La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/07/2020 | FRANCE | N°19-17173

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 01 juillet 2020, 19-17173


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er juillet 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 377 F-D

Pourvoi n° J 19-17.173

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUILLET 2020

1°/ M. Q... A...,

2°/ Mme H... A...,

3°/ M. S... A...

,

tous trois domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° J 19-17.173 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er juillet 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 377 F-D

Pourvoi n° J 19-17.173

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUILLET 2020

1°/ M. Q... A...,

2°/ Mme H... A...,

3°/ M. S... A...,

tous trois domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° J 19-17.173 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige les opposant :

1°/ à M. N... R..., domicilié [...] ,

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, les observations de Me Le Prado, avocat de MM. Q... et S... A... et de Mme H... A..., de la SCP Richard, avocat de M. R..., et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen rapporteur, M. Avel, conseiller, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mars 2019), après avoir été opérée en 2009 d'une double valvulopathie, I... A... a présenté, à partir de novembre 2013, une fibrillation auriculaire et subi, le 2 avril 2014, une ablation du foyer arythmogène réalisée par M. M..., rythmologue à l'hôpital [...] à [...]. Elle a été, ensuite, suivie par M. R... (le cardiologue) qui, lors d'une consultation post-opératoire le 7 mai 2014, lui a fixé un rendez-vous le 2 juillet 2014 pour la pose d'un Holter ECG. Le 3 juin 2014, ayant constaté un essoufflement, une arythmie et une fatigue anormale, I... A... a, sur le conseils de son mari, M. A..., qui était son médecin traitant et se trouvait à l'étranger, pris contact par téléphone avec le cabinet du cardiologue en vue d'un rendez-vous anticipé. Avisé par son secrétariat de cet appel et de sa teneur, le cardiologue a fait répondre à I... A... qu'il n'y avait pas lieu d'avancer le rendez-vous, dès lors que son état était normal et n'appelait pas d'inquiétudes. Le 17 juin 2014, I... A... a été retrouvée sans vie à son domicile.

2. A l'issue d'une expertise médicale ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation de la région Provence Alpes Côte d'Azur, d'un avis émis par celle-ci mettant hors de cause le cardiologue et d'une décision rendue, le 15 novembre 2016, par la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, lui infligeant un blâme au motif qu'il avait établi un diagnostic sans avoir interrogé et informé lui-même la patiente qu'il avait prise en charge, M. Q... A... et ses enfants, H..., S... (les consorts A...) et E... l'ont assigné en responsabilité et indemnisation, en se prévalant d'une perte de chance de survie de 90 % subie par I... A... en conséquence de cette faute.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. Les consorts A... font grief à l'arrêt de dire que la faute déontologique commise par le cardiologue est sans lien de causalité avec le décès de I... A... et qu'une perte de chance de survie subie par celle-ci n'est pas établie, et de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome ayant entraîné le décès ne sont de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise le praticien en charge du suivi de la victime qui a retardé la prise en charge de celle-ci et la perte d'une chance de survie pour cette dernière ; que la cour d'appel ne pouvait pas relever que le docteur M... avait indiqué dans son compte-rendu d'hospitalisation que toute récidive soutenue devait être réduite par diversion médicamenteuse ou électrique, que le cardiologue avait commis une faute en réalisant un diagnostic sans avoir interrogé et informé lui-même I... A..., mais que les circonstances du décès étaient indéterminées pour en déduire qu'il n'était pas établi que la faute du cardiologue eût fait perdre à I... A... une chance de survie en relation de causalité directe avec le manquement du cardiologue ; que la cour d'appel, n'a pas constaté que sans la faute du cardiologue, I... A... n'aurait eu aucune chance de survie ou qu'il était certain que son décès était dû à une autre cause ; qu'elle a violé l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique ;

