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13/09/2018 | FRANCE | N°16/05120

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 13 septembre 2018, 16/05120


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre







ARRÊT N° 00483



CONTRADICTOIRE



DU 13 SEPTEMBRE 2018



N° RG 16/05120







AFFAIRE :



Driss X...



C/



SASU BRANCHER KINGSWOOD









Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 18 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DREUX

N° Section : Encadrement

N° RG : 16/00028









Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 14Septembre 2018 à :

- Me Vincent Y...

- Me Alexandre Z...

- Pôle Emploi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Ver...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N° 00483

CONTRADICTOIRE

DU 13 SEPTEMBRE 2018

N° RG 16/05120

AFFAIRE :

Driss X...

C/

SASU BRANCHER KINGSWOOD

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 18 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DREUX

N° Section : Encadrement

N° RG : 16/00028

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 14Septembre 2018 à :

- Me Vincent Y...

- Me Alexandre Z...

- Pôle Emploi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:

Monsieur Driss X...

né le [...] à ORLEANS (45000)

de nationalité Française

[...]

Représenté par Me François A... substituant Me Vincent Y... de la B..., constitué/plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000021

APPELANT

****************

La SASU BRANCHER KINGSWOOD

N° SIRET : 751 97 4 7 91

[...]

Représentée par Me Léa C... substituant Me Alexandre Z..., constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P238 - N° du dossier 5026

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mai 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Sylvie BORREL, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS,

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur X... a été engagé à compter du 30 septembre 2004 par la société Brancher Frères, en qualité de technico-commercial, coefficient 250, ETAM, selon la convention collective applicable des industries chimiques.

Le salarié, après avoir exercé au sein du service export, a été promu le 1er janvier 2012, attaché commercial pour la France, coefficient 400, catégorie cadre.

Le 5 janvier 2012, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la liquidation judiciaire de la société.

À partir du 1er juin 2012, le contrat travail a été transféré à la société de droit chinois SUZHOU KINGSWOOD PRINTING INK Co Ltd, à la suite d'un plan de cession du tribunal de commerce.

En début d'année 2013, le salarié a été réaffecté au service export de la société cessionnaire.

Le 4 mars 2014, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Dreux afin d'obtenir :

- la résiliation judiciaire de son contrat travail,

- une indemnité compensatrice de préavis de 10 500 nets,

- une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 84 000 euros nets,

- une indemnité de licenciement conventionnelle, pour mémoire,

- une indemnité compensatrice de congés payés pour mémoire,

- 42 000 euros au titre du harcèlement moral,

- 2 203,53 euros à titre de rappel de salaire de juin à décembre 2013,

- 220,35 euros d'indemnité de congés payés,

- des commissions, pour mémoire,

la remise, sous astreinte journalière de 50 euros, de l'attestation Pôle emploi, du certificat travail, du bulletin de salaire depuis juin 2013, du reçu pour solde de tout compte, ainsi que 3 000 euros au titre de l'article 700 et l'exécution provisoire.

Par courrier du 15 juillet 2014, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat travail.

Une ordonnance de radiation a été rendue le 10 février 2015.

L'affaire a été rétablie au rôle et au 27 janvier 2016, les demandes du salarié étaient alors les suivantes:

Dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société aux sommes suivantes :

- 84 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- 11 442,75 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 15 257 euros, pour mémoire, à titre d'indemnité de licenciement, outre les congés payés

restant dû,

- 3 420,77 euros à titre de rappels de salaires,

- 342,07 euros à titre de congés payés afférents,

- 42 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Ordonner la remise, sous astreinte journalière de 50 euros par jour de retard, de l'attestation Pôle emploi, du certificat travail, des bulletins de paie depuis juin 2013, ainsi que la condamnation de la société aux dépens et à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec l'exécution provisoire.

La société a sollicité du conseil, le débouté de l'ensemble des demandes du salarié, et de dire que la prise d'acte produit les effets d'une démission avec condamnation du salarié aux dépens et à une indemnité de procédure de 4 000 euros.

