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29/05/2018 | FRANCE | N°17/02962

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 29 mai 2018, 17/02962


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES





VM


Code nac : 57B





12e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 29 MAI 2018





N° RG 17/02962





AFFAIRE :





Jacky X... exerçant sous l'enseigne CJR


...





C/


Y... Z...


...











Décision déférée à la cour: Jugement rendu(e) le 30 Mars 2017 par le Tribunal de Commerce

de NANTERRE


N° Chambre : 3


N° Section :


N° RG : 2014F01137





Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies


délivrées le :


à :





Me Pierre A...,


Me Bertrand B...








RÉPUBLIQUE FRANÇAISE





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE VINGT NEUF MAI DEUX MILLE DIX HUIT,


La cour d'appel ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

VM

Code nac : 57B

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 MAI 2018

N° RG 17/02962

AFFAIRE :

Jacky X... exerçant sous l'enseigne CJR

...

C/

Y... Z...

...

Décision déférée à la cour: Jugement rendu(e) le 30 Mars 2017 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 3

N° Section :

N° RG : 2014F01137

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pierre A...,

Me Bertrand B...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF MAI DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:

Monsieur Jacky X... exerçant sous l'enseigne CJR

de nationalité

[...]

[...]

Représentant : Me Pierre A..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 17000127

Représentant : Me Philippe P... VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J010 - par Me C...

SA MMA IARD venant aux droits de la société COVEA RISKS

[...]

Représentant : Me Pierre A..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 17000127

Représentant : Me Philippe P... VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J010 - par Me C...

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES venant aux droits de la société COVEA RISKS

[...]

Représentant : Me Pierre A..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 - N° du dossier 17000127

Représentant : Me Philippe P... VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J010 - par Me C...

APPELANTS

****************

Monsieur Y... Z...

[...]

Représentant : Me Bertrand B... Q... O...-N... D... AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20170503 - Représentant : Me Julien COMBIER de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de LYON substitué par Me E...

Monsieur Jean-Patrick F...

[...]

Représentant : Me Bertrand B... Q... O...-N... D... AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20170503 - Représentant : Me Julien COMBIER de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de LYON substitué par Me E...

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Mars 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François LEPLAT, Conseiller faisant fonction de Président,

Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSÉ DU LITIGE

Le dispositif de défiscalisation dit Girardin Industriel, créé par la loi du 21 juillet 2003, accorde aux investisseurs dans des projets industriels outre-mer, dès lors qu'ils sont résidents fiscaux en France, une réduction d'imposition sur le revenu qui est supérieure au montant de leur investissement. Cette opération nécessite pour le contribuable de souscrire au capital de différentes sociétés installées dans les G....

Dans le cas d'espèce, ces sociétés, ayant le statut de sociétés en participation, investissent dans des centrales photovoltaïques, l'énergie produite étant revendue à l'exploitant du réseau électrique local, après raccordement.

C'est dans ce cadre qu'en 2008 Messieurs Y... Z..., Jean Marc F... et Jean Patrick F... ont contacté M. Jacky X..., conseiller en gestion de patrimoine, assuré en responsabilité civile auprès de la société Covéa Risks, devenue MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles. M. X... leur a conseillé d'investir dans des programmes de défiscalisation entrant dans le champ d'application du Girardin industriel, mis en place par la société G... R... , ci-après la société DTD ; cette dernière avait en charge la gestion des sociétés en participation installées outre-mer au capital desquelles les demandeurs ont souscrit. Ces différentes sociétés en participation devaient acquérir du matériel photovoltaïque auprès de la société Lynx Industries, les matériels acquis étant loués pendant 5 ans à des exploitants installés en Martinique.

M. Y... Z... a investi les sommes suivantes :

- le 19 juin 2008, la somme de 10.000 euros devant lui permettre d'obtenir une réduction d'impôts de 15.800 euros,

- le 23 octobre 2009, la somme de 30.000 euros devant lui permettre d'obtenir une réduction d'impôts de 45.360 euros.

Le 28 octobre 2011, l'administration fiscale a notifié à M. Z... une proposition de rectification de son imposition 2008 et 2009, remettant en cause la validité des opérations de défiscalisation, au motif d'une part d'une disproportion manifeste entre les fonds collectés et les investissements réalisés, d'autre part d'un défaut de raccordement des centrales photovoltaïques au réseau électrique au 31 décembre de l'année d'investissement, outre également un montant erroné de l'investissement éligible. L'administration fiscale a ainsi réclamé à M. Z... la somme de 70.746 euros comprenant des majorations et indemnités de retard.

