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10/01/1990 | FRANCE | N°87-12880

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 janvier 1990, 87-12880


Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que le cargo " Touggourt " dont la Compagnie nationale algérienne de navigation (CNAN) est armateur propriétaire, a subi, le 19 juillet 1979, une avarie au moteur tribord ; que les travaux de réparation ont été confiés à la société de droit allemand Howaldtswerke Deutsche Werft (HDW), qui est intervenue à deux reprises, du 20 juillet au 29 août 1979 et du 11 septembre au 9 octobre 1979 ; que cette société a, en dernier lieu, procédé à divers relevés ayant révélé que les déflections de l'arbre dépassaient la limite accept

able et qu'il convenait de reprendre le lignage et le calage du moteur...

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que le cargo " Touggourt " dont la Compagnie nationale algérienne de navigation (CNAN) est armateur propriétaire, a subi, le 19 juillet 1979, une avarie au moteur tribord ; que les travaux de réparation ont été confiés à la société de droit allemand Howaldtswerke Deutsche Werft (HDW), qui est intervenue à deux reprises, du 20 juillet au 29 août 1979 et du 11 septembre au 9 octobre 1979 ; que cette société a, en dernier lieu, procédé à divers relevés ayant révélé que les déflections de l'arbre dépassaient la limite acceptable et qu'il convenait de reprendre le lignage et le calage du moteur tribord ; qu'à cet effet, un appel d'offre a été lancé par l'armement et que les travaux ont été confiés à la société Sud-Marine à Marseille ; que le navire s'est rendu dans ce dernier port en utilisant le seul moteur bâbord, l'autre moteur ayant été scellé à Hambourg, le 9 octobre 1979, par le Bureau Véritas ;.

Attendu qu'après réparation du moteur tribord, un incident s'est produit, le 4 janvier 1980, au cours des essais en mer sur le moteur bâbord ; que, par ordonnance de référé rendue par défaut le 15 janvier 1980, le président du tribunal de commerce a commis deux experts afin d'examiner ce dernier moteur ; que ceux-ci, déjà désignés précédemment pour l'examen du moteur tribord, ont estimé que l'avarie du 4 janvier 1980, concernant le palier n° 4 du moteur bâbord, devait être attribuée à un mauvais montage des deux coquilles de ce palier à Hambourg (le palier ayant été visité pour prendre des mesures comparatives), aggravée par un montage défectueux des capteurs de température exécuté par la Société de contrôle, mesure et régulation (CMR) dont le siège est à Marseille ; que la CNAN a, le 26 février 1980, assigné les sociétés HDW, Sud-Marine et CMR devant le tribunal de commerce de Marseille, en réparation du préjudice qui résulterait d'une exécution de travaux non conformes aux règles de l'art tant sur le moteur tribord que sur le moteur bâbord ; que la société HDW a soulevé l'exception d'incompétence de la juridiction française ; que l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 décembre 1986) a, sur le fondement de l'article 6, 1°, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, dit que le tribunal de commerce de Marseille n'était pas compétent pour statuer sur les demandes relatives à l'avarie du moteur tribord et, retenant sa compétence pour le moteur bâbord, a condamné solidairement la société HDW et la société Sud-Marine à payer à la CNAN les sommes de : a) 368 313 francs, b) 259 216 DM ou sa contre-valeur en francs français au jour du paiement, et dit que la société CMR devra relever Sud-Marine de toutes les condamnations ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches, qui est préalable :

Attendu que la société HDW fait grief à la cour d'appel d'avoir retenu la compétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes de la CNAN relatives à l'avarie du moteur bâbord, alors, d'une part, qu'en ne recherchant pas, comme le soutenaient les conclusions, si la société HDW et la CNAN n'avaient pas, postérieurement au mois de juillet 1978, continué à entretenir des rapports d'affaires et si ceux-ci, faute d'accord des parties, ne s'étaient pas trouvés régis par les conditions figurant au dos des confirmations de commandes adressées par la société HDW à la CNAN, l'arrêt attaqué se trouverait privé de base légale au regard de l'article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ; alors, d'autre part, que la juridiction du second degré a relevé qu'au lieu de faire procéder à une expertise des travaux de la société HDW, la CNAN a fait remonter sommairement le moteur placé sous scellés, prétextant une rotation Hambourg-Alger-Hambourg, bien qu'en réalité, plusieurs rotations Alger-Marseille aient été effectuées ; que, selon le moyen, il résulte de ces constatations que les sociétés Sud-Marine et CMR n'étaient intervenues sur le moteur bâbord qu'à l'occasion d'une expertise artificiellement diligentée à Marseille par suite d'une manoeuvre de la CNAN ; qu'ainsi, en déclarant le tribunal de commerce de Marseille compétent pour connaître du litige, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant de la sorte l'article 6, 1°, de la convention précitée ;

