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11/12/2019 | FRANCE | N°18-21373

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 décembre 2019, 18-21373


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 21 février 2018), que, suivant offre acceptée le 17 septembre 2007, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace, aux droits de laquelle vient la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe (la banque), a consenti à M. et Mme X... (les emprunteurs) un prêt immobilier d'un montant de 224 000 francs suisses, d'une durée de cent-vingt mois, remboursable en francs suisses au taux variable initial de 3,19 %, in

dexé sur le taux Libor trois mois CHF ; qu'invoquant des manquements de la b...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 21 février 2018), que, suivant offre acceptée le 17 septembre 2007, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace, aux droits de laquelle vient la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe (la banque), a consenti à M. et Mme X... (les emprunteurs) un prêt immobilier d'un montant de 224 000 francs suisses, d'une durée de cent-vingt mois, remboursable en francs suisses au taux variable initial de 3,19 %, indexé sur le taux Libor trois mois CHF ; qu'invoquant des manquements de la banque à ses obligations contractuelles, les emprunteurs l'ont assignée en indemnisation de leur préjudice ;

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de constater un manquement à son obligation d'information et de la condamner à payer aux emprunteurs diverses sommes, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en imputant à la banque un défaut d'information des emprunteurs sur le taux d'intérêt du prêt, tout en relevant que par une clause du prêt les emprunteurs reconnaissaient avoir bénéficié de toutes informations nécessaires à sa conclusion, ce dont il résultait qu'ils avaient été dûment informés sur le taux d'intérêt, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que, selon les appréciations et constatations des juges du fond, les emprunteurs étaient des emprunteurs avertis et l'offre de prêt indiquait que le taux d'intérêt était un taux variable, indexé sur le Libor francs suisses à trois mois, susceptible de varier à la hausse comme à la baisse et donc d'entraîner une variation du montant des mensualités cependant que la durée du prêt restait inchangé ; qu'il s'en évinçait que les emprunteurs étaient aptes à comprendre les informations fournies et capables d'apprécier la nature, la portée et les risques de leurs engagements, de sorte que la banque avait respecté son obligation d'information ; qu'en retenant un manquement de la banque à son obligation d'informer les emprunteurs sur le taux d'intérêt, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ qu'en considérant que la banque avait engagé sa responsabilité pour avoir manqué à son obligation d'informer les emprunteurs sur le taux d'intérêt lors de la souscription du prêt, au motif inopérant qu'en cours de prêt elle ne leur avait pas adressé un nouveau tableau d'amortissement tenant compte de la modification du taux et des sommes restant dues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ qu'en relevant d'office le moyen pris de ce que la banque n'avait pas adressé aux emprunteurs de nouveau tableau d'amortissement tenant compte de la modification du taux d'intérêt et des sommes restant dues, sans inviter les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé le principe de la contradiction et l'article 16 du code de procédure civile ;

5°/ que le préjudice né du manquement à une obligation d'information, s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, qui n'est égale qu'à une fraction du préjudice véritablement éprouvé ; qu'en condamnant la banque à indemniser les emprunteurs à hauteur de 73 489,35 euros suite au manquement à son obligation d'information, quand ces 73 489,35 euros constituaient le montant restant dû au titre du prêt, donc représentaient la totalité et non pas une fraction du préjudice financier réellement subi par les emprunteurs, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Mais attendu, d'une part, que, la banque n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que le préjudice des emprunteurs ne pourrait être constitutif que d'une perte de chance, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt relève que l'impact des variations du taux d'intérêt, à la hausse ou à la baisse, sur le montant des règlements en francs suisses n'est pas appréhendé par le contrat, qu'il n'a été effectué aucune simulation ni indication du taux de change, et que l'éventualité d'un taux de change défavorable à l'emprunteur n'est pas abordée dans le contrat où ne figure aucune explication sur le mécanisme et le calcul du taux ; qu'il retient qu'aucune information n'a été fournie quant aux conséquences de l'évolution du taux de change en francs suisses sur la révision du taux d'intérêt ; qu'il ajoute que les emprunteurs n'ont été clairement informés ni du risque de variation du taux de change ni de l'impact de cette variation sur l'augmentation du coût du crédit ; que, de ces seules constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la banque avait manqué à son obligation d'information à l'égard des emprunteurs ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour les sociétés Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace et Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe.