Par jugement du 18 octobre 2016, le conseil de prud'hommes a dit que la prise d'acte produisait les effets d'une démission, que le harcèlement moral n'était pas constitué et a débouté le salarié de ses demandes de dommages-intérêts subséquentes. En revanche, il a condamné la société à verser au salarié la somme de 3 420,77 euros à titre de rappel ainsi qu'à la somme de 342,07 euros à titre de congés payés afférents, avec intérêt légal à compter de la notification de la demande, avec remise d'un solde de tout compte conforme, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, commençant à courir 30jours suivant la notification du jugement, avec faculté de la liquider. Il a prononcé l'exécution provisoire, dans la limite légale et la condamnation de la société à 1 000 euros au titre de l'article 700du code de procédure civile avec condamnations aux dépens.

Le 16 novembre 2016, le salarié a régulièrement interjeté appel de la décision.

Le 1er décembre 2016, la société a constitué avocat.

Le salarié a notifié, par RPVA le 23 décembre 2016, ses premières conclusions.

Une ordonnance de fixation du 11 janvier 2017 a fait injonction de conclure avant le 11 août 2017 pour le salarié et le 12 février 2018 pour la société.

Par voie de conclusions notifiées par RPVA le 9 août 2017, le salarié invite la cour à confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société à 3 420,77 euros, à titre de rappel de salaire, et342,07 euros au titre des congés payés afférents ; à la remise d'un nouveau solde de tout compte, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du 30e jour suivant notification du jugement, avec faculté de la liquider ; et, en ce qu'il a condamné la société à une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 et aux dépens.

Le salarié sollicite la réformation pour le surplus et prie la cour de :

- dire et juger que la rupture du contrat travail doit s'analyser en un licenciement sans cause et sérieuse,

- de condamner la société à la somme de 84 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat travail,

- de condamner la société à la somme de 11 442,75 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- de condamner la société à la somme de 15 257 euros au titre de l'indemnité de licenciement outre les congés payés qui seraient dus « à la date de la prise d'acte imputée sur la rupture », pour mémoire,

- de condamner la société à la somme de 42 000 euros en raison d'un préjudice subi au titre du harcèlement moral,

- d'ordonner la remise des bulletins de paie depuis le mois de juin 2013, sous astreinte de 50euros par bulletins et jour de retard, ainsi qu'une attestation Pôle emploi et un certificat de travail et de débouter la société de toutes ses demandes, y ajoutant, condamner la société aux entiers dépens de procédure d'appel ainsi qu'à la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure en appel.

Par conclusions notifiées par RPVA, le 8 février 1018, la société prie la cour de :

à titre principal :

dire et juger que :

- le salarié n'établit pas de manquement faisant obstacle à la poursuite de son contrat travail,

- la prise d'acte produit les effets d'une démission,

- le harcèlement moral n'est pas établi,

- le salarié n'établit pas l'accord légitimant ses demandes rappel de salaire.

En conséquence débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes.

à titre subsidiaire :

dire et juger que :

- le salarié ne justifie d'aucun préjudice légitimant une indemnité supérieure à six mois de salaire soit 23 170,02 euros,

- le salarié ne justifie pas du quantum allégué au titre du harcèlement moral,

- la demande de rappel de congés non pris est mal fondée.

En conséquence, débouter le salarié de ses demandes et, à tout le moins, les ramener à de plus justes proportions. En tout état de cause, la société demande de condamner le salarié à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux dépens.

Au visa de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour plus amples détails de l'argumentation et des faits.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 février 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat travail

- Sur le rappel de salaire

Le salarié fait valoir qu'aux termes d'un courriel du 14 novembre 2013, la société lui avait notamment proposé, sur la période du mois de juin à décembre 2013, un salaire de 3 500 euros par mois composé de la somme de 2 759,44 euros, à titre de salaire de base, augmenté de la somme de 740,56 euros à titre de bonus garanti.

Il expose que la société n'a pas respecté son engagement sur la période et qu'à ce titre il lui est dû la somme de 3 420,77 euros, correspondant à l'écart entre ce qu'il a effectivement perçu et ce qui lui a été versé par la société sur ladite période.

