des locaux amiantés et ont déroulé des câbles dans des caniveaux amiantés, en déplaçant des plaques en fibrociment amianté.

* Fibrociment : mélange de ciment et d'amiante, souvent utilisé pour fabriquer des éléments de canalisation et de toiture en raison de ses qualités isothermes.

Même si le fibrociment est un matériau rigide et peu volatile, il peut devenir dangereux lorsqu'il est percé, gratté ou brisé. Dans ce cas, des fibres peuvent se détacher et venir s'installer dans les alvéoles des poumons, générant un risque avéré de cancer.

Le fibrociment contenant de l'amiante est donc interdit depuis janvier 1997 et les fabricants en proposent aujourd'hui une version sans amiante.

Au vu des procès-verbaux de réunions du CHSCT du GET Poitou-Charente, où M. [C] travaillait, la société EDF a commencé seulement à partir de 1999 à mettre en oeuvre des mesures de protection pour les salariés travaillant en milieu amianté :

- réunion du 23 septembre 1997 : l'ingénieur sécurité de la société EDF mentionne la nécessité de nettoyer et aspirer une gaine technique avant de déposer les plaques en amiante support du câble (cf attestations plus haut), de mouiller les plaques avant de les couper pour éviter le dégagement de poussières d'amiante (cf attestations).

- réunion du 29 septembre 1998 : l'accord national sur l'amiante, qui fixe les actions à engager sur les installations, la réparation et l'évaluation du risque amiante, est mise en application, avec la pose de plaquettes de signalisation dans les locaux renfermant des dalles de fibrociment amiantées ; les représentants du personnel demandent à la direction de mettre en oeuvre une politique locale de prévention avant le 31 décembre 1998, comme le prévoit l'accord ; l'ingénieur sécurité affirme que pour l'amiante des mesures de prévention ont été réalisées (sans précision).

- réunion du 22 juin 1999 : il est recherché un matériel pour aspirer les chemins de câbles contenant des poussières d'amiante avant les interventions nécessitant le soulèvement des dalles en fibrociment, pour que cette aspiration se fasse en prévention de manière systématique.

- réunion du 6 décembre 1999 : les représentants du personnel rappellent que les plaques en fibrociment Natura 2000 ne peuvent être sciées et meulées à l'intérieur des locaux sans un équipement de protection individuel (EPI). Mention de la nécessité d'aspirer les caniveaux avant le déplacement des câbles.

- réunion du 20 mars 2003 : l'ingénieur sécurité explique qu'un agent ayant percé ou scié des couvercles de caniveaux amiantés est considéré comme ayant vécu une exposition active à l'amiante. Il est rappelé l'avis d'un médecin qui attestait qu'une exposition ponctuelle avec beaucoup de poussière inhalée (comme lors de découpage de plaques de fibrociment dans un local clos) peut engendrer les mêmes conséquences qu'une exposition régulière, car une fois dans les poumons les particules ne sont plus éliminées.

Cette information sur la dangerosité de la coupe d'un plaque de fibrociment à sec avec un disque tournant à vitesse élevée, engendrant un fort empoussièrement de fibres d'amiante, est spécialement indiquée en page 19 du rapport du professeur [S] sur la gestion du problème de santé publique posé par l'amiante, établi en avril 1998 à la demande du ministre de l'emploi et de la solidarité et du secrétaire d'Etat à la santé.

Les compte-rendus de CHSCT montrent donc que la société EDF n'avait pas mis en oeuvre des mesures de protection pour ses salariés exposés aux poussières d'amiante avant 1998, puisqu'elle ne l'a envisagé qu'à partir de l'année 1998, discutant au cours des CHSCT des techniques d'aspiration des poussières avant les changements de câbles électriques et de la mise en oeuvre de protections individuelles ; elle n'établit pas en tout état de cause que ces mesures ont été effectivement prises en ce qui concerne M. [C], y compris après 1998.

