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02/05/2024 | FRANCE | N°22/05064

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3-1, 02 mai 2024, 22/05064


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 58E



Chambre commerciale 3-1



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 22/05064 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VLHZ







AFFAIRE :



S.A. ALLIANZ IARD



C/



S.A.S. BIJOUTERIE PONSOLLE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de Nanterre

N° Chambre : 6

N° RG : 2021F00405
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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Eric AZOULAY



Me Christophe DEBRAY



TC NANTERRE









RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58E

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 MAI 2024

N° RG 22/05064 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VLHZ

AFFAIRE :

S.A. ALLIANZ IARD

C/

S.A.S. BIJOUTERIE PONSOLLE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de Nanterre

N° Chambre : 6

N° RG : 2021F00405

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Eric AZOULAY

Me Christophe DEBRAY

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. ALLIANZ IARD

RCS Nanterre n° 542 110 291

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Eric AZOULAY de la SELARL INTER- BARREAUX FEDARC, Postulant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 10 et Me Clémentine DE ROBILLARD & Me Antoine CHATAIN du cabinet Chatain & Associés, Plaidants, avocats au barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.A.S. BIJOUTERIE PONSOLLE

RCS Nanterre n° 800 307 910

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Emilie NIEUVIAERT & Me Rachel HARZIC de l'AARPI Chouraqui-Harzic, Plaidants, avocats au barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DES FAITS

La SARL Bijouterie Ponsolle qui exploite un commerce de bijouterie situé [Adresse 3], a souscrit le 10 avril 2014, par l'intermédiaire du cabinet Dufaud Assurances, un contrat d'assurance 'multirisque commerce bijouterie/joailliers/horlogers' n°53701765/088002 auprès de la SA Allianz Iard (ci-après 'Allianz') à effet du 29 mars 2014.

Par lettre recommandée AR du 11 juin 2020, la société Bijouterie Ponsolle a adressé à la société Dufaud Assurances une déclaration de sinistre au titre d'une perte d'exploitation, subie du 17 mars au 11 mai 2020, consécutive à l'arrêté du 14 mars 2020 imposant la fermeture des commerces 'non essentiels' et lui a demandé de procéder à l'indemnisation de ladite perte d'exploitation dans les meilleurs délais.

Par lettre en date du 30 juin 2020, la société Allianz a répondu à la société Bijouterie Ponsolle que l'application de la garantie perte d'exploitation résultant de l'interruption ou de la réduction de l'activité est conditionnée à l'existence d'un dommage pris en charge et qu'en conséquence, les pertes d'exploitation liées à une épidémie ou à une pandémie ne sont pas garanties.

Par lettre recommandée AR du 12 août 2020, la société Bijouterie Ponsolle, par l'intermédiaire de son conseil, a rappelé à la société Allianz que le risque lié à la fermeture totale ou partielle de son établissement par suite d'une décision administrative d'ordre sanitaire est couvert et l'a mise en demeure de lui adresser la somme de 158.267,48 €.

Par lettre recommandée AR du 1er octobre 2020, la société Allianz, par l'intermédiaire de son conseil, a exposé que seules les pertes d'exploitation consécutives à un événement assuré sont garanties, que les événements assurés impliquent, sans exception, une garantie matérielle aux biens assurés et que dans ces conditions, la société Allianz ne donnera pas de suite favorable à la demande d'indemnisation de la société Bijouterie Ponsolle.

C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier de justice en date du 1er février 2021, signifié à personne habilitée pour personne morale, la société Bijouterie Ponsolle a fait assigner la société Allianz.

Par jugement du 29 juin 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Dit que la garantie des pertes d'exploitation souscrite par la société Bijouterie Ponsolle auprès de la société Allianz est mobilisable ;

- Condamné la société Allianz à payer à la société Bijouterie Ponsolle la somme de 18.000 € au titre de ses pertes d'exploitation ;

- Condamné la société Allianz à payer à la société Bijouterie Ponsolle la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Allianz à supporter les dépens.

