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20/02/2018 | FRANCE | N°16/03893

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 20 février 2018, 16/03893


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre







ARRÊT N° 00093



CONTRADICTOIRE



DU 20 FÉVRIER 2018



N° RG 16/03893







AFFAIRE :



[T] [H]



C/



SA RESEAU DE TRANSPOPRT D'ELECTRICITE



SA EDF







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Industrier>
N° RG : F 13/02166







Copies exécutoires délivrées le 20 février 2018 à :

- la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

- la SELAFA B.R.L. Avocats



Copies certifiées conformes délivrées le 21 février 2018 à :

- M. [T] [H]

- la SA RESEAU DE TRANSPOPRT D'ELECTRICI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N° 00093

CONTRADICTOIRE

DU 20 FÉVRIER 2018

N° RG 16/03893

AFFAIRE :

[T] [H]

C/

SA RESEAU DE TRANSPOPRT D'ELECTRICITE

SA EDF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Industrie

N° RG : F 13/02166

Copies exécutoires délivrées le 20 février 2018 à :

- la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

- la SELAFA B.R.L. Avocats

Copies certifiées conformes délivrées le 21 février 2018 à :

- M. [T] [H]

- la SA RESEAU DE TRANSPOPRT D'ELECTRICITE

- la SA EDF

- Me Sophie BRASSART

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT FÉVRIER DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 05 décembre 2017 puis prorogé au 09 janvier 2018, au 30 janvier 2018, au 13 février 2018 et au 20 février 2018, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [H]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0503 substituée par Me Farouk BENOUNICHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0503

APPELANT

****************

La SA RÉSEAU DE TRANSPORT D'ELECTRICITE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305

INTIMÉE

****************

La SA EDF

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R087

PARTIE INTERVENANTE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Sylvie BORREL, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Marion GONORD

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société EDF, à l'origine une entreprise publique, regroupait à la fois les activités de productions, de transport et de distribution d'électricité.

Suite à une directive européenne de 1996 à effet au 1er janvier 2000, la loi du 10 février 2000 a créé le Réseau Transport Electrique (RTE), afin que le gestionnaire du réseau de transport d'électricité soit indépendant des autres activités d'EDF et notamment de la production d'électricité.

Dans le cadre de la loi du 9 août 2004, visant cette séparation des activités de production et de transport d'électricité et ouvrant ces domaines à la concurrence, a été créée le 1er septembre 2005 la société RTE, filiale d'EDF suite à un apport partiel d'actifs, et ce pour la gestion du transport d'électricité.

M. [H] a travaillé à compter du 23 octobre 1967 au sein de la société EDF comme agent puis agent technique 1er, 2ième degrés puis principal, et enfin cadre technique de 1991 à 2000 pour finir attaché, faisant l'essentiel de sa carrière au sein du site TEO-GET [Localité 1] ; il a pris sa retraite le 30 juin 2001.

Le 2 janvier 2013 la société RTE lui a délivré une attestation d'exposition aux poussières d'amiante.

Le 18 juin 2013 il a saisi, avec ses deux autres anciens collègues, le conseil de prud'hommes de Nanterre pour demander réparation par la société RTE de son préjudice d'exposition à l'amiante et à d'autres produits toxiques.

Par jugement du 22 juillet 2016, dont il a interjeté appel le 29 juillet, le conseil l'a débouté de sa demande en dommages et intérêts au titre de son préjudice d'exposition à l'amiante, jugeant qu'il ne pouvait rien réclamer à la société RTE, dont il n'était pas salarié, et l'invitant à actionner l'employeur qu'il avait au moment de sa prise de retraite, à savoir la société EDF.

En appel, M. [H] a sollicité l'intervention forcée de la société EDF.

Par écritures soutenues oralement à l'audience du 19 septembre 2017, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu comme suit :

M. [H] demande l'infirmation du jugement et :

* à titre principal, prie la cour de juger que la société RTE, venant partiellement aux droits de la société EDF, l'a exposé de manière fautive à l'inhalation de fibres d'amiante, ce qui constitue la violation de son obligation de sécurité et de son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, lui causant un préjudice d'exposition fautive à un matériau hautement cancérigène, et demande en conséquence la condamnation de la société RTE à lui payer, sur le fondement de son préjudice d'exposition fautive à l'amiante, les sommes suivantes avec le bénéfice de la capitalisation :

- 22 050,91 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'exposition à l'amiante, basant ses calculs sur le nombre de jours travaillés qu'il précise et multiplie par une indemnité journalière de 4 €,

- 2000 € au titre des frais irrépétibles.

Il demande aussi la remise par la société RTE de l'attestation d'exposition à 9 autres différents produits toxiques (tels que notamment hydrocarbures, plomb, trichloréthylène), sous astreinte de 80 € par jour de retard ;

* à titre subsidiaire, fait les mêmes demandes à l'égard d'EDF, priant la cour de retenir la responsabilité d'EDF concernant le préjudice d'exposition fautive et la délivrance des attestations.

La société EDF sollicite sa mise hors de cause et le rejet de toutes les demandes, soulevant in limine litis la prescription des actions des 3 salariés, et l'irrégularité de sa mise en cause, tout en soutenant avoir transmis à la société RTE ses obligations à l'égard des salariés transférés.

Au fond, à titre principal, elle sollicite sa mise hors de cause, au vu du traité d'apport partiel d'actif conclu avec la société RTE.

A titre subsidiaire, elle invoque la jurisprudence sur le préjudice d'anxiété liée au risque d'exposition, car elle n'est pas sur la liste des établissements ACAATA (car ses salariés n'auraient jamais manipulé l'amiante de manière significative ; le préjudice d'anxiété n'est pas distinct du préjudice d'exposition).

A titre très subsidiaire, elle invoque l'absence d'exposition fautive à l'amiante, aux substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR, catégorie d'ACD) et aux ACD (agents chimiques dangereux) et le respect de son obligation de sécurité concernant ces substances, ayant mis en place des mesures d'information et de protection dès 1978.

