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14/10/2008 | FRANCE | N°06/13626

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0135, 14 octobre 2008, 06/13626


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

21ème Chambre C

ARRET DU 14 Octobre 2008

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/13626 -MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Septembre 2006 par le conseil de prud'hommes de MEAUX section commerce RG no 05/00058

APPELANT

1o - Monsieur Jean-Yves X...

...

77700 COUPVRAY

comparant en personne, assisté de Me Denise Y..., avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

2o - SARL SAUERBREI



11, rue de la Marne

77400 ST THIBAULT DES VIGNES

représentée par la SCP SIMON TAHAR-JEANCARD, avocats associés au barreau de PARIS, toque P.3...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

21ème Chambre C

ARRET DU 14 Octobre 2008

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/13626 -MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Septembre 2006 par le conseil de prud'hommes de MEAUX section commerce RG no 05/00058

APPELANT

1o - Monsieur Jean-Yves X...

...

77700 COUPVRAY

comparant en personne, assisté de Me Denise Y..., avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

2o - SARL SAUERBREI

11, rue de la Marne

77400 ST THIBAULT DES VIGNES

représentée par la SCP SIMON TAHAR-JEANCARD, avocats associés au barreau de PARIS, toque P.394, substituée par Me Raphaëlle Z..., avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2008, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente

Mme Irène LEBE, conseiller

Mme Hélène IMERGLIK, conseiller

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS ET LA PROCÉDURE :

M Jean Yves X... a été engagé le 1er mars 2004 par la SARL SAUERBREI, en qualité de chef d'exploitation et de flux des marchandises. Cette société a pour activité la prestation de services en ce qui concerne le traitement et l'expédition de vêtements, son effectif est d'environ 48 salariés.

Le contrat de travail intitulé «contrat à durée indéterminée» prévoyait une période d'essai de deux mois, du 1er mars au 30 avril et comportait un article 3.1.2 indiquant : «le présent contrat est établi pour une durée déterminée de six ans minimum».

Le 2 août 2004, M. Jean-Yves X... était changé de poste, pour être affecté à la gestion de la zone de traitement.

Le 8 septembre 2004 il était convoqué par lettre recommandée à un entretien préalable fixé au 14 septembre 2004. Par lettre du 16 septembre puis par lettre du 20 septembre, son licenciement lui était notifié pour insuffisance professionnelle.

Une tentative de transaction a ensuite été recherchée, qui a abouti à deux propositions formulées par lettre du 16 novembre 2004 par l'employeur : une proposition financière et d'aide à la recherche d'emploi, d'un montant équivalent à 26.000 euros, une proposition de réintégration dans les effectifs avec le même salaire et un contrat à durée indéterminée sans période d'essai sur un poste de chargé de mission à créer.

Le salarié a refusé la première proposition comme étant insuffisante au regard de sa situation et la seconde disant : «cette création de poste me laisse perplexe et surtout très méfiant, je ne souhaite absolument pas revivre la situation que j'ai vécue ces quatre derniers mois».

Contestant son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes le 20 janvier 2005 pour demander, notamment, des dommages et intérêts correspondant au salaire restant à percevoir jusqu'à la fin de son contrat de travail, qu'il analysait alors comme un contrat à durée déterminée et subsidiairement des dommages et intérêts pour rupture abusive.

Le conseil de prud'hommes, de Meaux, section commerce, par décision du 20 septembre 2006, qualifiait le contrat de travail de contrat à durée indéterminée, disait le licenciement abusif et la procédure irrégulière et condamnait la SARL SAUERBREI à payer au salarié 5.809,86 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et 500 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. Jean Yves X... a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.

Analysant en cause d'appel son contrat de travail comme un contrat à durée indéterminée, et la clause prévue à l'article 3.1.2 comme une clause de garantie d'emploi pendant six ans, M Jean Yves X... demande à la cour :

- à titre principal de condamner la SARL SAUERBREI à lui payer la somme de 195.915,52 euros pour clause de garantie d'emploi contractuelle, 2.904 euros pour indemnités de non-respect de la procédure de licenciement et 1.000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-- à titre subsidiaire, il sollicite 200.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, 2.904 euros pour indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et 1.000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL SAUERBREI a formé appel incident. Reprenant les termes de la décision du conseil de prud'hommes Meaux, il soutient que la clause prévue à l'article 3.1.2 serait «non conforme» et conclut au débouté de M. Jean-Yves X....