En parallèle et sur cette période de 1998 à 2003, un accord collectif est intervenu le 15 juillet 1998 entre EDF, GDF et l'ensemble des organisations syndicales au sujet de la maîtrise du risque amiante et des mesures complémentaires d'indemnisation des maladies professionnelles.

Un avenant du 7 juin 2002 est intervenu pour qu'une politique volontariste et concrète soit mise en oeuvre en matière de santé au travail et de prévention des risques.

Par une note (pièce 29 de l'appelant) en date du 19 décembre 2001 intitulée "maîtrise du risque chimique à EDF et GDF" adressée aux directeurs d'établissement, aux correspondants prévention et chefs de service médicaux, le directeur de la délégation à la prévention et à la gestion des risques a rappelé les règles générales de prévention du risque chimique et du risque cancérogène.

Au vu de ces éléments, il est établi que la société EDF connaissait les risques d'exposition à l'amiante vu la nocivité notoire de cette matière, comme développé plus haut, et vu l'ensemble des mesures réglementaires susvisées qu'elle était sensée appliquer, mais qu'elle a laissé M. [C] dans l'ignorance de ces risques et des précautions à prendre, alors que ce dernier était effectivement exposé de manière régulière aux risques liés aux poussières d'amiante, certes avec un taux de fibres d'amiante peu élevé (0,1 à 1 fibre/cm3) selon la fiche d'exposition, mais pendant environ 28 ans entre octobre 1968 et décembre 1996, sans avoir été informé de ces risques et sans avoir, même après la loi du 17 août 1977 et l'accord du 15 juillet 1998, bénéficié de protections collectives ou individuelles adaptées.

Se faisant, elle n'a pas respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.

M. [C] soutient que le préjudice d'exposition à l'amiante est différent du préjudice d'anxiété, car:

- le premier naît plusieurs années avant le second,

- le premier est objectif, le second subjectif (s'agissant d'un préjudice psychologique),

- le premier s'apprécie en durée d'exposition pendant l'exécution du contrat de travail, alors que le second ne tient pas compte de cette durée et existe à compter de l'inscription sur la liste ACAATA de l'établissement où il travaillait,

- le premier est subordonné à la preuve de l'exposition, au préjudice qui en découle, et au lien de causalité entre la faute de l'employeur et le préjudice, alors que le second a un caractère d'automaticité lié à l'inscription susvisée.

Selon M. [C], la seule exposition à une substance nocive, sans information et protection mise en oeuvre en ce qui le concerne, engendrerait nécessairement un préjudice du fait à la fois du non respect à la fois de l'obligation de sécurité et de santé (absence de mesures de prévention des risques professionnels) et de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, ce qui rendrait l'employeur responsable, sans qu'il y ait d'atteinte physique.

Il fait état de la jurisprudence antérieure à 2016 : Cass. soc 20 juin 2005 au sujet d'une exposition au tabac, 30 novembre 2010 concernant une exposition aux fumées de chrome, 20 février 2013 et 5 mars 2014 : un salarié avait été exposé à l'inhalation de vapeurs toxiques sans surveillance médicale ni protection, ce dont il résultait un manquement à l'obligation de sécurité causant nécessairement un préjudice au travailleur.

La société RTE soutient que M. [C], âgé de 69 ans, n'établit pas l'existence d'un préjudice, n'ayant pas déclaré à ce jour de maladie liée à l'amiante et ne produisant aucun élément médical sur une éventuelle anxiété, et qu'en outre la somme réclamée est excessive, au regard des sommes allouées aux salariés effectivement atteints d'une telle maladie ou du préjudice d'anxiété alloué aux salariés exposés.

Or, M. [C] a été durablement exposé aux poussières d'amiante et a travaillé dans des conditions pénibles et dangereuses pour sa santé, en inhalant des poussières, sans bénéficier de protection individuelle.

En outre, il a appris postérieurement à sa première exposition, soit pas avant 1997, que ces mauvaises conditions de travail l'exposant à des poussières d'amiante, pouvaient entraîner une dégradation grave de sa santé.

