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28/09/2007 | FRANCE | N°307410

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 28 septembre 2007, 307410


Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mohammad A, demeurant ... (93310) ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 19 octobre 2006 par laquelle le consul de France à Islamabad (Pakistan) a rejeté la demande de délivrance de visas long séjour de Mme Amina A et des enfants Tawfiq, Spozhmai, Yama, Atiq, Shafiq et Mohammad Yahia A, en leur qualité de membres de famille d

'un réfugié statutaire ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires ét...

Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mohammad A, demeurant ... (93310) ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 19 octobre 2006 par laquelle le consul de France à Islamabad (Pakistan) a rejeté la demande de délivrance de visas long séjour de Mme Amina A et des enfants Tawfiq, Spozhmai, Yama, Atiq, Shafiq et Mohammad Yahia A, en leur qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et européennes de procéder à un nouvel examen des demandes de visa dans un délai de quinze jours à compter de la décision juridictionnelle à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que la requête en suspension de la décision litigieuse est recevable, dès lors qu'il a contesté cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ; que l'urgence résulte de l'éloignement de sa famille, du danger immédiat à laquelle celle-ci est exposée et de l'atteinte suffisamment grave et immédiate portée à son droit à la protection de l'unité familiale ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu'en effet, en premier lieu, l'autorité consulaire a méconnu l'article 47 du code civil en n'usant pas de la procédure de vérification de l'authenticité des actes d'état civil ; qu'en second lieu, l'autorité consulaire a commis une erreur d'appréciation en estimant les liens familiaux allégués non établis ; qu'en effet, les incohérences dans les actes d'état civil fournis résultent de la difficulté des autorités locales à établir des actes de naissance exacts et d'une erreur de traduction de carte d'identité ; que, par conséquent, c'est à tort que le consul de France à Islamabad (Pakistan) a tenu compte de ces incohérences et ne s'est pas fondé sur les autres documents établissant le lien familial entre M. A, sa femme et ses enfants ; qu'en dernier lieu, la décision litigieuse méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elle porte une atteinte disproportionnée au droit de M. A de mener une vie familiale normale ;

Vu la décision dont la suspension est demandée et le recours présenté à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2007, présenté par le ministre des affaires étrangères et européennes, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie au motif, d'une part, que le critère d'éloignement familial ne saurait être retenu compte tenu du caractère incertain des liens familiaux allégués et, d'autre part, que la preuve d'une menace pesant sur la sécurité de Mme A et ses enfants n'est pas rapportée ; que, s'agissant du doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse est entachée d'un vice de procédure n'est pas fondé, seule la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France étant contestable ; que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté, en ce qu'aucun autre document que les pièces d'identités contestées, permettant de prouver les liens familiaux allégués, n'a été fourni ; qu'enfin, aucun lien familial n'étant valablement établi, la décision litigieuse ne saurait avoir méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les conclusions aux fins de suspension de la décision litigieuse devant être rejetées, il devra en être de même des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre des affaires étrangères et européennes ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 27 juillet 2007 à 11 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Roger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- M. A ;

- le représentant de la Cimade ;

- le représentant du ministre des affaires étrangères et européennes ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 13 septembre 2007, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2007, présenté par le ministre des affaires étrangères et européennes, qui conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 25 septembre 2007, présenté par M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut ordonner la suspension d'une décision administrative lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette décision ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, ressortissant afghan, est entré en France en octobre 2002 et a obtenu le statut de réfugié le 7 juillet 2003 ; qu'il a déposé, le 13 octobre 2003, une demande de visas afin de faire venir en France son épouse, Amina, et leurs six enfants, Taofiq, Spoghmai, Yama, Atiq, Shafiq et Mohammad Tahia ; que cette demande a été réitérée le 6 octobre 2005, les intéressés n'ayant pas été en mesure de présenter, auparavant, des passeports du fait, selon eux, des difficultés rencontrées auprès des autorités afghanes ; que, par une décision du 19 octobre 2006, les autorités consulaires françaises ont refusé les visas sollicités ; que, bien qu'elle soit formellement dirigée contre cette dernière décision, la demande de suspension de M. A doit être regardée comme dirigée contre la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours qu'il avait formé le 27 décembre 2006 contre cette décision ;

