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26/03/2003 | FRANCE | N°221849

France | France, Conseil d'État, 9eme et 10eme sous-sections reunies, 26 mars 2003, 221849


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 9 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED, dont le domicile est en France est Manoir Hôtel, avenue du Golfe au Touquet (62520) ; la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED demande au Conseil d'Etat d'annuler un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 6 avril 2000, en ce que la cour a rejeté les conclusions de sa requête aux fins de décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au tit

re de l'année 1988, et a remis à sa charge le complément de taxe ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 9 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED, dont le domicile est en France est Manoir Hôtel, avenue du Golfe au Touquet (62520) ; la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED demande au Conseil d'Etat d'annuler un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 6 avril 2000, en ce que la cour a rejeté les conclusions de sa requête aux fins de décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1988, et a remis à sa charge le complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui avait été assigné par avis de mise en recouvrement du 29 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED,

- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Douai que la société de droit britannique LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED a, lors de sa constitution, en 1903, reçu en apport un domaine en nature de bois, de landes et de dunes connus sous le nom Le Touquet dans la commune de Cucq, et a pour objet social de mettre en valeur ce domaine ; qu'elle en a, depuis lors, assuré la gestion, y a développé des activités telles que l'exploitation de terrains de golf et d'un hôtel-restaurant et a procédé à des acquisitions et à des cessions de terrains ; que, notamment, elle a, le 29 décembre 1988, vendu deux parcelles, respectivement situées dans une zone destinée à l'urbanisation future après réalisation des équipements et infrastructures qui la rendront constructible et dans une zone de nature à préserver du plan d'occupation des sols de la ville du Touquet-Paris-Plage ; qu'elle a soumis les plus-values réalisées à l'occasion de ces ventes à l'impôt sur les sociétés aux taux respectifs de 25 et de 15 % prévus à l'article 39 quindecies du code général des impôts pour l'imposition des plus-values à long terme résultées de la cession d'éléments de l'actif immobilisé, selon qu'il s'agit de terrains à bâtir ou de biens d'une autre nature, et n'a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée que la première des deux ventes ; que l'administration, regardant les parcelles cédées comme des éléments d'un stock immobilier acquis par la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED pour les besoins d'une activité de négoce, l'a, d'une part, en 1991, assujettie à un supplément d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1988, procédant de la réintégration des plus-values à son bénéfice imposable au taux normal de 42 %, et lui a, d'autre part, assigné un complément de taxe sur la valeur ajoutée, sur le fondement des dispositions du 6° de l'article 257 du code général des impôts, à raison de la seconde des deux ventes ; que la cour administrative d'appel a, par l'arrêt attaqué, en premier lieu, rejeté la requête de la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED aux fins de décharge du supplément d'impôt sur les sociétés, et, en second lieu, accueilli le recours formé devant elle par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et remis à la charge de la société le complément de taxe sur la valeur ajoutée dont la décharge avait été prononcée par les premiers juges ;

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 duodecies du code général des impôts applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 : 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou long terme... ; que les règles d'imposition particulières ainsi prévues, notamment en ce qui concerne les taux d'imposition des plus-values à long terme, sont applicables, en cas de cession d'un bien immeuble, à la seule condition que celui-ci ait constitué un élément de l'actif immobilisé de l'exploitant, quand bien même l'activité commerciale exercée par ce dernier serait le négoce immobilier ; que sont, à cet égard, sans incidence, les dispositions du I-1° de l'article 35, dont le seul objet est de qualifier de bénéfices industriels et commerciaux les profits réalisés par toute personne physique qui achète habituellement, en vue de les revendre, des immeubles ;