Par déclaration du 29 juillet 2022, la société Allianz a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 mars 2023, la société Allianz demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société Allianz ;

À titre principal, sur l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions :

- Juger que la garantie « fermeture totale ou partielle » prévue par le contrat d'assurance Allianz n'est pas mobilisable au titre des préjudices allégués par la société Bijouterie Ponsolle ;

- Juger que les préjudices allégués par la société Bijouterie Ponsolle ne sont pas justifiés dans leur principe et dans leur montant ;

- Débouter la société Bijouterie Ponsolle de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Par conséquent,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a :

- Dit que la garantie des pertes d'exploitation souscrite par la société Bijouterie Ponsolle auprès de la société Allianz est mobilisable ;

- Condamné la société Allianz à payer à la société Bijouterie Ponsolle la somme de 18.000 € au titre de ses pertes d'exploitation ;

- Condamné la société Allianz à payer à la société Bijouterie Ponsolle la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Allianz à supporter les dépens ;

- Condamner la société Bijouterie Ponsolle à payer à la société Allianz un montant de 21.178,40 €, en remboursement de la somme acquittée en première instance ;

À titre subsidiaire, sur la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la garantie « fermeture totale ou partielle » était plafonnée à hauteur d'un montant de 18.000 € :

- Juger que le plafond applicable à la garantie « fermeture totale ou partielle » s'élève à un montant de 18.000 € ;

- Débouter la société Bijouterie Ponsolle de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Par conséquent,

- Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a limité le montant de la condamnation à l'encontre de la société Allianz à un montant de 18.000 € au titre de la garantie « fermeture totale ou partielle » ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Bijouterie Ponsolle au paiement de la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 décembre 2022, la société Bijouterie Ponsolle demande à la cour de :

- Infirmer partiellement le jugement entrepris ;

- Juger que, dans le contrat délivré par la société Allianz à la société Ponsolle, ne figure aucune clause excluant de manière expresse, formelle et limitée, le risque d'épidémie ou de pandémie ;

- Juger que la boutique de la société Ponsolle a été fermée du 17 mars 2020 au 9 mai 2020 pour se conformer à l'arrêté du 14 mars 2020 pris par le ministre des solidarités et de la santé portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du Covid-19 ;

- Juger que cette fermeture obligatoire s'inscrit dans le cadre de la garantie couvrant les pertes d'exploitation du fait d'une fermeture totale faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire délivrée par la société Allianz ;

- Juger que la société Allianz ne peut contester la mobilisation de sa garantie de sorte qu'elle est tenue à indemnisation ;

En conséquence, et statuant à nouveau, faisant droit à l'appel incident de la concluante,

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que les garanties pertes d'exploitation délivrées par la société Allianz sont mobilisables ;

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Allianz à indemniser la société Ponsolle ;

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Allianz à payer à la société Ponsolle la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a limité le montant de l'indemnisation due à la société Ponsolle à la somme de 18.000 € ;

- Condamner la société Allianz à payer à la société Ponsolle la somme de 66.160 € au titre de l'indemnisation de ses pertes d'exploitation ;

- Débouter la société Allianz de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Allianz à payer à la société Ponsolle la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Allianz aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la mobilisation de la garantie 'Pertes d'exploitation'

La société Allianz sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé la garantie des pertes d'exploitation souscrite par la société Bijouterie Ponsolle mobilisable.

Elle fait valoir, au visa, d'une part, des articles 1103 et 1188 à 1191 du code civil, d'autre part, de l'Article 1 « Les Pertes d'Exploitation » du Titre III « LES PROTECTIONS FINANCIÈRES » des Conditions Spéciales de la police Multirisques Commerce souscrite par la société Bijouterie Ponsolle, que sont garanties les pertes d'exploitation qui sont la conséquence directe d'un dommage matériel, lui-même garanti par la police.