M. Jean Patrick F... a investi les sommes suivantes :

- le 13 février 2008, la somme de 30.000 euros, ce qui devait correspondre à une réduction d'impôts de 49.680 euros,

- le 21 février 2009, la somme de 48.500 euros, ce qui devait correspondre à une réduction d'impôts de 79.650 euros.

Le 28 octobre 2011, l'administration fiscale a notifié à M. F... une proposition de rectification de son imposition 2008 et 2009, remettant en cause la validité des opérations de défiscalisation, pour les mêmes motifs que ceux allégués à l'égard de M. Z..., lui réclamant paiement d'une somme de 152.925 euros, en ce compris des majorations et indemnités de retard.

Une procédure pénale pour escroquerie a été ouverte à l'encontre du dirigeant commun des sociétés DTD et Lynx Industries, M. Jacques H... alias Jack I..., les fonds collectés auprès des épargnants n'ayant été utilisés que pour une très faible partie dans la construction des centrales photovoltaïques. Par jugement du 24 février 2017, le tribunal correctionnel de Paris a notamment condamné M. H... à 6 ans d'emprisonnement. Le tribunal a en outre partiellement fait droit aux demandes indemnitaires formées par les parties civiles, dont Messieurs Z... et F....

Par actes du 22 mai 2014, Messieurs Z... et F... ont fait assigner M. X... et ses assureurs sur le fondement de la responsabilité contractuelle aux fins d'obtenir réparation du préjudice subi du fait des redressements fiscaux.

Par jugement du 30 mars 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a, pour l'essentiel :

- ordonné un sursis à statuer sur les demande de M. Jean Marc F... dans l'attente de la décision à intervenir du tribunal administratif de Dijon,

- condamné solidairement M. X... et les sociétés MMA à payer à M. Z... la somme de 29.547 euros, et à M. Jean Patrick F... la somme de 62.845 euros,

- condamné solidairement M. X... et les sociétés MMA à payer à M. Z... et M. Jean Patrick F... la somme de 2.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles, ainsi que les dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 11 avril 2017 par M. X... et les sociétés MMA.

Vu l'ordonnance du 11 mai 2017 constatant le désistement des appelants à l'encontre de M. Jean Marc F....

Vu les dernières écritures signifiées le 6 octobre 2017 par lesquelles les sociétés MMA et M. X... demandent à la cour de :

- réformer le jugement du 30 mars 2017 en ce que la responsabilité de Monsieur X... a été retenue et la garantie des sociétés MMA mobilisée ;

Et statuant a nouveau,

- constater que Monsieur X... n'a commis aucune faute à l'égard de Messieurs Z... et F..., que les préjudices allégués ne sont pas établis et enfin l'absence de lien de causalité entre la prétendue faute et Ies préjudices ;

En conséquence,

- dire que la responsabilité de Monsieur X... n'est pas engagée et que la garantie des sociétés MMA ne trouve pas à s'appliquer ;

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

A titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement entrepris,

- réduire à de plus justes proportions le montant de l'indemnisation accordée à Messieurs Z... et F... au vu des manquements commis par ces derniers ;

A titre infiniment subsidiaire,

- dire que la franchise de 15.000 euros restant à la charge de Monsieur X... sera déduite du montant de la condamnation éventuellement prononcée ;

En tout état de cause,

- condamner Messieurs Z... et F... à payer à Monsieur X... et aux sociétés MMA la somme de 8.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Messieurs Z... et F... aux entiers dépens de l'instance.

Vu les dernières écritures signifiées le 7 août 2017 au terme desquelles Messieurs Z... et F... demandent à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il retient la qualité de Conseil en investissement de financier de M. Jacky X... à l'occasion de la commercialisation du produit G... R... , en ce qu'il constate les manquements de Monsieur Jacky X... à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde, en ce qu'il constate le préjudice subi en lien direct avec ces manquements, et en ce qu'il constate l'existence d'une garantie en responsabilité civile professionnelle souscrite par Monsieur Jacky X... auprès de COVEA RISKS.

