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02/05/2024 | FRANCE | N°22/04121

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3-1, 02 mai 2024, 22/04121


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 31Z



Chambre commerciale 3-1



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 2 MAI 2024



N° RG 22/04121 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VIUC

+ 22/04099





AFFAIRE :



[P] [R]

...



C/



[F] [Y]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Février 2022 par le Tribunal de Commerce de CHARTRES

N° RG : 2019J00108



Expé

ditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Ophélia FONTAINE



Me Sabine LAMIRAND



Me Jean-Pascal THIBAULT



TC CHARTRES











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 31Z

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 2 MAI 2024

N° RG 22/04121 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VIUC

+ 22/04099

AFFAIRE :

[P] [R]

...

C/

[F] [Y]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Février 2022 par le Tribunal de Commerce de CHARTRES

N° RG : 2019J00108

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Ophélia FONTAINE

Me Sabine LAMIRAND

Me Jean-Pascal THIBAULT

TC CHARTRES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [R]

[Adresse 9]

[Localité 4]

S.A.R.L. TORPAD prise en la personne de son mandataire ad 'hoc, Maître [Z] [B], sis [Adresse 8]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentés par Me Ophélia FONTAINE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 672

APPELANTS

****************

Monsieur [F] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Sabine LAMIRAND de la SELARL LPALEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 et Me Hélène JONVILLE & Me Sandrine BEAUGE-GIBIER de la SELAS FIDAL, Plaidants, avocats au barreau de Chartres

S.A.R.L. MARTIN ASSOCIES

RCS Chartres n° 333 352 417

[Adresse 10]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Pascal THIBAULT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 470

S.A.R.L. PHILARGO prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Maître [C] [I], domicilié [Adresse 1]

RCS Chartres n° 529 290 546

[Adresse 7]

[Localité 3]

Défaillante

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DES FAITS

M. [P] [R], gérant de la SARL Torpad, a mandaté la SAS Martin Transaction, devenue Martin Associés, cabinet d'affaires, afin de l'assister dans l'achat d'un fonds de commerce dans le domaine de la restauration et dans l'obtention d'un prêt bancaire.

Par acte du 24 mai 2014, la Banque Populaire Val de France a accordé à la société Torpad un prêt de 90.000 €. Le même jour, M. [R] s'est porté caution solidaire de l'engagement de la société, à hauteur de 117.000 €.

C'est ainsi que par acte de vente du 27 mai 2014, la SARL Philargo, représentée par son gérant, M. [F] [Y], a vendu à la société Torpad le fonds de commerce de bar-restaurant qu'elle exploitait à [Localité 3]), au prix de 90.000 € hors frais d'agence.

A la suite de la cession de son fonds de commerce, la société Philargo a cessé toute activité et a été radiée du registre du commerce et des sociétés (RCS) le 25 novembre 2014.

Le 5 février 2015, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la liquidation judiciaire de la société Torpad et a désigné la SELARL PJA en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ordonnance du 10 mars 2015, le président du tribunal de commerce a décidé d'appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée à la société Torpad.

Par jugement du 16 février 2016, le tribunal a prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif de la société Torpad et celle-ci a été radiée du RCS le 6 mars 2016.

La société Torpad, représentée par son mandataire ad hoc, et M. [R], entendant obtenir réparation du préjudice subi, ont, par actes du 24 mai 2019 et du 2 décembre 2019, fait assigner devant le tribunal de commerce de Chartres la société Philargo, prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [C] [I], son ancien gérant, M. [Y], ainsi que la société Martin Associés, venant aux droits de la société Martin Transaction.

Par jugement réputé contradictoire du 23 février 2022, le tribunal de commerce de Chartres a :

- Constaté la non-comparution de la SARLU Philargo, prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [I], bien que régulièrement assignée et appelée, ni personne pour elle ;

- Ordonné la jonction des procédures 2019J00108 et 2019J00190 ;

- Constaté que l'action n'était pas prescrite lors de la délivrance de l'introduction de l'instance (sic) ;

- Constaté le défaut de capacité ou de pouvoir de Me [B], mandataire ad'hoc, assurant la représentation de la SARL Torpad en l'instance et la nullité pour vice de fond de l'assignation introduite ;

- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

- Laissé les entiers dépens à la charge de M. [R] et de la SARL Torpad, prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [B]. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement liquidés à la somme de 136,58 € TTC, en ceux non compris les frais de signification du jugement et de ses suites s'il y a lieu.