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a constaté le manquement de la Caisse d'épargne à son obligation d'information à l'égard des époux X..., et l'a condamnée à leur verser 73 489,35 € au titre de leur préjudice financier ainsi que 5 000 € à chacun au titre de leur préjudice moral.

AUX MOTIFS QUE « s'agissant du manquement à l'obligation d'information, Monsieur F... X... et de Madame Z... L... estiment n'avoir pas été suffisamment informés sur les risques générés par la fluctuation du taux de change au moment de la signature du contrat qui leur avait été conseillé. Selon l'article L 111-2 du code de la consommation, tout professionnel prestataire de services doit avant la conclusion du contrat mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du service. Il appartient au banquier dispensateur de crédit d'informer l'emprunteur sur les caractéristiques essentielles du prêt consenti, et s'agissant d'un prêt avec une clause d'indexation de type "clause de monnaie compte en devises", de l'informer de manière claire et précise sur les risques de fluctuation du taux de change. Il a déjà été indiqué les informations apportées à ce titre à l'emprunteur, et il est précisé dans l'offre de prêt que le montant du crédit s'exprime en francs suisses et que s'agissant de la définition du taux d'intérêt, il est indiqué que"le taux d'intérêt du prêt variera à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution du taux interbancaire offert à Londres(Libor) à trois mois de la devise empruntée, c'est-à-dire le franc suisse ; durant la période comprise entre la date de l'engagement par le prêteur et la mise à disposition des premiers fonds, de même, le cas échéant, pendant la période de différé d'amortissement, la révisabilité suit les mêmes règles qu'en période d'amortissement; chaque révision éventuelle s'applique en fonction des dates d'échéance précisée dans le tableau d'amortissement vigueur, à l'ensemble des termes à échoir, à l'exclusion du terme cours au moment de la révision. La variation du taux d'intérêt se traduira par une variation du montant des échéances mensuelles de remboursement, la date finale du prêt ne subissant aucun changement. L'emprunteur sera informé par écrit de toute modification du taux d'intérêt et destinataire nouveau tableau d'amortissement prenant en compte cette modification de taux sur la base des sommes restant dû et ce, jusqu'à la date finale du prêt initialement retenue." L'article 6 des conditions générales des dispositions spécifiques consacré au remboursement du crédit en devises précise que "tous les remboursements devront avoir lieu dans la devise empruntée. Les sommes exigibles sont débitées sur tout compte en devis ouverts au nom de l'emprunteur dans les livres la caisse d'épargne, notamment sur le compte de prélèvement indiqué aux conditions particulières." La question de l'amortissement du capital n'est pas spécialement illustrée, seul le tableau d'amortissement en francs suisses étant produit. L'impact des variations de taux d'intérêt sur le montant des règlements en francs suisses n'est absolument pas appréhendé dans les deux cas de figure de hausse ou de baisse; il n'a été effectué aucune simulation ni indication du taux de change; l'éventualité d'un taux de change défavorable à l'emprunteur n'est pas abordée dans le contrat et aucune explication n'est fournie sur le mécanisme, et le calcul du taux. Par ailleurs, aucune information n'a été fournie quant à la révision du taux du fait de l'évolution du taux de change en francs suisses et donc des modifications du taux d'intérêt ; la banque n'a jamais adressé un nouveau tableau d'amortissement prenant en compte cette modification du taux sur la base des sommes restant due. Les conséquences de l'évolution du taux de change, qu'elle soit favorable, ou défavorable à l'emprunteur ne sont absolument pas abordées dans le contrat et ne sont nullement illustrées notamment par des simulations. Si Monsieur F... X... et de Madame Z... L...-étaient familiers des investissements immobiliers et ont conclu un prêt en francs suisses selon des modalités différentes, il résulte des éléments énoncés qu'ils n'ont pas été clairement informés du risque de variation du taux de change et de l'impact sur l'économie de leur crédit et notamment sur l'augmentation du coût du crédit. Cette information claire ne peut résulter par ailleurs, comme l'a relevé le premier juge, de l'attestation de la préposée de la banque. Du fait du manquement à son obligation d'information, la banque est tenue d'indemniser les emprunteurs du préjudice subi. En l'espèce, celui-ci est d'abord financier puisque le capital restant dû à l'issue de la période de prêt a augmenté de 73 489,35 € (la contre-valeur de 224 000 Fr. étant en 2007 de 130 506,56 € et en 2017, 203 995,91 euros €) soit presque la moitié du montant initial. Les autres éléments du préjudice ne sont pas démontrés alors que la valeur de l'appartement ne peut entrer en considération et ce d'autant plus qu'elle n'a pas spécialement varié et que l'investissement était a priori d'abord locatif et alors que le choix de la vente résulte avant tout de la volonté de Monsieur F... U... B.... Enfin les éléments quant à l'épargne ou la retraite ne sont pas justifiés. Au titre du préjudice moral, il est établi que les emprunteurs n'ont jamais été spécialement informés des variations du taux du prêt. En effet, s'agissant de la faute de la banque pendant la durée du crédit, les conditions du prêt stipulent que "l'emprunteur peut demander la caisse d'épargne la conversion définitive du pré en euros, moyennant un préavis de 30 jours. La conversion ne peut se faire qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties au jour de cette demande, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation." Il est constant que Monsieur X... a sollicité à plusieurs reprises cette conversion sans que celle-ci ne soit acceptée par la banque. En effet cette dernière s'est retranchée derrière une renégociation basée sur le cours de change en vigueur au jour de l'émission de l'offre de prêt avenant et non au jour de celle de l'offre de prêt initiale, ce qui est constitutif d'une faute de nature à entraîner un préjudice moral. Les emprunteurs ont en outre vécu depuis plusieurs années dans l'angoisse de rembourser un prêt au montant exponentiel. En conséquence un montant de 5000 € au titre du préjudice moral doit être alloué à chacun des emprunteurs. Dès lors, le jugement du 11 février 2016 doit être infirmé » ;