Statuant de nouveau

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il retient la négligence des intimés ;

- Condamner solidairement Monsieur Jacky X... ainsi que son assureur à indemniser l'entier préjudice subi par les intimés lequel s'élève à la somme totale (éventuellement à parfaire) de 268.645 euros, soit :

- Pour Monsieur Y... Z..., la somme de 85 015 euros ;

- Pour Monsieur Jean-Patrick F..., la somme de 183 630 euros ;

- Condamner solidairement Monsieur Jacky X... ainsi que son assureur au règlement de la somme de 8 000 euros par intimé en application des dispositions de l'article 700 code de procédure civile.

- Condamner solidairement Monsieur Jacky X... ainsi que son assureur aux entiers dépens d'instance lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Messieurs Z... et F... recherchent la responsabilité de M. X..., tant en sa qualité de conseil en investissement financier qui est une activité réglementée soumise aux dispositions du code monétaire et financier, qu'en sa qualité de conseil en gestion de patrimoine qui est une activité non réglementée qui n'en reste pas moins soumise à certaines obligations, notamment d'information et de conseil, telles que définies par la jurisprudence.

1 - sur la qualité de conseil en investissement financier de M. X...

Le premier juge a retenu la responsabilité de M. X... en sa qualité de conseil en investissement financier, ce qui est contesté par ce dernier et son assureur qui soutiennent qu'il n'a agi qu'en qualité de conseil en gestion de patrimoine. Ils font valoir que l'opération consistant à proposer d'entrer dans une société en participation (SEP) en vue d'une opération de défiscalisation n'est pas soumise à l'article 550-1 du code monétaire et financier, en ce que les droits acquis par les investisseurs, à la différence des biens mobiliers sur lesquels portent ces droits, relevaient de leur libre gestion. Ils ajoutent que M. X... n'a pas "démarché" les investisseurs au sens de l'article précité.

Il convient de rappeler que les prestations offertes à Messieurs Z... et F..., en vue d'opérations de défiscalisation, sont intervenues en 2008 et 2009.

Il résulte de l'article L. 541-1 du code monétaire et financier que les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle les activités suivantes (...) 4° : le conseil portant sur la réalisation d'opérations sur biens divers définis à l'article L. 550-1.

L'article L.550-1 de ce même code, dans sa version applicable en 2009, définit le "conseil en opérations sur biens divers" comme s'appliquant à toute personne qui :

1° - directement ou indirectement, par voie de publicité ou de démarchage, propose à titre habituel à des tiers (...) d'acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n'en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat offre une faculté de reprise ou d'échange et la revalorisation du capital investi.

2° - toute personne qui recueille des fonds à cette fin.

Contrairement à ce que soutient M. X..., la condition d'absence de gestion par les acquéreurs ne porte naturellement pas sur les droits acquis par ces derniers, tant il est évident qu'ils disposent du pouvoir de gestion sur les droits - au demeurant indivis - qu'ils acquièrent. Cette condition porte sur la gestion des biens mobiliers sur lesquels portent les droits acquis, à savoir le matériel photovoltaïque dont il n'est pas contesté qu'elle est confiée à un tiers, en l'espèce la société DTD.

Il sera observé au surplus que les investisseurs ne disposent pas de la libre maîtrise des droits qu'ils acquièrent dès lors qu'ils ne sont pas propriétaires d'une partie déterminée d'un bien, mais sont titulaires d'un droit à une fraction de l'actif à partager constitué en commun, et qu'ils n'acquièrent ainsi qu'une quote-part indivise du matériel de production d'électricité. En effet, il résulte des statuts types des SEP, annexés à la convention d'exploitation en commun que la société : " a pour objet l'exploitation, pour le compte des associés, de tous biens d'équipement professionnel, et plus particulièrement de matériels industriels dans les G... G..., appartenant en indivision aux associés."

Il convient également d'observer que, même à supposer que M. X... n'ait pas agi par voie de publicité ou de démarchage, M. X... a bien recueilli des fonds dans le but d'acquérir des droits sur des biens mobiliers au sens de l'alinéa 1 de l'article précité, de sorte qu'il exerçait bien, au moment de la souscription aux opérations litigieuses, l'activité de conseil portant sur la réalisation d'opérations sur biens divers.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la prestation offerte par M. X... entrait dans le champ d'application du conseil en investissement financier et que ce dernier avait agi en cette qualité, de sorte que les dispositions du code monétaire et financier lui sont applicables.

2 - sur le manquement de M. X... à son obligation de conseil et d'information

Messieurs Z... et F... soutiennent que M. X... a commis des manquements, tant en sa qualité de conseil en investissement financier, qu'en sa qualité de conseiller en gestion de patrimoine.

