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24/11/2004 | FRANCE | N°255521

France | France, Conseil d'État, 5eme et 4eme sous-sections reunies, 24 novembre 2004, 255521


Vu la requête, enregistrée le 28 mars 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Mjid X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 7 février 2003 par lequel le magistrat délégué par le Président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 janvier 2003 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné sa reconduite à la frontière et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l'illéga

lité de cet arrêté ;

2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;

3°) d'e...

Vu la requête, enregistrée le 28 mars 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Mjid X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 7 février 2003 par lequel le magistrat délégué par le Président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 janvier 2003 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné sa reconduite à la frontière et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l'illégalité de cet arrêté ;

2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi du fait dudit arrêté ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu les pièces dont il résulte que les parties ont été informées que la décision du Conseil d'Etat est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 modifié ;

Vu l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carine Moreau-Soulay, Auditeur,

- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité marocaine, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 6 décembre 2002, de la décision du préfet de police du 5 décembre 2002, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il entrait ainsi dans le champ d'application de la disposition précitée ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement en tant qu'il rejette la demande de M. X tendant à l'annulation de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière :

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la décision de refus de séjour :

Considérant qu'aux termes de l'article 12 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction alors applicable : (...) La commission est saisie par le préfet ou, à Paris, le préfet de police, lorsque celui-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article 12 bis ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné à l'article 15 (...) ; qu'aux termes de l'article 12 bis de cette même ordonnance : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que la communauté de vie n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ; qu'aux termes de l'article 15-1 de cette même ordonnance : Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : 1° A l'étranger marié depuis au moins deux ans avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie entre les époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ;

Considérant que si M. X fait valoir qu'il est marié depuis plus d'un an avec une ressortissante de nationalité française, il ressort des pièces du dossier que la communauté de vie entre les époux avait cessé à la date à laquelle l'intéressé a demandé le renouvellement de sa carte de séjour ; que, dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que le refus qui lui a été opposé le 5 décembre 2002 méconnaissait les dispositions précitées des articles 12 bis et 15-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;

Considérant que, dès lors qu'il n'entrait pas dans le champ d'application des articles 12 bis et 15-1 précités, M. X n'est pas fondé à soutenir que ce refus aurait été illégal faute d'avoir été précédé d'une saisine de la commission départementale prévue à l'article 12 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;

Sur les autres moyens :

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ;

Considérant que si M. X fait valoir qu'il est marié avec une ressortissante française, qu'il vit chez sa soeur résidant en France et qu'il dispose d'un contrat de travail à durée indéterminée, il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la communauté de vie entre les époux a cessé et qu'une procédure de divorce a été engagée ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. X soit dépourvu d'attaches familiales au Maroc, où réside notamment sa mère ; que, compte tenu de la durée et des conditions du séjour en France de M. X à la date de l'arrêté attaqué, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, cet arrêté n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et, par suite, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'aux termes des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France pour une durée d'un an au minimum (...) reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an, renouvelable et portant la mention salarié (...) Après trois ans de séjour continu en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent pourront obtenir un titre de séjour de 10 ans ; que M. X, qui n'a pas présenté un contrat de travail visé par les autorités compétentes et qui ne s'est pas présenté au contrôle médical d'usage, n'est pas fondé à invoquer l'application de ces stipulations ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 janvier 2003 décidant sa reconduite à la frontière ; que les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant au versement de dommages-intérêts :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 776-1 du code de justice administrative : Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière obéissent, sous réserve des dispositions de l'article 40 de l'ordonnance nº 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, aux règles définies par l'article 22 bis de cette ordonnance, ci-après reproduit : Art. 22 bis. - I. - L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative ou dans les sept jours lorsqu'il est notifié par voie postale, demander l'annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif. / Le président ou son délégué statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine (...) ; qu'aux termes de l'article L. 776-2 du même code : Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les décisions fixant le pays de renvoi qui accompagnent les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière obéissent aux règles définies par l'article 27 ter de l'ordonnance nº 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les conclusions incidentes du requérant tendant à ce que la responsabilité pour faute de l'Etat soit engagée et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité ne sont pas au nombre de celles dont le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par celui-ci, statuant sur le fondement des articles L. 776-1, L. 776-2, R. 776-1 et suivants du code de justice administrative, peuvent connaître ; que de telles conclusions ne peuvent faire l'objet que d'une demande présentée devant le juge administratif de droit commun, statuant selon la procédure ordinaire ; qu'ainsi, en jugeant qu'il y avait lieu de rejeter les conclusions incidentes présentées par M. X tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts au motif qu'aucune faute ne pouvait être imputée à l'autorité administrative, le magistrat délégué par le Président du tribunal administratif de Bordeaux a méconnu l'étendue des pouvoirs qu'il tient des articles L. 776-1, L. 776-2, R. 776-1 et suivants du code de justice administrative ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement du magistrat délégué par le Président du tribunal administratif de Bordeaux en date du 7 février 2003 en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. X et de renvoyer l'affaire sur ce point au tribunal administratif de Bordeaux ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le Président du tribunal administratif de Bordeaux en date du 7 février 2003 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. X. L'affaire est renvoyée sur ce point devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Mjid X, au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : 5eme et 4eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 255521
Date de la décision : 24/11/2004
Sens de l'arrêt : Renvoi
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 ÉTRANGERS - RECONDUITE À LA FRONTIÈRE - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - COMPÉTENCE DU JUGE DE LA RECONDUITE À LA FRONTIÈRE POUR CONNAÎTRE DE CONCLUSIONS INDEMNITAIRES - ABSENCE.

335-03-03 Il résulte de l'ensemble des dispositions des articles L. 776-1 et L. 776-2 du code de justice administrative que les conclusions incidentes du requérant tendant à ce que la responsabilité pour faute de l'Etat soit engagée et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité ne sont pas au nombre de celles dont le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par celui-ci, statuant sur le fondement des articles L. 776-1, L. 776-2, R. 776-1 et suivants du code de justice administrative, peuvent connaître. De telles conclusions ne peuvent faire l'objet que d'une demande présentée devant le juge administratif de droit commun, statuant selon la procédure ordinaire. Ainsi, en jugeant qu'il y avait lieu de rejeter les conclusions incidentes présentées par le requérant tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer des dommages et intérêts au motif qu'aucune faute ne pouvait être imputée à l'autorité administrative, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif a méconnu l'étendue des pouvoirs qu'il tient des articles L. 776-1, L. 776-2, R. 776-1 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement de ce magistrat en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par le requérant et de renvoyer l'affaire sur ce point au tribunal administratif.


Références :



Publications
Proposition de citation : CE, 24 nov. 2004, n° 255521
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: Mme Carine Moreau-Soulay
Rapporteur public ?: M. Olson

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:255521.20041124
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