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06/12/2006 | FRANCE | N°280681

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 06 décembre 2006, 280681


Vu la requête, enregistrée le 19 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Patrick A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 23 mars 2005 par laquelle le Premier président de la Cour des comptes a rejeté sa demande tendant à être autorisé à faire valoir ses droits à la retraite avec pension à jouissance immédiate à compter du 6 janvier 2006 ;

2°) de faire droit à sa demande et d'enjoindre à cette fin à l'administration de procéder à la liquidation et à la mise en paiement de cette pens

ion dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à interv...

Vu la requête, enregistrée le 19 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Patrick A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 23 mars 2005 par laquelle le Premier président de la Cour des comptes a rejeté sa demande tendant à être autorisé à faire valoir ses droits à la retraite avec pension à jouissance immédiate à compter du 6 janvier 2006 ;

2°) de faire droit à sa demande et d'enjoindre à cette fin à l'administration de procéder à la liquidation et à la mise en paiement de cette pension dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et son premier protocole additionnel ;

Vu le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne, devenue la Communauté européenne ;

Vu le traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 portant loi de finances rectificative pour 2004, notamment son article 136 ;

Vu le décret n° 2005- 449 du 10 mai 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine de Salins, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue du I de l'article 136 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004 : « La liquidation de la pension intervient : (...) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » ; qu'aux termes du II de l'article 136 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004 : « Les dispositions du I sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée » ; que ces dispositions sont entrées en vigueur à la suite de l'intervention du décret du 10 mai 2005 qui a modifié l'article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite et a défini, pour les hommes comme pour les femmes, les conditions d'interruption de l'activité ouvrant droit à la jouissance immédiate de la pension ;

Considérant que le rejet de la demande présentée le 8 mars 2005 par M. A, conseiller maître à la Cour des comptes, en vue de sa mise à la retraite à compter du 6 janvier 2006 avec entrée en jouissance immédiate de celle-ci, au motif que l'intéressé ne remplissait pas les conditions posées par les dispositions précitées, est intervenu par décision du 23 mars 2005 ; qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la publication du décret du 10 mai 2005 emportait entrée en vigueur des dispositions du I de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004, lesquelles sont, en vertu du II du même article, en principe applicables aux demandes présentées avant cette entrée en vigueur ; que M. A soutient toutefois que l'application de ces dispositions devrait être en l'espèce écartée ;

Sur les moyens tirés de la violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel ;

Considérant, d'une part, que l'incompatibilité de l'application rétroactive des dispositions de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005 avec les stipulations du § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantissent le droit à un procès équitable ne peut être utilement invoquée que par les fonctionnaires qui, à la date d'entrée en vigueur des dispositions litigieuses, avaient, à la suite d'une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieurement applicable, engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision ; que, la présente requête ayant été enregistrée après l'entrée en vigueur du décret du 10 mai 2005, M. A n'est pas fondé à se prévaloir de ces stipulations ;

Considérant, d'autre part, que si l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention stipule que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens (...) », ces stipulations ne sont pas méconnues à l'égard des fonctionnaires tels que M. A qui ont présenté leur demande de mise à la retraite avec entrée en jouissance immédiate entre la date de publication de la loi et celle du décret qui en a permis l'entrée en vigueur, en vue d'obtenir le bénéfice des dispositions antérieures, dès lors qu'il existe un intérêt général suffisant à ce que de telles demandes puissent se voir appliquer les nouvelles dispositions ;

Sur les moyens tirés de la méconnaissance du droit communautaire :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne : « Chaque Etat membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail./ Par rémunération, il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier./ L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail » ; que, cependant, l'article 6 de l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne, après avoir rappelé les règles fixées par l'article 141 du traité, précise en son paragraphe 3 que : « Le présent article ne peut empêcher un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle » ; qu'eu égard à l'objet du droit, ouvert par la loi, d'entrer en jouissance immédiate de sa pension avant d'avoir atteint l'âge de la retraite, le principe d'égalité des rémunérations entre hommes et femmes tel qu'il est garanti par l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne n'interdisait pas que la réglementation nationale fixe une durée minimale de deux mois à l'interruption d'activité ouvrant droit à cette entrée en jouissance et prévoie, parmi les positions statutaires donnant droit à son bénéfice, le congé de maternité, alors même que de ce fait et en raison du caractère facultatif des autres congés, pour la plupart non rémunérés et dont certains n'étaient pas encore ouverts aux hommes à la date à laquelle leurs enfants sont nés, le dispositif nouveau bénéficiera principalement aux fonctionnaires de sexe féminin ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté ;

Considérant, en second lieu, que les principes de confiance légitime et de sécurité juridique tels qu'ils sont invoqués et qui sont au nombre des principes généraux du droit communautaire auxquels renvoie le § 2 de l'article 6 du traité sur l'Union européenne peuvent trouver à s'appliquer dans l'ordre juridique national lorsque, comme en l'espèce, la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ; que, toutefois, M. A n'est pas fondé à se prévaloir de ces principes pour soutenir qu'il aurait dû bénéficier du régime juridique applicable aux fonctionnaires masculins antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005, dès lors qu'il n'a introduit sa demande que plusieurs semaines après la publication de cette loi et, au surplus, en vue d'une mise à la retraite à compter seulement du mois de janvier 2006 ;

Sur les moyens tirés de la méconnaissance des principes généraux du droit :

Considérant que l'application à la situation de M. A des nouvelles dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite, alors même que sa demande avait été présentée et avait fait l'objet d'une décision avant la publication du décret du 10 mai 2005 résulte, ainsi qu'il a été dit, de la loi ; qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, d'apprécier la conformité des dispositions de cette loi à des principes de valeur constitutionnelle et notamment au principe d'égalité ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les moyens tirés de ce que l'application des nouvelles dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite issues respectivement de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005 devrait être écartée et de ce que la demande de M. A devait, par voie de conséquence, être examinée au regard des règles en vigueur à la date à laquelle il a, pour la première fois, rempli les conditions lui permettant de bénéficier de sa mise à la retraite avec entrée en jouissance immédiate ne peuvent être accueillis ;

Considérant, en outre, que M. A ne conteste pas qu'il ne remplissait aucune des conditions prévues par l'article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue du décret du 10 mai 2005, pour bénéficier de l'entrée en jouissance immédiate de sa retraite ; que, par suite, il n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision lui refusant l'entrée en jouissance de sa retraite à compter du 6 janvier 2006 ; que ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence ses conclusions tendant à ce qu'il soit admis à faire valoir ses droits à la retraite avec entrée en jouissance immédiate de sa pension à compter de cette date et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de procéder à la liquidation de celle-ci ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Patrick A, à la Cour des comptes et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 280681
Date de la décision : 06/12/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2006, n° 280681
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: Mme Catherine de Salins
Rapporteur public ?: M. Derepas

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:280681.20061206
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