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25/04/2013 | FRANCE | N°11-28778

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 25 avril 2013, 11-28778


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 octobre 2011), que Jacques X..., docker professionnel de 1959 à 1986 sur le port de Marseille, victime d'un épaississement de la plèvre viscérale, pris en charge le 2 mars 2005 à effet du 1er avril 2004 au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie du Var, a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins de voir reconnaître l'existence d

'une faute inexcusable de la société d'acconage Intramar (l'employeur) ...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 octobre 2011), que Jacques X..., docker professionnel de 1959 à 1986 sur le port de Marseille, victime d'un épaississement de la plèvre viscérale, pris en charge le 2 mars 2005 à effet du 1er avril 2004 au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie du Var, a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins de voir reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de la société d'acconage Intramar (l'employeur) ; qu'à son décès, ses ayants droit ont repris l'instance ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de retenir à son encontre une faute inexcusable alors, selon le moyen :
1°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger ; que l'exposition à l'amiante, pour constituer un danger pour le salarié dont l'employeur doit avoir conscience, doit être non seulement habituelle mais aussi significative ; qu'ainsi, l'article 2 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 précise, dans sa rédaction initiale, que la concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètre cube, seules étant considérées les fibres de plus de cinq microns de longueur, de trois microns au plus de largeur et dont le rapport longueur/largeur excède trois ; que ce décret a été modifié à deux reprises pour abaisser les seuils et les mettre en harmonie avec des valeurs limites retenues par des directives européenne et notamment par le décret n° 87-232 du 27 mars 1987 qui fixe les seuils à 1f/ml pour toutes les variétés d'amiante sauf l'amiante bleue et 0,8 f/ml en moyenne sur huit heures de sorte que la cour d'appel, qui a constaté que le niveau quantitatif de manipulation de l'amiante était inférieur à 0,1 % du volume global du trafic du port de Marseille, réparti entre 86 entreprises d'aconage, et cependant énoncé que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié sans rechercher, notamment par référence aux seuils fixés par le décret du 17 août 1977 modifié, si le salarié avait été exposé à un risque significatif, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 2 du décret n° 77-949 du décret du 17 août 1977, tel que modifié par le décret n° 87-232 du 27 mars 1987 ;
2°/ que par des écritures demeurées sans réponse, l'employeur faisait valoir qu'il n'avait jamais connaissance de la marchandise déchargée, qui était seule connue du transporteur maritime, ce dont il résultait qu'il ne pouvait être averti de la situation de danger et donc avoir conscience du danger ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant de nature à démontrer que l'employeur ne pouvait avoir conscience du danger, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'analysant les attestations d'autres dockers qui font état de manipulation d'amiante par Jacques X... pour le compte, notamment, de la société Intramar et les rapprochant de celles d'un contremaître-docker et du médecin de la manutention portuaire ainsi que d'un rapport du comité paritaire d'hygiène et de sécurité-manutention portuaire, l'arrêt retient, d'abord, que, même si le niveau quantitatif de manipulation de l'amiante était resté faible par rapport au volume global de trafic du port de Marseille (- de 0,1 %), la répétition de ce type de manipulation dans des sacs poreux ou déchirables opérée par l'intéressé dans un environnement général et constant de travail en milieu toxique dû aux poussières résiduelles tant à bord qu'à quai sur une durée de plus de vingt ans constitue une exposition habituelle au risque, ensuite, que les primes de salissure dont bénéficiait le docker intègrent la notion de dangerosité des produits manipulés, enfin, que les ouvriers dockers travaillaient sans protection particulière, notamment, lors de la manutention des sacs ;