Elle demande la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société RTE conclut au rejet de toutes les demandes, reprenant les mêmes arguments de fond que la société EDF, et sollicitant la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, précisant ne pas être sur la liste des établissements ACAATA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'irrecevabilité des demandes à l'encontre de la société EDF :

Sur l'irrecevabilité de l'intervention forcée en appel :

La société EDF soutient que sa mise en cause en appel est irrecevable à deux titres, en la forme, pour avoir été mise en cause par conclusions signifiées par RPVA et non par signification, et en raison de l'absence d'évolution du litige.

* Sur la forme :

La société EDF soutient que l'appelant aurait dû la mettre en cause en appel par la voie de l'assignation, s'agissant d'une demande incidente devant être formulée en appel par voie d'assignation, au vu des articles 63, 66 et 68 du code de procédure civile.

L'appelant ne répond pas sur ce point.

Selon l'article 68 du code de procédure civile, les demandes incidentes, telle que l'intervention volontaire ou forcée, sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense.

Elles sont faites à l'encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance. En appel, elles le sont par voie d'assignation.

Cependant, selon l'article 114 du code de procédure civile, "aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public."

Les dispositions de l'article 68 susvisé ne sont pas prescrites à peine de nullité et n'ont pas causé de grief à la société EDF qui a pu connaître les arguments de l'appelant qui lui a communiqué ses conclusions et pièces par la voie électronique le 29 octobre 2016.

Cette exception sera donc rejetée.

* Circonstance née du jugement ou postérieure :

L'article 555 du Code de procédure civile subordonne la recevabilité de l'intervention forcée à la constatation que l'évolution du litige implique la mise en cause du tiers en raison de la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieur à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

La société EDF soutient que c'est par erreur que les appelants ne l'ont pas mise en cause devant le conseil, ce qui rend irrecevable l'intervention forcée en appel.

L'appelant ne répond pas sur ce point.

Or, en l'espèce, la question de droit sur la mise en cause de la société EDF, en tant qu'ancien employeur ayant transféré ses droits et obligations à la société RTE (ce que la société EDF soutient, cf plus bas) suite à un apport partiel d'actifs - placé sous le même régime que le transmission universelle des biens- a donné lieu à des décisions de la Cour de Cassation (Soc 18 juin 2014) et encore récemment, précisément au sujet de la transmission des obligations liées au préjudice d'anxiété (Soc.22 novembre 2017- 20 décembre 2017) ; cette problématique n'est donc pas si évidente, ce qui explique l'absence de mise en cause de la société EDF en première instance et l'invitation du conseil à la mettre en cause.

Il s'agit ici de savoir si le préjudice d'exposition ou le préjudice lié à un éventuel non respect de l'obligation de sécurité de la société EDF, était constitué à la date du transfert des salariés d'EDF à RTE, sachant que ce transfert est intervenu en 2005 à une date où l'appelant était déjà retraité d'EDF depuis 5 ans mais conservait ses droits liés à son contrat de travail ayant pris fin.

Or pour déterminer si ces préjudices étaient constitués, il importe d'avoir connaissance des éléments sur l'exposition aux produits dangereux (amiante et autres) détenus par la société EDF, ayant employé l'appelant pendant 32 ans, ce qui rend donc son intervention forcée nécessaire pour appréhender la solution du litige.

C'est au vu de ces éléments, mettant en évidence la complexité des points de droit et de fait justifiant la connaissance d'aspects techniques en possession de la seule société EDF, que le conseil a invité Monsieur [H] à mettre en cause cette dernière.

Au vu de ces circonstances de fait et de droit qui ont conduit au jugement, et qui sont donc nées du jugement, il y a lieu de rejeter l'exception.

Sur la prescription :

La loi du 17 juin 2008 a réduit de 30 ans à 5 ans la prescription des actions personnelles ou mobilières, modifiant l'article 2224 du code civil actuellement en vigueur disposant que ces actions se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'article L.1471-1 du code du travail, modifié par la loi du 14 juin 2013 (entrée en vigueur le 16 juin 2013) a réduit ce délai à 2 ans pour les actions portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail, telle que l'action en dommages et intérêts de M. [H] au titre de son préjudice d'exposition.

La société EDF soutient que les salariés ont eu connaissance de leur exposition à l'amiante et aux autres produits entre 1977 et 1982, donc 30 ans se sont écoulés depuis, de sorte que leur action serait prescrite depuis 2012, soit avant la saisine du conseil le 18 juin 2013.

L'appelant soutient qu'il faut décompter la prescription à compter de la cessation de son activité le 30 avril 2000, correspondant à la fin de son exposition à l'amiante et aux autres produits dangereux.

Il s'agit d'abord de savoir si l'action de M. [H] était en cours avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 soit avant le 19 juin 2008 ; il pouvait saisir le conseil après cette date, sans que la durée totale de la prescription excède 30 ans (du 19 juin 1983 au 19 juin 2013).

Or il a saisi le conseil le 18 juin 2013.

La prescription quinquennale s'applique lorsque la connaissance des faits se situe entre le 19 juin 1983 et le 16 juin 2013.

En effet, la loi du 14 juin 2013 réduisant la prescription de 5 à 2 ans, s'applique aux prescriptions en cours à la date de sa promulgation le 16 juin 2013.

Il faut donc rechercher la preuve que M. [H] avait connaissance de son éventuelle exposition à l'amiante et aux produits CMR avant le 19 juin 1983, étant rappelé que c'est le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène à prendre dans les établissements exposant les salariés à des poussières d'amiante qui a marqué le début de la prise de conscience au niveau national des dangers liés à l'amiante.

La société EDF et la société RTE invoquent une note du 21 octobre 1980 (pièce 23) du service de production thermique qui demande aux chefs de GRPT d'informer et diffuser (sans préciser à qui) les modalités spéciales à mettre en oeuvre pour des travaux sur du matériel comportant de l'amiante, cependant M. [H] dément avoir eu connaissance de cette note.