Subsidiairement, si la cour devait retenir cette clause comme licite, il lui demande de l'analyser comme une clause pénale et d'appliquer l'article 1152 du Code civil pour la réduire, son montant étant «manifestement excessif».

En ce qui concerne le licenciement, l'employeur soutient que la procédure a été régulière compte tenu de l'envoi d'une deuxième lettre de licenciement datée du 20 septembre 2004 soit plus de deux jours après la tenue de l'entretien préalable, lettre qui par ailleurs rectifiait une erreur quant à la date de changement d'affectation de M. Jean-Yves X....

Au-delà, il considère que M. Jean-Yves X... a démontré une incapacité à faire face aux différentes missions qui lui avaient été confiées, tout d'abord en tant que de chef d'exploitation, mais avait également échoué après s'être vu confier la responsabilité du secteur de la zone de traitement, la production ayant chuté de 30% en quelques semaines.

L'employeur considère donc que l'insuffisance professionnelle est établie et justifiait son licenciement.

La SARL SAUERBREI demande donc à la cour à titre principal :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit l'article 3.1.2 du contrat de travail non conforme ;

- de dire que le licenciement est causé et la procédure respectée et de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive.

A titre subsidiaire, il demande à la cour de dire que l'indemnité pour violation de la clause de garantie d'emploi est manifestement excessive et de fixer à 1 euro symbolique la somme allouée à M. Jean-Yves X..., tout en lui accordant, à titre reconventionnel, 1.000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le salaire brut moyen mensuel de M. Jean-Yves X... est de 2.904,93 euros

LES MOTIFS DE LA COUR :

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le contrat de travail de M. Jean-Yves X... et la clause inscrite à l'article 3.1.2 :

Les parties sont d'accord en cause d'appel pour qualifier le contrat de travail de contrat à durée indéterminée comme l'a jugé, à juste titre, le conseil de prud'hommes, la cour relevant que l'embauche de M. Jean-Yves X... s'est faite dans des circonstances ne correspondant en rien aux motifs de recours à un contrat à durée déterminée.

Il est constant, M. Jean-Yves X... l'affirmant sans être contesté aucunement par la SARL SAUERBREI, que celui-ci occupait depuis 10 ans des fonctions analogues de chef du bureau d'exploitation auprès de la société Danzas, dont il a démissionné après avoir été «approché» par le directeur logistique de la SARL SAUERBREI, M B..., client de la société Danzas, ce dernier lui proposant une embauche dans des fonctions identiques de chef d'exploitation pour un salaire supérieur.

Ces circonstances expliquent la clause, inhabituelle, de l'article 3.1.2, M. Jean-Yves X... qui était à l'époque de son embauche âgé de 54 ans, et bénéficiait d'une ancienneté de 10 ans chez Danzas, ne voulant pas prendre le risque de se retrouver demandeur d'emploi peu temps avant sa retraite.

La commune intention des parties a donc été, en inscrivant cette clause au contrat, de garantir l'emploi de M. Jean-Yves X... à tout le moins jusqu'à l'âge de 60 ans, étant relevé que cette clause n'était pas illicite et laissait possible, selon l'article 11 du contrat de travail, "une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave ou lourde", "en cas de violation des règles et consignes applicables au sein de l'entreprise".

En conséquence, en rompant prématurément le contrat de travail de M. Jean-Yves X..., en l'absence de faute de celui-ci, au simple motif d'une insuffisance professionnelle, et ce, en outre, alors même qu'après une période d'essai de deux mois le contrat s'était normalement poursuivi, l'employeur n'a pas respecté l'engagement contractuel qu'il avait pris en inscrivant la clause de garantie d'emploi sus visée au contrat de travail signé avec M. Jean-Yves X.... La rupture du contrat de travail est donc, en tout état de cause une rupture abusive.

La somme de 195.915,52 euros correspondant très exactement aux 64 mois qui restaient à courir entre le moment où M. Jean-Yves X... a été licencié et le moment où il a atteint ses 60 ans, la somme réclamée par ce dernier n'apparaît manifestement pas excessive, l'intéressé ne réclamant pas par ailleurs, sauf à titre subsidiaire, de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail.