Par déclaration du 21 juin 2022, M. [R] et la société Torpad, prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [B], ont interjeté appel du jugement.

Par une seconde déclaration du 21 juin 2022, M. [R], agissant en qualité de gérant de la société Torpad, et la société Torpad, prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [B], ont interjeté appel du jugement.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 7 décembre 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 1er novembre 2023, la société Torpad prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [B], et M. [R], agissant en qualité de gérant de la société Torpad, demandent à la cour de :

- Ordonner la jonction entre les procédures enregistrées sous les RG 22/04099 et RG 22/04121 ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que l'action n'était pas prescrite ;

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- Constaté le défaut de capacité ou de pouvoir de Me [B], mandataire ad'hoc, assurant la représentation de la société Torpad en l'instance et la nullité pour vice de fond de l'assignation introduite ;

- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

- Laissé les entiers dépens à la charge de M. [R] et de la société Torpad, prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [B] ;

Et statuant à nouveau,

- Juger que la société Torpad est valablement représentée par Me [B], mandataire ad'hoc désigné par le tribunal de commerce de Chartres en 2018 ;

Par conséquent,

- Déclarer régulière l'assignation introductive d'instance ;

- Déclarer recevables et bien fondées la caution ainsi que la société appelante prise en la personne de son mandataire ad hoc en leurs demandes fins et conclusions ;

Au fond,

- Constater que la société Martin Associés n'a pas exécuté ses obligations de bonne foi, et a commis une faute professionnelle dans le cadre de sa mission de rédacteur d'acte ;

- Constater que M. [Y] a manqué à son obligation de bonne foi ;

- Constater que la société Philargo et M. [Y] se sont rendus coupables de dol et de réticence dolosive dans le cadre de la vente du fonds de commerce ;

En conséquence,

- Condamner in solidum la société Philargo, M. [Y], et la société Martin Associés à verser la somme de 90.000 € à titre de dommages et intérêts à la société Torpad, prise en la personne de son mandataire ad' hoc Me [B], en réparation du préjudice causé dans le cadre de la vente du fonds de commerce ;

- Condamner in solidum la société Philargo, M. [Y] et la société Martin Associés à verser la somme de 27.300 € à titre de dommages et intérêts à M. [R] en réparation du préjudice personnel qu'il a subi par ricochet ;

- Condamner in solidum la société Philargo, M. [Y] et la société Martin Associés à verser la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts à M. [R] en réparation de son préjudice moral ;

- Débouter les intimés de leur appel incident, et notamment de leur demande tendant à voir constater la prescription de l'action ;

- Débouter les intimés de leurs demandes fins et conclusions ;

- Condamner tout succombant au versement d'une somme de 5.000 € à M. [R] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner les intimés aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Ophélia Fontaine, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 13 décembre 2022, M. [Y] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce rendu le 23 février 2022 en ce qu'il a :

- Ordonné la jonction des procédures 2019J00108 et 2019J00190 ;

- Constaté le défaut de capacité ou de pouvoir de Me [B], mandataire ad'hoc assurant la représentation de la SARL Torpad en l'instance et la nullité pour vice de fond de l'assignation introduite ;

- Débouté M. [R] et la société Torpad de toutes leurs autres demandes ;

- Laissé les entiers dépens à la charge de M. [R] et la SARL Torpad prise en la personne de son mandataire ad'hoc, Me [B] ;

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce rendu le 23 février 2022 en ce qu'il a :

- Constaté que l'action n'était pas prescrite lors de la délivrance de l'introduction de l'instance ;

- Débouté M. [Y] de toutes ses autres demandes ;

