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15/12/2000 | FRANCE | N°190552

France | France, Conseil d'État, 15 décembre 2000, 190552


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 octobre 1997 et 6 février 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la VILLE D'AMIENS représentée par son maire en exercice ; la VILLE D'AMIENS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 31 juillet 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, à la demande de la société CAO, annulé le jugement du 16 février 1995 du tribunal administratif d'Amiens la condamnant solidairement avec M. X..., architecte, à verser à la VILLE D'AMIENS la somme de 1 102 980 F

avec intérêts au taux légal en réparation des désordres affectant la ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 octobre 1997 et 6 février 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la VILLE D'AMIENS représentée par son maire en exercice ; la VILLE D'AMIENS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 31 juillet 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, à la demande de la société CAO, annulé le jugement du 16 février 1995 du tribunal administratif d'Amiens la condamnant solidairement avec M. X..., architecte, à verser à la VILLE D'AMIENS la somme de 1 102 980 F avec intérêts au taux légal en réparation des désordres affectant la fontaine monumentale de la place Gambetta et rejeté les conclusions présentées par la ville devant le tribunal administratif d'Amiens tendant à la condamnation de la société CAO ;
2°) de condamner la société CAO à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Edouard Philippe, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la VILLE D'AMIENS et de la SCP Lesourd, avocat de la Société CAO,
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société CAO, chargée de la construction d'une fontaine monumentale dans le cadre des travaux d'aménagement de la place Gambetta à Amiens, était la seule entreprise spécialisée en hydraulique participant à cette opération ; qu'en estimant qu'elle n'avait pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle en n'attirant pas l'attention du maître de l'ouvrage sur les inconvénients et dangers que représentaient les choix du maître d'oeuvre en matière notamment de système de filtration des matières polluantes et d'évacuation des eaux d'orage par le réseau général, la cour administrative d'appel a commis une erreur dans la qualification juridique des faits ; qu'en conséquence la VILLE D'AMIENS est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur le principe de la responsabilité des constructeurs :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si les divers dommages subis par la fontaine monumentale construite par la société CAO sont dus à des vices de conceptions imputables à l'architecte et si aucune faute d'exécution ne peut être relevée à l'encontre de l'entreprise, cette dernière a néanmoins manqué à ses obligations contractuelles en n'appelant pas l'attention du maître de l'ouvrage sur les insuffisances des installations projetées ; que la circonstance que la commune dispose de services techniques qui ont suivi le déroulement du chantier ne déchargeait pas la société CAO, en raison de la nature particulière des installations réalisées et de l'absence d'intervention de ces services dans la conception de l'ouvrage, de son devoir d'information et d'avertissement envers le maître de l'ouvrage ; qu'ainsi la société CAO n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamnée solidairement avec l'architecte à réparer les dommages subis par la VILLE D'AMIENS en raison du fonctionnement défectueux de la fontaine puis de l'inondation du local de machinerie à la suite des orages de juillet 1992, qui a rendu l'ouvrage inutilisable ;
Sur le partage des responsabilités entre les constructeurs :

Considérant que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la société CAO, dont la VILLE D'AMIENS recherchait la responsabilité solidairement avec celle de l'architecte M. X..., pouvait demander aux premiers juges de procéder au partage des responsabilités entre elle-même et l'architecte sans être tenue de présenter contre celui-ci des conclusions d'appel en garantie ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les désordres litigieux sont imputables à des vices de conception ; qu'il sera, par suite, fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en répartissant les responsabilités à raison de 80 % à la charge de l'architecte, M. X..., et de 20 % à la charge de la société CAO ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'en fixant, conformément aux constatations du rapport d'expertise, à 1 102 980 F le montant de la réparation due à la VILLE D'AMIENS, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation exagérée du montant des travaux nécessaires à la réfection de la fontaine monumentale litigieuse en vue d'un fonctionnement normal de l'ensemble de l'installation ; que, compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus défini, la somme due par la société CAO s'élève à 220 596 F ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que la VILLE D'AMIENS demeure redevable envers cette société, au titre du contrat relatif à l'exécution de cet ouvrage, d'une somme de 128 504,73 F ; que la société CAO est fondée à soutenir que cette créance doit, par compensation et si elle n'a pas déjà été payée, être déduite du montant de l'indemnité mise à sa charge, qui se trouve, par suite, ramené de 220 596 F à 92 091,27 F ;
Sur la capitalisation des intérêts demandée par la VILLE D'AMIENS :
Considérant que la capitalisation des intérêts des sommes dues par la Société CAO a été demandée par la VILLE D'AMIENS les 20 octobre 1998 et 13 décembre 1999 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions de la VILLE D'AMIENS tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner la société CAO à payer à la VILLE D'AMIENS la somme de 10 000 F qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 31 juillet 1997 est annulé.
Article 2 : La société CAO est condamnée à verser à la VILLE D'AMIENS, si elle n'a pas perçu la la somme de 128 504,73 F qui lui est due au titre du marché, une indemnité de 92 091,27 F.
Article 3 : Les intérêts de l'indemnité due par la société CAO à la VILLE D'AMIENS seront capitalisés pour produire eux-mêmes les intérêts au 20 octobre 1998 et au 13 décembre 1999.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 16 février 1995 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La société CAO versera à la VILLE D'AMIENS une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la VILLE D'AMIENS et le surplus des conclusions de la société CAO devant la cour administrative d'appel de Nancy sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la VILLE D'AMIENS, à la société CAO, à M. Than X... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 190552
Date de la décision : 15/12/2000
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE SANS FAUTE - RESPONSABILITE ENCOURUE DU FAIT DE L'EXECUTION - DE L'EXISTENCE OU DU FONCTIONNEMENT DE TRAVAUX OU D'OUVRAGES PUBLICS.


Références :

Code civil 1154
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 15 déc. 2000, n° 190552
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Edouard Philippe
Rapporteur public ?: Mme Bergeal

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:190552.20001215
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