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15/03/2012 | FRANCE | N°11-10240

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 15 mars 2012, 11-10240


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 novembre 2010), que Roger X..., salarié de 1951 à 1989 de la société Aérospatiale Eurocopter (la société), a déclaré le 27 mars 2003 être atteint d'un syndrome myélodysplasique d'origine professionnelle ; qu'il est décédé le 30 juin 2003 ; que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) a pris en charge cette maladie et ce décès au titre du tableau n° 4 des maladies professionnelles ; que Mme Maryse Y... veuve X...

et ses enfants Marielle et Jean-Luc X... ont saisi un tribunal des affaire...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 novembre 2010), que Roger X..., salarié de 1951 à 1989 de la société Aérospatiale Eurocopter (la société), a déclaré le 27 mars 2003 être atteint d'un syndrome myélodysplasique d'origine professionnelle ; qu'il est décédé le 30 juin 2003 ; que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) a pris en charge cette maladie et ce décès au titre du tableau n° 4 des maladies professionnelles ; que Mme Maryse Y... veuve X... et ses enfants Marielle et Jean-Luc X... ont saisi un tribunal des affaires de sécurité sociale d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur de la victime ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis une faute inexcusable, alors, selon le moyen, que le juge ne peut refuser d'examiner des pièces au seul motif qu'il ne dispose pas de la compétence technique lui permettant de le faire ; que la cour d'appel, qui a refusé d'examiner les avis médicaux produits par les parties au motif qu'ils faisaient état d'éléments techniques qu'elle ne pouvait apprécier, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que compte tenu du délai s'étant écoulé entre la fin de l'exposition au risque et la constatation de la maladie et de la présomption procédurale, il faut admettre, puisqu'aucun élément contraire n'est produit, que le service du contrôle médical de la caisse a pu reconnaître l'existence d'une pathologie leucémique, seule pathologie dont le délai de prise en charge est de quinze ans ; que l'employeur le contestant, il lui revient d'apporter les éléments de contradiction suffisants ; que ceux-ci ne sont constitués que d'affirmations et d'une attestation d'un praticien faite à sa demande, laquelle est combattue par une autre, ce qui ne permet pas de considérer que la démonstration requise de la société soit effectuée en l'état des contradictions apparentes en résultant ;
Que de ces constatations et énonciations la cour d'appel a pu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des faits et preuves soumis à son examen, déduire que la maladie et le décès de la victime devaient être pris en charge au titre de la législation professionnelle ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que les juges du fond ne peuvent statuer par voie de motifs hypothétiques ; que la cour d'appel, qui n'a pas formellement constaté l'utilisation, par Roger X..., de benzène ou de tout autre produit en renfermant, mais a seulement supposé cette utilisation qu'elle a jugé vraisemblable au regard des éléments de preuve produits, a statué par voie de motifs hypothétiques et a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a postulé la connaissance que la société avait ou aurait dû avoir du danger alors qu'il lui appartenait de caractériser celle-ci, sur la base d'éléments de fait précis et circonstanciés, résultant des éléments de la cause, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'une entreprise de la taille de la société disposant de services spécialisés techniques et médicaux permettant de mieux prendre en compte la dangerosité, la prévention et la sécurité des travailleurs, ne pouvait ignorer, en fonction de la réglementation existante, la dangerosité des produits tels que carburant, éther de pétrole, white spirit en utilisation spécifique dans des milieux clos ou mal ventilés, cette sensibilisation étant accentuée par la permanence d'émanations et de manipulation de produits toxiques sur les divers sites du groupe ; qu'en fonction de la réglementation préexistante, l'entreprise devait se préoccuper de ce risque ; qu'en ne démontrant pas la nature des mesures prises pour la protection des travailleurs exposés, la notion de "douches" de carburant évoquée dans les attestations apparaissant à cet égard significative, et en n'offrant pas de le faire, la société ne peut justifier avoir pris les mesures qui s'imposaient ;