Qu'ayant caractérisé par ces constatations et énonciations qui la dispensaient de toute autre recherche, comme d'une plus ample réponse au moyen prétendument délaissé, une situation dangereuse que l'employeur ne pouvait ni ne devait ignorer et l'absence de mesures pour en préserver le salarié, la cour d'appel en a déduit à bon droit que l'employeur avait commis une faute inexcusable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'en sa deuxième branche le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Intramar aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Intramar à payer aux consorts X... la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat aux Conseils, pour la société Intramar
Le moyen reproche à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'avoir dit que la maladie professionnelle dont était atteint le salarié résultait de la faute inexcusable de la société Intramar, et d'avoir, en conséquence, fixé l'indemnisation du préjudice extra patrimonial à la somme de 21 000 € au titre de la réparation des souffrances physiques et morales, et 4 000 € au titre de la réparation du préjudice d'agrément,
AUX MOTIFS PROPRES QU'il résulte des pièces versées aux débats par les parties que jusqu'à la loi du 9 juin 1992, les dockers étaient des journaliers, titulaires de la carte G, affectés quotidiennement par le Bureau Central de la Main d'Oeuvre (BCMO) au service des entreprises de manutention, en fonction des besoins de ces entreprises ;
que postérieurement à ce texte, les dockers ont été classés en deux catégories, à savoir d'une part professionnels mensualisés ou intermittents et d'autre part occasionnels ; que le contrat de travail liant le docker intermittent à son employeur est conclu pour la durée d'une vacation (4 heures) ou d'un shift (8 heures) et qu'il s'agit d'un CDD de type particulier puisqu'il peut être prorogé ou renouvelé sans limite d'aucune sorte ;
que Jacques X... après avoir été journalier est devenu professionnel intermittent ; qu'il a exercé cet emploi du 1er janvier 1959 au 14 août 1986 ;
que sa qualité de docker n'est contestée par aucune des sociétés en cause ;
que la société INTRAMAR est acconier sur le port de MARSEILLE depuis 1956 ;
que sous l'ancien statut comme sous le nouveau, l'employeur a toujours été l'acconier, le BCMO ne constituant qu'un service administratif organisant pour le compte des employeurs la gestion générale de l'embauche des dockers intermittent ;
que l'entreprise de manutention, en fonction de la nature et des quantités de marchandise à traiter indique au BCMO, le nombre et la qualification des individus devant lui être affectés ; que durant la vacation, le docker se trouve dans un lien de subordination avec l'acconier qui, par l'intermédiaire de son chef d'équipe, contrôle la présence de chaque docker, lui affecte un poste ou une tâche et peut, en cas de difficulté interrompre son travail ; que par ailleurs, le paiement indirect des salaires et cotisations salariales et patronales afférentes, effectué par la Caisse des Compensation des Congés Payés (CCCP), mandataire de l'employeur et la délivrance des bulletins de paie mentionnant le code de l'employeur confirment ce lien ; qu'ainsi, tout au long de leur carrière, les dockers sont amenés à travailler pour les diverses entreprises de manutention en fonction des besoins de celles-ci ;
que les consorts X... versent aux débats trois attestations certifiant que Jacques X... a travaillé en qualité de docker sur le port de Marseille pour le compte de la société INTRAMAR ; qu'il s'agit de : Joseph Y... : J‘atteste avoir travaillé avec monsieur X... Jacques comme docker dans diverses entreprises de manutention du port, SOMOTRANS, UPA, INTRAMAR, RODRIGUE ; notre activité consistait à charger et décharger des navires des sacs et des ballots en jute. Nous avons été en contact direct avec ces sacs sans connaître l'origine de la marchandise ; nous n'avions aucune protection pour ce travail c'est à dire ni gants, ni masques ni combinaison et cela pendant des années ; Denis Z... ; J'atteste les faits suivants j'ai travaillé en qualité de docker professionnel (jusqu'en 1993) avec Monsieur X... Jacques, pour diverses entreprises de manutention (acconage) du Port de Marseille telles que SOMOTRANS, UPA, RODRIGUE, INTRAMAR ; notre travail consistait le plus souvent à décharger des navires pleins de diverses marchandises dont des sacs et des ballots en vrac que nous mettions sur palette ; cette manutention relevait énormément de poussière que nous respirions (nous n'avions aucune équipement approprié) ; nous étions durant une vacation en contact permanent et direct avec ces sacs en jute notamment, sans connaître vraiment l'origine des poussières qu'ils dégageaient ; Baptiste A...: .Monsieur X... Jacques a travaillé comme docker dans diverses entreprises de manutention l'entreprise SOMOTRANS, INTRAMAR, RODRIGUE ELY ou UPA ; j'ai également travaillé pour les mêmes compagnies avec monsieur X... ; nous débarquions des sacs des navires ainsi que des ballots de jute ; de la poussière s'échappait des sacs sans pour autant en connaître l'origine, ni l'origine de la marchandise ; nous avons fait notre travail sans masque, ni gants, ni protection aucune ; nous avons donc été en contact permanent avec l'amiante et directement pendant des années ;
