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27/04/2007 | FRANCE | N°304137

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 avril 2007, 304137


Vu la requête, enregistrée le 28 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. El Mostafa A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 30 mars 2006 par laquelle le consul général de France au Maroc lui refusé la délivrance d'un visa ;

2°) d'enjoindre au consul général de France au Maroc de statuer à nouveau sur sa demande de visa dans un délai de quinze jours à compter de l'ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement

à son conseil de la somme de 2 000 euros par application de l'article L. 761-1 du code de...

Vu la requête, enregistrée le 28 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. El Mostafa A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 30 mars 2006 par laquelle le consul général de France au Maroc lui refusé la délivrance d'un visa ;

2°) d'enjoindre au consul général de France au Maroc de statuer à nouveau sur sa demande de visa dans un délai de quinze jours à compter de l'ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil de la somme de 2 000 euros par application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son conseil à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qu'il a exercée ;

il soutient que l'urgence résulte de l'obstacle fait à la poursuite de la vie matrimoniale de M. A, époux de Mlle B depuis le 12 mars 2005 ; que de ce fait il souffre ainsi que son épouse d'un état dépressif attesté par des certificats médicaux ; que le refus de visa est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; que les imprécisions ou contradictions des déclarations des époux sur le travail de M. A en 2004, la date de leur rencontre, son adresse au Maroc, sa maîtrise du français sont mineures ou parfaitement explicables ; qu'aucun texte n'exige des ressources suffisantes pour délivrer un visa à un conjoint de ressortissant français, qu'au demeurant les époux disposent de ressources, que la circonstance alléguée que la mère de Madame A ait épousé à deux reprises des étrangers à seule fin de régularisation est mensongère, le premier mari de celle-ci étant décédé et le second étant toujours son époux ; que le mariage n'a pas été hâtif, et n'a d'ailleurs donné lieu à aucune contestation ; que l'intention de vivre maritalement est établie par des factures téléphoniques, des échanges de message et de courriers, ainsi que par plusieurs séjours au Maroc de Mme A ; que la décision de refus porte atteinte au droit du requérant à une vie familiale normale ;

Vu le recours adressé le 23 novembre 2006 à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

Vu, enregistré le 13 avril 2007, le mémoire en défense présenté par le ministre des affaires étrangères ; le ministre conclut au rejet de la requête ;

il soutient que la requête n'est pas recevable dès lors qu'elle est dirigée contre la décision de refus de visa et non contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa qui s'y est substituée, et que le requérant n'apporte pas la preuve de la saisine du juge du fond à fin d'annulation de la décision dont il demande suspension ; que l'urgence n'est pas établie, le délai écoulé depuis la décision implicite de la commission et la saisine étant de près d'un an, et l'état de santé du requérant n'étant attesté que par un certificat médical élaboré pour les besoins du recours ; que la décision n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; que l'absence d'intention matrimoniale des époux A résulte de plusieurs faits, dont leur incapacité à préciser de façon concordante la date de leur rencontre, de s'accorder sur le degré de maîtrise du français par M. A, et d'établir ainsi qu'ils disposent d'une langue commune, l'ignorance de Mme A de l'adresse de son époux au Maroc, l'incertitude sur la réalité de leur vie commune avant le mariage, la brièveté des séjours de Mme A au Maroc, que n'explique, contrairement à ce qu'elle allègue, aucune contrainte réglementaire ; que le maintien de communication entre les époux n'est attesté par aucun document probant ; que dans son recours à la commission de recours M. A a reconnu n'avoir d'autre objectif que de venir en Europe à l'aide d'un mariage hâtif ; qu'ainsi il ne peut être considéré que la décision porte atteinte au droit de mener une vie familiale normale ;