Considérant que les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment de la convention de Genève, imposent, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut ainsi qu'aux enfants mineurs de ce réfugié ; que l'application de ce principe aux enfants suppose toutefois que le lien de filiation soit établi ;

Considérant que, pour justifier le refus opposé à la demande présentée aux autorités consulaires, le ministre des affaires étrangères et européennes fait valoir que le lien de filiation entre M. A et ceux qu'il présente comme ses enfants n'est pas établi ; qu'en effet, il existe des discordances entre les dates de naissance mentionnées sur les cartes d'identité et les passeports des intéressés ainsi qu'une discordance entre la situation familiale indiquée sur la demande de visa de son fils aîné, Tawfiq, et celle indiquée sur sa carte d'identité ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que, si M. A admet que les dates de naissance mentionnées sur les passeports sont erronées, les dates exactes étant, selon lui, celles indiquées sur les cartes d'identité versées à l'appui de sa demande, le ministre reconnaît, de son côté, que les documents produits à l'appui de la demande, à savoir les cartes d'identité et passeports des intéressés, sont bien des documents officiels établis par les autorités afghanes ; qu'elle ne conteste pas non plus que l'organisation de l'état civil en Afghanistan ainsi que les troubles que connaît actuellement ce pays, lesquels empêchent, selon le ministre, les autorités françaises de pratiquer toute vérification des documents présentés, peuvent expliquer le caractère approximatif voire inexact de certaines des mentions portées sur les documents d'identité, notamment en ce qui concerne les dates de naissance, dont seule l'année est mentionnée dans les registres de l'état civil afghan, selon le calendrier persan et non selon le calendrier grégorien utilisé pour l'établissement des passeports ; que le requérant s'est expliqué sur les conditions de vie de sa famille en Afghanistan et sur les circonstances dans lesquelles celle-ci s'est rendue, à plusieurs reprises, au Pakistan, notamment en vue de l'instruction des demandes de visas par les services consulaires d'Islamabad, seuls habilités actuellement à traiter ce type de demandes ; qu'il a produit au cours de l'instruction de nombreux documents, tels que des documents officiels, des documents bancaires ou de voyage ainsi que des attestations et des photos, de nature à établir la réalité des liens existant entre lui, Mme Amina A, dont la qualité d'épouse n'est pas contestée, et les six enfants mentionnés dans sa demande ; qu'enfin, la situation matrimoniale de Tawfiq A ne fait plus l'objet d'une contestation ; que, dans ces circonstances, les moyens tirés de ce que l'autorité administrative aurait fait une inexacte appréciation de la situation familiale des intéressés et aurait porté une atteinte excessive à leur droit au respect d'une vie privée et familiale normale sont de nature, en l'état de l'instruction, à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision implicite de la commission ;

Considérant, en outre, que M. A a entamé des démarches pour faire venir sa famille auprès de lui peu de temps après s'être vu reconnaître la qualité de réfugié ; qu'il a fait les diligences nécessaires pour obtenir les passeports demandés ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que le retard de près de deux ans mis à produire les passeports des membres de sa famille ne lui est pas imputable ; qu'il est séparé de son épouse et de ses enfants depuis plusieurs années ; qu'ainsi, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie ;

Considérant qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner la suspension demandée et d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et européennes de réexaminer la demande des intéressés dans un délai de quinze jours à compter de la présente ordonnance ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours de M. A contre la décision des autorités consulaires françaises à Islamabad en date du 19 octobre 2006 refusant des visas de long séjour à Amina, Taofiq, Spoghmai, Yama, Atiq, Shafiq et Mohammad Tahia A est suspendue.

Article 2 : Le ministre des affaires étrangères et européennes réexaminera la demande présentée par l'épouse et les enfants de M. A dans un délai de quinze jours à compter de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Mohammed A et au ministre des affaires étrangères et européennes.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 307410
Date de la décision : 28/09/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 sep. 2007, n° 307410
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Honorat
Avocat(s) : SCP ROGER, SEVAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:307410.20070928
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