que rien ne conduit la cour a écarter ces attestations qui sont précises et circonstanciées ;
qu'il en résulte que la réalité de l'activité exercée par Jacques X... pour le compte de la société INTRAMAR est établie ;

Sur l'exposition au risque
que la société en cause soutient qu'il n'est pas établi qu'elle ait été l'employeur de Jacques X... au moment où ce dernier a été exposé aux risques tels que décrits au tableau des maladies professionnelles et qu'il n'est pas possible de déterminer l'employeur chez lequel l'exposition au risque a provoqué la maladie ;
que cependant, si la société en cause n'est pas une entreprise fabriquant ou utilisant de l'amiante, elle a cependant été amenée à en faire manipuler par ses préposés lors des opérations de chargement ou de déchargement des navires ou au cours d'autres opérations de manutention ;
qu'il résulte du rapport du comité paritaire d'hygiène et de sécurité-manutention portuaire produit aux débats et dont la teneur n'est pas discutée, qu'entre 1965 et 1998, environ 243 307 tonnes d'amiante ont transité par le port, soit en vrac de 1960 à 1980, soit en sacs de jute ou de papier soit ensuite en containers ; que toujours selon ce rapport, aucun poste de travail ne peut être certain d'avoir échappé au risque : dockers de bord, de terre, chauffeurs, grutiers, pointeurs, chefs d'équipe, contremaître, chefs de service, personnel d'entretien et mécanicien ;
que pour ce qui concerne plus particulièrement la société en cause, son intervention dans la manutention de l'amiante est établie par l'attestation rédigée par Edouard C... employé en qualité de contremaître et chef d'équipe par les sociétés INTRAMAR et SOMOTRANS de 1956 à 1988 qui indique le 12 avril 2011 : j'ai dirigé des équipes de dockers sur des travaux de déchargement de navires d'amiante soit en vrac ou en sac de jute ou en papier ; les sacs de jute étaient poreux et laissaient échapper la poussière d'amiante ; les sacs en papier se déchiraient à la manipulation ; nous mettions les sacs sur palettes... De nombreux sacs se déchiraient et à la fin des opérations nous ramassions le vrac au sol avec des balais et des pelles pour remplir les bennes... les sacs d'amiante restaient pendant une durée indéterminée dans les hangars et la poussière volait dans les courants d'air et au passage des engins, tous les dockers qui travaillaient à proximité les respiraient sans avoir connaissance du danger... on peut dire que jusqu'en 1993, tous les dockers ont manipulé l'amiante ;
que par ailleurs que les attestations produites par Jacques X... mentionnent que celui-ci a manipulé des sacs et notamment des sacs d'amiante ;
que l'ensemble de ce attestations est à rapprocher de celle établie par le docteur Guy D... médecin de la manutention portuaire selon lequel :
Sur le port de Marseille-Fos, l'amiante a transité sous forme de vrac et autre conditionnement à partir de 1957 puis en conteneur jusque dans les années 2000... les différentes formes de conditionnement, de transport et de manutention se révèlent aussi dangereuses les unes que les autres quant aux conséquences sur la santé des salariés ; les ouvriers dockers transportaient directement les sacs d'amiante à l'aide de crochets pour les tirer et inhalaient les fibres d'amiante ; parfois le minerai était déchargé directement des navires en vrac puis était manutentionné à la benne et à la pelle ; les conducteurs d'engins entreposaient ces sacs à l'intérieur des hangars (espaces confinés)ou les stockaient dans des wagons ouverts à proximité directe des navires....;
que même si le niveau quantitatif de manipulation de l'amiante reste faible par rapport au volume global de trafic du port de Marseille (- de 0,1%), la répétition de ce type de manipulation sur une durée importante soit plus de vingt ans pour ce qui concerne Monsieur X..., crée le caractère habituel exigible d'une exposition au risque, dès lors que ce produit est entreposé sous différentes formes qui en tout état de cause impliquent a minima, un environnement général et constant de travail dans un milieu toxique dû aux poussières résiduelles (à bord ou à quai) résultant de la manipulation de sacs y compris du fait éventuel d'autres sociétés (86 entreprises d'aconage ayant exercé de 1957 à 1993) travaillant à proximité immédiate, ce qui reste sans incidence sur l'obligation faite à l'employeur de préserver la santé de ses salariés, même occasionnels ;