Toutefois, en application des principes généraux de la responsabilité civile, qui commandent l'indemnisation d'un préjudice en cas de faute dans l'exécution d'un contrat, M. [C] est tenu de rapporter la preuve de son préjudice d'exposition à l'époque où il l'a subi, ce qu'il ne fait pas.

En effet, il ne produit aucun élément médical (attestant de problèmes de santé en lien avec l'exposition) ni d'attestations, ni aucun autre document susceptible d'établir son préjudice d'exposition et le lien de causalité entre son exposition à l'amiante (qui est certes réelle) et un préjudice de santé.

Il sera donc débouté de sa demande en dommages et intérêts.

Sur la demande de remise d'attestation d'exposition à l'amiante :

L'objet de la délivrance d'une attestation d'exposition est la prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale de la surveillance médicale post-professionnelle des salariés ; la production d'une telle attestation permet de faire procéder à des examens médicaux très réguliers pour permettre de dépister précocement une éventuelle pathologie, et ne pas faire supporter aux salariés le coût des examens.

A titre préalable, il convient de distinguer les agents ACD des agents CMR :

Les agents ACD, agents chimiques dangereux, sont définis par l'article R.4412-3 du code du travail :

- Les agents chimiques mentionnés à l'article R.4411-6 du code du travail, lesquels étaient définis et listés au nombre de 15 dans l'ancien article R.4411-6 du code du travail, abrogé par le décret du 19 avril 2012, et qui correspondent depuis le décret 2015-612 du 3 juin 2015 à la définition suivante : "les substances et mélanges qui répondent aux critères de classification relatifs aux dangers physiques, aux dangers pour la santé ou aux dangers pour l'environnement, définis à l'annexe I du règlement CE n°1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008.

- Tout agent chimique qui, bien que ne satisfaisant pas aux critères de classement, en l'état ou au sein d'un mélange, peut présenter un risque pour la santé et la sécurité des travailleurs en raison de ses propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques et des modalités de sa présence sur le lieu de travail ou de son utilisation, y compris tout agent chimique pour lequel des décrets prévoient une valeur limite d'exposition professionnelle.

Les agents CMR, substances cancérogènes mutagènes et reprotoxiques, sont une catégorie d'ACD, définis par l'article R.4412-60 du code du travail, comme tout agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction les substances ou mélanges suivants :

1°) Toute substance ou mélange qui répond aux critères de classification dans la catégorie 1A ou 1B des substances ou mélanges cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction définis à l'annexe I du règlement (CE) n° 1272/2008 ;

2°) Toute substance, tout mélange ou tout procédé défini comme tel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture.

L'amiante à l'état pur est une catégorie de CMR, car il est cancérogène.

Cependant la définition du produit cancérogène peut s'étendre aux poussières d'amiante, puisqu'est cancérogène tout agent chimique dangereux à l'état pur (amiante, poussières de bois, benzène') ou en mélange ou procédé pouvant provoquer l'apparition d'un cancer ou en augmenter la fréquence.

Or, comme indiqué plus haut, des cancers sont apparus chez des salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.

M. [C] sollicite une attestation d'exposition à l'amiante en application des articles D.461-25 du code de la sécurité sociale et de l'ancien article R.4412-58 du code du travail visé par le décret n°2012-134 du 30 janvier 2012, tout en demandant la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour non délivrance de cette attestation.

Il précise qu'il a demandé cette attestation à la société RTE par lettre du 2 juillet 2012, en vain, la société lui répondant par lettre du 28 février 2013 qu'il n'avait jamais été constaté son exposition à l'amiante.

