Vu la requête, enregistrée le 22 février 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Isa Y..., demeurant chez Mme X...
... ; M. Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 22 janvier 1999 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Essonne en date du 19 janvier 1999 décidant sa reconduite à la frontière et de la décision du préfet du même jour fixant son pays de destination ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté et cette décision ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Struillou, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : "Ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion, en application de l'article 23 : ... 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ; ... - Les étrangers mentionnés aux 1° à 6° ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22 de la présente ordonnance ..." ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 21-11 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 16 mars 1998 : "L'enfant mineur né en France de parents étrangers peut à partir de l'âge de seize ans réclamer la nationalité française par déclaration, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants si, au moment de sa déclaration, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans" ; qu'aux termes de l'article 26-3 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 22 mars 1993 : " ... La décision de refus d'enregistrement doit intervenir six mois au plus après la date à laquelle a été délivré au déclarant le récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la preuve de la recevabilité de ladite déclaration" ; qu'aux termes de l'article 26-5 dudit code, dans sa rédaction résultant de la même loi : " ... Les déclarations de nationalité, dès lors qu'elles ont été enregistrées, prennent effet à la date à laquelle elles ont été souscrites" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y..., ressortissant yougoslave, a reconnu le 17 octobre 1997 le jeune Daja Stevanovic, né d'une mère de même nationalité le 21 décembre 1982 à Courcouronnes (Essonne) ; que ce dernier a souscrit auprès du tribunal d'instance d'Aulnay-sous-Bois, en vue d'acquérir la nationalité française sur le fondement des dispositions du premier alinéa de l'article 21-11 du code civil, une déclaration dont il lui a été donné récépissé le 22 décembre 1998 ; que cette déclaration n'a pas fait l'objet d'une décision de refus d'enregistrement dans le délai de six mois prévu à l'article 26-3 du code civil ; qu'ainsi, en application des dispositions de l'article 26-5 du même code, elle a pris effet à la date à laquelle elle avait été souscrite ; que, par suite, le 19 janvier 1999, date de l'arrêté du préfet de l'Essonne décidant sa reconduite à la frontière, M. Y... devait être regardé comme père d'un enfant de nationalité française ;
Considérant qu'il est constant que le jeune Daja Stevanovic résidait en France à la date de l'arrêté attaqué ; que M. Y... soutient, sans être contredit, qu'il a toujours subvenu de manière effective aux besoins de son fils ; que, dès lors, les dispositions précitées de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 s'opposaient à ce qu'il pût faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet de l'Essonne en date du 19 janvier 1999 décidant sa reconduite à la frontière et contre la décision de ce préfet du même jour fixant son pays de destination ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à payer à M. Y... la somme de 5 000 F pour les frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Versailles en date du 22 janvier 1999 est annulé.
Article 2 : L'arrêté et la décision du préfet de l'Essonne en date du 19 janvier 1999 sont annulés.
Article 3 : L'Etat est condamné à payer à M. Y... la somme de 5 000 F au titre de l'article L. 761 -1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Isa Y..., au préfet de l'Essonne et au ministre de l'intérieur.