Il résulte du règlement général de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) que le conseiller en investissement financier est soumis à des règles de bonne conduite qui lui imposent notamment - en application de l'article 325-4 de ce règlement - de soumettre à son client une lettre de mission en double exemplaire, rédigée conformément à un modèle type, devant comporter des indications sur la nature et les modalités de la prestation. L'article 325-5 de ce règlement dispose que toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, émises par un conseiller en investissements financiers, présentent un caractère exact, clair et non trompeur.

Il résulte enfin de l'article 325-7 du même règlement que le conseil au client est formalisé dans un rapport écrit justifiant les différentes propositions, leurs avantages et les risques qu'elles comportent. Ces propositions se fondent sur : l'appréciation de la situation financière du client et son expérience en matière financière ; les objectifs du client en matière d'investissements.

Messieurs Z... et F... font valoir que M. X... n'a pas respecté ces règles de bonne conduite, notamment en ce qu'il ne leur a remis aucune lettre de mission, ni aucun rapport écrit, ajoutant que les informations fournies étaient trompeuses. Ils ajoutent que M. X... a manqué à son obligation de conseil, en ne procédant à aucune vérification personnelle de la fiabilité de l'opération, alors qu'il existait de nombreux risques parfaitement identifiables.

M. X... soutient pour sa part que la lettre de mission et le rapport écrit n'ont qu'un «caractère probatoire» et ne peuvent être contrôlés que par l'AMF. Il soutient que l'absence de lettre de mission ou de rapport ne peut lui être reprochée dès lors qu'il a respecté son obligation d'information et de conseil. Il affirme à ce titre s'être assuré du sérieux de l'opération en ce qu'il a vérifié, d'une part sa conformité à la loi Girardin, d'autre part la validité et l'éligibilité du programme au dispositif de défiscalisation par le biais de consultations d'avocats, enfin la cohérence de l'opération telle que garantie par un ancien sous-directeur de l'administration fiscale.

La cour constate en premier lieu que M. X... ne conteste pas avoir manqué aux règles de bonne conduite définies par sa profession, admettant qu'il n'a remis à Messieurs Z... et F... ni lettre de mission, ni rapport écrit contrairement aux dispositions précitées. Ce manquement, et notamment l'absence de tout rapport écrit «justifiant les différentes propositions, leurs avantages et les risques qu'elles comportent», bien que n'entraînant aucune sanction particulière dès lors qu'il ne s'agit que de règles de bonne conduite, n'en reste pas moins préjudiciable dès lors qu'il empêche notamment de connaître les conseils précis qui ont pu être donnés par M. X....

Indépendamment de ce premier manquement, M. X... ne conteste pas qu'il lui appartenait de s'assurer du sérieux de l'opération.

L'obligation pesant sur le conseiller en gestion de patrimoine, et a fortiori sur le conseil en investissement financier, doit en effet être analysée en une obligation de prudence qui lui impose de rechercher et d'accomplir les diligences nécessaires à la vérification du sérieux et de la régularité de l'opération proposée. S'agissant d'une simple obligation de moyen, il ne peut cependant être fait grief à M. X... de ne pas avoir contrôlé l'ensemble des mécanismes techniques et juridiques du programme d'investissement.

Il convient en premier lieu d'observer que les seuls documents remis par M. X... à Messieurs Z... et F... sont les documents commerciaux établis par la société G... R... .

Il résulte des documents produits aux débats que M. X... s'est fondé sur deux types de documents pour s'assurer du sérieux de l'opération proposée, à savoir d'une part des consultations d'avocats, d'autre part une note émanant d'un fonctionnaire du Ministère de l'Economie.

Force est ici de constater que la consultation de Maître J..., en ce qu'elle date du 8 décembre 2010, est postérieure aux souscriptions litigieuses, de sorte que M. X... ne peut soutenir qu'il se serait fondé sur ce document pour s'assurer du sérieux et de la fiabilité de l'opération proposée à Messieurs Z... et F....

S'agissant des consultations du cabinet d'avocats Acta Antilles, la cour observe en premier lieu qu'elles sont adressées à la société G... R... à sa demande, et visent pour l'essentiel à établir la conformité à la loi Girardin des documents remis par la société G... R... aux investisseurs.