La société RTE s'oppose à ces demandes, faisant valoir qu'elle n'était pas tenue entre janvier 2002 (date de mise à la retraite de M. [C]) et le 1er mai 2008 (date de recodification élargissant l'obligation de délivrance d'une attestation à toutes les activités et interventions avec exposition à tous les agents ACD et CMR), de délivrer une telle attestation, spécifique à l'exposition à l'amiante, qui n'était obligatoire, selon les dispositions du décret 96-98 du 7 février 1996, que pour les salariés des établissements ayant une activité de fabrication ou de transformation de produit à partir d'amiante ou de matériaux en contenant, et des établissements qui effectuaient de la démolition ou du désamiantage de bâtiments contenant de l'amiante, ce qui n'était pas son cas, puisque ses salariés (anciens salariés d'EDF), tel M. [C], intervenaient dans des opérations susceptibles de provoquer l'émission de fibres d'amiante.

Elle précise qu'à compter du 1er mai 2008, l'article R. 4412-58 du code du travail a certes élargi l'obligation de délivrance d'une attestation à toutes les activités et interventions avec exposition à tous les agents ACD et CMR, mais cet article a été abrogé au 1er janvier 2012 et a été remplacé par l'article R. 4412-120 du code du travail, lequel consacre l'obligation de délivrance d'une nouvelle fiche spécifique à l'amiante, lorsque la situation le justifie.

Dans la mesure où la finalité de ce document et son articulation avec les fiches pénibilité n'aurait pas été clairement précisée par les textes réglementaires, la société a estimé ne pas devoir délivrer d'attestation à M. [C].

*

Or, au vu des éléments exposés plus haut, il est établi que M. [C] a été exposé de manière régulière aux poussières d'amiante dégagées par l'intervention sur des plaques de fibrociment, et donc à l'amiante mélangée à d'autres produits entre 1968 et 1996 : en effet, même si l'exposition était plus faible en fibres d'amiante et moins régulière que les deux autres salariés ayant saisi le conseil des mêmes demandes (M.[D] et M.[Q]), il est admis par des médecins du travail d'EDF qu'une exposition ponctuelle avec beaucoup de poussière inhalée (comme lors de découpage de plaques de fibrociment dans un local clos) peut engendrer les mêmes conséquences qu'une exposition régulière (cf pages 16 plus haut). Aucune précision n'étant apportée par les sociétés sur les mesures effectuées sur chacun des sites où M. [C] a travaillé, cela ne permet pas d'écarter une exposition plus importante que celle mentionnée sur la fiche d'exposition.

A partir de 1996 et jusqu'en février 2001, il n'apparaît pas que l'employeur, la société EDF, était tenu de lui délivrer une attestation mais seulement une fiche d'exposition, au vu des dispositions du décret 96-98 du 7 février 1996, lequel dispose pour les salariés intervenant dans des opérations susceptibles de provoquer l'émission de fibres d'amiante en son article 31 : "Le chef d'établissement établit pour chacun des travailleurs concernés une fiche d'exposition précisant la nature et la durée des travaux effectués, les procédures de travail ainsi que les équipements de protection utilisés et, s'il est connu, le niveau d'exposition. Cette fiche est transmise à l'intéressé et au médecin du travail."

La société EDF a fait établir par le [Adresse 4] un bilan des expositions de M. [C], qui correspond aux fiches d'exposition transmises par le médecin du travail d'EDF-GDF en vue d'identifier les expositions professionnelles, ce qui constitue une des pièces du dossier produit devant la cour par M. [C] (pièce 5) et correspond à la transmission de la fiche d'exposition prévue à l'article 31 susvisé.

M. [C] ne précisant pas à quelle date il a eu connaissance de ce document, il n'y a pas lieu de juger que la société EDF a manqué à son obligation de communication de cette fiche en 2002, à l'époque de son départ à la retraite.

Par la suite, et à compter du décret 2001-97 du 1er février 2001, et non seulement à compter de 2008 comme l'indique à tort la société RTE mais que confirme en revanche la société EDF, M. [C], qui avait pris sa retraite en 2002, était éligible à recevoir une attestation d'exposition à l'amiante en tant que CMR et ACD, au vu de l'article 12 III, IV et V de ce décret disposant :

"III. - Le médecin du travail constitue et tient, pour chacun des travailleurs exposés, un dossier individuel contenant :

1°) Le double de la fiche d'exposition prévue au III de l'article R. 231-56-10 ;

2°) Les dates et les résultats des examens médicaux complémentaires pratiqués.