En conséquence,

- Juger la société Torpad et M. [R] irrecevables en leurs demandes fins et prétentions à l'encontre de M. [Y] compte tenu du caractère prescrit de l'action ;

Subsidiairement,

- Juger la société Torpad et M. [R] mal fondés en leurs demandes fins et prétentions à l'encontre de M. [Y] ;

- Débouter la société Torpad et M. [R] de toutes leurs demandes fins et prétentions ;

En tout état de cause,

- Condamner M. [R] à verser à M. [Y] une somme de 5.000 € pour procédure abusive outre 15.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner les appelants aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2022, la société Martin Associés demande à la cour de :

- La recevoir en ses écritures ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Chartres en ce qu'il a annulé l'acte introductif d'instance devant la juridiction commerciale de la société Torpad ;

- Infirmer le jugement sur la prescription et statuant à nouveau dire les demandes dirigées contre la société Martin Associés telle que visée dans les dernières écritures des demandeurs en première instance comme prescrites ;

En tout état de cause et subsidiairement,

- Débouter les appelants au principal de l'intégralité de leurs demandes, fins, prétentions et conclusions ;

- Incidemment, condamner M. [R] à payer à la société Martin Associés la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Philargo, prise en la personne de Me [C] [I], agissant en qualité de mandataire ad hoc, n'ayant pas constitué avocat dans le délai prescrit, conformément à l'article 902 du code de procédure civile, les appelants lui ont fait signifier la déclaration d'appel le 26 août 2022 et leurs conclusions le 30 septembre 2022 par remise de l'acte à personne se déclarant habilitée à recevoir la copie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La société Philargo, prise en la personne de son mandataire ad hoc n'a pas comparu. Il résulte de l'article 472 du code de procédure civile que si, en appel, l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.

1/ Sur la capacité à agir de la société Torpad, prise en la personne de Me [B], mandataire ad hoc, et sur l'intérêt à agir de M. [R]

La société Torpad et M. [R] estiment qu'ils ont conservé leur capacité d'ester en justice après la clôture de la liquidation judiciaire de la société Torpad en ce qu'elle a vocation à être créancière dans le cadre de cette action. Ils font valoir que même si la reprise des opérations de liquidation judiciaire ne peut être demandée par le débiteur, tout intéressé peut demander la désignation d'un mandataire ad hoc pour engager une instance au nom de la société et aucun texte n'impose que le mandataire désigné soit le liquidateur judiciaire.

M. [Y] soutient tout d'abord que la société Torpad n'a pas la capacité d'ester en justice en ce qu'elle n'a plus la personnalité morale depuis la publication de la clôture de la liquidation judiciaire et que l'assignation délivrée au nom de la société Torpad est nulle. Il ajoute que selon les dispositions de l'article L.643-13 du code de commerce, il est impossible pour le débiteur de la procédure collective de solliciter la réouverture de la liquidation judiciaire dès lors qu'elle a été clôturée pour insuffisance d'actif. Il fait valoir que seul un créancier ou le liquidateur peut solliciter la reprise de la liquidation judiciaire et non le débiteur. Il ajoute que le mandat donné au mandataire ad hoc n'est pas communiqué. Il soutient également que M. [R] n'a pas d'intérêt à agir car il n'a subi aucun préjudice financier par ricochet mais a simplement été contraint de remplir ses obligations contractuelles au titre du cautionnement qu'il a souscrit.

La société Martin Associés estime que la société Torpad et son mandataire ad hoc n'ont pas qualité à agir depuis la publicité des opérations de clôture de la liquidation et que, par conséquent, l'assignation est nulle.

*****

(i) Sur la capacité à agir de la société Torpad et de son mandataire ad hoc :

L'article 117 du code de procédure civile dispose que :

'Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :

- le défaut de capacité d'ester en justice ;

- le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

- le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.'

Une société n'a la capacité à agir en justice que si elle a la personnalité juridique, ce qui implique qu'elle soit immatriculée au registre du commerce et des sociétés. Une action formée par une société non immatriculée est irrecevable.