2°/ qu'en énonçant par motifs adoptés des premiers juges, « qu'il ressortait des éléments du dossier que même si le docteur R... avait reçu plutôt Mme A... cela n'aurait rien changé à son état de santé », après avoir relevé que le docteur M... avait indiqué dans son compte-rendu d'hospitalisation que toute récidive soutenue devait être réduite par diversion médicamenteuse ou électrique, que le cardiologue avait commis une faute en réalisant un diagnostic sans avoir interrogé et informé lui-même I... A..., et que l'expert avait conclu que les circonstances du décès étaient indéterminées et qu'il n'était pas possible de préciser le pourcentage des cas dans lesquels la maladie de I... A... provoquerait le décès du malade, aucun de ces éléments ne révélant que I... A... n'avait aucune chance de survie du fait de sa maladie, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1142-1, I, du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

4. Se fondant sur les constatations de l'expert ayant examiné le compte-rendu d'hospitalisation et ses préconisations, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les symptômes décrits par I... A..., lors de son appel téléphonique, étaient les mêmes que ceux qu'elle présentait avant l'intervention, qu'ils nécessitaient un délai de quatre mois pour se résoudre et n'impliquaient pas une nouvelle intervention et que, même si le cardiologue avait alors reçu sans délai la patiente, il n'aurait pas modifié son traitement. Il ajoute que la cause du décès subit de I... A..., survenu quatorze jours après, est demeurée inconnue, la famille s'étant opposée à une autopsie, et qu'il est impossible de déterminer si, dans les jours ayant précédé le décès, les traitements qui lui étaient administrés étaient adaptés à son état.

6. De ces constatations et énonciations souveraines, desquelles il résulte que la faute imputée au cardiologue n'a pas été à l'origine d'une perte de chance de survie de I... A..., la cour d'appel a pu déduire que la responsabilité de celui-ci n'était pas engagée.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur la troisième branche du moyen, ci-après annexé

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Q... A..., Mme H... A... et M. S... A... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour MM. Q... et S... A... et Mme H... A....