En effet, et comme il le redoutait, M. Jean-Yves X... n'a pas réussi depuis lors à retrouver un emploi, sa prise en charge par les ASSEDIC lui a occasionné une baisse sensible de revenus, cette prise en charge prendra fin prochainement sans aucune indemnisation dans l'attente de l'âge de sa retraite, sa retraite sera diminuée du fait de la réduction de ses cotisations, à la suite de son licenciement.

Par ailleurs, et de manière indéniable, l'employeur n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail dans la mesure où :

-il a modifié unilatéralement, et de façon substantielle, les fonctions de M. Jean-Yves X..., quelques mois après son embauche, mais sans rapporter la preuve du moindre reproche formulé, ni formulable, pendant la période où il a été affecté au poste de chef d'exploitation pour lequel il avait été recruté et justifiait d'une importante expérience ;

- il l'a ensuite licencié, un mois et demi après ce changement de fonction, pour insuffisance professionnelle, motif dont il ne rapporte, comme l'a souligné à juste titre le conseil de prud'hommes, aucune preuve, se bornant à produire un "tableau graphique de production" du 4 juin au 29 octobre 2004 d'où il ressort que pendant le mois d'août, très exactement du 9 au 24 août, la production du service auquel venait d'être affecté le 2 août M. Jean-Yves X..., aurait baissé de 30%.

Un tel élément est totalement non pertinent pour établir une insuffisance professionnelle, s'agissant tout d'abord de fonctions fort différentes, qui venaient d'être confiées à l'intéressé, fonctions que celui-ci n'avait pas sollicitées, mais étant surtout relevé que cette baisse d'activité du mois d'août n'est de manière évidente que la traduction de la baisse générale d'activité des entreprises pendant cette période de congés d'été.

Comme le plaide subsidiairement M. Jean-Yves X..., ce licenciement apparaît donc également, eu égard aux griefs qui lui sont faits, totalement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence, au-delà de son préjudice strictement économique, M Jean Yves X..., qui avait démissionné de son précédent emploi, assuré depuis 10 ans sans problèmes, pour rejoindre, sur sollicitation, la SARL SAUERBREI, a également subi un important préjudice moral du fait de la rupture, dans de telles circonstances et après quelques mois seulement, de son contrat de travail.

La cour infirmera donc la décision du conseil de prud'hommes, en accordant à M. Jean-Yves X... la somme sollicitée de 195.915,52 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause contractuelle de garantie d'emploi.

Sur le non-respect de la procédure de licenciement :

Alors que l'entretien préalable s'était tenu, le 14 septembre 2004, l'employeur a, dès le 16 septembre, adressé une lettre recommandée avec avis de réception à M. Jean-Yves X... pour l'informer de sa décision de le licencier pour insuffisance professionnelle, et ceci sans avoir respecté le délai de deux jours ouvrables après la date de l'entretien préalable prévu par l'article L.1232-6 du code du travail. Le fait qu'elle ait adressé une nouvelle lettre le 20 septembre ne couvre pas cette irrégularité. En effet, ce délai de deux jours, qui constitue un délai de réflexion, qui aurait pu être utile, en l'espèce, pour l'employeur, n'a pas été respecté, l'employeur démontrant par l'envoi de la première lettre qu'il avait pris et notifié sa décision, avant l'expiration de ce délai, ce qui constitue une irrégularité de procédure.

En conséquence la cour fera droit à la demande formulée à ce titre par M. Jean-Yves X... et lui accordera 2.904 euros de dommages et intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par M Jean Yves X... la totalité des frais de procédure qu'il a été contraint d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 1.000 euros, à ce titre pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

En conséquence, la Cour,

Infirme la décision du Conseil de prud'hommes sauf en ce qui concerne les 500 euros, alloués pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau :

Condamne la SARL SAUERBREI à payer à M Jean Yves X... :

-195.915,52 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de garantie d'emploi inscrite à son contrat de travail,

- 2.904 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes,

- 1.000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SARL SAUERBREI de ses demandes reconventionnelles,

La condamne aux entiers dépens de l'instance.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0135
Numéro d'arrêt : 06/13626
Date de la décision : 14/10/2008

Références :

ARRET du 20 octobre 2010, Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 octobre 2010, 08-45.357, Inédit

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Meaux, 20 septembre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-10-14;06.13626 ?
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