Que de ces constatations et énonciations la cour d'appel a pu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des faits et preuves soumis à son examen, déduire que la maladie et le décès de la victime avaient été causés par la faute inexcusable de l'employeur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Aérospatiale Eurocopter aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Aérospatiale Eurocopter ; la condamne à payer aux consorts X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils pour la société Aérospatiale Eurocopter.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la société EUROCOPTER a commis une faute inexcusable en lien direct avec la maladie et le décès de M. Roger X... résultant d'une maladie professionnelle inscrite au tableau n°4 des maladies professionnelles ;
AUX MOTIFS QUE « Reprenant aujourd'hui, dans le cadre de la faute inexcusable, la même discussion qu'en première instance, la société Eurocopter conteste la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, à propos de laquelle le premier juge n'a pas statué. Il conviendra dans le cas d'espèce de rappeler que le cadre défini des rapports relatifs à une maladie professionnelle, entre un employeur et un organisme social, a pour effet principal de faire assurer par l'employeur la charge financière résultant de la maladie ou de l'accident. De même, en fonction de l'indépendance des rapports employeurs-Caisse et salarié-Caisse, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas défini entre la Caisse et l'employeur n'interdit pas pour le salarié de faire reconnaître la faute inexcusable dès lors qu'il est loisible à la juridiction, toutes parties présentes au débat, d'analyser les éléments de la maladie. Il importe alors de préciser que dans le cadre d'une instruction au titre de l'article L 461-1 al 2du Code de la sécurité sociale et en présence d'un rejet motivé par le défaut d'au moins une des conditions posées à l'alinéa 3, un complément ou une nouvelle instruction de la reconnaissance paraît de manière surprenante s'être faite dans le même cadre, générant ainsi une confusion que la saisine de l'organisme idoine aurait évité. A défaut d'éléments techniques les parties se sont ingéniées à démontrer pour l'une l'inadéquation au tableau et pour l'autre le contraire en échangeant des données médicales. Or la Cour ne peut en présence d'une contestation induisant une discussion médicale, sans d'ailleurs qu'une demande d'expertise ait été présentée, apprécier le bien-fondé d'un quelconque des argumentaires techniques exposés. Toutefois, compte tenu du délai s'étant écoulé entre la fin de l'exposition au risque et la constatation de la maladie, de la présomption procédurale, il faudra admettre, puisqu'aucun élément contraire n'est produit, que la Caisse (service médical) a pu admettre l'existence d'une pathologie leucémique, seule pathologie dont le délai de prise en est de 15 ans. L'employeur le contestant il lui revient d'apporter les éléments de contradiction suffisants. Ceux-ci ne sont constitués que d'affirmations et d'une attestation d'un praticien (fût-il inscrit sur la liste des experts de la Cour) faite à sa demande, laquelle est combattue par un autre (fût-il éminent) ce qui en l'état ne permet pas de considérer que la démonstration requise de la société Eurocopter soit effectuée en l'état des contradictions apparentes en résultant. Dès lors le jugement qui s'appuyant uniquement sur des éléments médicaux partiels, retenait cette contestation sera infirmé ».
ALORS QUE le juge ne peut refuser d'examiner des pièces au seul motif qu'elle ne dispose pas de la compétence technique lui permettant de le faire ; que la cour d'appel, qui a refusé d'examiner les avis médicaux produits par les parties au motif qu'ils faisaient état d'éléments techniques qu'elle ne pouvait apprécier, a violé l'article 4 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la société EUROCOPTER a commis une faute inexcusable en lien direct avec la maladie et le décès de M. Roger X... résultant d'une maladie professionnelle inscrite au tableau n°4 des maladies professionnelles ;
AUX MOTIFS QUE « Il convient au préalable de préciser que sont visés le benzène et tous les produits en renfermant (et non les dérivés), le niveau de présence n'étant pas défini par le seul tableau n°4. Les consorts X... citent l'avis de la CRAM (Direction de la prévention de la réparation et de la gestion des risques professionnels) en date du 20 janvier 2004 concernant les divers produits mentionnés par Roger X..., à savoir carburant, kérosène, trichloroéthylene, éther de pétrole. Y sont ainsi répertoriés que « la fiche de données de sécurité Shell chimie » établie le 16 octobre 1995 jointe au dossier mentionne la présence de benzène à 1000 ppm, les éthers de pétrole notamment synonyme du white spirit ou essence G contiennent des hydrocarbures benzéniques à 0,01 % » Cependant