L'article 1844-7 du code civil dispose que la société prend fin par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

L'article L.643-13 du code de commerce prévoit que :

'Si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise.

Le tribunal est saisi par le liquidateur précédemment désigné, par le ministère public ou par tout créancier intéressé. S'il est saisi par un créancier, ce dernier doit justifier avoir consigné au greffe du tribunal les fonds nécessaires aux frais des opérations. Le montant des frais consignés lui est remboursé par priorité sur les sommes recouvrées à la suite de la reprise de la procédure.

La reprise de la procédure produit ses effets rétroactivement pour tous les actifs du débiteur que le liquidateur aurait dû réaliser avant la clôture de la procédure de liquidation judiciaire.

Si les actifs du débiteur consistent en une somme d'argent, la procédure prévue au chapitre IV du présent titre est de droit applicable.'

Il ressort de ces dispositions qu'à la suite de la clôture pour insuffisance d'actif, la société débitrice n'a plus la personnalité morale et qu'elle ne peut demander la réouverture de la procédure de liquidation judiciaire. En revanche, en cas de demande de réouverture de la procédure par un créancier - dont la créance doit être admise au passif -, par le liquidateur ou le ministère public, la société débitrice devant être entendue par le tribunal, il appartient au demandeur de solliciter, par requête adressée au président du tribunal compétent statuant à en la forme des référés, la désignation d'un mandataire ad hoc. Ce n'est que dans ce cas précis que la désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter une société dont la clôture pour insuffisance d'actif a été prononcée est admise.

En l'espèce, la cour constate que la clôture pour insuffisance d'actif a été prononcée par le tribunal de commerce de Chartes le 16 février 2016 et que la société Torpad est dissoute et n'a plus la personnalité juridique depuis cette date. En l'absence de reprise de la procédure de liquidation judiciaire, qui ne peut être demandée que par un créancier de la société Torpad, le liquidateur judiciaire ou le ministère public, la société Torpad n'a pas la capacité à agir.

Il est, par ailleurs, rappelé que le mandataire ad hoc, à la différence de l'administrateur provisoire, a un mandat judiciaire spécial pour un acte déterminé. En dehors de tout mandat spécial, un mandataire ad hoc n'a pas de pouvoir de représentation et ne peut pas représenter la société en justice. Or, la cour note que la société Torpad ne communique pas l'ordonnance ayant désigné le mandataire ad hoc qui permettrait de vérifier qu'il a été valablement désigné, de connaître sa mission exacte et de déterminer s'il peut représenter la société Torpad en justice dans le cadre de la présente instance.

Pour l'ensemble de ces constatations, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté le défaut de capacité à agir de la société Torpad et de son mandataire ad hoc et a déclaré nulle l'assignation la concernant.

(ii) Sur l'intérêt à agir de M. [R] :

L'article 122 du code de procédure civile dispose que :

'Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel que le défaut de qualité à agir, le défaut d'intérêt à agir, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Il est rappelé que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, et que l'existence du préjudice invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès.

L'appréciation du défaut d'intérêt à agir de M. [R] ne devant pas se confondre avec la question du fond et l'existence d'un préjudice direct subi par celui-ci, M. [Y] échoue à démontrer l'absence d'intérêt à agir de M. [R].

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande à ce titre.

2/ Sur la prescription de l'action

M. [R] soutient que son action n'est pas prescrite car il a eu connaissance de la situation financière réelle du fonds exploité au début de l'année 2015. Il ajoute que si l'on retient les dates proposées par M. [Y], le délai de prescription de 5 ans, qui a commencé à courir au plus tôt le 27 mai 2014 - date de la signature de l'acte de cession - et au plus tard le 15 novembre 2014 - date de la cessation des paiements- a été interrompu par la première assignation délivrée le 24 mai 2019 à l'ancienne adresse de M. [Y] et affectée d'une erreur matérielle. Il explique que même l'assignation affectée d'un vice de fond a un effet interruptif et que, bien que rectifiée par la suite, l'assignation délivrée le 24 mai 2019 a eu pour effet d'interrompre la prescription. Il ajoute que la prescription avait déjà été interrompue par le dépôt des requêtes en désignation des mandataires ad hoc des sociétés Philargo (en 2016) et Torpad (en 2018).