La société expose que, jusqu'alors, le salaire de base du salarié était de 2 759,44 euros complété d'un commissionnement sur le chiffre d'affaires, et qu'elle souhaitait mettre en place un nouveau système de rémunération variable dénommée KPI (indicateurs clés de performance) en lieu et place de commissions sur le chiffre d'affaires. Pour ce faire, il avait été proposé par erreur au salarié, dans ce courriel du 14 novembre 2013, un bonus de base minimum, à compter du 1er janvier 2014, de1000euros, au lieu de 740,56 euros. La société indique avoir signalé cette erreur rapidement au salarié lequel n'a pas accepté de revenir en arrière, donnant lieu à de nombreux échanges de courriels. Elle indique qu'afin de mettre un terme au litige elle a, par courrier du 17 juin 2014, accepté la régularisation des bonus mensuels depuis le 1er juin 2013, sous réserve de réception d'une fiche de position signée par le salarié lequel n'y a pas donné suite. Elle en déduit que la réclamation du salarié sur ce rappel de salaire ne peut être fondée sur cette proposition du 14 novembre 2013 qui n'a jamais été acceptée formellement par l'intéressé.

En l'espèce, la société reconnaît que le salarié a accepté sa proposition exprimée le 14 novembre 2013. La cour constate que l'erreur commise ne porte pas sur le montant minimum du bonus garanti sur la période de juin à décembre 2013 mais sur le montant du bonus à compter du 1er janvier 2014. Il ressort des bulletins de salaire de juin à décembre 2013 que le salarié n'a pas perçu la somme de 3 500 euros, correspondant au nouveau salaire de base complété du bonus de 740,56 euros, proposé sur la période. La cour relève également que la société a, en définitive, le 17juin 2014, accepté dans un esprit d'apaisement, de régulariser la situation, le salarié ayant saisi le conseil de prud'hommes le 4 mars précédent. Enfin, l'employeur ne conteste pas le quantum du montantréclamé sur cette période et doit être condamné à payer au salarié la somme de 3 420,77 euros et les congés payés afférents à hauteur de 342,07 euros à titre de congés payés.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

- Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétésde harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité des faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que cette décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le salarié expose avoir fait l'objet d'un processus d'exclusion, en se trouvant privé de son affectation initiale sans nouvelle proposition correspondant à sa qualification.

Pour étayer ses affirmations, le salarié produit :

- un courriel de la société du 9 janvier 2013 (M. Stéphane D...) qui lui est adressé et confirme son retour au secteur export sous réserve de se mettre d'accord sur le montant de son salaire.

- son courriel du 14 mars 2013 adressé à M. D... : « là ça commençait urger !!! Manu et Sylvain ont attribué la zone France hier (13/03) aux commerciaux. A la fin de ce mois je n'aurai plus de zones attribuées en France donc plus de comm !!! Tu ne devais pas me proposer qq chose en début de semaine d'ailleurs !! C'est franchement pas sérieux!... ».

- son courriel du 12 avril 2013 de relance toujours adressé à M. D... : « ...j'espère que la semaine prochaine tu pourras me proposer qq chose pour mon poste... ». Il fait état de son inactivité en termes crus et qu'il a « l'impression de quémander ».

- un échange de courriels (sa pièce 40) , du 21 mai 2014, entre des opérationnels de la société et M. D... aux termes desquels ce dernier se plaint des heures d'arrivée et de départ du salarié, faisant implicitement référence à la saisine du conseil de prud'hommes pour harcèlement moral (saisine du 4 mars 2014) et en demandant quelle attitude adopter (« '.on ne peut se faire abuser et lui laisser le champ libre en tout impunité.... » ; ce à quoi il lui est répondu que le salarié est tenu d'exécuter son contrat travail en attendant la décision de justice et qu'il faut agir à son égard de façon « neutre » , comme avec tout autre salarié de la société, avec la précision qu' « il doit se sentir en sous activité pour arriver si tard, il faut mettre à profit sa très grande productivité, surtout si ton service est par ailleurs en surcharge... ».

- il fait état de la proposition du 14 novembre 2013, déjà évoquée, laquelle ne sera jamais régularisée concrètement.

- un certificat médical établi le 30 janvier 2015.