IV. - Ce dossier doit être conservé pendant au moins cinquante ans après la fin de la période d'exposition.

Ce dossier est communiqué, sur sa demande, au médecin inspecteur régional du travail et de la main-d'oeuvre et peut être adressé, avec l'accord du travailleur, au médecin choisi par celui-ci.

Si l'établissement vient à disparaître ou si le travailleur change d'établissement, l'ensemble du dossier est transmis au médecin inspecteur régional du travail et de la main-d'oeuvre, à charge pour celui-ci de l'adresser, à la demande du travailleur, au médecin du travail désormais compétent.

V. - Une attestation d'exposition aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction est remplie par l'employeur et le médecin du travail dans les conditions fixées par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture. Elle est remise au travailleur à son départ de l'établissement, quel qu'en soit le motif. »

Enfin, l'ancien article R.4412-58 du code du travail, créé par le décret n°2008-244 du 7 mars 2008, qui a été abrogé en 2012 mais s'appliquant aux situations d'exposition antérieure à 2012, dispose que :

"Une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux mentionnés à l'article R. 4412-40, remplie par l'employeur et le médecin du travail, est remise au travailleur à son départ de l'établissement, quel qu'en soit le motif.

Un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture détermine les conditions de remise de cette attestation en cas d'exposition à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction."

L'amiante étant un agent CMR, sous catégorie d'agents chimiques dangereux (ACD), le code du travail a donc maintenu cette obligation de délivrance d'une attestation d'exposition, qui n'était alors plus spécifiquement dédiée aux salariés exposés à l'amiante, mais à tout ACD.

De la succession de ces décrets de 2001 et 2008, il résulte que la société RTE, venant aux droits de l'ancien employeur de M. [C] la société EDF, aurait dû remettre à ce dernier une attestation d'exposition à l'amiante entre l'année 2002 et l'année 2008, puis à défaut une attestation d'exposition à des ACD incluant l'amiante entre 2008 et le 30 juin 2012.

Par la suite le décret n°2012-639 du 4 mai 2012, en vigueur à compter du 1er juillet 2012, relatif aux risques d'exposition à l'amiante, dispose en son article R.4412-120 du code du travail (créé par le décret du 7 mars 2008 puis modifié) :

"L'employeur établit, pour chaque travailleur exposé, une fiche d'exposition à l'amiante indiquant :

1°) La nature du travail réalisé, les caractéristiques des matériaux et appareils en cause, les périodes de travail au cours desquelles il a été exposé et les autres risques ou nuisances d'origine chimique, physique ou biologique du poste de travail ;

2°) Les dates et les résultats des contrôles de l'exposition au poste de travail ainsi que la durée et l'importance des expositions accidentelles ;

3°) Les procédés de travail utilisés ;

4°) Les moyens de protection collective et les équipements de protection individuelle utilisés."

La société RTE devait donc remettre une attestation d'exposition à l'amiante à M. [C] à compter de juillet 2012, avec toutes les mentions obligatoires nécessaires, ce qu'elle n'a pas fait ; en effet la fiche d'exposition à l'amiante et aux autres produits dangereux, produite par ce dernier, ne mentionne pas la nature du travail réalisé, les caractéristiques des matériaux et appareils en cause, les dates et les résultats des contrôles de l'exposition au poste de travail, les procédés de travail utilisés ni les moyens de protection collective et les équipements de protection individuelle éventuellement utilisés.

La délivrance de cette attestation est d'autant plus nécessaire que les pathologies liées à l'amiante surviennent jusqu'à 40 ans après l'exposition, et que l'absence de délivrance de cette attestation n'a pas permis à M. [C] de bénéficier gratuitement d'un suivi post-professionnel, ce qui constitue un préjudice.