il sera noté que la fiche Shell en cause concerne le kérosène R dont l'utilisation est celle du Fuel pour usage domestique, ce qui rend, comme le soutient la société Eurocopter, toute discussion non pertinente sur ce point. De même les produits trichloréthylène sont classés parmi les CMR ne dépendant pas du tableau 4. Par ailleurs, la fiche de sécurité du white spirit (1998) fait état de la présence d'hydrocarbures benzéniques à hauteur de 15 à 20 % (notamment éthylbenzène, trimethylbenzène, méthylléthylbenzènes propylbenzènes). Or les attestations produites, sauf celle de Mme Veuve X..., qui ne saurait être admise au débat en raison de sa qualité de partie au contentieux, font état d'utilisation de ces divers produits. A ce tableau produit par les consorts X... s'ajoutent les faits que le benzène est indiqué comme entrant dans la constitution des carburants (Fiche INRS 1972 sur le Benzène C.H.) et qu'il est classiquement préoccupant dans les professions impliquant les spécialistes d'entretien de matériel aéronautique (dossier INRS 2005-2010 Benzène) pathogène à quelques ppm pendant plusieurs années. La société intimée produit pour sa part un ensemble de fiches de sécurité concernant les produits et notamment le carburant utilisé. Cependant elle ne démontre en aucune manière et n'offre pas d'y procéder que ces fiches toutes postérieures à l'année 2002 soient d'actualité pour la période antérieure à 1989, certains composants de produits pouvant éventuellement avoir été éliminés alors même qu'une fiche INRS mentionne que les carburants utilisés contiennent du benzène. Il demeure ainsi qu'à défaut de démonstration contemporaine à l'exposition à un risque, il suffit que certains des produits tel l'éther de pétrole ou white spirit ait pu contenir le produit litigieux en valeur résiduelle utilisé de manière habituelle pour satisfaire la condition tenant à l'exposition du risque du salarié. II doit être retenu qu'une entreprise de la taille de la société Eurocopter disposant de services spécialisés techniques et médicaux (cf le rapport négatif du médecin du travail) permettant de mieux prendre en compte la dangerosité, la prévention et la sécurité des travailleurs, ne pouvait ignorer, en fonction de la réglementation existante, les exigences dans l'émission de tels produits de rejet dans le cadre sidérurgique et métallurgique. Ainsi la dangerosité de ces produits en utilisation spécifique dans des milieux clos ou mal ventilés (notamment les fiches INRS relatives aux produits toxiques et leurs effets) ne pouvait être négligée. De plus cette sensibilisation était accentuée par la permanence d'émanations, de manipulation de produits toxiques sur les divers sites du groupe. Il demeure qu'en fonction d'ailleurs de la réglementation préexistante (notamment décret du 13 décembre 1948 relatif aux dégagements de poussières vapeurs ou gaz irritants ou toxiques), l'entreprise devait se préoccuper de ce risque. En ne démontrant pas la nature des mesures prises, pour la protection des travailleurs exposés, la notion de « douches » de carburant évoquée dans les attestations apparaissant à cet égard significative, et en n'offrant pas de le faire la société ne peut justifier avoir pris les mesures qui s'imposaient. En conséquence, alors que l'exposition habituelle au risque apparaît en lien direct et causal avec la maladie, il conviendra de retenir la faute inexcusable de la société Eurocopter ».
ALORS, D'UNE PART, QUE les juges du fond ne peuvent statuer par voie de motifs hypothétiques ; que la cour d'appel, qui n'a pas formellement constaté l'utilisation, par M. X..., de benzène ou de tout autre produit en renfermant, mais a seulement supposé cette utilisation qu'elle a jugé vraisemblable au regard des éléments de preuve produits, a statué par voie de motifs hypothétiques et a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a postulé la connaissance que la société EUROCOPTER avait ou aurait dû avoir du danger alors qu'il lui appartenait de caractériser celle-ci, sur la base d'éléments de fait précis et circonstanciés, résultant des éléments de la cause, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS, A TOUT LE MOINS, QU'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 452-1 et L. 461-1 du Code de la sécurité sociale.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 11-10240
Date de la décision : 15/03/2012
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 02 novembre 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 15 mar. 2012, pourvoi n°11-10240


Composition du Tribunal
Président : M. Loriferne (président)
Avocat(s) : SCP Fabiani et Luc-Thaler, SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.10240
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