La société EDF produit également des carnets de prescriptions au personnel à partir de 1982 relatives notamment aux produits dangereux dont l'amiante, sans établir que M. [H] en aurait eu personnellement connaissance (pas de reçu de remise, ni de preuve d'envoi d'une note circulaire à Monsieur [H]).

De son côté, M. [H] établit que les questions d'exposition à l'amiante et les dangers qu'elle présente n'ont été débattues au sein du CHSCT qu'à partir du 23 septembre 1997 (cf page 16), de sorte qu'il n'en a eu connaissance qu'à partir de cette date.

Dès lors, la prescription n'a couru qu'à compter du 23 septembre 1997, tant concernant l'action relative à l'exposition à l'amiante que celle relative aux autres produits dangereux, de sorte que ses actions n'étaient pas prescrites à la date de saisine du conseil.

La société EDF soutient encore que même si l'action de M. [H] n'est pas prescrite à l'égard de la société RTE, elle serait prescrite à son égard vu sa mise en cause tardive et irrégulière en appel.

Or, la cour a déjà rejeté plus haut ces exceptions de procédure.

Sur la mise hors de cause de la société EDF :

M. [H] dirige à titre principal ses demandes contre la société RTE, et à titre subsidiaire contre EDF.

La société EDF soutient qu'à la suite du traité d'apport en date du 30 juin 2005, elle a cédé à la société RTE des ouvrages du réseau public de transport d'électricité et des biens y afférent, avec le personnel attaché à l'activité, cette cession emportant transfert à la société RTE de la totalité des obligations qui lui incombaient au titre des activités de transport d'électricité, y compris celles relatives aux contrats de travail, notamment celui de M. [H].

Or, il résulte des articles L.236-3, L.236-20 et L.236-22 du code de commerce et de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass- Soc 18 juin 2014) que, sauf dérogation expresse prévue dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actifs emporte , lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité faisant l'objet de l'apport, ce qui est le cas en l'espèce.

La société RTE ne conteste pas le fait qu'elle vient aux droits de la société EDF en ce qui concerne l'activité de transport d'électricité, dans laquelle travaillait M. [H] et auquel la société RTE a remis un certificat de travail pour sa période de travail au sein d'EDF.

Il convient donc de mettre la société EDF hors de cause et d'infirmer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société RTE.

Sur la responsabilité de la société RTE dans le préjudice d'exposition fautive à l'amiante résultant de la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail :

Les données techniques :

L'amiante, qui recouvre une variété de silicates hydratés se formant naturellement au cours du métamorphisme des roches, est connue depuis l'antiquité et a été utilisée depuis le 19ème siècle de manière importante dans l'industrie et le bâtiment en raison de ses propriétés thermiques de résistance au feu et d'isolant et de son faible prix. En France, le fibrociment, mélange d'amiante et de ciment, est le matériau le plus utilisé dans le second oeuvre depuis la fin des années 1960.

L'amiante a été utilisée en grande quantité dans les installations des centrales thermiques et nucléaire construites par EDF (à partir des années 1970), même si EDF n'en produisait pas ni n'en transformait.

Elle était également utilisée, ce qui concerne le présent litige, dans la protection des câbles électriques, les canalisations d'eau et de gaz, plaques d'égout en fibrociment, les revêtements d'isolation (Eternit), d'où l'exposition possible des anciens ouvriers d'EDF comme les trois anciens salariés ayant saisi la cour à la même audience, dont M. [H], lequel travaillait sur les lignes de haute, très haute et basse tension.

Ce dernier, comme ses anciens collègues, soutient avoir été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante et autres produits CMR au cours de sa longue carrière professionnelle au sein d'EDF, sans jamais bénéficier de protections individuelles ou collectives, ce qui induirait son éventuelle contamination et la diminution de son espérance de vie.

Les données médicales :

Selon l'ouvrage intitulé "Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante" de l'INSERM paru en novembre 1997, établi à la demande de la direction des relations du travail et de la direction générale de la santé, le temps de latence entre l'exposition à l'amiante et la manifestation de pathologies liées est de 30 à 40 ans.

Ces pathologies, en particulier le mésothéliome (cancer du poumon) et l'asbestose (fibrose pulmonaire pouvant conduire à une insuffisance cardiaque), ont une incidence, essentiellement due aux expositions professionnelles à l'amiante, qui augmente chaque année dans les pays industrialisés comme la France.

Au sein d'EDF-GDF, 65 cancers des poumons ont été reconnus comme maladie professionnelle liée à l'amiante entre 1977 et 2000, selon un article de l'institut de veille sanitaire en date d'août 2006.

Les données juridiques :

L'article L 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité du travail, des actions d'information et de formation, et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Cette obligation de sécurité et de prévention de l'employeur est méconnue lorsque l'employeur, averti de la situation de danger, s'est abstenu de prendre les mesures adaptées pour y mettre fin.

La réglementation en matière de protection des salariés exposés à des dangers liés à des matériaux s'est agrégée au fur et à mesure des années à compter de la fin du XIXème siècle, partant de textes généraux sur l'hygiène et la sécurité pour arriver à des textes spéciaux :

- La loi du 12 juin 1893 l'hygiène et la sécurité des travailleurs, puis le décret du 20 novembre 1904, prescrivaient de maintenir en état constant de propreté les locaux de travail par de fréquents nettoyage, d'évacuer les poussières, vapeurs et gaz par tout moyen d'élimination et de ventilation ; ces dispositions seront précisées par le décret du 10 juillet 1913,

* puis modifiées par le décret du 13 décembre 1948, lequel prescrivait en cas d'impossibilité de mettre en place des équipements de protection collectifs, le port des masques et de dispositifs individuels de protection,

* puis par le décret du 6 mars 1961, lequel dispose en son article 6a : "Les travaux dans les puits, conduites de gaz, canaux de fumée...fosses, galeries ou en tous lieux autres que les locaux destinés au travail, où l'aération est insuffisante, ne doivent être entrepris qu'après assainissement de l'atmosphère par une ventilation efficace...pendant l'exécution de ces travaux l'assainissement de l'atmosphère doit être maintenu soit par ventilation naturelle, soit par l'introduction d'air neuf à raison de 300 m3 d'air par heure et par personne occupée..."