que la société INTRAMAR ne produit aucun élément venant contredire le contenu des documents versés aux débats par Jacques X... ;
que les consorts X... établissent donc que Jacques X... a été exposé à l'amiante de façon habituelle alors qu'il travaillait pour le compte de la société en cause ;
Sur la conscience du danger
que, comme le soutiennent les consorts X..., les dangers de l'amiante sont connus depuis plusieurs décennies et ont donné lieu par le décret du 3 octobre 1951 à la création du tableau n°30 propre à l'abestose, fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante ; que les travaux mentionnés comme susceptibles de provoquer ces maladies étaient .travaux exposant l‘inhalation de poussières d'amiante et notamment cardage, filature et tissage de l'amiante. ;
que les sociétés de manutention portuaire n'utilisaient pas l'amiante comme matière première pour leurs propres activités et ne participaient pas à l'activité industrielle de fabrication ou de transformation de l'amiante ; qu'elles procédaient uniquement à une manipulation de divers produits dont l'amiante ;
que par ailleurs, les travaux et rapports de scientifiques français et étrangers ne peuvent suffire à établir la preuve de la nécessaire conscience du danger pour chacune des entreprises concernées, laquelle doit être caractérisée par des éléments objectifs et implique la démonstration d'un manquement ;
qu'au vu de l'ensemble des pièces versées aux débats, il apparaît acquis qu'aucun document antérieur à 1999, provenant d'organismes professionnels ouvriers ou patronaux, de la médecine de prévention, du port organe de coordination et de police ou de tout autre organe interne à la profession, n'a été produit, permettant de pointer le risque dont l'évidence a été exposée lors de la mise en place d'un dispositif d'allocation ACAATA aux dockers, notamment à propos de la détermination des conditions d'accès au dispositif (condition liée à la manipulation de sacs) ;
qu'enfin, s'agissant de la période antérieure à 1977, rien ne permet, si l'on se replace à la période à laquelle la victime a pu être au contact des substances incriminées, en l'état des connaissances scientifiques de l'époque et surtout de l'absence de preuve de leur diffusion à des entreprises de ce type, de retenir que ses employeurs successifs avaient ou auraient dû avoir conscience du danger auquel leur salarié était exposé ;
qu'en revanche, à compter de 1977, les entreprises se sont trouvées soumises au décret 77-949 du 17 août 1977 qui a mis à leur charge diverses obligations, résultant de la manipulation ou de l'utilisation de l'amiante à l'air libre dans des locaux ou sur des chantiers et dont les dispositions des articles 4 8 et 9 apparaissent directement applicables à l'entreprise d'acconage en raison du caractère occasionnel, et de courte durée de la manipulation par les dockers ou les conducteurs d'engins ;
que s'ajoute à cette réglementation nationale une réglementation internationale spécifique aux entreprises d'acconage, issue de l'application de l'article 4 de la Convention OIT n°152 portant Convention sur la sécurité et l'hygiène dans la manutention portuaire, adoptée le 25 juin 1979, entrée en vigueur le 05 décembre 1981 et transposée en droit interne par le décret 86-1274 du 10 décembre 1986 ;
que ces réglementations pouvaient ou auraient dû être connues d'entreprises normalement informées des obligations juridiques nationales comme internationales ; qu'aucun élément du débat ne vient d'ailleurs réfuter ces points alors même que les primes de salissures dont bénéficiait le docker intègrent une notion de dangerosité des produits manipulés ;
qu'en conséquence de ce qui précède, il apparaît que la société INTRAMAR aurait dû avoir conscience du danger représenté par l'amiante ne serait-ce que par l'obligation d'affichage (article 18 du décret) d'un plan de prévention et l'obligation de prévenir l'organisme de contrôle, en l'occurrence le Bureau de Prévention du PAM, du fait de la manipulation d'amiante (article 10) ;
sur l'absence de mesures nécessaires à la protection des salariés
que les attestations précédemment citées de Joseph E..., Denis Z... et Baptiste A... font état de l'absence de mesures de protection individuelles au cours de la manipulation des sacs contenant de l'amiante ainsi que de cette substance en vrac ;
que la société INTRAMAR n'établit nullement qu'elle avait mis à disposition des salariés les moyens de protection individuelle ;