Il est fait grief à la cour d'appel

D'AVOIR dit que la faute déontologique du docteur R... n'a pas de lien de causalité avec le décès de I... A... et dit que la perte de chance de survie de cette dernière n'est pas établie et d'avoir débouté les consorts A... de leurs demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur le lien de causalité entre la faute et le décès de Mme I... A... : les consorts A... soutiennent que le comportement fautif du docteur R... a fait perdre à Mme A... une chance de survie de plusieurs années si Mme I... A... avait été examinée par le docteur R... et il est probable que le traitement aurait été adapté en conséquence et rien ne permet d'affirmer le contraire ; qu'il appartient aux consorts A... d'établir un lien de causalité direct et certain entre le manquement du docteur R... et le décès, alors que la perte de chance alléguée doit correspondre à la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; que Mme I... A... a été hospitalisée du 15 juin 2009 au 29 juin 2009 en service de chirurgie cardiaque au CHP [...] à [...] pour une « décompensation hémodynamique lors d'un passage en fibrillation auriculaire » et un bilan diligenté a révélé « l'existence d'une maladie mitro aortique d'origine rhumatismale » ayant nécessité une « régularisation du rythme cardiaque par choc électrique externe » ; qu'au total le compte rendu fait état d'une « double valvulopathie mitro-aortique » ayant justifié une intervention chirurgicale le 19 juin 2009 ; qu'un courrier adressé le 21 mars 2014 par le docteur R... au docteur Q... A... indique que Mme I... A... « est passée par la suite en fibrillation auriculaire « et que depuis le mois de novembre 2013 elle était « à nouveau e FA (fibrillation auriculaire) » avec pour conséquence un essoufflement ; que le docteur R... a rappelé qu'il était convenu de tenter une ablation de FA que le docteur M... devait réaliser dans les semaines suivantes, tout en indiquant qu'il n'était pas favorable à cette intervention, préférant privilégier et optimiser le traitement anticoagulant ; que néanmoins l'intervention a été réalisée le 2 avril 2014 par le docteur M... ; que dans son compte rendu d'hospitalisation, le docteur M... a noté que les suites ont été simples et a signalé une éventuelle complication en écrivant que les « 4 mois suivant l'ablation de FA correspondent à une période inflammatoire induite par radiofréquence. Toute récidive de troubles du rythme pendant cette période n'a pas de conséquence théorique sur le résultat à long terme qui s'apprécie donc au 4ème mois. Toute récidive soutenue doit néanmoins être réduite par diversion médicamenteuse ou électrique » ; que dans un courrier du 7 mai 2014, adressé au docteur A..., le docteur R... qui a reçu Mme I... A... le jour même a confirmé que les suites ont été simples et que la patiente était en « rythme sinusal sans ressentir toutefois d'amélioration au niveau de la dyspnée » c'est à dire des essoufflements ; qu'il a rappelé que les trois premiers mois étaient déterminants, qu'il était difficile pour l'instant de se prononcer sur le succès de l'intervention et qu'il avait prévu de revoir Mme I... A... dans les deux mois pour un Holter ECG ; qu'il est acquis aux débats que le 3 juin 2014, Mme I... A... a contacté le cabinet du docteur R... pour signaler la réapparition de palpitations et la dégradation de son état de santé, afin d'avancer le rendez-vous fixé au 2 juillet 2014 ; que Mme J... U..., secrétaire médicale a écrit dans une attestation du 11 décembre 2014 qu'elle ne se souvenait plus de l'appel de Mme I... A... mais que dans tous les cas elle a noté le message qu'elle a transmis au cardiologie qui y a répondu en lui donnant les consignes à transmettre à la patiente ; qu'il est établi et non contesté que Mme I... A... n'a eu pour seule interlocutrice que la secrétaire du cabinet, le médecin occupé en consultation n'étant pas disponible pour prendre l'appel directement et elle lui en a transmis la teneur ; que le docteur R... a déclaré à l'expert le docteur C... qu'en « prenant connaissance du message » il en a déduit que Mme I... A... « était repassée en fibrillation auriculaire, ce qui n'avait rien de surprenant » s'agissant d'une procédure d'ablation comprenant des chances de succès réduite en raison du caractère persistant de l'arythmie et de la valvulopathie et il a rappel » que la patiente était « antérieurement en FA depuis plusieurs mois, bien supportée » ; qu'il a dont « fait passer le message de en pas s'inquiéter de cette récidive de palpitations et de maintenir son rendez-vous de holter » devant avoir lieu le 2 juillet 2014 ; que les consorts A... soutiennent que Mme I... A... qui était cardiaque venait de subir une opération et il existait un risque de récidive identifiée par le docteur M... et nécessitant alors une intervention ; qu'à cela dans son rapport le docteur C... a répondu que si le docteur M... a précisé dans compte rendu d'hospitalisation que toute récidive soutenue de fibrillation atriale devait être réduite par la cardioversion médicamenteuse ou électrique, il estime que ces propositions ne reposent que sur les habitudes médicales de ce médecin mais pas sur des recommandations validées par les instances nationales ou internationales ; qu'il ajoute que dans tous les cas la régularisation ne pouvait être envisagée qu'en cas de fibrillation soutenue alors que Mme I... A... se plaignait de palpitations épisodiques pouvant parfaitement correspondre à des épisodes de palpitations de fibrillation paroxystique ; qu'en tout état de cause et de ce chef les consorts A... ne démontrent pas de lien de causalité entre l'absence de nouvelle intervention et le décès de Mme I... A... ; qu'ils font valoir que Mme I... A... ne présentait aucune pathologie invalidante ou susceptible de causer un décès dans les circonstances où il est survenu, dans son lit et sans signe de souffrance et qu'aucune autre cause crédible n'a été identifiée et l'analyse objective des causes possibles conduit à un degré de probabilité confinant à la certitude de la relation de causalité entre son état médical et le décès ; que sur ce point l'expert a conclu d'une part qu'il était impossible de préciser si les traitement administrés à la victime étaient adaptés à son état, les jours précédent son décès, faute d'éléments anamnestiques ; que de ce fait il n'est pas possible de préciser si d'autres soins n'auraient pas dû lui être dispensés pour éviter son décès et il a écrit que le décès de Mme A... est la conséquence de l'évolution prévisible et/ou imprévisible de sa pathologie initiale en prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieure, présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués et que l'état de santé de la patiente prédisposait celle-ci à être victime de l'accident qui s'est produit en ajoutant qu'il n'est pas possible de préciser le pourcentage de survenue de ce type de complications ; qu'en l'absence d'autopsie pratiquée du corps de Mme I... A..., l'expert a conclu qu'elle est décédée dans la nuit du 16 au 17 juin 2014 de façon subite dans des circonstances qui restent indéterminées ; que compte tenu des réponses apportées par l'expert médical et du caractère indéterminé des circonstances du décès, une perte de chance, définie pour être la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable en relation de causalité directe avec le manquement du coteur R... n'est pas établie en l'espèce ; que le jugement dans ses dispositions dont il a été relevé appel, est donc confirmé »