* et finalement par le décret du 15 novembre 1973 précisant que "les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques seront évacués directement en dehors des locaux de travail au fur et à mesure de leur production... pour les poussières déterminées par les meules... et tout autre appareil mécanique, il sera installé des tambours en communication avec une ventilation aspirante énergique..."

L'ensemble de ces dispositions ont été intégrées dans la partie réglementaire du code du travail.

C'est ainsi qu'antérieurement à 1977 la réglementation imposait déjà aux employeurs de protéger ses salariés contre les poussières, notamment les poussières d'amiante, connues depuis l'ordonnance du 2 août 1945 et le décret du 15 septembre 1955 (la première ayant créé le tableau 25 des maladies professionnelles telle que la fibrose pulmonaire liée à l'inhalation de poussières de silice ou d'amiante, le second ayant précisé la liste des travaux susceptibles de causer les maladies asbesotiques visées au tableau 30 des affections respiratoires liées à l'amiante) pour causer des maladies professionnelles, comme l'a également constaté de manière constante la Cour de Cassation dans ses décisions depuis 1992 (Arrêt Besse/SNCF soc. 3 décembre 1992, crim. 28 février 2002, EDF civ. 3 juillet 2008, civ.19 novembre 2009, crim. 24 juin 2014).

Il ressort de l'expertise collective INSERM déposée en juin 1996 que la publication de rapports scientifiques relatifs aux risques de maladies des travailleurs exposés à l'amiante et aux poussières d'amiante, est relatée à partir de 1930 en France, avec une confirmation détaillée par l'étude de Doll en 1955 pour une population de travailleurs de l'amiante textile en Grande-Bretagne, puis par l'étude de [J] en 1960 aux Etats-Unis ; en 1964 lors du congrès international sur l'asbestose organisé à [Localité 2] étaient présents les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et les professeurs de médecin concernés par les pathologies liées à l'amiante.

Ce sont ces travaux scientifiques qui ont conduit les administrations du travail et de la santé à prendre en France les dispositions réglementaires successives avant et après 1977.

On peut en déduire que les employeurs étaient informés avant 1977 des risques, liés à l'amiante et à l'inhalation de poussières d'amiante, pour la santé de leurs salariés.

La société EDF étant utilisatrice d'amiante, en particulier dans ses centrales thermiques mais aussi dans les canalisations d'eau et de gaz et la protection des câbles électriques (milieu de travail de Monsieur [H]), et la société RTE venant aux droits de cette dernière, ne pouvaient donc ignorer ces risques et devaient mettre en place des mesures de protection.

A partir de 1977, la réglementation a été spécifiquement déclinée pour les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.

- L'article 1 du décret 77-949 du 17 août 1977 précise qu'il est applicable aux établissements soumis aux dispositions de l'article L. 231-1 du code du travail, pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tous produits ou objets susceptibles d'être à l'origine d'émission de fibres d'amiante ; il dispose en son article 9 que "l'employeur est tenu de remettre des consignes écrites à toute personne affectée aux travaux définis à l'article 1 de manière à l'informer des risques auxquels son travail peut l'exposer, des précautions à prendre pour éviter ces risques; cette information écrite devra être complétée par une information orale dispensée par le médecin du travail."

Pour connaître l'état de l'atmosphère des lieux de travail, le décret prévoyait un contrôle de cette atmosphère au moins une fois par mois ; il précisait en son article 4 qu'en cas de travaux occasionnel et de courte durée, et s'il est techniquement impossible de respecter les dispositions de l'article 3 - de procéder par voie humide, ou dans des appareils capotés et mis en dépression ou par tout autre moyen efficace autorisé par le médecin du travail, et ce au delà d'une certaine concentration de fibres d'amiante dans l'air, soit 2 fibres par cm3- des équipements de protection individuelle (équipements respiratoires individuels et vêtements de protection) attribués individuellement, doivent être mis à disposition du personnel exposé à l'inhalation de poussières d'amiante (article 8).

En mai 1977 le docteur [Y], médecin-chef du service de médecine du travail de la société EDF-GDF, dans une note intitulée "problèmes posés par l'utilisation de l'amiante notamment avec la société Electricité et Gaz de France" indique que l'amiante est présente en grande quantité dans l'ensemble des installations, et qu'il est établi un lien entre l'exposition aux poussières d'amiante et des affections graves; il recommande donc de déterminer les valeurs d'empoussiérage de nature à réduire les risques, d'utiliser des produits de remplacement de l'amiante, et de mettre en place une prévention collective et individuelle pour les travaux de réfection et de démolition des installations comprenant des matériaux à base d'amiante.

La société EDF soutient que les niveaux de concentration en fibres d'amiante dans l'air mentionnés dans le décret de 1977 de 2 fibres/cm3 n'ont jamais été atteints sur le site de [Localité 3], alors que M. [H] ne travaillait pas sur ce site mais en [Localité 1]; elle fait également valoir que les poussières inhalées par ce dernier ne correspondraient pas à des poussières d'amiante, alors qu'elle n'établit pas avoir effectué, avant ou après 1977, de contrôle de la nature de ces poussières sur les postes où intervenait M. [H], notamment à [Localité 4], [Localité 5], [Localité 6], [Localité 7], [Localité 8], [Localité 9], [Localité 10], [Localité 11], [Localité 12]...

Or, dès août 1977, la société EDF aurait donc dû mesurer l'atmosphère des lieux où M. [H] travaillait pour surveiller la concentration de fibres d'amiante dans l'air et mettre à sa disposition des équipements de protection individuelle, tout en l'informant des risques auxquels il était exposé.

Le décret n° 96-98 du 7 février 1996, relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante, édicte des obligations à la charge de l'employeur à l'égard des salariés susceptibles d'être en contact avec des poussières d'amiante:

Art. 2. - Le chef d'établissement concerné doit procéder à une évaluation des risques afin de déterminer, notamment, la nature, la durée et le niveau de l'exposition des travailleurs à l'inhalation de poussières provenant de l'amiante ou de matériaux contenant de l'amiante.