De ce qui précède, la cour considère que M. X... n'établit pas l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre fondé sur un processus d'exclusion délibérément mis en place par son employeur. Il résulte des pièces versées que deux sont établies par le salarié, que le certificat médical consigne les déclarations du salarié sur ses difficultés au travail (il déplore avoir été mis de côté sans travail) et confirme la prescription d'antidépresseurs, que, certes l'employeur a tardé à mettre en place une nouvelle grille de rémunération, mais, après négociations difficiles avec le salarié, a fini par accepter la position de ce dernier, manifestant ainsi son souhait de le conserver dans les effectifs et non pas de l'exclure.

Les demandes relatives au harcèlement moral doivent par conséquent être rejetées.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la rupture du contrat travail

- Sur la résiliation judiciaire et la prise d'acte

La prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail en sorte qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant.

Il appartient alors au juge de se prononcer sur la seule prise d'acte en examinant l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués par le salarié tant à l'appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu'à l'appui de la prise d'acte.

La cour examinera par conséquent la seule prise d'acte.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Le salarié a pris acte de la rupture par lettre du 15 juillet 2014, rédigée en ces termes :

« Depuis le début de l'année 2013, il m'a été proposé d'exercer mes fonctions à l'export ce qui supposait l'établissement d'un avenant à mon contrat : définition du poste et des objectifs ; nouvelle rémunération (fixe et commissionnement, moyens pour y parvenir, etc.). Alors même qu'aucun avenant ne m'était soumis, mon secteur en France m'était retiré et je me retrouvais sans mission concrète à accomplir,

J'ai alerté l'ensemble de la hiérarchie sur cette situation et le fait que je me retrouvais sans travail à accomplir, pendant des mois ' .

Le 14 novembre 2013, j'ai cru entrevoir une issue à ce long calvaire, lorsque j'ai accepté la proposition qui m'était faite.

En réalité, rien n'a changé puisque les avenants qui m'ont été soumis n'ont jamais été conformes à la proposition acceptée.

Dans les faits ma rémunération et les bulletins de salaire n'ont pas davantage étaient modifiés.

Le peu de travail qui m'est donné d'accomplir ne correspond ni à mes anciennes fonctions (qui sont encore les miennes) , ni aux nouvelles. Je suis mis à l'écart des réunions commerciales .

En 18 mois j'ai effectué seulement deux déplacements ; dont un qui a été forcé par le client (qui a du prendre à sa charge mon billet d'avion).

Vous même n'avez répondu concrètement à aucun de mes mails, me privant de la possibilité de construire aussi bien sur le plan professionnel n'étant pas en mesure d'exercer pleinement mes fonctions ; que sur le plan personnel ne sachant pas de quoi serait fait demain.

Je considère donc que vous avez gravement manqué à vos obligations à mon égard....

'.je prends acte de la rupture de mon contrat de travail en considérant que vous êtes le seul et unique responsable ».

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige.

Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Le salarié fait valoir les éléments suivants : il occupait les fonctions d'Attaché Commercial en France sur les départements 22,29,36,37,44,49,56 et 85. En début 2013, il lui a été proposé les fonctions de Responsable de la zone Export. Il soutient que son contrat de travail a ainsi été modifié. Son activité en France a été redistribuée. Il ajoute que ce n'est que le 14 novembre 2013 qu'une proposition de rémunération et d'objectifs lui a été soumise qu'il a acceptée, sans conduire cependant à l'établissement d'un avenant. Il expose que depuis cette date, son salaire a été maintenu aux conditions précédentes (secteur France), qu'il n'avait jamais eu d'activité réelle, en attesterait son absence de voyages professionnels. Il rappelle, également, qu'à la date de la prise d'acte, la société n'avait toujours pas réglé le rappel de salaires (juin à décembre 2013) dont il a été fait mention précédemment.

La société soutient que le contrat de travail du salarié n'a pas fait l'objet d'une modification unilatérale de sa part. Le salarié ne faisait que poursuivre son activité précédente mais en s'adressant à une clientèle implantée à l'étranger. Sa réintégration au secteur export n'aurait entraîné aucune modification ni de sa rémunération de base, ni de sa classification, ni d'aucun élément permettant de caractériser une modification de son contrat travail. La société ne lui a donc pas imposé une modification de son contrat. Elle fait valoir également qu'elle n'a pas commis de manquement dans la mise en place du nouveau système de rémunération (KPI) justifié objectivement compte-tenu de la spécificité de l'activité commerciale au sein du service export. Elle expose que le caractère tardif de la proposition de modification du contrat travail ne lui est pas imputable car il résulte de longues discussions avec l'intéressé. Elle ajoute qu'elle a tenté loyalement de rectifier l'erreur commise au sujet du bonus de1000 euros par le versement d'une prime exceptionnelle, que le salarié a refusé. Elle conteste avoir affecté le salarié uniquement à des tâches administratives comme en témoigne plusieurs déplacements effectués à l'étranger.