Elle expose qu'en complément de cette garantie de base, une garantie « fermeture totale ou partielle » a été étendue à la perte de marge brute du fait de la fermeture totale ou partielle de l'établissement assuré 'faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire, par suite d'un événement couvert au titre des garanties « Incendie et risques annexes », « Tempête, Grêle, Neige », « Dégât des eaux » et « Catastrophes naturelles » ou de tout autre événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels dans le voisinage immédiat' des locaux à l'exclusion d'un attentat ou d'un acte de terrorisme.

Elle critique le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que l'existence d'une virgule après les mots « une décision administrative d'ordre sanitaire » faisait de cette décision le premier événement d'une série d'événements alternatifs permettant de déclencher la garantie alors que ce n'est ni l'esprit de la clause ni celui de la police d'assurance dans sa globalité.

Elle fait valoir que pour que la garantie soit mobilisable, deux conditions doivent être réunies : d'une part la fermeture de l'établissement, condition en l'espèce remplie, d'autre part l'existence d'un lien causal entre cette fermeture et la survenance d'un événement couvert au titre des garanties « Incendie et risques annexes », «Tempête, Grêle, Neige », «Dégât des eaux » et « Catastrophes naturelles », ou 'tout autre événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels dans le voisinage immédiat des locaux de l'assuré'.

Elle soutient que ces hypothèses supposent toutes l'affectation d'un bien dans son intégrité matérielle ce qui n'est pas le cas en l'espèce, les pertes d'exploitation liées à l'épidémie de Covid-19 sont la conséquence de l'interdiction mais ne peuvent être rattachées à l'existence d'un dommage matériel.

Elle explique que son interprétation est corroborée par les Conditions Particulières de la police dans lesquelles figure un tableau reprenant l'ensemble des garanties avec la mention 'Pertes d'Exploitation consécutives aux Evénements Assurés', les événements assurés impliquant, sans exception, une atteinte matérielle aux biens.

Elle fait valoir que la police d'assurance ne peut s'analyser comme un contrat d'adhésion devant être interprété contre elle mais doit être analysé selon la commune intention des parties puisque la police a été souscrite par l'intermédiaire d'un courtier mandaté par l'assurée.

Enfin, elle soutient que les pertes d'exploitation alléguées par l'assurée ne sont pas justifiées. Elle prétend à l'infirmation du jugement qui l'a condamnée à un montant de 18.000 € à ce titre.

Elle sollicite, subsidiairement, la confirmation du jugement qui a appliqué le plafond de garantie contractuel (18.000 €).

La société Bijouterie Ponsolle, au visa des articles 1103, 1104, 1188, 1189, 1190 du code civil et de l'article L.113-1 du code des assurances, sollicite la confirmation du jugement qui a reconnu la mobilisation de la garantie.

Elle rappelle qu'il n'existe au sein de la police d'assurance aucune clause excluant de manière expresse, formelle et limitée le risque de pandémie. Elle en déduit que ce risque est assuré.

Elle conteste l'interprétation de l'appelante selon laquelle la garantie perte d'exploitation du fait de la fermeture totale ou partielle faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire serait subordonnée à la survenance d'un dommage matériel garanti.

Elle fait valoir que le tableau des garanties doit être examiné à la lumière des différentes conditions générales, conventions spéciales et conditions particulières de la police souscrite. Elle expose en particulier au visa du Titre III « Les protections financières », « article 1 ' Les pertes d'exploitation », « Dispositions particulières » de la police d'assurance que la « garantie est étendue à la perte de marge brute du fait de la fermeture totale ou partielle de votre établissement faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire, par suite d'un événement couvert au titre des garanties « Incendie et risques annexes », « Tempête, Grêle, Neige », « Dégât des eaux » et « Catastrophes naturelles » ou de tout autre événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels dans le voisinage immédiat de vos locaux, à l'exclusion d'un attentat ou d'un acte de terrorisme (telle que définie aux articles 421 ' un et 421 ' deux du code pénal) survenue à l'extérieur de vos locaux professionnels » (Souligné par la société Bijouterie Ponsolle).

Elle en déduit que la fermeture, totale ou partielle, faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire est un événement assuré.