Cette évaluation doit porter sur la nature des fibres en présence et sur les niveaux d'exposition collective et individuelle, et comporter une indication des méthodes envisagées pour les réduire.

Les éléments et résultats de cette évaluation sont transmis au médecin du travail, aux membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, aux délégués du personnel ainsi qu'à l'inspecteur du travail et aux agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale.

Art. 3. - Le chef d'établissement est tenu d'établir pour chaque poste ou situation de travail exposant les travailleurs à l'inhalation de poussières d'amiante une notice destinée à les informer des risques auxquels ce travail peut les exposer et des dispositions prises pour les éviter.

Cette notice est transmise pour avis au médecin du travail. L'employeur informe ensuite le salarié, dans les meilleurs délais, des risques ainsi évalués.

Art. 4. - En application des articles L. 231-3-1 et L. 231-3-2 du code du travail, le chef d'établissement organise à l'intention des travailleurs susceptibles d'être exposés, en liaison avec le médecin du travail et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, les délégués du personnel, d'une part, une formation à la prévention et à la sécurité, et notamment à l'emploi des équipements et des vêtements de protection adaptés, d'autre part, une information concernant les risques potentiels sur la santé, y compris les facteurs aggravants dus notamment à la consommation du tabac, ainsi que les précautions à prendre en matière d'hygiène.

Art. 5. - Lorsque la nature des activités ne permet pas une mise en oeuvre efficace des moyens de protection collective ou que, malgré cette mise en oeuvre, la valeur limite d'exposition précisée dans chacune des sections du chapitre III ci-après du présent décret risque d'être dépassée, le chef d'établissement est tenu de mettre à la disposition des travailleurs les équipements de protection individuelle appropriés et de veiller à ce qu'ils soient effectivement utilisés.

Il doit tenir compte de la pénibilité de chaque tâche pour déterminer, après avis du médecin du travail, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, la durée maximale du temps de travail avec port ininterrompu d'un équipement de protection individuelle.

L'entretien et la vérification de ces équipements sont à la charge du chef d'établissement.

Le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 a interdit la fabrication, la transformation, la vente, l'importation de toutes les variétés de fibre d'amiante, mais à titre exceptionnel et temporaire cette interdiction ne s'appliquent pas aux matériaux ou produits qui contiennent de la fibre de chrysotile, lorsqu'il n'existe aucun substitut pour assurer une fonction équivalente; dans ce dernier cas, il convient de respecter les règles posées par le décret du 7 février 1996 susvisé.

L'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sur le financement de la sécurité sociale a créé un dispositif d'allocation de cessation anticipée d'activité dite "ACAATA", permettant aux salariés ayant travaillé dans un établissement listé par arrêté ministériel de partir en préretraite amiante, sans pour autant être atteint d'une maladie professionnelle consécutive à une exposition à l'amiante.

Ce classement sur cette liste dite ACAATA est réservé aux établissements :

- ayant utilisé l'amiante de façon reconnue, habituelle et conséquente, comme les sociétés fabriquant des matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante,

- dans lesquels l'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante, présentait un caractère significatif.

Cela exclut donc les établissements dans lesquels les salariés manipulait de l'amiante de manière occasionnelle et ponctuelle, selon des décisions du Conseil d'Etat (CE- 2 octobre 2009).

En revanche, le seul fait qu'un établissement soit inscrit sur cette liste ouvre droit pour tous ses salariés, y compris ceux qui n'ont pas été effectivement exposés à l'amiante, au bénéfice de cette allocation ACAATA.

Depuis un arrêt fondateur de la chambre sociale de la Cour de Cassation en date du 11 mai 2000, les salariés de ces établissement inscrits sur cette liste peuvent bénéficier, à certaines conditions, de la réparation de leur préjudice d'anxiété pour avoir été exposé à l'amiante, lequel est fondé sur l'obligation de sécurité.

En effet, il existe un risque de déclarer une pathologie liée à l'amiante plus de 30 ou 40 ans après l'exposition, d'où cette inquiétude permanente reconnue et donnant lieu à des dommages et intérêts.

La Cour de Cassation distingue deux situations de salariés :

- ceux éligibles au dispositif de l'ACAATA qui bénéficient d'une présomption d'exposition à l'amiante du fait du classement de leur société sur la liste, et peuvent être indemnisés au titre de ce préjudice d'anxiété (Cass. soc 4 décembre 2012) ; la haute juridiction a précisé que le préjudice d'anxiété ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, mais est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés (Cass. soc 2 juillet 2014), et que le préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est inclus dans le préjudice d'anxiété et ne peut faire l'objet d'une indemnisation distincte (Cass soc 27 janvier 2016) ;

- ceux qui n'y sont pas éligibles, du fait de l'absence de classement de leur société sur la liste des établissements donnant droit à l'ACAATA (Cass. soc 25 mars 2015, 17 février 2016).

S'agissant des salariés ayant développé une pathologie liée à l'amiante, leur indemnisation relève exclusivement du tribunal des affaires de sécurité sociale au titre des maladies professionnelles.

Toutefois, si le salarié a travaillé sur un site non inscrit sur la liste dite ACAATA, il peut bénéficier d'une indemnisation s'il rapporte la preuve d'une exposition certaine et significative, et de la réalité de son préjudice.

En l'espèce, ni la société EDF, ni la société RTE ne sont classées sur la liste dite ACAATA des établissements.

*

M. [H], qui a travaillé pendant 20 ans à l'entretien des postes de basse et haute tension, invoque la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Il ne se fonde pas sur le préjudice d'anxiété jurisprudentiellement reconnu, qui dépend d'une exposition théorique qui est reconnue du fait de l'inscription de l'employeur sur la liste de l'ACCATA, mais sur son exposition effective à l'amiante (qu'il nomme préjudice d'exposition fautive, de nature différente du préjudice d'anxiété) et son droit à réparation sur le fondement des principes généraux de la responsabilité civile.