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur la responsabilité du Docteur R... : En application des dispositions de l'article L1142-1 du Code de la Santé Publique « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ». Il résulte de l'article R4127-32 du code de la santé publique que dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents. L'article R4127-33 du code de la santé publique précise que le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés. Le médecin est responsable du diagnostic établi à la légère, en négligeant de s'entourer de tous les renseignements nécessaires ou même simplement utiles et sans avoir recours au procédé de contrôle et d'investigation exigé par la science. La chambre disciplinaire a considéré que le Docteur R... « le 3 juin 2014 en faisant un diagnostic sans avoir interrogé et informé lui-même une patiente qu'il avait prise en charge, a méconnu les règles de base de la déontologie médicale telle qu'elle résulte des articles R4127-32 et 33 du code de la santé publique ». Dans sa décision en date du 15 novembre 2016, la chambre disciplinaire reproche au Docteur R... une erreur déontologique mais ne lui reproche aucune faute qui serait la cause du décès de I... A.... Si le Tribunal n'est pas lié par l'avis de la Commission de Conciliation et d'indemnisation des Accidents Médicaux, il convient de relever également que celle-ci, dans la décision en date du 7 octobre 2015, a mis hors de cause le Docteur R... en l'absence de preuve de ce que le décès de I... A... est en lien avec sa pathologie dans les termes suivants : « Le décès de I... A... est survenu dans des circonstances imprécises. Si le conseil des consorts A... a invoqué un oedème du poumon comme cause du décès, ces allégations ne reposent sur aucun fait médical documenté. Par ailleurs comme le souligne l‘expert, il ne peut être exclu une fluctuation de niveau de l'anticoagulation avant le décès de I... A..., responsable d'un accident thromboembolique, comme hémorragique pouvant être à l'origine au décès de I... A.... En l'absence d'autopsie et dès lors que le décès de I... A... est survenu 14 jours après l'appel de cette dernière auprès du Docteur R..., un lien de causalité direct et certain ne peut être établi entre le décès de I... A... et la prise en charge effectuée par le Docteur R...». L'expert C... pour sa part conclut « que Madame A... décédait dans la nuit du 16 au 17 juin de façon subite, dans des circonstances qui restent indéterminées. Cet état peut être considéré comme la conséquence de l'évolution prévisible de sa pathologie initiale, prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieur, présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués et du fait que l'état de santé du patient prédisposait celui-ci à être victime de l'accident qui s'est produit. Il n'est pas possible de préciser le pourcentage de survenue de ce type de complication au vu des connaissances médicales actuelles et des éléments anamnestiques... Le Docteur R..., intervenant en sa qualité de cardiologue conseil de Madame A... depuis quelques mois, ne peut voir sa responsabilité engagée dans cet accident, au vu des circonstances anamnestiques et les négligences observées dans l'encadrement médical de Madame A... ». Seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. L'expert C... indique (p.24) que «Madame A... devait scrupuleusement suivre un traitement anticoagulants oral (PREVISCAN) qui devait justifier d'une surveillance rapprochée, par dosages réguliers au niveau d'anticoagulation (au moins une fois par mois, voire plus en raison du risque de fluctuation lié à différents facteurs) par le dosage cm TP et de l'INR (ciblé entre S et 4 pour ce type de pathologie). » Il indique (p .25) que « l'analyse des relevés d'INR montre qu'il existait des fluctuations dans l'équilibre de son traitement anticoagulant oral, notamment durant le mois de mars 2014 avec des INR inférieurs à 2, témoignant donc d'un sur risque thrombotique, comme des INR supérieurs à 4, prédisposant à un risque hémorragique». Il ajoute « que le dernier INR réalisé date du 21 mai 2014, soit près de quatre semaines avant le décès de Madame A.... Il ne peut être exclu d'une fluctuation du niveau de l'anticoagulation durant cette période, responsable d'un accident thromboembolique, comme hémorragique, pouvant être à ¡'origine du décès de Madame A... ». Dans un courrier adressé à O... V... A... le 21 mars 2014, le Docteur R... indiquait être défavorable à l'opération envisagée et préconisait d'optimiser le traitement anti coagulant en demandant un INR entre 3 et 4 et à recontrôler un mois après la disparition du thrombus. Dans son compte rendu d'hospitalisation, le Docteur M... note que « les 4 mois suivant une ablation de FA correspondent à une période inflammatoire induite par la