M. [Y] estime que l'action introduite par la société Torpad et M. [R] est prescrite en ce qu'elle n'a été introduite à son encontre que le 2 décembre 2019 alors que l'acte de cession a été régularisé le 27 mai 2014 et que le délai de prescription est de 5 ans. Il ajoute que l'action en garantie fondée sur l'inexactitude des mentions obligatoires de l'article L.141-1 du code de commerce est encadrée par un délai préfixe d'un an et que, par conséquent, les demandes de la société Torpad relatives au manque d'information sur les comptes sont prescrites.

La société Martin Associés affirme que les demandes formulées à son encontre sont irrecevables car l'action est prescrite. Elle explique que dans la première assignation délivrée le 24 mai 2019, la société Torpad n'a formulé aucune demande à son encontre et que ce n'est que dans l'assignation du 2 décembre 2019 que des demandes contre elle ont été formulées. Elle estime que le 2 décembre 2019, le délai de 5 ans prévu par l'article L.110-4 du code de commerce était expiré et que l'action en nullité prévue par l'article L.141-1-II du même code était également prescrite compte tenu du délai de prescription d'un an.

*****

L'action de M. [R] n'étant pas fondée sur les dispositions de l'article L.141-1-II du code de commerce, la société Martin Associés n'est pas fondée à se prévaloir du délai de prescription d'un an prévu par ce texte.

L'action en nullité du contrat pour dol est soumise à la prescription quinquennale de l' article 2224 du code civil.

L'article 2241 du code civil dispose que :

'La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.'

En l'espèce, l'acte de cession du fonds de commerce pour lequel le consentement du cessionnaire aurait été vicié par des manoeuvres dolosives a été conclu le 27 mai 2014. Le délai de prescription de 5 ans a donc commencé à courir à cette date.

Le 24 mai 2019, M. [R] affirme avoir fait délivrer une première assignation comportant une erreur matérielle et avoir rectifié cette erreur par la délivrance d'une seconde assignation le 2 décembre 2019. Il ressort en effet du jugement qu'une première assignation a été délivrée à la société Philargo, à M. [Y] et à la société Martin Transactions le 24 mai 2019 soit dans le délai de 5 ans à compter de la conclusion de l'acte de cession.

Même si cette assignation comportait une erreur matérielle, elle a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription de sorte que l'action de M. [R] n'est pas prescrite.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] et la société Martin Associés de leur demande à ce titre.

3/ Sur la responsabilité de la société Philargo, de M. [Y] et de la société Martin Associés pour dol

M. [R] affirme avoir été victime d'un dol lors de l'acquisition du fonds de commerce par la société Torpad. Il soutient tout d'abord que la société Philargo et la société Martin Transactions - devenue la société Martin Associés - lui ont présenté des documents comptables qui n'étaient pas conformes à la réalité, notamment les bilans des exercices 2011 et 2012 sur lesquels le déficit indiqué était réduit par un apport de 90.000 € de M. [Y]. Il explique qu'il n'a obtenu les bilans 2013 et 2014 que tardivement et après de nombreuses relances et précise que le bilan de 2013 était incomplet. Il estime que la société Torpad n'aurait pas acquis le fonds si elle avait eu les réelles informations comptables et que cela est constitutif de manoeuvres dolosives tant de la part de la société Philargo et de son gérant que de la société Martin Associés qui lui a conseillé l'achat de ce fonds de commerce. Il reproche ensuite à M. [Y] de ne pas l'avoir informé des futurs travaux de voiries qui ont impacté la circulation aux alentours du fonds de commerce alors qu'ayant toujours vécu dans cette commune, il avait nécessairement connaissance de ces travaux. Il fait valoir que la connaissance par M. [Y] de ces travaux est démontrée par le fait qu'il a accepté rapidement l'offre d'achat de la société Torpad alors qu'elle était en-dessous du prix de vente et qu'il lui a été accordé une remise de ses frais par l'agence immobilière. M. [R] affirme qu'il a perdu son investissement personnel à hauteur de 22.000 € mais également qu'il a été condamné, en sa qualité de caution, à rembourser l'emprunt bancaire souscrit par la société Torpad pour acquérir le fonds de commerce à hauteur de 117.300 €. Il soutient avoir un intérêt à agir distinct de la société et réclame le versement de la somme de 27.300 € (117.300 - 90.000) en réparation de son préjudice personnel résultant du dol et la somme de 10.000 € au titre de son préjudice moral consistant en la perte de son projet de devenir propriétaire de son restaurant.

