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26/03/2009 | FRANCE | N°325506

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 mars 2009, 325506


Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 février 2009, présentée pour M. Michel A demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 18 décembre 2008 par laquelle la formation restreinte du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, siégeant en séance administrative, a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision du 14 juin 2008 par laquelle le conseil r

égional de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Languedoc-Roussillon a ...

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 février 2009, présentée pour M. Michel A demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 18 décembre 2008 par laquelle la formation restreinte du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, siégeant en séance administrative, a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision du 14 juin 2008 par laquelle le conseil régional de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Languedoc-Roussillon a annulé la décision du 6 février 2008 par laquelle le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de l'Hérault l'a inscrit au tableau de l'ordre ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que l'urgence est caractérisée en raison de l'atteinte portée à ses intérêts économiques et financiers ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse ; que le recours du conseil national de l'ordre était irrecevable comme tardif ; que la décision attaquée méconnaît l'autorité de la chose décidée dès lors que le délai de retrait était expiré ; qu'elle méconnaît également ses droits acquis qui s'attachaient à ses précédentes inscriptions au tableau de l'ordre ; qu'elle porte atteinte à l'autorité de la chose jugée ; qu'elle est, enfin, entachée d'une erreur de droit ; qu'en effet, le diplôme dont il est titulaire l'habilite à exercer la profession de chirurgien-dentiste en France en application de l'accord de coopération en matière d'enseignement supérieur du 24 avril 1961 conclu entre la République française et la République de Côte d'Ivoire ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête tendant à l'annulation de cette décision ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2009, présenté pour le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. A la somme de 5 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes soutient que l'urgence n'est pas caractérisée dès lors que M. A ne démontre pas en quoi ses difficultés financières justifieraient la suspension de l'exécution de la décision attaquée ; qu'en tout état de cause, il existe une urgence à exécuter la décision litigieuse ; qu'en effet, la suspension aurait pour effet de permettre à M. A, qui a échoué aux épreuves de contrôle de connaissances, d'exercer la profession de chirurgien-dentiste dans des conditions qui peuvent être dangereuses pour la santé publique et qui, au surplus, l'exposent au risque de commettre l'infraction pénale d'usurpation de titres ; qu'il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que le recours du conseil national de l'ordre n'est pas tardif dès lors que le conseil a eu connaissance de l'inscription de M. A le 28 mars 2008 ; que l'ordre est tenu de vérifier à chaque nouvelle demande d'inscription si les conditions légales sont remplies ; que l'obtention d'un titre ou diplôme mentionné à l'article L. 4141-3 du code de la santé publique est une des conditions légales d'exercice ; que, contrairement à ce que soutient M. A, son diplôme en chirurgie-dentaire ne lui permet pas d'exercer en France ; que les précédentes inscriptions du requérant au tableau de l'ordre, obtenues par fraude, n'ont pas créé de droits au profit du requérant et peuvent donc être retirées ; que la décision attaquée ne méconnaît pas l'autorité de la chose jugée dès lors que l'identité d'objet et de cause font défaut ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 20 mars 2009, présenté pour M. A qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, qu'il n'y a pas d'urgence à exécuter la décision contestée dès lors qu'il a bien les compétences professionnelles nécessaires à l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste ; que la fraude invoquée par le conseil national de l'ordre n'est assortie d'aucun élément permettant de l'établir ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'accord de coopération en matière d'enseignement supérieur conclu entre la République française et la République de Côte d'Ivoire du 24 avril 1961 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du lundi 23 mars 2009 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Richard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- M. A ;

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que l'article L. 4111-1 du code de la santé publique subordonne l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste à trois séries de conditions, relatives respectivement à la détention d'un diplôme ou d'un certificat, à la nationalité et à l'inscription au tableau de l'ordre ; qu'en vertu de l'article L. 4141-3 de ce code, le diplôme mentionné à l'article L. 4111-1 est soit le diplôme français d'Etat de docteur en chirurgie dentaire, soit le diplôme français d'Etat de chirurgien-dentiste, soit un diplôme délivré par un autre Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l'espace économique européen ; que l'article L. 4112-1 prévoit que les chirurgiens-dentistes qui exercent dans un département sont inscrits sur un tableau établi et tenu à jour par le conseil départemental de leur ordre et que nul ne peut être inscrit à ce tableau s'il ne satisfait pas aux conditions fixées par l'article L. 4111-1 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, qui est né en 1963 en Côte d'Ivoire, a suivi trois années d'études à l'institut d'odontostomatologie d'Abidjan avant de poursuivre, dans le cadre défini par une convention conclue le 15 octobre 1987 entre cet institut et l'université de Montpellier I, sa formation dans cette dernière université ; qu'il a soutenu publiquement sa thèse le 19 avril 1991, sur le sujet « les résorptions radiculaires » ; que le procès-verbal de soutenance de cette thèse indique que le jury de l'université de Montpellier I a estimé que le grade de docteur en chirurgie dentaire pouvait être accordé à l'intéressé avec la mention très honorable ; que ce procès-verbal précise qu'il n'a pas lui-même valeur de diplôme et que le diplôme de docteur en chirurgie dentaire sera délivré par l'institut d'odontostomatologie de l'université d'Abidjan ; qu'ainsi qu'elle y était de la sorte invitée, l'université d'Abidjan a délivré à l'intéressé le diplôme de docteur en chirurgie dentaire le 8 mars 1993 ; que M. A a poursuivi entre 1993 et 2004 sa formation à l'université de Montpellier I, où il a obtenu un diplôme d'université en soins de santé dans les pays en voie de développement, un diplôme d'université d'odontologie légale, un diplôme d'université d'endodontie, un diplôme d'université de chirurgie de la cavité buccale, un diplôme de maîtrise des sciences biologiques et médicales, un diplôme d'études approfondies « Géographie : espaces, développement et santé » et un diplôme de docteur en odontologie ;