Considérant que, pour juger que le redressement ci-dessus analysé avait à bon droit été opéré par l'administration, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que, la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED s'étant, selon elle, au cours des années ayant précédé les deux cessions litigieuses, livrée habituellement à l'achat de biens immobiliers en vue de les revendre, lesdites cessions entraient dans le champ d'application des dispositions du I-1° de l'article 35 du code général des impôts ; qu'en statuant ainsi, la cour a méconnu l'objet de ces dispositions, et n'a pas examiné la question, dont dépendait par application des dispositions des articles 38 et 39 duodecies du code général des impôts, la solution du litige, de l'appartenance des deux terrains cédés le 29 décembre 1988, soit à l'actif immobilisé, soit à un stock immobilier de la société ; que, par suite, la requérante est fondée à demander que l'arrêt attaqué soit, pour erreur de droit, annulé en tant que la cour a statué sur le supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1988 ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2, premier alinéa, du code de justice administrative, de régler sur ce point l'affaire au fond ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les cessions litigieuses ont porté sur deux terrains issus du domaine apporté à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED lors de sa constitution, en 1903, et qui a, depuis lors, fait l'objet, de sa part, des exploitations diverses auxquelles, de par sa nature, il se prêtait ; que lesdits terrains, qui ne sauraient, ainsi, être regardés comme acquis en vue de leur revente, ont constitué des éléments de l'actif immobilisé de la société ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la circonstance que la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED a, comme elle l'a, d'ailleurs, reconnu en 1963, à l'occasion d'une vérification de sa comptabilité, pris le parti de vendre les terrains dont elle était propriétaire au fur et à mesure que le développement de la station du Touquet leur donnait vocation à être bâtis, n'a pu entraîner que ces éléments d'actif immobilisé perdissent, du seul fait de leur constructibilité, ce caractère, pour acquérir celui d'éléments d'un stock destiné à des opérations de négoce immobilier ; que, par suite, les plus-values réalisées lors de la cession, le 29 décembre 1988, des deux parcelles de terrain en cause étaient imposables selon le régime applicable aux plus-values de cession d'éléments de l'actif immobilisé à long terme, prévu par les dispositions précitées de l'article 39 duodecies du code général des impôts, et non comme des profits d'exploitation soumis aux règles générales prévues à l'article 38 ; qu'il suit de là que la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement n° 92-4007 du 16 novembre 1995, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande en décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1988 ;

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

Considérant qu'aux termes de l'article 257 du code général des impôts : Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : ... 6° Les opérations qui portent sur des immeubles... et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels ou commerciaux... ; qu'aux termes du I de l'article 35 du même code : Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personne qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles... ;

Considérant que, statuant sur le complément de taxe sur la valeur ajoutée assigné à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED à raison de la seconde des deux cessions de terrain litigieuses, la cour administrative d'appel, qui, précédemment, avait regardé ces cessions comme entrant dans les prévisions du I-1° de l'article 35 du code général des impôts, a implicitement écarté le moyen tiré par la société de ce que l'opération en cause n'entrait pas dans ces prévisions, ni, par conséquent, dans le champ d'application des dispositions précitées du 6° de l'article 257 ; que, pour juger que la société se livrait habituellement à des achats de biens immobiliers en vue de les revendre, au sens du I-1° de l'article 35, la cour s'est fondée sur le nombre des transactions effectuées au cours des dix années qui ont précédé les cessions du 29 décembre 1988 ; qu'elle n'a, toutefois, relevé, au titre des reventes, que celles de terrains détenus par la société depuis sa constitution, en 1903, et celles de deux immeubles respectivement acquis en 1982 et en 1985 ; qu'en tenant pour, ainsi, remplie la condition d'achats habituels en vue de la revente posée par le I-1° de l'article 35 du code général des impôts, la cour a, comme le soutient la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED, en tout état de cause donné aux faits qu'elle a retenus une qualification juridique inexacte ; que la requérante est, dès lors, fondée à demander que l'arrêt attaqué soit annulé aussi en tant que la cour a statué sur le complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui avait été assigné ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2, premier alinéa, du code de justice administrative, de régler sur ce point l'affaire au fond ;