En conséquence, la société RTE sera condamnée à payer à M. [C] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour non remise d'une attestation d'exposition à l'amiante entre février 2001 et le 19 septembre 2017, date de l'audience, et à lui remettre une telle attestation, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, la cour se réservant le droit de liquider cette astreinte.

Sur la demande de remise d'attestation d'exposition aux agents CMR :

L'article R.4412-58 du code du travail, en vigueur à l'époque de la cessation de son travail par Monsieur [C] en 2000 et abrogé par le décret du 30 janvier 2012, prévoyait la remise par l'employeur à tout salarié quittant l'entreprise d'une attestation d'exposition aux agents CMR réalisée par le médecin du travail et l'employeur.

M. [C] demande cette attestation pour pouvoir bénéficier d'un suivi post-professionnel, précisant avoir été exposé à 11 autres produits dangereux qu'il liste : les braies suies et goudrons, la laine de verre, le plomb, les fibres céramiques, les huiles minérales, les hydrocarbures, les résines, les gaz d'échappement, le trichloréthylène, les isocyanates organiques et les produits phytosanitaires.

La société RTE soutient que M. [C] n'établit pas avoir été exposé à ces produits, et qu'en tout état de cause elle ne peut délivrer une attestation pour l'ensemble de sa carrière s'étant déroulée chez un autre employeur la société EDF.

Or, au vu des fiches d'exposition produites en pièce 5 par M. [C], il est mentionné que ce dernier a été exposé :

- aux braies suies et goudrons, isocyanates organiques, aux gaz d'échappement, l'huile minérale, aux hydrocarbures, et ce entre octobre 1968 et mai 2000,

- les fibres céramiques de décembre 1994 à décembre 1998,

- la laine de verre d'octobre 1968 à décembre 1994,

- au trichloéthylène de janvier 1972 à décembre 1994.

Par ces fiches, qui recoupent les informations générales de la base de données Matex (qui met en correspondance les métiers et les expositions aux produits au sein d'EDF), M. [C] établit avoir été exposé aux 8 agents chimiques dangereux susvisés.

Il n'établit pas son exposition au plomb et aux produits phytosanitaires.

Or, selon l'ancien article R.4412-58 du code du travail précité, la société RTE, venant aux droits de la société EDF, devait remettre à M. [C] une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux.

La société RTE devra donc lui remettre une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux suivants, les braies suies et goudrons, isocyanates organiques, les gaz d'échappement, les huiles minérales, les hydrocarbures, la laine de verre, les fibres céramiques et le trichloéthylène, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

La cour se réserve le cas échéant la liquidation de l'astreinte.

La société RTE, succombant partiellement, devra payer à M. [C] la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande faite au titre des frais irrépétibles par la société EDF, dans la mesure où cette dernière est à l'origine du présent litige.

Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société RTE.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 22 juillet 2016, et statuant à nouveau :

REJETTE les exceptions soulevées par les sociétés ;

MET hors de cause la société EDF et constate que la société RTE vient aux droits de la société EDF dans ses droits et obligations à l'égard de M. [C] ;

DÉBOUTE M. [C] de sa demande en dommages et intérêts à l'égard de la société RTE au titre de son préjudice d'exposition à l'amiante ;

CONDAMNE la société RTE à payer à M. [C] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour non remise entre février 2001 et le 19 septembre 2017 d'une attestation d'exposition à l'amiante, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ENJOINT à la société RTE de remettre à M. [C] une attestation d'exposition à l'amiante et une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux suivants, les braies suies et goudrons, isocyanates organiques, les gaz d'échappement, les huiles minérales, les hydrocarbures, la laine de verre, les fibres céramiques et le trichloéthylène, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par attestation, à compter du délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt, astreinte dont la cour se réserve la liquidation ;

CONDAMNE la société RTE à payer à M. [C] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société RTE aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 16/03890
Date de la décision : 20/02/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°16/03890 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-02-20;16.03890 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award