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06/06/2007 | FRANCE | N°274521

France | France, Conseil d'État, 1ère sous-section jugeant seule, 06 juin 2007, 274521


Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE, représenté par le président de son conseil général ; le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 19 août 2004 par laquelle la commission centrale d'aide sociale, après avoir annulé la décision du 11 avril 2002 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne décidant de surseoir à statuer et de formuler une question préjudicielle devant le juge judiciaire concernant la qualification d'un

contrat d'assurance vie, a annulé la décision du 4 décembre 2001 ...

Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE, représenté par le président de son conseil général ; le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 19 août 2004 par laquelle la commission centrale d'aide sociale, après avoir annulé la décision du 11 avril 2002 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne décidant de surseoir à statuer et de formuler une question préjudicielle devant le juge judiciaire concernant la qualification d'un contrat d'assurance vie, a annulé la décision du 4 décembre 2001 de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montagrier ayant décidé de récupérer à l'encontre de M. Marcel A les sommes versées au titre de la prestation spécifique dépendance à son épouse Mme Augusta A, pour la période du 30 octobre 1997 au 7 janvier 2000 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code civil, notamment son article 894 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles, notamment son article L. 132-8 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Berti, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions du 2° de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte au département, notamment contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte » ; qu'un contrat d'assurance vie soumis aux dispositions des articles L. 132-1 et suivants du code des assurances, par lequel il est stipulé qu'un capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à l'échéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, n'a pas en lui-même le caractère d'une donation, au sens de l'article 894 du code civil ;

Considérant, toutefois, que l'administration et les juridictions de l'aide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l'engagement d'une action en récupération ; qu'à ce titre, un contrat d'assurance vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l'essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l'intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l'importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s'y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d'un droit de créance sur l'assureur ; que, dans ce cas, l'acceptation du bénéficiaire, alors même qu'elle n'interviendrait qu'au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l'administration de l'aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l'application des dispositions relatives à la récupération des créances d'aide sociale ;

Considérant qu'il résulte du dossier soumis aux juges du fond que Mme Augusta A, née le 15 avril 1918, a bénéficié de la prestation spécifique dépendance à domicile du 30 octobre 1997 au 7 janvier 2000, date à laquelle elle est décédée ; que le montant des sommes versées au titre de l'aide sociale s'élève à 13 385,03 euros ; qu'elle a souscrit un contrat d'assurance vie le 9 décembre 1997, contrat dont le bénéficiaire en cas de décès était son époux, M. Marcel A ; qu'à ce titre, ce dernier, qui a accepté d'être bénéficiaire dudit contrat, a reçu 24 689,35 euros ; que, par une décision en date du 4 décembre 2001, la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montagrier a requalifié le contrat d'assurance vie en donation indirecte et a décidé la récupération de la somme versée selon les modalités prévues au 2° de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles ; que, par la décision attaquée du 19 août 2004, la commission centrale d'aide sociale après avoir, par des motifs non contestés par le pourvoi, annulé la décision de la commission départementale d'aide sociale du 11 avril 2002 posant à l'autorité judiciaire une question préjudicielle et décidé d'évoquer, a annulé la décision cantonale d'admission à l'aide sociale de Montagrier ;

Considérant que, pour annuler cette décision au motif qu'elle ne pouvait requalifier le contrat d'assurance vie en donation, la commission centrale d'aide sociale s'est bornée à relever que le caractère résiliable des contrats d'assurance vie ne permettait pas de regarder le contrat souscrit par Mme A comme une donation au sens de l'article 894 du code civil ; qu'en statuant ainsi, alors, notamment, que le département se prévalait de l'intention libérale de la présumée donataire, eu égard notamment à l'âge avancé de celle-ci au moment de la souscription du contrat et du montant des primes versées en regard de son patrimoine, la commission centrale d'aide sociale n'a pas légalement justifié sa décision ; que celle-ci doit, par suite, être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte des circonstances relatées ci-dessus dans lesquelles Mme A a souscrit le 9 décembre 1997, alors qu'elle était âgée de 79 ans, un contrat d'assurance vie pour un montant de plus de 20 000 euros, soit une part importante de son patrimoine, en faveur de son époux, M. A qui après le décès de Mme A en a accepté le bénéfice, l'intention libérale de Mme A à l'égard de son époux doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme établie ; que, par suite, cette donation pouvait donner lieu à la récupération par le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE de sa créance d'aide sociale s'élevant à 13 385,03 euros ;

Considérant cependant qu'il appartient aux juridictions de l'aide sociale, en leur qualité de juges de plein contentieux, de se prononcer sur le bien-fondé de l'action en récupération d'après l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de leur propre décision ; qu'à ce titre, elles ont la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, d'aménager les modalités de cette récupération ; qu'eu égard aux circonstances de la présente affaire, et notamment à la situation financière de M. A, il y a lieu de limiter à 5 000 euros le montant récupérable par le département ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision de la commission centrale d'aide sociale du 19 août 2004 est annulée en tant qu'elle annule la décision de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montagrier du 4 décembre 2001.

Article 2 : La somme que le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE est autorisé à récupérer à l'encontre de M. A est fixée à 5 000 euros.

Article 3 : La décision de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montagrier du 4 décembre 2001 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE, à M. Marcel A et au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.


Synthèse
Formation : 1ère sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 274521
Date de la décision : 06/06/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2007, n° 274521
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Eric Berti
Rapporteur public ?: M. Devys

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:274521.20070606
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