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31/07/2009 | FRANCE | N°307781

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 31 juillet 2009, 307781


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet et 23 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CYBEROFFICE, dont le siège est Tour Europe 3 boulevard de l'Europe à Mulhouse (68100) ; la SOCIETE CYBEROFFICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 24 mai 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2005 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de l

'avis de mise en recouvrement du 3 août 2001 mettant à sa charge une...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet et 23 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CYBEROFFICE, dont le siège est Tour Europe 3 boulevard de l'Europe à Mulhouse (68100) ; la SOCIETE CYBEROFFICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 24 mai 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2005 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de l'avis de mise en recouvrement du 3 août 2001 mettant à sa charge une somme de 1 072 436 F (163 491,81 euros) au titre de l'amende prévue à l'article 1840 N sexies du code général des impôts et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de cette pénalité ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer l'annulation de la décision mettant à sa charge la pénalité en litige ou, à tout le moins, la réduction du montant de la pénalité contestée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu la loi du 22 octobre 1940 modifiée par l'article 80 de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 ;

Vu la loi n° 2005-882 du 5 août 2005 ;

Vu l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités ;

Vu l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Blazy, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE CYBEROFFICE,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE CYBEROFFICE ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE CYBEROFFICE, qui exerce une activité de fourniture de prestations de télécommunications, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 17 janvier 1996 au 31 août 1998 ; que l'administration fiscale a constaté que la SOCIETE CYBEROFFICE avait perçu de ses clients des paiements en espèces d'un montant supérieur à 5 000 F en infraction aux dispositions de l'article 1er de la loi du 22 octobre 1940 et que les opérations irrégulières s'élevaient à un montant total de 21 448 710 F (3 269 834,76 euros) ; que, par avis de mise en recouvrement en date du 3 août 2001, l'administration a, sur le fondement de l'article 1840 N sexies du code général des impôts, mis à la charge de la société une amende de 1 072 436 F (163 491,81 euros) égale à 5 % des sommes indûment réglées en numéraire ; que la SOCIETE CYBEROFFICE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 mai 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2005 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande formée contre cette décision ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant qu'il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue ; que, par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour contrôler une sanction de cette nature, le juge se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux ;

Considérant, d'une part, que la sanction encourue, en vertu des dispositions de l'article 1840 N sexies du code général des impôts alors applicable, pour inobservation des prescriptions de l'article 1er de la loi du 22 octobre 1940, a le caractère d'une sanction que l'administration inflige à un administré ; que, par suite, le recours formé contre une telle sanction est un recours de plein contentieux ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 22 octobre 1940 modifié par l'article 80 de la loi du 23 décembre 1988 : (...) Les règlements qui excèdent la somme de cinq mille francs ou qui ont pour objet le paiement par fractions d'une dette supérieure à ce montant, portant sur les loyers, les transports, les services, fournitures et travaux ou afférents à des acquisitions d'immeubles ou d'objets mobiliers ainsi que le paiement des produits de titres nominatifs et des primes ou cotisations d'assurance doivent être effectués par chèque barré, virement ou carte de paiement ou de crédit ; qu'aux termes de l'article 1840 N sexies du code général des impôts, issu de l'article 3 de la même loi modifiée et dans sa rédaction applicable à la date de l'infraction relevée à l'encontre de la SOCIETE CYBEROFFICE : Les infractions aux dispositions de l'article 1er de la loi du 22 octobre 1940 relatives aux règlements par chèques et virements, qui prescrit d'effectuer certains règlements par chèque barré ou par virement bancaire ou postal, sont punies d'une amende fiscale dont le montant est fixé à 5 % des sommes indûment réglées en numéraire. Cette amende, qui est recouvrée comme en matière de timbre, incombe pour moitié au débiteur et au créancier, mais chacun d'eux est solidairement tenu d'en assurer le règlement total ; que ces dispositions ont été modifiées par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et par l'ordonnance du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, les infractions aux dispositions de l'article L. 112-6 du code monétaire et financier, qui ont procédé à la codification de l'article 1er de la loi du 22 octobre 1940, étant passibles désormais, en vertu des dispositions combinées de l'article 1840 J du code général des impôts et des deuxième et troisième phrases de l'article L. 112-7 du code monétaire et financier, d'une amende fiscale dont le montant ne peut excéder 5 % des sommes indûment réglées en numéraire ; que ces dispositions ont ainsi substitué une amende dont le montant maximum peut atteindre 5 % des sommes indûment réglées en numéraire à une amende qui était antérieurement égale à 5 % de ces sommes ; qu'en vertu de ces nouvelles dispositions, le montant de l'amende doit être modulé, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, sans que celui-ci atteigne nécessairement le plafond fixé par la loi ; que, dès lors, ces nouvelles dispositions issues de la loi du 2 août 2005 et de l'ordonnance du 7 décembre 2005 prévoient des peines moins sévères que la loi ancienne ; que, par suite, il y a lieu pour le juge de la sanction, statuant comme juge de plein contentieux sur la demande de la SOCIETE CYBEROFFICE, d'appliquer ces dispositions à l'infraction commise par cette société ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que la cour administrative d'appel de Nancy a estimé qu'en admettant même que les dispositions de l'article 1840 J, dans leur nouvelle rédaction, puissent être regardées comme instituant une sanction moins sévère dans la mesure où elles fixent un taux maximum et soient, par suite, susceptibles d'application immédiate, cette disposition ne saurait toutefois être analysée comme conférant au juge administratif chargé de contrôler la légalité de la sanction administrative un pouvoir de modulation du taux de cette sanction ; qu'en statuant ainsi, alors que, comme il a été dit ci-dessus, le montant de l'amende doit, en vertu de ces dispositions d'application immédiate, être modulé en fonction des circonstances propres à chaque espèce, sans que celui-ci atteigne nécessairement le plafond fixé par la loi, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE CYBEROFFICE est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, que la SOCIETE CYBEROFFICE invoquait devant la cour administrative d'appel un moyen tiré de la violation par l'application simultanée, selon elle, des articles 1740 ter et 1840 N sexies du code général des impôts alors en vigueur, des principes de nécessité et de proportionnalité des peines en tant que principes constitutionnels découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, toutefois, il n'appartient pas au juge administratif, dans l'attente de la loi organique portant application de l'article 61-1 de la Constitution, d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives ;

Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 1840 N sexies du code général des impôts, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits, seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut être utilement invoqué dès lors qu'ainsi qu'il a été ci-dessus, pour fixer le montant de l'amende, il est fait application des dispositions de l'article 1840 J du code général des impôts et des deuxième et troisième phrases de l'article L. 112-7 du code monétaire et financier dans leur rédaction en vigueur à la date de la présente décision ;

Considérant, en troisième lieu, que la SOCIETE CYBEROFFICE soutient que l'administration n'est fondée à lui réclamer que la moitié au maximum de l'amende de 5 %, soit 81 745,90 euros et fait valoir, à ce titre, que sa responsabilité solidaire ne pouvait être mise en cause qu'à titre subsidiaire, en cas de défaillance des clients concernés ; que, cependant, il résulte des dispositions de l'article 1840 J du code général des impôts que si le paiement de l'amende incombe pour moitié au débiteur ayant procédé au paiement en espèces et pour moitié au créancier ayant accepté ce mode de règlement, chacun d'eux est tenu solidairement d'assurer le règlement total de cette amende et que la possibilité pour l'administration fiscale de rechercher leur responsabilité solidaire pour le paiement du montant total de la somme mise en recouvrement n'est pas subordonnée à l'échec des poursuites engagées à l'encontre du codébiteur solidaire de la pénalité ; que si la société requérante entend se prévaloir de l'interprétation de la loi fiscale contenue d'une part, dans l'instruction 12 C-3-99 du 23 août 1999 relative à la mise en oeuvre de la solidarité pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée du donneur d'ordre prévue au cinquième alinéa de l'article 283 du code général des impôts, d'autre part, dans l'instruction 12 C-2-00 du 8 mars 2000 relative à l'amende de 50 % prévue par l'article 1740 ter du code général des impôts dans le cas de ventes sans facture, elle ne peut en tout état de cause se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales d'interprétations qui se rapportent à une autre situation que la sienne ; qu'elle ne peut, en tout état de cause, invoquer un document émanant de la Commission des Communautés européennes du 3 novembre 1994, concernant les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée ; que le moyen tiré de ce que la SOCIETE CYBEROFFICE ne peut se voir réclamer le paiement de la totalité de l'amende ne peut qu'être écarté ;

Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE CYBEROFFICE a perçu des paiements en espèces pour des montants supérieurs aux seuils fixés par les dispositions combinées de l'article 1840 J du code général des impôts et des deuxième et troisième phrases de l'article L. 112-7 du code monétaire et financier, en raison de transactions portant sur des prestations entrant dans le champ d'application de ces dispositions ; que ces faits sont de nature à justifier la sanction ; que la circonstance que les auteurs des paiements en espèces seraient des clients étrangers résidant en Suisse ne saurait, dès lors que le paiement a eu lieu en France, disqualifier l'infraction ainsi constatée au regard de la législation susmentionnée et, par suite, est sans incidence sur la légalité de la sanction attaquée ; qu'il résulte de l'instruction que l'infraction a porté sur un montant total de 21 448 710 F (3 269 834,76 euros), réparti sur la période du 17 janvier 1996 au 31 août 1998, provenant notamment de deux sociétés établies en Suisse ; que, par suite, l'amende infligée à hauteur de 5 % des sommes indûment réglées en numéraire, soit 163 491,81 euros, n'est pas disproportionnée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE CYBEROFFICE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge ou à la réduction de l'amende qui lui a été infligée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la SOCIETE CYBEROFFICE demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 24 mai 2007 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la SOCIETE CYBEROFFICE devant la cour administrative d'appel de Nancy et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CYBEROFFICE et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 307781
Date de la décision : 31/07/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 31 jui. 2009, n° 307781
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Florian Blazy
Rapporteur public ?: Mme Legras Claire
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:307781.20090731
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