Mais attendu, d'abord, sur la première branche, qu'en l'absence de convention de prorogation de compétence écrite ou verbale confirmée par écrit, l'application de l'article 17, alinéa 1er, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, dans le cas où il existe entre les parties des rapports commerciaux courants établis sur la base des conditions générales de l'une d'elles, suppose que ces parties aient gardé le silence sur la prorogation au moment de la conclusion du contrat litigieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que la CNAN avait clairement manifesté sa volonté de ne pas contracter aux conditions générales du chantier de la société HDW, en lui adressant son propre cahier des charges et que, de son côté, la société allemande n'avait pas expressément rejeté l'ensemble de ce cahier des charges en proposant seulement certaines modifications ; qu'ainsi, la juridiction du second degré a légalement justifié sa décision qui écarte l'application des conditions générales de la société HDW ;

Attendu, ensuite, à supposer que la saisine du juge des référés de Marseille, pour ordonner une mesure d'expertise, ait été " artificielle ", le second grief est, en tout état de cause, dénué de portée dès lors que la juridiction du fond, après avoir vérifié sa propre compétence, a seulement retenu les constatations et conclusions des experts concernant la partie du litige relevant de la compétence de la juridiction française ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société HDW reproche encore à la cour d'appel de l'avoir condamnée solidairement avec la société Sud-Marine à réparer le préjudice résultant de l'avarie du moteur bâbord, alors, d'une part, qu'elle n'aurait pas répondu aux conclusions soutenant que le bien-fondé des prétentions de la CNAN devait, en vertu des règles françaises de conflits de lois, s'apprécier selon la loi allemande gouvernant le contrat ; alors, d'autre part, qu'en faisant application de la loi interne française pour apprécier la responsabilité d'une société allemande vis-à-vis d'une société algérienne, sans préciser les raisons pour lesquelles elle retenait cette loi, elle n'aurait pas permis à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle ;

Mais attendu qu'il incombe à la partie qui prétend qu'un contrat est soumis à une loi étrangère de rapporter la preuve du contenu de cette loi ; qu'en l'espèce, la société HDW, qui soutenait que la loi allemande était applicable, se bornait à prétendre que, selon ce droit étranger, les contrats de réparation litigieux se trouvaient régis par ses conditions générales ; que la cour d'appel, ayant estimé que ces conditions générales n'étaient pas applicables en raison du désaccord des parties, n'avait donc à s'expliquer ni sur l'absence d'obligation " in solidum " en droit allemand, qui n'était pas alléguée devant elle, ni à justifier sur ce point l'application de la loi française, dont la vocation est subsidiaire ; qu'ainsi, le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;

Et sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société HDW fait enfin grief à la cour d'appel de l'avoir condamnée solidairement avec la société Sud-Marine à payer une somme de 259 216 DM ou sa contre-valeur en francs français au jour du paiement, alors, de première part, qu'elle aurait dénaturé le rapport d'expertise d'où il résultait que ce n'étaient pas les experts mais la CNAN elle-même qui avait chiffré le préjudice financier indirect résultant de l'avarie du moteur bâbord ; alors, de deuxième part, qu'elle aurait aussi dénaturé les conclusions d'HDW qui contestait l'évaluation faite en marks par la CNAN dont le préjudice s'était réalisé à Marseille et non pas en Allemagne ; alors, de troisième part, qu'en s'abstenant de relever les circonstances spéciales qui auraient justifié l'évaluation en monnaie étrangère d'une partie du préjudice, la juridiction du second degré aurait privé sa décision de base légale ; alors, enfin, qu'en décidant que la somme allouée en marks pourrait être convertie en francs français au jour du paiement, elle aurait méconnu le principe suivant lequel le préjudice doit être évalué au jour du prononcé de la décision sans pouvoir dépendre d'événements incertains ;