Considérant que M. A, qui a acquis la nationalité française en 2002, a été inscrit le 12 janvier 2005 au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes de l'Hérault ; que le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes du département de l'Aude l'a ensuite inscrit à sa demande le 1er juillet 2005 au tableau de l'ordre ; que le conseil régional de l'ordre du Languedoc-Roussillon a prononcé la radiation de l'intéressé ; que cette décision a été confirmée par la décision du 20 février 2007 du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ; que cette dernière décision, dont le juge des référés du Conseil d'Etat avait suspendu l'exécution par une ordonnance en date du 6 septembre 2007, a toutefois été annulée le 16 avril 2008 par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ; que, par ailleurs, M. A a obtenu, le 11 décembre 2007, un transfert d'inscription vers le conseil départemental de l'ordre du Gard puis, le 6 février 2008, vers le conseil départemental de l'ordre de l'Hérault ; que, par une décision du 14 juin 2008, le conseil régional du Languedoc-Roussillon, saisi par la conseil national de l'ordre, a annulé l'inscription de M. A au tableau de l'ordre au motif que l'intéressé n'était pas titulaire d'un diplôme français de docteur en chirurgie dentaire ; que le recours formé par M. KOUASI contre cette décision devant le conseil national de l'ordre a été rejeté par une décision du 18 décembre 2008, dont l'intéressé demande la suspension ;

Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l'intervention de cette décision et si elle est illégale ; que la décision par laquelle le conseil départemental décide d'inscrire un praticien au tableau en application de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique a le caractère d'une décision individuelle créatrice de droits ; que s'il incombe au conseil départemental de tenir à jour ce tableau et de radier de celui-ci les praticiens qui, par suite de l'intervention de circonstances postérieures à leur inscription, ont cessé de remplir les conditions requises pour y figurer, il ne peut, en l'absence de fraude, sans méconnaître les droits acquis qui résultent de l'inscription, décider plus de quatre mois après celle-ci de radier un praticien au motif que les diplômes au vu desquels il a été inscrit n'auraient pas été de nature à permettre légalement son inscription ;

Considérant que la première inscription de M. A au tableau de l'ordre de l'Hérault le 12 janvier 2005, comme ses inscriptions ultérieures aux tableaux des conseils départementaux de l'Aude, du Gard puis, de nouveau, de l'Hérault, ont été décidées par les conseils départementaux de ces départements au vu et après examen des diverses pièces relatives à la formation universitaire et aux diplômes de l'intéressé ; que les dossiers présentés par M. A en vue de ces inscriptions ne contenaient aucun document faux ou falsifié et n'étaient pas constitués de manière destinée à induire en erreur les conseils départementaux ; qu'ainsi les manoeuvres frauduleuses alléguées par le conseil national ne sont pas caractérisées ; que le moyen selon lequel le conseil régional ne pouvait retirer la décision du conseil départemental de l'Hérault, plus de quatre mois après la première inscription, au motif que M. A ne détenait pas les diplômes requis par les dispositions de l'article L. 4141-3 du code de la santé publique, est, dès lors, de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension est demandée ;

Considérant qu'eu égard aux conséquences professionnelles et financières qu'elle entraîne pour M. A, la décision dont la suspension est demandée porte à ses intérêts une atteinte suffisamment grave et immédiate pour constituer une situation d'urgence ; que, compte tenu des qualifications et de l'expérience professionnelle de l'intéressé, et même si les notes qu'il a obtenues en 2001 à l'examen de contrôle des connaissances auquel il s'est présenté ont été médiocres, les intérêts de la santé publique ne font pas apparaître d'urgence qui s'attacherait, à l'inverse, à l'exécution de cette décision ; que l'application de celle-ci n'a pas davantage pour conséquence de placer M. A en infraction au regard de la loi pénale ; qu'ainsi la condition d'urgence est remplie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes en date du18 décembre 2008 ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes la somme de 3 000 euros que M. A demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, en revanche, obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente espèce, la partie perdante, la somme que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes demande au même titre ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes en date du 18 décembre 2008 est suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait statué sur le recours pour excès de pouvoir formé par M. A à l'encontre de cette décision. Cette suspension implique la réinscription de M. A au tableau de l'ordre.

Article 2 : Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes versera à M. A la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Michel A et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Copie en sera adressée pour information au ministre de la santé et des sports.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 325506
Date de la décision : 26/03/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 mar. 2009, n° 325506
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Bernard Stirn
Avocat(s) : SCP RICHARD ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:325506.20090326
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