ALORS premièrement QU'en imputant à la Caisse d'épargne un défaut d'information des époux X... sur le taux d'intérêt du prêt, tout en relevant que par une clause du prêt les époux X... reconnaissaient avoir bénéficié de toutes informations nécessaires à sa conclusion, ce dont il résultait qu'ils avaient été dûment informés sur le taux d'intérêt, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

ALORS deuxièmement QUE selon les appréciations et constatations des juges du fond, les époux X... étaient des emprunteurs avertis et l »offre de prêt indiquait que le taux d'intérêt était un taux variable, indexé sur le Libor francs suisses à 3 mois, susceptible de varier à la hausse comme à la baisse et donc d'entrainer une variation du montant des mensualités cependant que la durée du prêt restait inchangé ; qu'il s'en évinçait que les époux X... étaient aptes à comprendre les informations fournies et capables d'apprécier la nature, la portée et les risques de leurs engagements, de sorte que la banque avait respecté son obligation d'information ; qu'en retenant un manquement de la Caisse d'épargne à son obligation d'informer les époux X... sur le taux d'intérêt, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

ALORS troisièmement QU'en considérant que la Caisse d'épargne avait engagé sa responsabilité pour avoir manqué à son obligation d'informer les emprunteurs sur le taux d'intérêt lors de la souscription du prêt, au motif inopérant qu'en cours de prêt elle ne leur avait pas adressé un nouveau tableau d'amortissement tenant compte de la modification du taux et des sommes restant dues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°
2016-131 du 10 février 2016 ;

ALORS quatrièmement QU'en relevant d'office le moyen pris de ce que la Caisse d'épargne n'avait pas adressé aux époux X... de nouveau tableau d'amortissement tenant compte de la modification du taux d'intérêt et des sommes restant dues, ans inviter les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé le principe de la contradiction et l'article 16 du code de procédure civile ;

ALORS cinquièmement QUE le préjudice né du manquement à une obligation d'information, s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, qui n'est égale qu'à une fraction du préjudice véritablement éprouvé ; qu'en condamnant la Caisse d'épargne à indemniser les époux X... à hauteur de 73 489,35 € suite au manquement à son obligation d'information, quand ces 73 489,35 € constituaient le montant restant dû au titre du prêt, donc représentaient la totalité et non pas une fraction du préjudice financier réellement subi par les époux X..., la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-21373
Date de la décision : 11/12/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 21 février 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 11 déc. 2019, pourvoi n°18-21373


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Foussard et Froger, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.21373
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