Elle reprend à son compte la motivation du jugement entrepris considérant qu'une virgule, insérée entre la première partie de la phrase et la seconde partie de la phrase, indique qu'il s'agit d'une énumération d'événements distincts dont la décision administrative, susceptibles d'entraîner, alternativement, la mobilisation de la garantie en cas de fermeture partielle ou totale, la présence des termes « faisant suite » puis les termes « par suite » et enfin de la conjonction de coordination «ou» dans la dernière proposition confirmant que ces conditions sont alternatives et non cumulatives.

Elle fait valoir, à titre surabondant, au visa des articles 1188 et 1190 du code civil, que lorsque les parties ne s'accordent pas sur le risque assuré, le contrat doit être interprété dans le sens que lui donnerait une personne raisonnable étant précisé qu'en cas de doute créé par la rédaction confuse des termes du contrat d'assurance celui-ci doit être interprété en faveur de l'assuré contre l'assureur s'agissant d'un contrat d'adhésion et qu'à cet égard la souscription du contrat d'assurance par l'intermédiaire d'un courtier est sans incidence.

Elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité son droit à indemnisation à la somme de 18.000 €, statuant ultra petita, alors qu'elle demandait la somme justifiée de 66.160 € et que l'assureur se contentait de demander la limitation de son droit à indemnisation à la somme de 60.000 €.

*

L'article 1134, alinéa premier, ancien, applicable à l'espèce, devenu l'article 1103 du code civil dispose que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

L'article 1156 ancien, applicable à l'espèce, remplacé par l'article 1188 du code civil prévoit que: « On doit dans les conventions rechercher qu'elle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ».

L'article 1161 ancien du code civil, applicable à l'espèce, remplacé par l'article 1189 du code civil stipule que « Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier ».

L'article 1162 ancien du code civil, applicable à l'espèce, remplacé par l'article 1190 du même code, précise que : « Dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui est stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ».

L'article 1157 ancien du code civil remplacé par l'article 1191 du même code prévoit que : « Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun ».

*

Le contrat d'assurance n° 53701765/08802 liant les parties (pièce 1 - Bijouterie Ponsolle ; pièce 1 - société Allianz) se compose de Conditions Particulières, de Conventions Spéciales, de Conditions Générales et d'une « Protection Juridique Bijoutier ».

La police d'assurance propose trois types de garanties : les dommages aux biens, les protections financières et la responsabilité civile de l'assuré.

Le litige s'inscrit dans le cadre de la garantie relative aux protections financières.

La société Bijouterie Ponsolle ne soutient ni ne démontre que la police d'assurance offre une garantie de type « tout sauf » de sorte que l'absence d'exclusion expresse, formelle et limitée du risque d'épidémie ou de pandémie ne suffit pas à garantir, en soi, ce risque au titre de ladite police du seul fait de cette absence d'exclusion.

Les parties s'opposent sur l'interprétation qu'il convient d'accorder à une disposition figurant aux Conventions Spéciales, sous le titre III intitulé « Les Protections Financières », insérée dans l'« Article 1 ' Les Pertes d'Exploitation », sous la section « Dispositions particulières », rédigée ainsi :

« Fermeture totale ou partielle

La garantie est étendue à la perte de marge brute du fait de la fermeture totale ou partielle de votre établissement faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire, par suite d'un événement couvert au titre des garanties « Incendie et risques annexes », « Tempête, Grêle, Neige », « Dégât des eaux » et « Catastrophes naturelles » ou de tout autre événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels dans le voisinage immédiat de vos locaux, à l'exclusion d'un attentat ou d'un acte de terrorisme (telle que définie aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal) survenu à l'extérieur de vos locaux professionnels.

Cette garantie est accordée à concurrence de 30 % du montant de la garantie Pertes d'Exploitation figurant aux Conditions Particulières, et la période d'indemnisation est ramenée à six mois ». (en caractères gras dans le texte initial)

La société Allianz soutient que la garantie s'applique, en cas de fermeture de l'établissement assuré, à la suite d'une décision administrative d'ordre sanitaire pourvu que celle-ci soit consécutive à un événement couvert par certaines garanties limitativement énumérées et ayant causé un dommage matériel.

