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06/11/1992 | FRANCE | N°72708

France | France, Conseil d'État, Section, 06 novembre 1992, 72708


Vu le recours du ministre de l'économie, des finances et du budget enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 3 octobre 1985 ; le ministre demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 4 juin 1985 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a accordé à la SCI "Les Hameaux de Perrin" la décharge de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1979 ;
2°) rétablisse ladite société au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1979 à raison de l'intégralité des droits et des pénalit

és qui lui avaient été assignés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le cod...

Vu le recours du ministre de l'économie, des finances et du budget enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 3 octobre 1985 ; le ministre demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 4 juin 1985 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a accordé à la SCI "Les Hameaux de Perrin" la décharge de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1979 ;
2°) rétablisse ladite société au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1979 à raison de l'intégralité des droits et des pénalités qui lui avaient été assignés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976 ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le décret du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Longevialle, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance de la SCI "Les Hameaux de Perrin" :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles R. 200-2 et R. 197-4 du livre des procédures fiscales, aucun mandat n'est exigé des avocats inscrits au barreau qui introduisent, au nom d'un contribuable, une demande devant le tribunal administratif ;
Considérant que la demande de la SCI "Les Hameaux de Perrin", enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 19 septembre 1983, a été présentée sous la signature d'un avocat qui, ainsi qu'il ressort d'une attestation du bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour d'appel de Bordeaux, était inscrit au tableau de cet ordre depuis le 19 avril 1983 ; qu'ainsi, le moyen tiré par le ministre de l'économie, des finances et du budget de ce que cette demande serait irrecevable, faute d'avoir été introduite, au nom de la société, par une personne justifiant d'un mandat, doit être écarté ;
Considérant qu'en vertu des troisième et quatrième alinéas de l'article 3 du décret du 29 octobre 1936, relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions : "Les membres du personnel enseignant ... des établissements d'enseignement ... pourront exercer les professions libérales qui découlent de la nature de leurs fonctions. Il leur est toutefois interdit ... de plaider en justice dans les litiges intéressant", notamment, les administrations de l'Etat, à moins qu'ils n'exercent leurs fonctions à leur profit, et qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 du même décret : "Toute infraction aux interdictions édictées par les articles précédents entraînera obligatoirement des sanctions disciplinaires, ainsi que le reversement, par voie de retenues sur le traitement, des rémunérations irrégulièrement perçues" ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un membre de l'enseignement qui, en raison de ses fonctions, est autorisé à exercer la profession d'avocat, ne peut représenter en justice un contribuable dans un litige qui oppose celui-ci à l'administration des impôts ; que, toutefois, si la méconnaissance de cette interdiction fait notamment encourir à son auteur les sanctions prévues par l'article 6 précité du décret du 29 octobre 1936, elle n'affecte pas la validité de l'action qu'il a engagée pour son client ; qu'ainsi la demande introduite devant le tribunal administratif de Bordeaux pour la SCI "Les Hameaux de Perrin" en vue d'obtenir décharge de l'impôt sur les sociétés auquel l'administration des impôts l'a assujettie au titre de l'année 1979, est recevable, alors même qu'elle porte la signature d'un avocat qui, étant professeur de droit des universités, est soumis à la règle énoncée par les dispositions précitées de l'article 3 du décret du 29 octobre 1936 ;

Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 206 du code général des impôts, les sociétés civiles sont passibles de l'impôt sur les sociétés "si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35" ; que le premier et le second alinéas du 1° du I de l'article 35 visent et rangent dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux les profits réalisés, respectivement, par les "personnes qui, habituellement, achètent, en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles ..." et, par les personnes qui, habituellement, "achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en bloc ou par locaux" ; qu'aux termes du VIII, alors en vigueur, de l'article 9 de la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976, qui définit les conditions dans lesquelles les plus-values en matière immobilière réalisées par des personnes n'agissant pas à titre professionnel sont soumises à l'impôt sur le revenu : "La plus-value résultant de la cession d'un terrain divisé en lot destinés à être construits est passible des dispositions de la présente loi lorsque le contribuable n'a pas la qualité de marchand de biens" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SCI "Les Hameaux de Perrin" a été constituée en 1972 en vue d'acquérir un terrain et d'y réaliser un programme de construction et de vente de maisons individuelles ; qu'ayant, après la réalisation des deux premières tranches de ce programme, rencontré des difficultés financières pour mener celui-ci à son terme, elle a demandé et obtenu l'autorisation de lotir la partie non construite du terrain et vendu les 21 lots constitués à 21 acquéreurs différents entre le 18 décembre 1978 et le 31 décembre 1979 ; que, pour les profits retirés de ces ventes en 1979, l'administration l'a soumise à l'impôt sur les sociétés, sur le fondement des dispositions précitées des articles 35 et 206 du code général des impôts et de l'article 9-VIII de la loi du 19 juillet 1976 ;

Considérant qu'il résulte desdites dispositions qu'une société civile n'est passible de l'impôt sur les sociétés à raison de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession d'un terrain divisé en lots qu'à la condition que, lors de cette cession, elle ait eu la qualité de marchand de biens, c'est-à-dire qu'elle se soit livrée, auparavant, à titre habituel, à des opérations d'achat et de revente en l'état d'immeubles, telles que visées par le premier alinéa du 1° du I de l'article 35 du code général des impôts ou, à défaut, que de telles opérations aient été le fait d'associés qui jouent un rôle prépondérant dans la société ou bénéficient principalement de ses activités ;
Considérant qu'il découle de ce qui vient d'être dit, d'une part, que, ni le fait que la SCI "Les Hameaux de Perrin" a acquis dans une intention spéculative le terrain d'assiette des bâtiments qu'elle se proposait d'y construire, ni celui qu'elle a ultérieurement divisé une partie de ce terrain et l'a revendue en 21 lots à des acquéreurs différents ne peuvent être utilement invoqués par le ministre pour justifier du bien-fondé de l'imposition mise à la charge de la SCI "Les Hameaux de Perrin", d'autre part, que les opérations de construction-vente que cette société a réalisées avant de procéder au lotissement de la partie du terrain non construite n'ont pu lui conférer la qualité de marchand de biens, dès lors qu'elles n'ont pas le caractère d'opérations d'achat et de revente en l'état d'immeubles et qu'il n'est pas établi que de telles opérations aient été le fait d'associés jouant un rôle prépondérant dans la société ou bénéficiant principalement de ses activités ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et du budget n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande en décharge de la SCI "Les Hameaux de Perrin" ;
Article 1er : Le recours du ministre de l'économie, des finances et du budget est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre du budget et à la SCI "Les Hameaux de Perrin".


Synthèse
Formation : Section
Numéro d'arrêt : 72708
Date de la décision : 06/11/1992
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REGLES GENERALES PROPRES AUX DIVERS IMPOTS - IMPOT SUR LES BENEFICES DES SOCIETES ET AUTRES PERSONNES MORALES - PERSONNES MORALES ET BENEFICES IMPOSABLES - Personnes morales imposables - Sociétés civiles - Opération de lotissement - Condition que la société ait déjà la qualité de marchand de biens.

19-04-01-04-01 Il résulte des dispositions combinées du 2 de l'article 206 du C.G.I., des deux premiers alinéas du 1° du I de l'article 35 du même code et du VIII, alors en vigueur, de l'article 9 de la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976 qu'une société civile n'est passible de l'impôt sur les sociétés à raison de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession d'un terrain divisé en lots qu'à la condition que, lors de cette cession, elle ait eu la qualité de marchand de biens, c'est-à-dire qu'elle se soit livrée, auparavant, à titre habituel, à des opérations d'achat et de revente en l'état d'immeubles, telles que visées par le premier alinéa du 1° du I de l'article 35 du C.G.I. ou, à défaut, que de telles opérations aient été le fait d'associés qui jouent un rôle prépondérant dans la société ou bénéficient principalement de ses activités.