Ainsi que le font observer Messieurs Z... et F..., ces consultations, en ce qu'elles sont rédigées à la demande même de la société qui réalise l'opération de défiscalisation, ne permettent pas de s'assurer de l'impartialité de leur rédacteur (avocat, et donc défenseur de son client), et donc du sérieux de l'opération. La société G... R... avait en effet un intérêt évident à produire des consultations validant l'opération proposée, et ne les aurait pas produites si celles-ci avaient fait l'objet de réserves.

Les appelantes citent dans leurs écritures (p.16 des conclusions) certains extraits de ces consultations, et notamment la phrase suivante: «après une analyse de l'existant, des textes de loi et de la jurisprudence, le montage dit «Girardin Industriel» tel que décrit, présente, à mon sens, une cohérence de légalité fiscale ('.). Le process, tel que présenté, et sous réserve du respect des règles juridiques, comptables et fiscales, remplit les conditions d'application de la défiscalisation dite «Girardin».

Le seul fait que l'avocat consulté affirme que l'opération remplit les conditions d'application de la défiscalisation.... «sous réserve du respect des règles juridiques, comptables et fiscales» démontre que ce dernier n'a souhaité prendre aucun engagement quant à la validité de cette opération. M. X... ne peut dès lors soutenir avoir procédé à la vérification du sérieux de l'opération sur le fondement de telles consultations qui ne sont en réalité que des descriptions sommaires du processus, sans aucune vérification sur place, notamment de l'achat et de l'installation du matériel, de la solvabilité et de la fiabilité des exploitants des centrales...

S'agissant des notes émanant du Ministère de l'Economie, seules peuvent être prises en compte celles des 20 mars et 2 avril 2009, antérieures aux dernières souscriptions de Messieurs Z... et F... (sans pouvoir s'appliquer aux souscriptions réalisées en 2008).

Dans un courrier du 20 mars 2009, M. K..., contrôleur général au Ministère de l'économie, interroge l'un de ses amis directeur adjoint du Directeur général des Finances publiques, lui demandant de voir : " comment l'administration pourrait aider Lynx Industries à faire litière de ces allégations", ce qui renvoie à un document annexé dans lequel il est fait état des attaques de concurrents de la société Lynx Industries selon lesquelles le produit G... R... serait irrégulier sur le plan fiscal, de sorte que ses souscripteurs "avaient toutes chances de se voir rejeter la déduction investissement Loi Girardin". M. K... poursuivait en indiquant : "pour parer à cette calomnie, les dirigeants de Lynx Industrie souhaitent obtenir de l'administration (bureau des agréments et des rescrits) une lettre les informant que le produit commercialisé par DTD rentre bien dans les prescriptions de la loi Girardin et que l'administration fiscale n'a jamais remis en cause ce produit."

Le 2 avril suivant, soit seulement 10 jours plus tard, M. K... écrivait à la société Lynx Industries en ces termes : «A votre demande, j'ai pris contact avec ma direction d'origine, ayant été sous-directeur de l'administration fiscale dans les années 90, pour lui exposer votre problème. J'ai adressé à mon collègue et ami, M. Jean Marc L..., la problématique de votre situation, pour qu'il transmette le dossier à ses services. Vous trouverez ce document en pièce jointe. Sur le fond, votre lettre du 30 mars 2009 à M. M..., chef du bureau des agréments et des rescrits, est tout à fait explicite et claire sur votre produit. Je vous confirme que l'administration fiscale n'a jamais été alertée ou saisie sur la régularité fiscale du produit proposé par G... R... , garanti par Lynx Industries. Les allégations de vos concurrents n'engagent donc qu'eux mêmes.»

M. X... cite l'unique phrase de ce courrier confirmant l'absence d'alerte de l'administration fiscale sur le produit DTD pour soutenir que ce document «garantit la cohérence de l'opération de défiscalisation».

Force est cependant de constater que ce courrier incite plus au doute et à la prudence qu'à la "garantie de l'opération".

En effet, M. K... fait à la fois les questions et les réponses. Il prétend interroger son ami, directeur adjoint des Finances Publiques en lui demandant un courrier attestant que son administration n'a jamais remis en cause le produit DTD, puis affirme 10 jours plus tard qu'il n'y a jamais eu d'alerte, sans toutefois faire référence à une quelconque réponse de la direction des finances publiques !