que le fait que les dockers travaillaient en plein air ne constitue pas une cause exonératoire, dès lors que l'acconier est responsable du transbordement et donc de l'intervention dans les cales puis à quai sous les hangars de stockage des produits transbordés ;
qu'enfin, s'agissant de la force majeure invoquée en résultant, il conviendra de ne pas confondre les rapports existants entre les entreprises d'acconage et leur autorité de tutelle ou de gestion du port et ceux existant entre l'employeur et le salarié, étant en outre précisé que le silence des autorités portuaires et des organismes représentatifs n'est pas de nature à exonérer l'employeur des obligations issues des textes applicables ;
ET AUX MOTIFS, SUR LA REPARATION DES PREJUDICES, QUE le décès de Jacques X... n'ayant pas été reconnu comme lié à sa maladie professionnelle, les consorts X... ne peuvent réclamer, outre la majoration de la rente perçue jusqu'au décès de la victime, que la réparation des préjudices subis par celle-ci, à savoir, les souffrances physiques et morales endurées et le préjudice d'agrément ;
que le diagnostic d'épaississement de la plèvre viscérale a été posé alors que Monsieur X... était âgé de 73 ans ; qu'il a dû subir des difficultés respiratoires, des douleurs thoraciques et une fatigue chronique ; que le taux d'IPP a été fixé à 40% ;
qu'il a présenté également une anxiété légitime de l'évolution vers des formes plus graves de sa maladie, renforcée par un sentiment d'injustice lié à l'irrévocabilité de celle-ci.
que ses activités habituelles ont été restreintes du fait de sa maladie ;
qu'eu égard à ces éléments, la Cour considère que l'appréciation faite par le premier juge de l'indemnisation des préjudices de Monsieur BAGHDASSARTAN est insuffisante et que le rejet de la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément n'est pas justifié ;
qu'en conséquence, le préjudice de Monsieur X... sera indemnisé ainsi qu'il suit : souffrances endurées: 21.000 euros ; préjudice d'agrément : 4.000 euros ;
ET AUX MOTIFS DU JUGEMENT, A LES SUPPOSER ADOPTES, QU'en cas de multi-exposition au sein de plusieurs employeurs, le salarié est recevable à démontrer la faute de l'un deux ;
qu'en l'espèce l'hoirie X... dirige ses demandes uniquement à l'égard de la Société INTRAMAR; qu'en conséquence seule la faute inexcusable de celle-ci sera débattue ;
qu'il est constant que l'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le fait des produits fabriqués, utilisés ou manipulés par l'entreprise ;
que le manquement à cette obligation de résultat a le caractère de faute inexcusable au sens de l'article L 452-l du Code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait dû ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
qu'il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie reconnue d'origine professionnelle, il suffit qu'elle ne soit la cause nécessaire, peu importe que d'autres fautes aient également concouru au dommage ; qu'en conséquence la carence avérée de l'Etat et des institutions n'est donc pas de nature à exonérer l'employeur de sa responsabilité ;
qu'il résulte des pièces produites aux débats et notamment des attestations de Messieurs Baptiste A..., Denis Z... et Joseph Y... que Monsieur Jacques X... a été employé de 1959 à 1986 en qualité de docker par différentes entreprises de manutention dont la Société INTRAMAR, et a déchargé en cette qualité toutes sortes de marchandises dont des sacs de jute contenant de l'amiante, soit à l'air libre, soit dans des locaux confinés ou des cales de bateau, sans protection particulière et sans même être informé des risques présentés par les travaux qu'il effectuait, alors que le transport de matière pulvérulente d'amiante l'exposait à l'inhalation massive de ces poussières, à partir de ballots, sacs de jute plus ou moins hermétiques, à chaque manipulation de ceux-ci ;
que la société défenderesse, de par son secteur d'activité (manutention portuaire comprenant des déchargements habituels de cargaisons d'amiante) et la période d'exposition ne pouvait ignorer la nocivité de ce matériau et les risques encourus par le personnel en inhalant les poussières ; qu'en effet même si cette société ne fait pas partie « des industries de l'amiante » en tant que fabricante ou utilisatrice pour la fabrication de plaques, de protection ou autres, son activité qui consiste à décharger le tout venant à destination entre autres d'industries utilisatrices de ces marchandises, comprenait dans ces cargaisons de grande quantité d'amiante en vrac, pouvant ainsi se définir comme entreprise manipulatrice d'amiante, dont elle ne peut soutenir au regard de la législation déjà existante, qu'elle en ignorait les risques pour la santé de ses employés ;