radiofréquence. Toute récidive de troubles du rythme pendant cette période n'a pas de conséquence théorique sur le résultat à long terme qui s'apprécie au 4ime mois. Toute récidive soutenue doit néanmoins être réduite par cardioversion médicamenteuse ou électrique. Les FA persistantes sont le plus souvent traitées en deux temps. La récidive sous forme organisée correspond le plus souvent à une étape dans le traitement de la fibrillation atriale ». En l'espèce, il ressort des éléments du dossier que même si le Docteur R... avait reçu plus tôt I... A..., cela n'aurait rien changé à l'état de santé de cette dernière. En effet, lors de son appel téléphonique en date du 3 juin 2014, I... A... s'est plainte de « palpitations » sans que son appel ait été perçu comme alarmiste et d'urgence. Il est précisé dans les courriers des secrétaires du Docteur R... qu'en cas de nécessité, elles demandent aux patients de se rapprocher d'un service d'urgence si nécessaire ou de s'en référer à leur médecin traitant. Les symptômes alors décrits par I... A... lors de son appel téléphonique étaient déjà ceux quelle présentait avant l'intervention en date du 2 avril 2014, et qui ne pouvaient se résoudre que dans un délai de 4 mois après l'intervention chirurgical comme l'avait souligné le Docteur M... dans son compte rendu d'hospitalisation. Lorsque le 7 mai 2014, le Docteur R... reçoit I... A... en consultation, il écrit à O... V... A... en ces termes « les suites ont été simples et elle est à ce jour en rythme sinusal sans ressentir toutefois d'amélioration au niveau de la dyspnée. Cliniquement, l'examen est normal, l'ECG est en rythme sinusal à 80par minute. Comme vous savez, les trois premiers mois sont déterminants et il est difficile pour l'instant de se prononcer sur le succès de l'intervention. J'ai programmé un holster ECG dans deux mois. Si l'enregistrement était satisfaisant, on pourrait alors raisonnablement conclure au bon résultat de l'intervention. Je n'ai rien changé à son traitement qui comprend du PREVISCAN, du SOTALEX et de l'ALDACTONE » Si le Docteur R... avait reçu I... A... suite à son appel téléphonique du 3 juin 2014, il paraît peu probable qu'il aurait changé son diagnostic dans la mesure où les troubles décrits par sa patiente étaient prévisibles et normaux. Le Docteur R... a précisé dans un courrier adressé à l'expert le 12 décembre 2014 qu'en prenant connaissance du message téléphonique de I... A..., « U en avait déduit qu'elle était repassée en fibrillation auriculaire, ce qui n ‘avait rien de surprenant (il s'agissait d'une procédure d'ablation comprenant des chances de succès réduites en raison du caractère persistant de l'arythmie et de la valvulopathie) ». Il convient de relever également que O... V... A... qui était le médecin traitant de son épouse, n'a pas informé le Docteur R... de son absence, il n'a pas appelé lui-même le Docteur R... pour attirer particulièrement son attention sur l'état de santé de son épouse et n'a pas pris de nouvelles de cette dernière entre le 3 et le 16 juin. Il n'a pas jugé nécessaire de solliciter d'hospitalisation en urgence de son épouse, ni n'a conseillé à cette dernière d'appeler le 15 alors que celle-ci n'avait pas pu faire avancer son rendez vous chez le Docteur R.... Cette attitude tend à démontrer que l'état de I... A... ne s'était pas aggravé entre son appel téléphonique en date du 3 juin 2014 et son décès et que les symptômes qu'elle présentait n'étaient pas plus importants ou alarmants. Si le Docteur M... a précisé dans son compte rendu d'hospitalisation que « toute récidive soutenue doit néanmoins être réduite par cardioversion médicamenteuse ou électrique », le Professeur C... souligne cependant (p.26) que ces propositions ne reposent que sur les habitudes médicales du Docteur M... mais ne reposent pas sur des recommandations validées par les instances nationales ou internationales. Il ajoute que dans tous les cas, la régularisation ne pouvait être envisagée qu'en cas de fibrillation soutenue et I... A... se plaignait de palpitations épisodiques pouvant parfaitement correspondre à des épisodes de Fibrillation paroxystiques. L'expert indique (p.25) enfin que le Docteur F... qui a établi le certificat de décès a précisé que le corps présentait un aspect calme et reposé, qu'il avait souhaité la réalisation d'un examen « autopsique » rnédico légal pour éclaircir les causes du décès mais que la famille de I... A... s'y serait opposé. Les consorts A... n'établissent pas le lien de causalité entre la faute reprochée au Docteur R... sur le plan déontologique et le décès de I... A.... Ils ne démontrent pas non plus qu'elle aurait eu une chance de guérison ou d'amélioration de son état si le Docteur R... l'avait reçue avant le rendez-vous prévu. Les consorts A... seront donc déboutés de leur demande en indemnisation ».

