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12/12/2011 | FRANCE | N°C3838

France | France, Tribunal des conflits, 12 décembre 2011, C3838


Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 septembre 2011, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant M. A à M. B devant la cour d'appel de Paris ;

Vu le déclinatoire présenté le 30 mai 2011 par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les motifs que l'atteinte à la présomption d'innocence imputée à M. B ne saurait constituer qu'une faute commise par un ministre dans le cadre de ses fonctions ; que l

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Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 septembre 2011, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant M. A à M. B devant la cour d'appel de Paris ;

Vu le déclinatoire présenté le 30 mai 2011 par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les motifs que l'atteinte à la présomption d'innocence imputée à M. B ne saurait constituer qu'une faute commise par un ministre dans le cadre de ses fonctions ; que la direction centrale du renseignement intérieur est placée sous son autorité ; que le présent litige n'entre dans aucune exception prévue par la loi permettant de rechercher la responsabilité de l'Etat devant les juridictions judiciaires ; que l'atteinte alléguée n'est ni une atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 136 du code de procédure pénale ni une voie de fait ;

Vu l'arrêt du 29 juin 2011 par lequel la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence ;

Vu l'arrêté du 13 juillet 2011 par lequel le préfet a élevé le conflit ;

Vu, enregistré le 2 novembre 2011, le mémoire présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit ;

Vu enregistré le 6 décembre 2011, le mémoire présenté pour M. B tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que l'action en préservation de la présomption d'innocence n'échappe pas aux principes qui régissent la détermination de la compétence des juges administratifs ou judiciaires ; que le ministre de l'intérieur avait déjà eu l'occasion de rappeler à l'Assemblée Nationale que la direction du renseignement intérieur avait agi dans le cadre de sa mission administrative ;

Vu enregistré le 8 décembre 2011, le mémoire présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales qui tend à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que le ministre est intervenu sur les chaînes de radio et télévision en sa qualité de ministre de l'intérieur sous l'autorité duquel est placée la direction centrale du renseignement intérieur ; que le juge administratif, comme le juge judiciaire, est à même de garantir efficacement et, par la voie du référé liberté, à très brève échéance, les atteintes portées à la présomption d'innocence ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le code civil ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Vigouroux, membre du Tribunal,

- les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez pour M. B,

- les conclusions de M. Didier Boccon-Gibod, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, lors de l'émission " Le Grand Jury ", diffusée le 17 octobre 2010, M. B, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des collectivités territoriales, a, à propos des résultats d'une enquête menée par la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la réponse qu'il entendait réserver à la demande du procureur de la République de Paris de déclassifier des éléments ayant permis à cette administration d'identifier, selon elle, l'une des sources d'information du journal " Le Monde " sur le déroulement d'une affaire judiciaire en cours, supposée être un membre d'un cabinet ministériel, déclaré : " cette vérification a confirmé qu'effectivement un haut fonctionnaire, magistrat, membre de cabinet ministériel, ayant donc accès à des documents précisément confidentiels, eh bien, .. alimentait, selon ces sources vérifiées, alimentait un journaliste sur des enquêtes qui étaient en cours d'instruction. C'est donc le non respect du secret professionnel prévu d'ailleurs par la loi. " et, à nouveau interrogé, a précisé : " je dis que ça tombe sous le coup du non respect du secret professionnel .... Personnellement je pense que la DCRI a fait son travail puisque c'est une mission de sécurisation des institutions de l'Etat et que, quand vous avez quelqu'un qui a accès à des documents confidentiels dans un cabinet ministériel, je pense qu'elle est fondée à agir " ; qu'estimant que ces propos le visaient et avaient porté atteinte à sa présomption d'innocence, M. A a assigné M. B, sur le fondement de l'article 9-1 du code civil, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, et demandé à cette juridiction le prononcé de mesures tendant à faire cesser l'atteinte alléguée ainsi qu'à titre provisionnel une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi; que, par une ordonnance du 17 décembre 2010, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que les propos tenus par M. B étaient attentatoires à la présomption d'innocence et l'a condamné au paiement à M. A d'une somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts provisionnels ; que M. B a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris ; que, par un déclinatoire de compétence transmis le 30 mai 2011 au procureur général près la cour d'appel de Paris, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, a décliné la compétence des juridictions judiciaires ; que, par un arrêt rendu le 29 juin 2011, la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire du préfet ; que celui-ci a élevé le conflit ;