Or, les interrogations posées par M. K... sont tout à fait sérieuses puisqu'il est fait mention d'un irrégularité fiscale du produit DTD et d'un fort risque de se voir rejeter la déduction fiscale. La simple réponse de M. K... qui n'est accompagnée d'aucun courrier de la personne prétendûment interrogée ne pouvait dès lors qu'inquiéter M. X... et l'inciter à requérir des informations complémentaires, plutôt que de le conduire à préconiser ces opérations dont il savait qu'elles étaient contestées par les concurrents de la société Lynx Industries.

En tout état de cause, ce document émanant de M. K... ne peut en aucune manière être considéré comme constituant un justificatif des démarches accomplies par M. X... pour s'assurer du sérieux et de la fiabilité de l'opération proposée. Il devait au contraire interroger ce dernier sur les problèmes rencontrés par la société Lynx Industries, et l'inciter à la plus grande prudence.

Il apparaît ainsi que les prétendues vérifications opérées par M. X... quant au sérieux et à la fiabilité de l'opération proposée reposent en réalité, d'une part sur un document qui aurait au contraire dû l'alerter sur les produits proposés par la société DTD, d'autre part sur des consultations d'un cabinet d'avocat qui étaient impropres à attester de la fiabilité et du sérieux de l'opération. Ces prétendues vérifications doivent dès lors être considérées comme inexistantes.

Il apparaît ainsi que les seuls contrôles opérés par M. X... (cabinet d'avocat et note du Ministère de l'Economie) se sont avérés particulièrement inconsistants et inefficaces, ce qui suffit à démontrer que M. X... n'a pas accompli les diligences nécessaires à la vérification du sérieux et de la régularité de l'opération proposée à Messieurs Z... et F....

Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a retenu l'existence d'un manquement de M. X... à son obligation de conseil.

3 - sur les manquements imputables à Messieurs Z... et F...

Le premier juge a estimé que Messieurs Z... et F... avaient eux-mêmes manqué de vigilance en souscrivant à l'opération de défiscalisation de la société DTD alors qu'en leur qualité de chirurgien, ils avaient "un niveau d'éducation élevé leur permettant d'apprécier les risques de l'opération de défiscalisation proposée", ajoutant qu'ils avaient été négligents en s'adressant à un conseiller dont la compétence était incertaine, dès lors que son activité principale était celle de courtier en assurance. Le tribunal a tenu compte de cette négligence et de ce manque de vigilance pour réduire le préjudice subi par les investisseurs à 50% du montant des investissements.

M. X... et ses assureurs reprennent cette argumentation à leur compte, sollicitant désormais une exonération totale de la responsabilité de M. X....

Messieurs Z... et F... sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu une part de responsabilité à leur encontre.

Il n'est pas démontré, ni même allégué que Messieurs Z... et F..., quel que soit leur niveau d'éducation, disposent d'une compétence quelconque en matière de gestion de patrimoine, de sorte que c'est à tort que le premier juge a retenu à leur encontre un manque de vigilance dans le choix du produit de défiscalisation. Il sera en outre observé que M. X... disposait pour sa part d'une qualification de conseiller en gestion de patrimoine, ce qui faisait présumer, à l'égard des tiers, sa compétence en ce domaine, peu important que cette activité ne soit exercée qu'à titre secondaire.

Il convient donc d'infirmer le jugement déféré et de dire qu'aucun manquement n'est imputable à Messieurs Z... et F..., de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire application d'un partage de responsabilité.

4 - Sur le préjudice subi par Messieurs Z... et F...

* sur la réparation du préjudice financier

Le premier juge a fixé le préjudice subi par Messieurs Z... et F... aux sommes respectives de :

- M. Z... : 29.547 euros, soit 20.000 euros correspondant à la perte de chance (évaluée à 50%) d'obtenir la réduction d'impôt espérée, outre 9.547 euros au titre des majorations et intérêts.

- M. F... : 62.845 euros, soit 39.250 euros correspondant à la perte de chance (évaluée à 50%) d'obtenir la réduction d'impôt espérée, outre 23.595 euros au titre des majorations et intérêts.

Le premier juge a en outre refusé de faire application de la franchise invoquée par les assureurs à hauteur de 15.000 euros.