qu'en effet il existait, dès la Loi du 12 et 13 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs et le décret du 10 juillet 1913, une législation de portée générale sur les poussières, reprise dans le Code du travail et mettant à la charge des employeurs des obligations de nature à assurer la sécurité de leurs salariés ; que concernant spécifiquement l'amiante, le risque sanitaire provoqué par ce matériau a été reconnu par l'Ordonnance du 03 août 1945 créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles à propos de la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de la silice et de l'amiante ; que cette reconnaissance a été confirmée par le décret du 31 août 1950 puis par celui du 3 octobre 1951 créant le tableau n° 30 propre à l'asbestose; que bien avant le décret du 17 août 1977 qui vise les entreprises fabricantes, utilisatrices et manipulatrices, de nombreux travaux scientifiques ont été publiés sur les conséquences de l'inhalation des poussières d'amiante ;
qu'en l'occurrence la société défenderesse qui soutient pour sa défense la force majeure, ou l'aspect économique, ne démontre pas par ailleurs avoir pris des précautions pour préserver la santé de Monsieur Jacques X..., tels que masques, gants, combinaisons pourtant facile à mettre a disposition ;
qu'en conséquence, en l'absence de mesures prises et des dangers encourus par son salarié qu'elle ne pouvait ignorer au vu des éléments développés ci-dessus, la société INTRAMAR a commis une abstention coupable que l'on peut qualifier de faute inexcusable au sens de l'article L 452-l du Code de la sécurité sociale ;
ALORS D'UNE PART QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger ; que l'exposition à l'amiante, pour constituer un danger pour le salarié dont l'employeur doit avoir conscience, doit être non seulement habituelle mais aussi significative ; qu'ainsi, l'article 2 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 précise, dans sa rédaction initiale, que la concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètre cube, seules étant considérées les fibres de plus de cinq microns de longueur, de trois microns au plus de largeur et dont le rapport longueur/largeur excède trois ; que ce décret a été modifié à deux reprises pour abaisser les seuils et les mettre en harmonie avec des valeurs limites retenues par des directives européenne et notamment par le décret n° 87-232 du 27 mars 1987 qui fixe les seuils à 1f/ml pour toutes les variétés d'amiante sauf l'amiante bleue et 0,8 f/ml en moyenne sur huit heures de sorte que la Cour d'appel, qui a constaté que le niveau quantitatif de manipulation de l'amiante était inférieur à 0,1% du volume global du trafic du port de Marseille réparti entre 86 entreprises d'aconage et cependant énoncé que la société Intramar aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié sans rechercher, notamment par référence aux seuils fixés par le décret du 17 août 1977 modifié, si le salarié avait été exposé à un risque significatif, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, ensemble l'article 2 du décret n° 77-949 du décret du 17 août 1977, tel que modifié par le décret n°87-232 du 27 mars 1987,
ALORS D'AUTRE PART QUE la maladie professionnelle doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve que cette affection doit être imputée aux conditions de travail de l'assuré au sein des entreprises précédentes si bien qu'en considérant que la maladie professionnelle dont était atteint le salarié résultait de la faute inexcusable des sociétés Intramar, sans même distinguer si cette société avait été le dernier employeur du salarié, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1147 du Code civil et L. 452-1 du Code de la sécurité sociale,
ALORS ENFIN QUE par des écritures demeurées sans réponse, la société Intramar faisait valoir qu'elle n'avait jamais connaissance de la marchandise déchargée, qui était seule connue du transporteur maritime, ce dont il résultait qu'elle ne pouvait être avertie de la situation de danger et donc avoir conscience du danger ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant de nature à démontrer que la société Intramar ne pouvait avoir conscience du danger, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 11-28778
Date de la décision : 25/04/2013
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 25 octobre 2011


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 25 avr. 2013, pourvoi n°11-28778


Composition du Tribunal
Président : Mme Flise (président)
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:11.28778
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