- RJ1 ENSEIGNEMENT - QUESTIONS GENERALES - QUESTIONS GENERALES RELATIVES AU PERSONNEL - QUESTIONS GENERALES RELATIVES AU PERSONNEL ENSEIGNANT - Statuts - droits - obligations et garanties - Cumul de la fonction d'enseignant et d'une profession libérale (article 3 du décret du 29 octobre 1936) - Interdiction de donner des consultations - de procéder à des expertises et de plaider en justice dans des litiges intéressant une personne publique - Enseignant plaidant en justice contre l'Etat - Conséquences - a) Agent encourant des sanctions (article 6 du décret du 29 octobre 1936) - b) Recevabilité de l'action engagée - nonobstant la violation de ladite interdiction (1).

30-01-02-01, 36-02-04(1), 36-02-04(2), 36-07-11(1), 36-07-11(2), 54-01-05, 55-03-07 Il résulte des dispositions de l'article 3 du décret du 29 octobre 1936, relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions qu'un membre de l'enseignement qui, en raison de ses fonctions, est autorisé à exercer la profession d'avocat, ne peut représenter en justice un contribuable dans un litige qui oppose celui-ci à l'administration des impôts. Toutefois, si la méconnaissance de cette interdiction fait notamment encourir à son auteur des sanctions disciplinaires ainsi que le reversement, par voie de retenues sur le traitement, des rémunérations irrégulièrement perçues, en application des dispositions de l'article 6 du même décret, elle n'affecte pas la validité de l'action qu'il a engagée pour son client. Ainsi, une demande introduite devant un tribunal administratif en vue d'obtenir décharge de l'impôt sur les sociétés est recevable, alors même qu'elle porte la signature d'un avocat qui, étant professeur de droit des universités, est soumis à la règle énoncée par les dispositions précitées de l'article 3 du décret du 29 octobre 1936.

- RJ1 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - CADRES ET EMPLOIS - CUMULS D'EMPLOIS - Article 3 du décret du 29 octobre 1936 - Enseignant exerçant la profession d'avocat - Interdiction de donner des consultations - de procéder à des expertises et de plaider en justice dans des litiges intéressant une personne publique - Enseignant plaidant en justice contre l'Etat - Conséquence - (1) Agent encourant des sanctions (1) - (2) Recevabilité de l'action engagée nonobstant la violation desdites obligations (1).

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - STATUTS - DROITS - OBLIGATIONS ET GARANTIES - OBLIGATIONS DES FONCTIONNAIRES - Interdiction de donner des consultations - de procéder à des expertises et de plaider en justice dans des litiges intéressant une personne publique - Enseignant plaidant en justice - (1) - RJ1 Agent encourant des sanctions (article 6 du décret du 29 octobre 1936) (1) - (2) - RJ1 Recevabilité de l'action engagée nonobstant la violation desdites obligations (1).

- RJ1 PROCEDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - QUALITE POUR AGIR POUR LE COMPTE D'AUTRUI - Représentation par un avocat - Enseignant plaidant en justice contre une personne publique en qualité d'avocat - en violation de l'article 3 du décret du 29 octobre 1936 (1) - Incidence sur la recevabilité de l'action - Absence.

- RJ1 PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - AUTRES PROFESSIONS - Avocats - Enseignant exerçant la profession d'avocat - Interdiction de plaider et de consulter contre l'administration (article 3 du décret du 29 octobre 1936) - Agent encourant des sanctions (article 6 du décret du 29 octobre 1936) mais recevabilité de l'action engagée (1) - Conséquences.


Références :

CGI 206, 35 I 1°
CGI livre des procédures fiscales R200-2, R197-4
Décret du 29 octobre 1936 art. 3, art. 6
Loi 76-660 du 19 juillet 1976 art. 9

1.

Cf. 1954-11-09, Sieur Bertrand, p. 583 ;

1976-10-06, Badinter et Bredin, p. 394


Publications
Proposition de citation : CE, 06 nov. 1992, n° 72708
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Combarnous
Rapporteur ?: M. de Longevialle
Rapporteur public ?: M. Ph. Martin

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1992:72708.19921106
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