Considérant que les opérations portant sur des immeubles visées par le 6° précité de l'article 257 du code général des impôts s'entendent uniquement de celles dont le profit, lorsqu'elles sont réalisées par une personne physique, est, pour l'application de l'impôt sur le revenu, assimilé à un bénéfice industriel ou commercial ; que la cession d'un immeuble, non pas acquis en vue de sa revente, mais, comme en l'espèce, ainsi qu'il a été dit plus haut, constitutif d'un élément de l'actif immobilisé d'une entreprise commerciale, le cas échéant génératrice d'une plus-value de par sa nature imposable selon les règles définies aux articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts, n'entre pas, par suite, dans le champ d'application dudit 6° de l'article 257 ; qu'il suit de là que l'administration ne pouvait légalement, sur le fondement de ce texte, assigner à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED le complément de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, et que le ministre de l'économie et des finances n'est, en tout état de cause, pas fondé à se plaindre que, par son jugement n° 92-4010 du 16 novembre 1995, le tribunal administratif de Lille a prononcé la décharge de cette imposition ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED, en remboursement des frais exposés par elle devant la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens, la somme de 3 000 euros ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 6 avril 2000 est annulé en tant que la cour a statué sur les conclusions de la requête de la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED tendant à la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1988, et sur le recours du ministre de l'économie et des finances tendant à ce que soit remis à la charge de la société le complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui avait été assigné par avis de mise en recouvrement du 29 juillet 1991.

Article 2 : Le jugement n° 92-4007 du 16 novembre 1995 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 3 : Il est accordé à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1988.

Article 4 : Le recours présenté devant la cour administrative d'appel de Douai par le ministre de l'économie et des finances est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 euros.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LE TOUQUET SYNDICATE LIMITED et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 9eme et 10eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 221849
Date de la décision : 26/03/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - ÉVALUATION DE L'ACTIF - PLUS ET MOINS-VALUES DE CESSION - CHAMP D'APPLICATION - INCLUSION - CESSION D'UN BIEN IMMEUBLE FAISANT PARTIE DE L'ACTIF IMMOBILISÉ - QUAND BIEN MÊME L'ACTIVITÉ DE L'EXPLOITANT EST LE NÉGOCE IMMOBILIER.

19-04-02-01-03-03 Les règles d'imposition particulières prévues par les dispositions de l'article 39 duodecies du code général des impôts, notamment en ce qui concerne les taux d'imposition des plus-values à long terme, sont applicables, en cas de cession d'un bien immeuble, à la seule condition que celui-ci ait constitué un élément de l'actif immobilisé de l'exploitant, quand bien même l'activité commerciale exercée par ce dernier serait le négoce immobilier. Sont, à cet égard, sans incidence, les dispositions du I-1° de l'article 35 du code, dont le seul objet est de qualifier de bénéfices industriels et commerciaux les profits réalisés par toute personne physique qui achète habituellement, en vue de les revendre, des immeubles.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - PERSONNES ET OPÉRATIONS TAXABLES - OPÉRATIONS TAXABLES - REVENTE PAR DES MARCHANDS DE BIENS D'IMMEUBLES PRÉCÉDEMMENT ACQUIS (ART - 257-6° DU CGI) - CHAMP D'APPLICATION - OPÉRATIONS DONT LE PROFIT - LORSQU'IL EST RÉALISÉ PAR UNE PERSONNE PHYSIQUE - EST ASSIMILÉ - POUR L'IMPÔT SUR LE REVENU - À UN BÉNÉFICE INDUSTRIEL ET COMMERCIAL - ABSENCE - CESSION D'UN ÉLÉMENT DE L'ACTIF IMMOBILISÉ D'UNE ENTREPRISE COMMERCIALE.

19-06-02-01-01 Les opérations portant sur des immeubles visées par le 6° de l'article 257 du code général des impôts s'entendent uniquement de celles dont le profit, lorsqu'elles sont réalisées par une personne physique, est, pour l'application de l'impôt sur le revenu, assimilé à un bénéfice industriel ou commercial. La cession d'un immeuble, non pas acquis en vue de sa revente, mais constitutif d'un élément de l'actif immobilisé d'une entreprise commerciale, le cas échéant génératrice d'une plus-value de par sa nature imposable selon les règles définies aux articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts, n'entre pas, par suite, dans le champ d'application du 6° de l'article 257.


Références :



Publications
Proposition de citation : CE, 26 mar. 2003, n° 221849
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Lasserre
Rapporteur ?: M. Daniel Fabre
Rapporteur public ?: M. Goulard
Avocat(s) : SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:221849.20030326
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