1°/ ALORS QUE la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome ayant entraîné le décès ne sont de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise le praticien en charge du suivi de la victime qui a retardé la prise en charge de celle-ci et la perte d'une chance de survie pour cette dernière ; que la cour d'appel ne pouvait pas relever que le docteur M... avait indiqué dans son compte-rendu d'hospitalisation que toute récidive soutenue devait être réduite par diversion médicamenteuse ou électrique, que le docteur R... avait commis une faute en réalisant un diagnostic sans avoir interrogé et informé lui-même Mme A..., mais que les circonstances du décès étaient indéterminées pour en déduire qu'il n'était pas établi que la faute du docteur R... eût fait perdre à Mme A... une chance de survie en relation de causalité directe avec le manquement du docteur R... ; que la cour d'appel, n'a pas constaté que sans la faute du docteur R..., Mme A... n'aurait eu aucune chance de survie ou qu'il était certain que son décès était dû à une autre cause ; qu'elle a violé l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique ;

2°/ ALORS QU'en énonçant par motifs adoptés des premiers juges, « qu'il ressortait des éléments du dossier que même si le docteur R... avait reçu plutôt Mme A... cela n'aurait rien changé à son état de santé », après avoir relevé que le docteur M... avait indiqué dans son compte-rendu d'hospitalisation que toute récidive soutenue devait être réduite par diversion médicamenteuse ou électrique, que le docteur R... avait commis une faute en réalisant un diagnostic sans avoir interrogé et informé lui-même Mme A..., et que l'expert avait conclu que les circonstances du décès étaient indéterminées et qu'il n'était pas possible de préciser le pourcentage des cas dans lesquels la maladie de Mme A... provoquerait le décès du malade, aucun de ces éléments ne révélant que Mme A... n'avait aucune chance de survie du fait de sa maladie, la cour qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique ;

3°/ ALORS QUE enfin, un médecin, tenu d'exercer sa profession en toute indépendance, ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère, mais doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux données acquises de la science ; qu'en énonçant, pour écarter toute perte de chance de survie en lien direct avec la faute du docteur R..., que l'époux de la victime, médecin traitant de cette dernière n'avait pas appelé lui-même le docteur R... pour attirer particulièrement son attention sur l'état de santé de son épouse ce dont il résultait que les symptômes qu'elle présentait n'était pas plus alarmants, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-17173
Date de la décision : 01/07/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 28 mars 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 01 jui. 2020, pourvoi n°19-17173


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.17173
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award