Mais attendu, d'abord, que la société HDW n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu par le moyen, contesté l'évaluation proprement dite du préjudice financier indirect faite par la CNAN mais seulement le fait que son montant ait été fixé en marks ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel ayant retenu, conformément aux conclusions des experts, que la faute contractuelle de la société allemande, génératrice de sa responsabilité, a consisté en un mauvais montage des deux coquilles du palier n° 4, à la suite de la visite de ce palier, à Hambourg, pour prendre des mesures comparatives, cette juridiction n'était pas tenue de motiver spécialement sa décision sur l'évaluation du dommage en monnaie du pays où la faute avait été commise ;

Attendu, enfin, que l'évaluation du préjudice a bien été faite à la date du prononcé de l'arrêt ; que seule la conversion en une autre monnaie devait être obligatoirement faite au jour du paiement pour maintenir, eu égard à la variation des cours, l'équivalence avec le montant de la condamnation ; d'où il suit que l'arrêt attaqué n'encourt aucun des griefs du moyen ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 87-12880
Date de la décision : 10/01/1990
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Compétence judiciaire - Compétence territoriale - Clause attributive - Défaut - Conditions.

1° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Compétence judiciaire - Clause attributive - Défaut - Conditions 1° COMPETENCE - Clause attributive - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Défaut - Conditions.

1° En l'absence de convention de prorogation de compétence écrite ou verbale confirmée par écrit, l'application de l'article 17, alinéa 1er, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, dans le cas où il existe entre les parties des rapports commerciaux courants établis sur la base des conditions générales de l'une d'elles, suppose que ces parties aient gardé le silence sur la prorogation au moment de la conclusion du contrat qui les lie.

2° CONFLIT DE LOIS - Application de la loi étrangère - Preuve de sa teneur - Charge.

2° CONFLIT DE LOIS - Application de la loi étrangère - Preuve de sa teneur - Absence - Vocation subsidiaire de la loi française.

2° Il incombe à la partie qui prétend qu'un contrat est soumis à une loi étrangère, de rapporter la preuve du contenu de cette loi. A défaut, il y a lieu d'appliquer la loi française, dont la vocation est subsidiaire.

3° RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Dommage - Réparation - Evaluation du préjudice - Evaluation en monnaie étrangère - Monnaie du lieu de la commission de la faute - Motivation - Nécessité (non).

3° CASSATION - Moyen - Motifs de la décision attaquée - Défaut de motifs - Applications diverses - Motifs insuffisants - Responsabilité contractuelle.

3° Les juges du fond qui évaluent le dommage en monnaie du pays où la faute a été commise ne sont pas tenus de motiver spécialement leur décision sur ce point.

4° RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Dommage - Réparation - Evaluation du préjudice - Date - Jour de la décision - Conversion en une autre monnaie - Jour du paiement - Possibilité.

4° Dès lors que l'évaluation du préjudice est faite à la date du prononcé de leur décision, il ne peut être reproché aux juges du fond d'avoir fixé au jour du paiement la date de la conversion, en une autre monnaie, de la somme allouée en réparation de ce préjudice, une telle disposition ayant pour but de maintenir, eu égard à la variation des cours, l'équivalence avec le montant de la condamnation.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 04 décembre 1986

A RAPPROCHER : (1°). Cour de justice des Communautés européennes, 1976-12-14 (aff. 25-76), Recueil de jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, 1976, p. 1851 ; Chambre civile 1, 1983-05-31 , Bulletin 1983, I, n° 160, p. 139 (rejet)

arrêt cité. (2°). Chambre civile 1, 1988-06-21 , Bulletin 1988, I, n° 199 (1), p. 138 (rejet)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 10 jan. 1990, pourvoi n°87-12880, Bull. civ. 1990 I N° 2 p. 1
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1990 I N° 2 p. 1

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Camille Bernard, conseiller doyen faisant fonction
Avocat général : Avocat général :M. Dontenwille
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Camille Bernard, conseiller doyen faisant fonction
Avocat(s) : Avocats :M. Jacoupy, la SCP Peignot et Garreau, M. Odent.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1990:87.12880
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