Il soutient avoir été effectivement exposé à l'amiante (témoignages, base de donnée Matex listant les expositions par fiche de poste des salariés d'EDF GDF de 1978 à 1998, établie par des médecins du travail...)

La société RTE soutient que le préjudice d'exposition à l'amiante et le préjudice d'anxiété lié à cette exposition sont un seul et même préjudice issu du même fait générateur, et que M. [H] n'est pas éligible à la réparation de son préjudice d'anxiété du fait de l'absence d'inscription de la société sur la liste dite ACAATA.

M. [H] ne rapporterait en outre pas la preuve d'avoir été exposé de manière significative à l'inhalation de poussières d'amiante, ni la preuve d'un préjudice, ni enfin celle du lien entre la faute et le préjudice.

***

En application de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en faisant des actions de prévention des risques professionnels, des actions de formation et d'information et en mettant en place une organisation et des moyens adaptés.

En application de l'article L. 1222-1 du code du travail, l'employeur doit exécuter le contrat de travail de bonne foi.

Il s'agit de rechercher dans un premier temps si M. [H] prouve avoir été exposé à l'amiante de manière significative en raison des manquements de la société EDF à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail et à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.

Dans un second temps, il conviendra de caractériser son préjudice en lien avec le non respect de ces obligations.

M. [H] soutient qu'en violation des obligations de sécurité et de prévention, la société EDF n'a pas mis en oeuvre son obligation d'information individuelle et écrite sur les risques liés aux travaux effectués en présence d'amiante, en contravention à l'article 9 du décret du 17 août 1977, et qu'elle n'a pas mis à sa disposition des moyens de protection, tels que des équipements de protection individuels.

Or, M. [H] a travaillé au CRTT Massif Central sous-groupe Bourges de juillet 1968 à juillet 1973, puis agent technique au GET Poitou-Charente jusqu'à son départ à la retraite le 30 avril 2000, poste qui l'amenait à travailler dans une équipe pour l'entretien et la rénovation des postes électriques vétustes de basse, haute et très haute tension sur les 4 départements du Poitou, effectuant quotidiennement le remplacement de transformateurs à l'aide de bâches amiantées, la découpe et le perçage de plaques et joints amiantés, le tirage de câbles dans les locaux amiantés.

Le fait qu'il ait été effectivement exposé à l'amiante et à des poussières d'amiante est d'ailleurs corroboré à la fois par l'existence de fiches de suivi post-professionnel, par le témoignage de ses collègues et par les compte-rendus de réunion du CHSCT.

En effet, il ressort de la fiche dite de suivi médical post-professionnel de M. [H], établie par le centre national de santé, sur la base des fiches de poste des médecins du travail d'EDF, que ce dernier a été exposé :

- parfois aux poussières d'amiante entre octobre 1967 et septembre 1991, soit 24 ans, entre 1 jour par semaine et 1 jour par mois, avec un taux important de 1 à 9 fibres d'amiante par cm3.

Selon l'attestation de M. [C], qui était dans son équipe entre 1976 et 2001, tous deux intervenaient pour installer et réparer/rénover les équipements de basse et haute tension, découpaient des plaques de caniveaux en fibrociment* afin de faire passer des câbles, alors qu'ils travaillaient sans protection individuelle avant 1999.

Ces éléments relatifs aux types de travaux sont confirmés par les attestations de M. [V] et [B], qui travaillaient avec M. [H] de 1982 à 1998.

Selon l'attestation de M. [F], qui était également dans son équipe de 1971 à 1987, ils tiraient des câbles dans des locaux et caniveaux en présence de dalles d'amiante, faisaient des découpes et des façonnages de pièces en confinement, ce qui contribuait à soulever des résidus pollués des dalles ; ils travaillaient à côté de conduites de gaz ou d'air isolées avec de l'amiante et de bâches amiantées près des chaudières ; pour se protéger des travaux de soudage ou dessoudage ils utilisaient une plaque d'amiante ; les résistances de nombreux convecteurs de chauffage dans les salles de travail étaient assemblées avec des fibres d'amiante ; les cheminements d'accès lors des visites techniques chez les clients industriels voisinaient des canalisations isolées avec de l'amiante.

* Fibrociment : mélange de ciment et d'amiante, souvent utilisé pour fabriquer des éléments de canalisation et de toiture en raison de ses qualités isothermes.

Même si le fibrociment est un matériau rigide et peu volatile, il peut devenir dangereux lorsqu'il est percé, gratté ou brisé. Dans ce cas, des fibres peuvent se détacher et venir s'installer dans les alvéoles des poumons, générant un risque avéré de cancer.

Le fibrociment contenant de l'amiante est donc interdit depuis janvier 1997 et les fabricants en proposent aujourd'hui une version sans amiante.

Au vu des procès-verbaux de réunions du CHSCT du GET [Localité 1], où M. [H] travaillait, la société EDF a commencé seulement à partir de 1999 à mettre en oeuvre des mesures de protection pour les salariés travaillant en milieu amianté :

- réunion du 23 septembre 1997 : l'ingénieur sécurité de la société EDF mentionne la nécessité de nettoyer et aspirer une gaine technique avant de déposer les plaques en amiante support du câble (cf attestations plus haut), de mouiller les plaques avant de les couper pour éviter le dégagement de poussières d'amiante (cf attestations).

- réunion du 29 septembre 1998 : l'accord national sur l'amiante, qui fixe les actions à engager sur les installations, la réparation et l'évaluation du risque amiante, est mise en application, avec la pose de plaquettes de signalisation dans les locaux renfermant des dalles de fibrociment amiantées ; les représentants du personnel demandent à la direction de mettre en oeuvre une politique locale de prévention avant le 31 décembre 1998, comme le prévoit l'accord ; l'ingénieur sécurité affirme que pour l'amiante des mesures de prévention ont été réalisées (sans précision).

- réunion du 22 juin 1999 : il est recherché un matériel pour aspirer les chemins de câbles contenant des poussières d'amiante avant les interventions nécessitant le soulèvement des dalles en fibrociment, pour que cette aspiration se fasse en prévention de manière systématique.