Ainsi, selon l'assureur, la garantie ne peut jouer que si deux conditions cumulatives sont réunies :

- La première suppose la fermeture, partielle ou totale de l'établissement assuré à la suite d'une décision administrative d'ordre sanitaire,

- La seconde requiert la survenance d'un événement (« Incendie et risques annexes », « Tempête, Grêle, Neige », « Dégât des eaux », « Catastrophes naturelles » ou « tout autre événement accidentel ») ayant entraîné des dommages matériels.

En revanche la société Bijouterie Ponsolle fait valoir que la garantie s'applique, en cas de fermeture de l'établissement, soit à la suite d'une décision administrative d'ordre sanitaire soit à la suite d'un événement couvert par certaines garanties limitativement énumérées. Elle fonde son interprétation, comme le tribunal, sur la présence d'une virgule placée immédiatement avant la locution ',par suite d'un événement couvert...' (souligné par la cour).

Selon la société Bijouterie Ponsolle, la garantie est mobilisable sous les deux conditions suivantes :

- le constat d'une fermeture partielle ou totale de l'établissement assuré,

- la survenance de l'un des événements suivants : une décision administrative d'ordre sanitaire,

ou l'un ou l'autre des événements couverts par les garanties suivantes « Incendie et risques annexes », « Tempête, Grêle, Neige », « Dégât des eaux », « Catastrophes naturelles » ou « tout autre événement accidentel ».

Il n'est pas contesté que l'établissement assuré a été fermé du 17 mars au 11 mai 2020, consécutivement à l'arrêté du 14 mars 2020 imposant la fermeture des commerces 'non essentiels'.

La disposition litigieuse qui constitue l'une des dispositions particulières de l'« Article 1- Les Pertes d'Exploitation » ne peut se comprendre et, le cas échéant, s'interpréter qu'à la lumière de ce que prévoit cet article, à titre principal, sous la rubrique 'Objet de la garantie'. En effet, le texte de la clause en débat s'ouvre ainsi : 'La garantie est étendue à la perte de marge...' (souligné par la cour) de sorte que, pour comprendre le sens et la portée de cette disposition particulière, le lecteur est conduit à s'interroger, nécessairement, sur le contenu de cette garantie avant son extension.

Celle-ci, intitulée 'Objet de la garantie', est rédigée ainsi :

«L'Assureur garantit, à concurrence des sommes indiquées au tableau des montants de garantie, le paiement d'une indemnité pendant la période d'indemnisation correspondant à la perte d'exploitation, c'est-à-dire :

. la perte de Marge brute résultant de la baisse du Chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l 'activité de l'Assuré,

. le remboursement des frais supplémentaires d'exploitation engagés avec l'accord de l'Assureur afin de réduire la baisse du Chiffre d'affaires,

qui sont la conséquence directe (*) d 'un Dommage matériel ayant donné lieu à indemnisation au titre d'une des garanties suivantes :

- Incendies et risques annexes

- Tempête, Grêle, Neige

- Dégâts des eaux

- Actes de Vandalisme

- Autres dommages matériels

- Dommages électriques

- Attentats

- Catastrophes naturelles (A I25-1du Code des assurances). »

(*) l'expression « la conséquence directe » figure en gras dans le texte original.

Il s'en déduit que l'indemnisation au titre de la perte d'exploitation proposée par l'assureur ne peut être mise en 'uvre qu'à la condition de résulter directement d'un dommage matériel lui-même indemnisé au titre des garanties limitativement énumérées.