M. [Y] réplique tout d'abord que sa responsabilité personnelle pour dol ne peut être recherchée. Il explique qu'en sa qualité de gérant de la société Philargo, il n'était pas le cédant du fonds de commerce et n'était pas partie à l'acte de cession et qu'il ne peut donc lui être reproché des manoeuvres dolosives à l'origine de l'achat du fonds de commerce. Il ajoute que le dol commis par un dirigeant dans l'exécution d'un contrat de la société ne constitue pas une faute détachable de ses fonctions susceptibles de provoquer la responsabilité personnelle. Il affirme ensuite que la cession a été effectuée avec l'intervention de la société Martin Associés, agence spécialisée dans ce type de cession et mandatée par l'acquéreur, de sorte qu'il s'est déchargé de toute obligation d'information. Il ajoute qu'aucune information n'est donnée concernant l'exploitation du fonds par l'acquéreur et que la liquidation judiciaire peut être due à son exploitation surtout que le restaurant fonctionnait bien avant le rachat. Il conteste les reproches relatifs à la comptabilité alors que toutes les données financières utiles étaient reprises dans l'acte de cession et à la dissimulation des travaux alors qu'ils étaient prévus depuis de nombreuses années, de notoriété publique et qu'il appartenait à l'acquéreur de se renseigner un minimum sur le village et l'implantation du fonds. Il explique enfin que la liquidation judiciaire s'explique plutôt par la mauvaise gestion du repreneur et la perte de la clientèle déçue de la qualité des plats et du service depuis le rachat.

M. [Y] soutient que, s'agissant de la réparation du préjudice sans demande de nullité de l'acte de cession, le préjudice réparable ne peut consister qu'en la perte de chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses. Il fait valoir que M. [R] ne peut demander des dommages et intérêts à hauteur du prix de cession alors qu'il ne demande pas la nullité de l'acte de cession.

La société Martin Associés explique qu'elle n'était pas partie à l'acte de cession et qu'elle ne peut donc être mise en cause dans le cadre d'une demande de nullité d'un contrat pour vice de consentement. Elle ajoute qu'au jour de la cession, le 24 mai 2014, le bilan de l'exercice 2013 n'était pas définitif car les liasses fiscales n'avaient pas encore été déposées. Elle fait valoir que, n'ayant pas établi les comptes de la société Philargo, elle ne peut être responsable des éventuelles erreurs dans les documents comptables et que toutes les informations financières étaient présentes dans l'acte de cession et notamment la situation déficitaire de la société cédante depuis plusieurs exercices. Elle ajoute que l'acte de cession comprend une clause exonératoire de responsabilité du cédant et de l'intermédiaire. Elle conclut qu'elle a satisfait de bonne foi à ses obligations contractuelles au terme du mandat et qu'elle n'a pas à supporter le risque commercial inhérent à toute entreprise.

*****

L'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au litige, disposait que :

'Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé.'

Il est constant que le dol n'est une cause de nullité de la convention que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation est contractée. Toutefois, les manoeuvres dolosives du représentant du vendeur, qui n'est pas un tiers au contrat, engagent la responsabilité de celui-ci.

