Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 2 juillet 1998) que la péniche Brabant, appartenant à la société Stevedoring et Transport NV (la société) a été endommagée, en 1991, à l'occasion du franchissement d'une écluse à Courchelettes, près de Douai ; que la société et son assureur, la société Nationale Nederlanden Schade Verzekering Maats (l'assureur), après expertise ordonnée en référé, ont fait assigner en réparation de leur préjudice l'établissement public industriel et commercial Voies navigables de France (VNF) auquel le législateur a confié la gestion du domaine public fluvial de l'Etat, devant le tribunal de grande instance de Lille ; que VNF ayant soulevé l'incompétence du juge judiciaire, au motif qu'il s'agissait d'un dommage de travaux publics, l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté cette exception et délivré injonction au défendeur de conclure au fond ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :
Attendu que la société et son assureur soulèvent l'irrecevabilité du pourvoi au motif que l'arrêt attaqué s'est borné à rejeter une exception d'incompétence sans mettre fin à l'instance ;
Mais attendu que le pourvoi, qui soulève l'excès de pouvoir du juge judiciaire, caractérisé par la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, est immédiatement recevable devant la Cour de Cassation ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que le demandeur au pourvoi fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son exception d'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire, alors, d'une part, qu'en retenant, à l'appui de sa décision, qu'en faisant emprunter à sa péniche un canal dont l'exploitation et l'entretien sont confiés à cet établissement public, la société Stevedoring et Transport NV serait devenue usager " des Voies navigables de France ", la cour d'appel, à laquelle il incombait au premier chef de prendre parti sur le point de savoir si cette société avait la qualité d'usager d'un service public ou d'un ouvrage public, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi du 28 plûviose an VIII ; alors, d'autre part, et subsidiairement, que pour rechercher la responsabilité de Voies navigables de France, les sociétés Stevedoring et Transport NV et SA Nationale Nederlanden Schade Verzekering Maats exposaient qu'une péniche appartenant à la première avait été endommagée lors de son passage dans une écluse à la suite d'une faute commise par le personnel qui était en charge de celle-ci ; que le litige, qui avait ainsi trait à un dommage qui aurait résulté du fait d'un préposé au fonctionnement d'un ouvrage public, relevait dès lors de la compétence des juridictions administratives, à moins que ne soit établie l'existence d'un lien contractuel entre la société propriétaire de la péniche et l'établissement public industriel et commercial ; que Voies navigables de France soutenait qu'il n'entretenait précisément pas de rapports de droit privé avec la société Stevedoring et Transport NV, en exposant notamment que le droit de péage qu'il était autorisé à percevoir était dû en contrepartie non pas d'une prestation de service mais de l'utilisation du domaine public ; qu'en ne procédant pas à la recherche à laquelle elle était ainsi invitée, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la société Stevedoring et Transport NV serait devenue l'usager du service public exploité par Voies navigables de France et non l'usager de l'ouvrage public dont elle avait la charge a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse, an VIII ; et alors, enfin, et toujours subsidiairement, que la compétence des juridictions judiciaires pour connaître du litige supposait en toute hypothèse que le dommage ait été subi par l'usager d'un service public industriel et commercial ; qu'en se bornant à relever que le législateur avait expressément attribué à Voies navigables de France la nature d'établissement public industriel et commercial, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le dommage n'avait pas été subi alors que cet établissement public exerçait une mission de service public administratif, et non une activité industrielle et commerciale, la cour d'appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse, an VIII ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui n'avait pas à rechercher s'il existait un lien contractuel entre VNF et la société propriétaire de la péniche, a relevé que cette dernière, du seul fait de l'utilisation par ce bâtiment, du canal géré par cet établissement public industriel et commercial, avait noué avec celui-ci des rapports de droit privé ; qu'elle en a déduit à bon droit que le litige relevait de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Attendu, d'autre part, que VNF n'a pas soulevé devant les juges du fond le moyen pris de ce que le dommage avait été subi alors que cet établissement exerçait une mission de service public administratif ;
D'où il suit que le moyen manque en fait dans sa première branche, n'est pas fondé dans la deuxième et, mélangé de fait, est irrecevable dans la troisième ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.