La clause, source du litige, ne remet pas en cause ce principe d'indemnisation subordonnée à la préexistence d'un préjudice matériel garanti. Elle complète la liste des événements initialement garantis par un événement supplémentaire : le cas de la fermeture totale ou partielle de l'établissement assuré. Elle précise les conditions de mobilisation de la garantie au titre de cette fermeture : celle-ci doit être consécutive à une décision administrative d'ordre sanitaire prise à la suite d'un dommage matériel causé par un sinistre lui-même pris en charge au titre des garanties limitativement énumérées. Tel serait le cas, par exemple, d'une décision administrative d'ordre sanitaire de fermeture, partielle ou totale, prise à la suite d'un dégât des eaux ou d'une tempête ayant affecté matériellement la structure de l'établissement assuré au point de constituer une menace.

Les dispositions de l'« Article 1 - Pertes d'Exploitation » et de la clause contestée, à moins de les dénaturer et de remettre en cause la garantie initiale préalable à l'extension, ne prévoient pas que la décision administrative d'ordre sanitaire doit être appréhendée comme un événement garanti à l'instar des autres événements garantis que sont l'« Incendie et risques annexes », ou la « Tempête, Grêle, Neige », ou le « Dégât des eaux » ou les « Catastrophes naturelles » ou encore 'tout autre événement accidentel'.

La 'décision administrative d'ordre sanitaire' n'est pas présentée dans la clause comme un 'événement' à la différences des autres cas ainsi : 'faisant suite à une décision administrative d'ordre sanitaire, par suite d'un événement couvert au titre des garanties « Incendie et risques annexes », « Tempête, Grêle, Neige », « Dégât des eaux » et « Catastrophes naturelles » ou de tout autre événement accidentel ayant entraîné des dommages matériels dans le voisinage immédiat de vos locaux...'. L'emploi de la locution 'faisant suite' à propos de la seule décision administrative, alors que les 'événements' sont annoncés par les mots : 'par suite' confirme la distinction que le rédacteur a souhaité créer entre la 'décision' et les 'événements', la présence de la virgule précédemment évoquée étant inutile.

Cette observation est corroborée par le TABLEAU DE GARANTIES, résumant les garanties proposées et leur plafond, figurant aux Conditions Particulières sous la rubrique 'PROTECTIONS FINANCIÈRES' qui précise, sous la section 'Pertes d'Exploitation consécutives aux Evénements Assurés', les plafonds de garantie par catégorie de sinistre garanti selon une liste (incendie, attentats, tempêtes, dégâts des eaux, etc.) dans laquelle figure la 'Fermeture totale ou partielle' mais non l'événement 'décision administrative d'ordre sanitaire'.

En outre, à supposer que la cour suive le raisonnement de l'assurée sur l''alternativité' des événements, la décision administrative sanitaire étant considérée comme un événement garanti, il n'en reste pas moins que le contenu de la clause litigieuse ne permet pas de considérer que, pour les besoins de la mise en 'uvre de la garantie, la condition de l'existence préalable d'un dommage matériel, survenu à la suite d'un sinistre garanti, a été supprimée. L'assurée ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice matériel conséquence directe d'une décision administrative d'ordre sanitaire.

La cour dira que la garantie querellée n'est pas mobilisable.

Le jugement entrepris sera infirmé.

Sur le montant des pertes d'exploitation

La solution retenue par la cour rend sans objet l'examen des moyens et prétentions des parties relatifs au montant de l'indemnisation au titre des pertes d'exploitation.

Sur la somme de 21.178,40 €

La société Allianz sollicite la condamnation de la société Bijouterie Ponsolle à lui rembourser la somme de 21.178,40 €, montant des condamnations acquittées prononcées à son encontre en première instance.

Le présent arrêt valant titre exécutoire rend sans objet cette demande.

Sur les dépens et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Bijouterie Ponsolle, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

La société Bijouterie Ponsolle sera condamnée à une indemnité de procédure de 3.000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement,

Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 29 juin 2022,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Dit que la garantie 'Fermeture totale ou partielle' souscrite par la société Bijouterie Ponsolle auprès de la société Allianz Iard n'est pas mobilisable ;

Condamne la société Bijouterie Ponsolle aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société Bijouterie Ponsolle à payer à la société Allianz Iard la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toutes autres demandes.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le conseiller,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre commerciale 3-1
Numéro d'arrêt : 22/05064
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.05064 ?
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