Il résulte des pièces versées aux débats que, dès le 9 janvier 2013 (courriel de M. D... au salarié), la décision d'affecter le salarié à l'export a été entérinée, mais que ce n'est qu'à compter du 1er avril 2013 que le salarié sera reconnu par la société comme effectivement affecté au secteur export après relances du salarié après que son secteur commercial en France a été redistribué le 13 mars 2013 à d'autres commerciaux. Ainsi, à compter du 1er avril 2013, le salarié se voyait privé de commissions sur le chiffre d'affaires en France sans que cette rémunération variable soit remplacée par une nouvelle structure de rémunération.

Ces constatations se déduisent notamment du courriel du salarié du 14 mars 2013 adressé à M. D... (« là ça commençait urger !!! Manu et Sylvain ont attribué la zone France hier (13/03) aux commerciaux. A la fin de ce mois je n'aurai plus de zones attribuées en France donc plus de comm !!! Tu ne devais pas me proposer qq chose en début de semaine d'ailleurs !! C'est franchement pas sérieux!.. »), ainsi que du courriel du 3 juillet 2013, de M. D..., supérieur hiérarchique du salarié, adressé à la direction, résumant la situation du salarié : « Aucune structure salariale n'a pour l'instant été définie, puisque Driss est revenu aux ventes à l'exportation en avril 2013. J'ai proposé la structure salariale dont il bénéficie depuis qu'il est au département exportation et nationale de Brancher : fixe plus commissions (qui est de 1,5 %) sur les ventes d'encre en France de 1 % sur les encres vendues en Chine. Vous avez refusé et m'avez proposé d'élaborer une autre structure salariale. Étant donné que je ne suis pas parvenu à concevoir une nouvelle structure salariale qui vous convienne nous devons nous rencontrer et proposer la structure salariale à Driss la semaine prochaine.... la nouvelle structure salariale et un nouveau secteur de vente implique une modification de son contrat travail qu'il doit approuver. C'est pourquoi cela doit être fait pendant que vous serez en France..... ».

Il apparaît des éléments communiqués que ce n'est que le 14 novembre 2013 que la société formulera une proposition salariale, conforme à l'activité à laquelle le salarié était supposé avoir été affecté depuis le mois d'avril, soit 7 mois et demi plus tard. Or, la société ne respectera pas les termes de cette proposition pourtant acceptée par le salarié, (rappel de salaires de juin à décembre 2013), faisant état d'une erreur sur le montant du bonus KPI à compter du 1er janvier 2014. Elle formulera le 18 février 2014 une nouvelle proposition salariale qui ne sera pas acceptée par le salarié. A la date de la prise d'acte (14 juillet 2014), les parties n'étaient pas parvenues à un accord sur la rémunération variable.

La société ne peut sérieusement soutenir que le contrat de travail n'avait pas été modifié unilatéralement et ne nécessitait donc pas l'accord du salarié, alors que la clientèle à prospecter était différente (de la France à l'étranger) et que la société avait souhaité mettre en place un nouveau système de rémunération variable (KPI). Le courriel précité de D... du 3 juillet 2013 à sa hiérarchie, le confirme (« la nouvelle structure salariale et un nouveau secteur de vente implique une modification de son contrat travail qu'il doit approuver. C'est pourquoi cela doit être fait pendant que vous serez en France..... .»).