- réunion du 6 décembre 1999 : les représentants du personnel rappellent que les plaques en fibrociment Natura 2000 ne peuvent être sciées et meulées à l'intérieur des locaux sans un équipement de protection individuel (EPI). Mention de la nécessité d'aspirer les caniveaux avant le déplacement des câbles.

- réunion du 20 mars 2003 : l'ingénieur sécurité explique qu'un agent ayant percé ou scié des couvercles de caniveaux amiantés est considéré comme ayant vécu une exposition active à l'amiante; il est rappelé l'avis d'un médecin qui attestait qu'une exposition ponctuelle avec beaucoup de poussière inhalée (comme lors de découpage de plaques de fibrociment dans un local clos) peut engendrer les mêmes conséquences qu'une exposition régulière, car une fois dans les poumons les particules ne sont plus éliminées.

Cette information sur la dangerosité de la coupe d'un plaque de fibrociment à sec avec un disque tournant à vitesse élevée, engendrant un fort empoussièrement de fibres d'amiante, est spécialement indiquée en page 19 du rapport du professeur [W] sur la gestion du problème de santé publique posé par l'amiante, établi en avril 1998 à la demande du ministre de l'emploi et de la solidarité et du secrétaire d'Etat à la santé.

Les compte-rendus de CHSCT montrent donc que la société EDF n'avait pas mis en oeuvre des mesures de protection pour ses salariés exposés aux poussières d'amiante avant 1998, puisqu'elle ne l'a envisagé qu'à partir de l'année 1998, discutant au cours des CHSCT des techniques d'aspiration des poussières avant les changements de câbles électriques et de la mise en oeuvre de protections individuelles ; elle n'établit pas en tout état de cause que ces mesures ont été effectivement prises en ce qui concerne M. [H], y compris après 1998.

En parallèle, et sur cette période de 1998 à 2003, un accord collectif est intervenu le 15 juillet 1998 entre EDF, GDF et l'ensemble des organisations syndicales au sujet de la maîtrise du risque amiante et des mesures complémentaires d'indemnisation des maladies professionnelles.

Un avenant du 7 juin 2002 est intervenu pour qu'une politique volontariste et concrète soit mise en oeuvre en matière de santé au travail et de prévention des risques.

Par une note (pièce 29 de l'appelant) en date du 19 décembre 2001 intitulée "maîtrise du risque chimique à EDF et GDF" adressée aux directeurs d'établissement, aux correspondants prévention et chefs de service médicaux, le directeur de la délégation à la prévention et à la gestion des risques a rappelé les règles générales de prévention du risque chimique et du risque cancérogène.

Au vu de ces éléments, il est établi que la société EDF connaissait les risques d'exposition à l'amiante vu la nocivité notoire de cette matière, comme développé plus haut, et vu l'ensemble des mesures réglementaires susvisées qu'elle était sensée appliquer, mais qu'elle a laissé M. [H] dans l'ignorance de ces risques et des précautions à prendre, alors que ce dernier était effectivement exposé de manière régulière et significative aux risques liés aux poussières d'amiante, avec un taux de fibres d'amiante élevé (1 à 9 fibre/cm3) et ce pendant environ 28 ans entre juin 1968 et 1996, sans avoir été informé de ces risques et sans avoir, même après la loi du 17 août 1977 et l'accord du 15 juillet 1998, bénéficié de protections collectives ou individuelles adaptées.

Se faisant, elle n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail, ni respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.

M. [H] soutient que le préjudice d'exposition à l'amiante est différent du préjudice d'anxiété, car:

- le premier naît plusieurs années avant le second,

- le premier est objectif, le second subjectif (s'agissant d'un préjudice psychologique),

- le premier s'apprécie en durée d'exposition pendant l'exécution du contrat de travail, alors que le second ne tient pas compte de cette durée et existe à compter de l'inscription sur la liste ACAATA de l'établissement où il travaillait,

- le premier est subordonné à la preuve de l'exposition, au préjudice qui en découle, et au lien de causalité entre la faute de l'employeur et le préjudice, alors que le second a un caractère d'automaticité lié à l'inscription susvisée.

Selon M. [H], la seule exposition à une substance nocive, sans information et protection mise en oeuvre en ce qui le concerne, engendrerait nécessairement un préjudice du fait à la fois du non respect à la fois de l'obligation de sécurité et de santé (absence de mesures de prévention des risques professionnels) et de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, ce qui rendrait l'employeur responsable, sans qu'il y ait d'atteinte physique.

Il fait état de la jurisprudence antérieure à 2016 : Cass. soc 20 juin 2005 au sujet d'une exposition au tabac, 30 novembre 2010 concernant une exposition aux fumées de chrome, 20 février 2013 et 5 mars 2014 : un salarié avait été exposé à l'inhalation de vapeurs toxiques sans surveillance médicale ni protection, ce dont il résultait un manquement à l'obligation de sécurité causant nécessairement un préjudice au travailleur.

La société RTE soutient que M. [H], âgé de 69 ans, n'établit pas l'existence d'un préjudice, n'ayant pas déclaré à ce jour de maladie liée à l'amiante et ne produisant aucun élément médical sur une éventuelle anxiété, et qu'en outre la somme réclamée est excessive, au regard des sommes allouées aux salariés effectivement atteints d'une telle maladie ou du préjudice d'anxiété alloué aux salariés exposés.

Or, M. [H] a été durablement exposé aux poussières d'amiante et a travaillé dans des conditions pénibles et dangereuses pour sa santé, en inhalant des poussières, sans bénéficier de protection individuelle.

En outre, il a appris postérieurement à sa première exposition, soit pas avant 1997, que ces mauvaises conditions de travail l'exposant à des poussières d'amiante, pouvaient entraîner une dégradation grave de sa santé.

La société lui a d'ailleurs délivré en 2013 une attestation d'exposition à l'amiante.

Toutefois, en application des principes généraux de la responsabilité civile, qui commandent l'indemnisation d'un préjudice en cas de faute dans l'exécution d'un contrat, M. [H] est tenu de rapporter la preuve de son préjudice d'exposition à l'époque où il l'a subi, ce qu'il ne fait pas.