Considérant que la présomption d'innocence, constitue une liberté fondamentale dont la protection juridictionnelle ne relève pas, par nature, de la compétence exclusive des juridictions judiciaires ; qu'en l'absence de dispositions législatives contraires, l'atteinte qui y est portée par un agent public dans l'exercice de ses fonctions est ainsi, en principe, susceptible de ressortir à la compétence du juge administratif ;

Considérant que la tenue des propos imputés à M. B, ministre de l'intérieur, dans l'exercice de ses fonctions, à l'occasion d'une émission d'information générale télévisée et radiophonique, en réponse à des questions des journalistes, ne présente pas les caractères d'une faute personnelle détachable du service ; que les déclarations incriminées font état d'une enquête administrative effectuée par un service placé sous l'autorité du ministre de l'Intérieur et sur les instructions de celui-ci aux fins d'assurer la protection des intérêts de l'Etat ; que ne constituant ni un acte ni une décision et ne comportant la production d'aucun élément de preuve lié à une procédure en cours, la seule évocation des résultats d'investigations administratives effectuées, par les services placés sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, est étrangère à la procédure dont l'autorité judiciaire se trouvait saisie du chef de violation du secret de l'instruction ; qu'en conséquence, le litige opposant M. Sénat à M. B en ce que ce dernier, par ses déclarations en tant que ministre de l'Intérieur, aurait porté atteinte à la présomption d'innocence du premier est de la compétence du juge administratif.

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le conflit a été élevé;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 13 juillet 2011 par le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, est confirmé.

Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par M. A contre M. B devant la cour d'appel de Paris et l'arrêt de cette juridiction en date du 29 juin 2011.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C3838
Date de la décision : 12/12/2011
Type d'affaire : Administrative

Analyses

17-03 COMPÉTENCE. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION. - 1) PROTECTION JURIDICTIONNELLE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE - COMPÉTENCE EXCLUSIVE DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES - ABSENCE - CONSÉQUENCE - ATTEINTE PORTÉE À LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE PAR UN AGENT PUBLIC DANS L'EXERCICE DE SES FONCTIONS - COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF - EXISTENCE - 2) PROPOS TENUS PAR UN MINISTRE DE L'INTÉRIEUR DANS L'EXERCICE DE SES FONCTIONS - SIMPLE ÉVOCATION DES RÉSULTATS D'INVESTIGATIONS ADMINISTRATIVES ÉTRANGÈRE À UNE PROCÉDURE JUDICIAIRE - LITIGE OPPOSANT CE MINISTRE À UNE PERSONNE S'ESTIMANT VICTIME D'UNE ATTEINTE À LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE - COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF - EXISTENCE [RJ1].

17-03 1) La présomption d'innocence constitue une liberté fondamentale dont la protection juridictionnelle ne relève pas, par nature, de la compétence exclusive des juridictions judiciaires. Ainsi, en l'absence de dispositions législatives contraires, l'atteinte qui y est portée par un agent public dans l'exercice de ses fonctions est, en principe, susceptible de ressortir à la compétence du juge administratif.,,2) La tenue de propos imputés au ministre de l'intérieur, dans l'exercice de ses fonctions, à l'occasion d'une émission d'information générale télévisée et radiophonique, en réponse à des questions des journalistes, ne présente pas les caractères d'une faute personnelle détachable du service. Ne constituant ni un acte ni une décision et ne comportant la production d'aucun élément de preuve lié à une procédure judiciaire en cours, la seule évocation dans ces propos des résultats d'une enquête administrative effectuée par un service placé sous l'autorité de ce ministre et sur les instructions de celui-ci aux fins d'assurer la protection des intérêts de l'Etat, est étrangère à la procédure dont l'autorité judiciaire se trouvait par ailleurs saisie du chef de violation du secret de l'instruction. Par suite, le litige opposant le ministre de l'intérieur à une personne estimant que ces déclarations auraient porté atteinte à la présomption de son innocence est de la compétence du juge administratif.


Références :

[RJ1]

Cf. TC, même jour, Hennouni c/ Hortefeux, n° 3837, à publier au Recueil.


Composition du Tribunal
Président : M. Gallet
Rapporteur ?: M. Christian Vigouroux
Rapporteur public ?: M. Boccon-Gibod

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:TC:2011:C3838
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