En l'espèce, M. [R] reproche à M. [Y] et à la société Martin Associés de ne pas lui avoir présenté la situation financière réelle du fonds de commerce. Il soutient que le bilan de l'exercice 2012 ne faisait apparaître qu'un déficit de 1.053 € alors qu'il s'élevait en réalité à 22.620 €. La cour constate qu'il est indiqué, tant dans le compte de résultat de l'exercice 2012 que dans l'acte de cession que le résultat d'exploitation de cet exercice était une perte de 22.279 € et non de 1.053 €. Par ailleurs, contrairement à ce qu'indique M. [R] dans ses écritures, les versements de M. [Y] de 18.000 € en 2011 et de 22.000 € en 2012 apparaissent dans les comptes en produits exceptionnels et n'ont donc pas été dissimulés. Enfin, l'acte de cession reprend expressément les trois derniers chiffres d'affaires et les trois derniers résultats d'exploitation réalisés par la société Philargo, de sorte que M. [R] ne pouvait ignorer que la société avait réalisé une perte d'environ 20.000 € à chacun des trois exercices.

Il affirme ensuite ne pas avoir eu connaissance des pièces comptables des exercices 2013 et 2014 avant la cession et qu'elles ne lui ont été communiquées qu'après de nombreuses relances. Mais, il ressort de ses propres pièces qu'il n'a demandé à la société Martin Associés le bilan de l'exercice 2013 qu'une seule fois, le 26 janvier 2015, soit 8 mois après le rachat du fonds de commerce, et que celle-ci lui a adressé, dès le 29 janvier 2015, les comptes de 2013 et 2014.

M. [R] reproche également aux intimés de lui avoir communiqué un bilan 2013 incomplet mais ne le justifie pas et n'explique pas en quoi cela serait constitutif d'une manoeuvre dolosive de la part des intimés dans le cadre de l'acquisition du fonds de commerce, surtout qu'il avait la possibilité de prendre contact directement avec la société d'expertise comptable qui a établit les documents comptables et qui est visée dans l'acte de cession.

Il reproche enfin à la société Philargo et à son gérant de lui avoir dissimulé l'information selon laquelle des travaux allaient être réalisés dans le village. Il affirme que la volonté de dissimuler les travaux serait démontrée par le fait que la société Philargo aurait accepté rapidement son offre en dessous du prix affiché mais il ne communique aucune pièce à l'appui de ses allégations. En tout état de cause, il ne justifie ni de la connaissance par la société Philargo et M. [Y] des futurs travaux, ni de la dissimulation par ces derniers de cette information.

Il en résulte que M. [R] échoue à démontrer l'existence de manoeuvres dolosives commises par la société Philargo, par son dirigeant, M. [Y] et par la société Martin Associés dans le cadre de l'acquisition du fonds de commerce, tant concernant la situation financière de la société Philargo que concernant les travaux de voiries. En l'absence de démonstration de l'existence d'un dol lors de l'acquisition du fonds de commerce, la cour n'a pas à se prononcer sur la réalité du préjudice invoqué qui, en tout état de cause, en l'absence de demande de nullité de l'acte de cession, ne peut correspondre qu'à la perte de chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [R] de ses demandes au titre du dol.

4/ Sur la demande reconventionnelle de M. [Y] pour procédure abusive

M. [Y] soutient que l'action des appelants est abusive, ces derniers n'ayant pas qualité ou intérêt à agir, leur action étant prescrite et le dol n'étant pas démontré. Il sollicite le versement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

Les appelants ne concluent pas sur ce point.

*****

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que :

'Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 € sans préjudice de dommages et intérêts qui seraient réclamés.'

Il est nécessaire de démontrer l'existence d'une faute du demandeur dans l'exercice de son droit d'ester en justice.

En l'espèce, M. [Y] reproche aux appelants d'avoir initié cette action de nombreuses années après la cession. Or, l'action n'étant pas prescrite, il ne peut être reproché aux appelants son caractère tardif. Il n'est par ailleurs pas démontré le caractère abusif de l'action.

Il convient de débouter M. [Y] de sa demande, par confirmation du jugement entrepris.

5/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, M. [R] sera condamné aux dépens d'appel.

Il n'apparait pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 23 février 2022 par le tribunal de commerce de Chartres en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [R] aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de Président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le conseiller,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre commerciale 3-1
Numéro d'arrêt : 22/04121
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.04121 ?
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