En effet, il ne produit aucun élément médical (attestant de problèmes de santé en lien avec l'exposition) ni d'attestations, ni aucun autre document susceptible d'établir son préjudice d'exposition et le lien de causalité entre son exposition à l'amiante (qui est certes réelle) et son préjudice de santé.

Il sera donc débouté de sa demande en dommages et intérêts.

Sur la demande de remise d'attestation d'exposition aux agents CMR :

L'objet de la délivrance d'une attestation d'exposition est la prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale de la surveillance médicale post-professionnelle des salariés ; la production d'une telle attestation permet de faire procéder à des examens médicaux très réguliers pour permettre de dépister précocement une éventuelle pathologie, et ne pas faire supporter aux salariés le coût des examens.

A titre préalable, il convient de distinguer les agents ACD des agents CMR :

Les agents ACD, agents chimiques dangereux, sont définis par l'article R.4412-3 du code du travail:

- Les agents chimiques mentionnés à l'article R.4411-6 du code du travail, lesquels étaient définis et listés au nombre de 15 dans l'ancien article R.4411-6 du code du travail, abrogé par le décret du 19 avril 2012, et qui correspondent depuis le décret 2015-612 du 3 juin 2015 à la définition suivante : "les substances et mélanges qui répondent aux critères de classification relatifs aux dangers physiques, aux dangers pour la santé ou aux dangers pour l'environnement, définis à l'annexe I du règlement CE n°1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008.

- Tout agent chimique qui, bien que ne satisfaisant pas aux critères de classement, en l'état ou au sein d'un mélange, peut présenter un risque pour la santé et la sécurité des travailleurs en raison de ses propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques et des modalités de sa présence sur le lieu de travail ou de son utilisation, y compris tout agent chimique pour lequel des décrets prévoient une valeur limite d'exposition professionnelle.

Les agents CMR, substances cancérogènes mutagènes et reprotoxiques, sont une catégorie d'ACD, définis par l'article R.4412-60 du code du travail, comme tout agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction les substances ou mélanges suivants :

1°) Toute substance ou mélange qui répond aux critères de classification dans la catégorie 1A ou 1B des substances ou mélanges cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction définis à l'annexe I du règlement (CE) n° 1272/2008 ;

2°) Toute substance, tout mélange ou tout procédé défini comme tel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l'agriculture.

L'article R.4412-58 du code du travail, en vigueur à l'époque de la cessation de son travail par Monsieur [H] en 2001 et abrogé par le décret du 30 janvier 2012, prévoyait la remise par l'employeur à tout salarié quittant l'entreprise d'une attestation d'exposition aux agents CMR réalisée par le médecin du travail et l'employeur.

M. [H] demande cette attestation pour pouvoir bénéficier d'un suivi post-professionnel, précisant avoir été exposé à 10 autres produits dangereux qu'il liste : l'étain, le plomb, les hydrocarbures aliphatiques et alicycliques, les oxydes d'azote, les oxydes de souffre, les poussières minérales, les rayonnements non ionisants, le tétrachloroéthylène, le trichloréthylène et le trichloroéthane.

La société RTE soutient que M. [H] n'établit pas avoir été exposé à ces produits, et qu'en tout état de cause elle ne peut délivrer une attestation pour l'ensemble de sa carrière s'étant déroulée chez un autre employeur la société EDF.

Or, au vu des fiches d'exposition produites en pièce 5 par M. [H], il est mentionné que ce dernier a été exposé :

- à l'étain et au plomb, aux oxydes d'azote , aux oxydes de souffre, aux poussières minérales, aux hydrocarbures aliphatiques et alicycliques d'octobre 1967 à septembre 1991,

- aux rayonnements non ionisants d'octobre 1967 à septembre 1991, (risque très élevé, exposition tous les jours),

- au tétrachloroéthylène de février 1970 à décembre 1990,

- au trichloéthylène et trichloroéthane d'octobre 1987 à décembre 1990.

Par ces fiches, qui recoupent les informations générales de la base de données Matex (qui met en correspondance les métiers et les expositions aux produits au sein d'EDF), M. [H] établit avoir été exposé aux 10 agents chimiques dangereux susvisés.

Or, selon l'ancien article R.4412-58 du code du travail précité, la société RTE, venant aux droits de la société EDF, devait remettre à M. [H] une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux.

La société RTE devra donc lui remettre une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux suivants : l'étain, le plomb, les hydrocarbures aliphatiques et alicycliques, les oxydes d'azote, les oxydes de souffre, les poussières minérales, les rayonnements non ionisants, le tétrachloroéthylène, le trichloréthylène et le trichloroéthane, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

La cour se réserve le cas échéant la liquidation de l'astreinte.

La société RTE, succombant partiellement, devra payer à M. [H] la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande faite au titre des frais irrépétibles par la société EDF, dans la mesure où cette dernière est à l'origine du présent litige.

Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société RTE.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 22 juillet 2016, et statuant à nouveau ;

REJETTE les exceptions soulevées par les sociétés ;

MET hors de cause la société EDF et constate que la société RTE vient aux droits de la société EDF dans ses droits et obligations à l'égard de M. [H] ;

DÉBOUTE M. [H] de sa demande en dommages et intérêts à l'égard de la société RTE au titre de son préjudice d'exposition à l'amiante ;

ENJOINT à la société RTE de remettre à M. [H] une attestation d'exposition d'exposition aux agents chimiques dangereux suivants, l'étain, le plomb, les hydrocarbures aliphatiques et alicycliques, les oxydes d'azote, les oxydes de souffre, les poussières minérales, les rayonnements non ionisants, le tétrachloroéthylène, le trichloréthylène et le trichloroéthane, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par attestation, à compter du délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt, astreinte dont la cour se réserve la liquidation ;

CONDAMNE la société RTE à payer à M. [H] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société RTE aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 16/03893
Date de la décision : 20/02/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°16/03893 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-02-20;16.03893 ?
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