En affectant le salarié, au mois d'avril 2013, à un nouveau secteur, sans prendre la précaution de s'assurer à cette date, de l'accord du salarié sur la nouvelle grille de rémunération qu'elle souhaitait mettre en place, l'employeur a pris le risque d'un refus du salarié sur la rémunération nouvelle. Le retard mis à proposer une nouvelle rémunération (courriel du 14 novembre 2013) ne peut être imputable qu'à l'employeur, retard qui a placé le salarié dans une grande incertitude notamment sur la partie variable de sa rémunération pendant plusieurs mois (d'avril à novembre 2013). Encore faut-il préciser que la société ayant commis, dit-elle, une erreur dans cette proposition, a été à l'origine d'un nouveau retard ne formulant une nouvelle proposition que le 18 février 2014, retard imputable exclusivement à l'employeur du fait cette erreur.

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres manquements allégués de l'employeur, il sera jugé que le salarié rapporte la preuve que la société a gravement manqué à ses obligations, en modifiant, de fait le secteur de prospection du salarié, sans s'assurer de son accord préalable sur la rémunération correspondante, alors qu'il s'agissait d'un élément modifiant le contrat de travail, au surplus en faisant preuve d'atermoiements dans la proposition d'une nouvelle structure de rémunération variable pourtant mise en place à son initiative (KPI).

La prise d'acte par le salarié doit être considérée comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières de la rupture du contrat travail

- L'indemnité de congés payés

Le salarié sollicite une indemnité de congés payés « pour mémoire » sans s'en expliquer, de sorte que la cour ne peut se prononcer sur cette demande dont il sera débouté.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

- L'indemnité de préavis

Au visa de l'article L.1234-5 du code du travail, le salarié sollicite la somme de 11 422,75 euros correspondant à 3 mois de préavis selon la moyenne des 3 derniers mois précédents la saisine du conseil de prud'hommes.

La société ne conteste ni le principe, ni le quantum de cette demande.

Il sera fait droit à cette indemnité.

- L'indemnité de licenciement

Au visa de l'article R.1234-2 du code du travail, et de l'article 14 de la convention collective plus favorable que la loi (4/10 ème de mois par année d'ancienneté) le salarié sollicite la somme de15257euros sur la base de la moyenne des 3 derniers mois précédents la saisine du conseil de prud'hommes (3 814,25 euros).

La société ne conteste ni le principe, ni le quantum de cette demande.

Il sera fait droit à cette indemnité.

- L'indemnité pour rupture abusive

Au visa de l'article L.1234-5 du code du travail, le salarié sollicite la somme de 84 000 euros en raison de son ancienneté dans la société (1er juillet 2004).

Dans son subsidiaire, la société conteste ce montant faisant valoir que le salarié ne justifie pas de son préjudice.

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans, dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, le salarié peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge (32 ans) , à l'ancienneté de ses services (10 ans), à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi ( il a retrouvé un emploi au mois d'août 2014), la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 38 000 euros.

Sur les demandes accessoires

Il n'est pas inéquitable de laisser à la société la charge des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel par le salarié. La société sera déboutée de sa demande aux mêmes fins.

La société sera condamnée, le cas échéant, aux remboursement des indemnités chômage que Pôle Emploi aura pu verser au salarié, dans la limite de 6 mois.

La société qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel de salaires du salarié et de congés payés afférents, avec exécution provisoire, intérêt légal, remise des documents sociaux correspondants, ainsi qu'à une indemnité de procédure de 1 000 euros et aux dépens, et en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande d'indemnités de congés payés et la société de sa demande d'indemnité de procédure et aux dépens ;

INFIRME le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DIT que la prise d'acte de rupture par M. X... de son contrat de travail, le 15 juillet, doit s'interpréter comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date dudit acte ;

CONDAMNE la société SASU BRANCHER KINGSWOOD aux sommes suivantes :

- 11 422,75 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 15 257 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 38 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société SASU BRANCHER KINGSWOOD à rembourser à Pôle Emploi , dans la limite de 6 mois, les indemnités de chômage éventuellement versées à M. X... ;

DÉBOUTE la société SASU BRANCHER KINGSWOOD de sa demande de condamnation de M.X... à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

CONDAMNE la société SASU BRANCHER KINGSWOOD à verser à M. X... une somme de2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

DIT que les dépens d'appel seront supportés par la société SASU BRANCHER KINGSWOOD.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 16/05120
Date de la décision : 13/09/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 06, arrêt n°16/05120 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-09-13;16.05120 ?
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