Vu le mémoire en réplique enregistré le 19 avril 2007 présenté par M. A ; il conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ; il soutient en outre que la requête est recevable, d'une part après avoir produit copie de la requête à fin d'annulation de la décision attaquée, et d'autre part en vertu de la jurisprudence qui considère qu'après naissance d'une décision implicite de la commission de recours la requête doit être regardée comme dirigée contre cette dernière décision ; que le délai écoulé depuis la décision implicite s'explique par l'attente de l'explicitation de cette décision, qui intervient toujours après plusieurs mois ; qu'en tant que de besoin il dirige ses conclusions contre la décision implicite de la commission de recours que l'état de santé devait être attesté au moment de la requête pour être en rapport avec celle-ci ; que les contradictions relevées sont mineures ou aisément explicables ; que le ministère lui-même établit une maîtrise moyenne du français par M. A lors de l'entretien préalable à la décision de refus ; que la connaissance exacte de l'adresse au Maroc est sans rapport avec l'intention matrimoniale ; que la cohabitation après le mariage est attestée par trois témoignages ; que la brièveté relative des séjours de son épouse s'explique par leur volonté de vivre en France et non au Maroc ; que le recours devant la commission a été écrit par un tiers et n'a nullement la portée prêtée ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 23 avril 2007, présenté par le ministre des affaires étrangères ; il maintient ses conclusions et ses moyens et demande en outre que le juge des référés fasse usage des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et ordonne la suppression de trois passages des écritures du demandeur qu'il estime outrageants ou diffamatoires ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 24 avril 2007, présenté par M. A, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens ; il soutient en outre que les passages dont la suppression est demandée sont ironiques mais dénués d'intention blessante, injurieuse ou diffamatoire, et répondaient à des appréciations moqueuses ou dévalorisantes du ministère ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique, notamment ses articles 20, 37, et 75 ;

Vu le décret n° 2000-1093 du 10 novembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, M. A et, d'autre part, le ministre des affaires étrangères ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 avril 2007 à 12 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- Mme A ;

- le représentant du ministre des affaires étrangères ;

Sur la demande d'aide juridictionnelle :

Considérant qu'a été transmise au Conseil d'Etat une demande d'aide juridictionnelle au nom de M. A ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre provisoirement le requérant au bénéfice de cette aide, par application des dispositions de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Sur les conclusions à fin de suspension et d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état actuel de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision » ;

Considérant en premier lieu qu'il ressort de l'instruction que M. A, qui séjournait alors irrégulièrement en France, a épousé Mlle B le 12 mars 2005 sans que ce mariage ait fait l'objet d'une opposition ; qu'après quinze jours de vie commune attestée par des témoignages non utilement contredits, M. A a, sur les conseils de l'administration, rejoint sa famille au Maroc afin de pouvoir entrer à nouveau régulièrement sur le territoire français ; qu'en l'attente des décisions statuant sur sa demande puis sur son recours contre le refus qui lui a été opposé d'un visa d'entrée, il est demeuré en contact avec son épouse qui lui a rendu visite à quatre reprises en deux ans pour des durées de trois semaines à deux mois ; qu'ainsi, en dépit des contradictions formelles relevées par le ministre sur quelques points du récit des époux à des dates et devant des interlocuteurs différents, les moyens tirés de ce que le refus de visa fondé sur une absence d'intention matrimoniale réelle de la part de M. A serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doivent être regardés comme faisant naître un doute sérieux sur la légalité de la décision de la commission de recours contre laquelle M. A fait, dans le dernier état de ses écritures, porter ses conclusions ;

Considérant en deuxième lieu qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à invoquer l'urgence à rétablir la possibilité d'une vie familiale avec son épouse ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, d'ordonner la suspension du refus attaqué, et à l'administration de procéder, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, au réexamen de la demande de M. A ;

Sur les conclusions du ministre à fin d'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :

Considérant que les passages dont la suppression est demandée sur le fondement des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, pour être empreints d'une vivacité excessive dans la formulation de l'appréciation des moyens de défense du ministre, n'ont pas excédé les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure d'urgence ; qu'ainsi ils ne peuvent être regardés comme justifiant l'usage par le juge des référés des pouvoirs conférés par ces dispositions ;

Sur les conclusions relatives au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant que dans les circonstances de l'affaire il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le paiement au conseil du requérant de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation dudit conseil, par application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qu'il a exercée ;

O R D O N N E :

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Article 1er : M. Mostafa A est admis provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : L'exécution de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant un visa à M. A et rejetant son recours contre la décision du 30 mars 2006 du consul général de France au Maroc lui refusant un visa est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint au ministre des affaires étrangères de réexaminer la demande de visa présentée par M. A dans les 15 jours suivant la notification de la présente ordonnance.

Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. Mostafa A la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation dudit conseil à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qu'il a exercée.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Mostafa A et au ministre des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 304137
Date de la décision : 27/04/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 avr. 2007, n° 304137
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Tuot

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:304137.20070427
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