Messieurs Z... et F... concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné les appelants au paiement des majorations et intérêts de retard, mais à son infirmation en ce qu'il n'a retenu qu'une perte de chance d'obtenir une réduction de l'impôt, sollicitant chacun paiement de la totalité du montant du redressement fiscal (soit 70.746 euros pour M. Z... et 152.925 pour M. F...), outre une somme de 100 euros correspondant à une cotisation à une association et réparation d'un préjudice moral à hauteur de 14.169 euros pour M. Z... et 30.605 euros pour M. F.... Ils s'opposent en outre à l'application de la franchise, faute pour la société MMA de démontrer qu'elle a proposé une "franchise adaptée".

M. X... et ses assureurs soutiennent en premier lieu que Messieurs Z... et F... ne sont pas fondés à solliciter l'indemnisation d'un préjudice dont ils ont déjà obtenu réparation dans le cadre de la procédure pénale, sauf à leur accorder une double indemnisation. Ils sollicitent à titre subsidiaire l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu que le préjudice était constitué d'une perte de chance d'obtenir la réduction d'impôts attendue, estimant que les investisseurs bénéficient d'une contrepartie à leur investissement en ce qu'ils sont titulaires de parts sociales. Ils soutiennent en outre que la perte de chance ne pourrait tout au plus porter que sur le fait de ne pas faire l'investissement préconisé et de ne pas avoir pu rechercher un autre moyen de défiscalisation. Ils sollicitent en outre une diminution du quantum de la perte de chance. M. X... et ses assureurs soutiennent enfin que les intérêts de retard et majorations ne constituent pas un préjudice indemnisable, et sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'indemnisation du préjudice moral.

Le manquement de M. X... est bien à l'origine du dommage subi par Messieurs Z... et F..., dès lors qu'un conseil plus avisé leur aurait permis d'éviter de souscrire à cette opération.

Messieurs Z... et F... ne contestent pas l'existence d'une première indemnisation dans le cadre de la procédure pénale, et ne forment aucune observation quant au moyen tiré de l'existence d'une double indemnisation s'il était fait droit à l'intégralité de leurs demandes. Cette première indemnisation devra dès lors être déduite du préjudice retenu.

Il résulte du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 24 février 2017 (pages 273 et 284) qu'ont été alloués à Messieurs Z... et F... les sommes respectives de 35.000 euros et 78.500 euros, correspondant aux apports initiaux.

Le préjudice indemnisable est constitué du montant des redressements fiscaux (en ce compris les majorations et intérêts de retard), que Messieurs Z... et F... n'auraient pas eu à régler si M. X... n'avait pas manqué à son devoir d'information et de conseil.

Compte tenu des préjudices déjà indemnisés à la suite du jugement correctionnel, le préjudice de Messieurs Z... et F... peut être fixé de la manière suivante :

- M. Z... : 70.746 euros - 35.000 euros = 35.746 euros.

- M. F... : 152.925 euros - 78.500 euros = 74.425 euros

Le jugement déféré sera donc infirmé quant au préjudice financier subi par Messieurs Z... et F..., la cour condamnant solidairement M. X... et ses assureurs au paiement de la somme de35.746 euros au profit de M. Z... et de 74.425 euros au profit de M. F....

Il résulte de l'article L. 112-6 du code des assurances que l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire. Il convient donc de faire application de la franchise à hauteur de 15.000 euros, de sorte que la condamnation des assureurs est prononcée dans la limite de la franchise.

* Sur la réparation au titre du préjudice moral, et au titre de la cotisation à l'ADIGIP

Messieurs Z... et F... ne justifiant pas du préjudice moral allégué, c'est à bon droit que le premier juge les a déboutés de leur demande à ce titre. Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef, de même que sur le rejet de la demande relative à la cotisation à l'ADIGIP dont il n'est pas justifié.

Sur l'article 700 du code de procédure civile:

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a alloué à Messieurs Z... et F... la somme de 2.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles en première instance. Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'existence d'un manquement de M. X... à son obligation d'information et de conseil et en ce qu'il a condamné ce dernier et ses assureurs au paiement d'une somme de 2.000 euros au profit de chacun des demandeurs au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens,

Infirme le jugement déféré pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Condamne solidairement M. X... et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, ces dernières dans la limite de la franchise de 15.000 euros, à payer à :

- M. Z... : la somme de 35.746 euros en réparation de son préjudice matériel, - M. F... : la somme de 74.425 euros en réparation de son préjudice matériel,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum M. X... et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur François LEPLAT, Conseiller et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 17/02962
Date de la décision : 29/05/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 12, arrêt n°17/02962 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-29;17.02962 ?
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