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13/11/2009 | FRANCE | N°300036

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 13 novembre 2009, 300036


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 décembre 2006 et 12 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Maÿlis A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 2 novembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 27 juin 2003 qui avait annulé la décision de l'Etat arrêtant le tracé de l'autoroute A 20 aux abords du château d'Arcambal (Lot) et, d'autre part, rejeté ses conclusions ;
>2°) statuant au fond, de faire droit à sa requête d'appel devant la cour ad...

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 décembre 2006 et 12 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Maÿlis A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 2 novembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 27 juin 2003 qui avait annulé la décision de l'Etat arrêtant le tracé de l'autoroute A 20 aux abords du château d'Arcambal (Lot) et, d'autre part, rejeté ses conclusions ;

2°) statuant au fond, de faire droit à sa requête d'appel devant la cour administrative d'appel de Bordeaux ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 septembre 2009, présentée pour Mme A ;

Vu la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ;

Vu la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites ;

Vu la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 ;

Vu le code forestier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de Mme A et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la Société des autoroutes du sud de la France,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de Mme A et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la Société des autoroutes du sud de la France ;

Considérant que par un jugement du 27 juin 2003, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision de l'Etat, révélée par une lettre du préfet du Lot en date du 9 janvier 2001, arrêtant, à l'intérieur de la bande de 300 mètres déclarée d'utilité publique, le tracé de l'autoroute A 20, aux abords du château d'Arcambal (Lot), inscrit à l'inventaire des monuments historiques, propriété de Mme A ; que celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 novembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et rejeté sa demande de première instance ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que pour censurer le jugement du tribunal administratif de Toulouse, la cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé que la décision du préfet du Lot ne portait que sur le choix définitif du tracé de l'autoroute A 20 ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond, et notamment des termes de la lettre du préfet du Lot en date du 9 janvier 2001, que cette dernière était constitutive d'une autorisation de réalisation des travaux de l'autoroute ; qu'ainsi, la cour a inexactement interprété la portée de la décision contestée et, par suite, a entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 ter de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques était inopérant ; que, dès lors, la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 13 ter de la loi du 31 décembre 1913 alors applicables, l'autorisation de réaliser des travaux entrant dans le champ de visibilité d'un monument historique classé ne peut être délivrée, dès lors que le ministre chargé des monuments historiques a décidé d'évoquer le dossier, qu'avec l'accord exprès de celui-ci ; qu'eu égard à l'objet de ces dispositions, celles-ci s'imposent à toute autorisation de travaux, quelle que soit la procédure suivie pour sa délivrance ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de l'instruction de la demande adressée au préfet du Lot par la société des autoroutes du sud de la France en vue d'effectuer les travaux aux abords du château d'Arcambal selon la variante V3-3 retenue, le ministre de la culture et de la communication a fait part au préfet de son accord exprès pour leur réalisation, sous réserve de certaines conditions relatives au traitement paysager ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'autorisation de travaux a été délivrée sans avoir préalablement recueilli l'accord exprès du ministre chargé des monuments historiques doit être écarté ; que la société des autoroutes du sud de la France est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision litigieuse ; qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par Mme A devant le tribunal administratif ;

Considérant que si, pour tenir compte des réserves exprimées par la commission d'enquête, l'Etat s'est engagé, à l'occasion de la déclaration d'utilité publique du 31 mai 1994, à réaliser un tunnel dans la Garenne d'Arcambal, cet engagement portait sur le principe de l'enfouissement d'un tronçon de l'autoroute et non sur les modalités précises de celui-ci ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que l'autorisation de réalisation des travaux aurait méconnu les engagements pris à l'occasion de la déclaration d'utilité publique ;

Considérant qu'il ressort de l'accord exprès donné par le ministre de la culture et de la communication que celui-ci a pris en compte un enfouissement partiel de l'autoroute dans la zone de visibilité du château d'Arcambal, à condition, d'une part, que soit mis en oeuvre un traitement paysager des entrées de la tranchée couverte, du mur talus et des parties aval des entrées, en spécifiant que cet aménagement devrait être traité par une densification des plantations, avec des espèces hautes dans la partie aval ainsi qu'une mise en végétation du mur de soutènement, et d'autre part, que l'architecte des bâtiments de France soit associé à la mise au point définitive du projet ; que compte tenu de cet ensemble de précautions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'accord du ministre de la culture et de la communication serait fondé sur une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de la loi du 31 décembre 1913 en tant qu'elles visent à limiter, compenser ou supprimer les atteintes à l'édifice classé ou inscrit susceptibles d'être portées par l'aménagement envisagé ;

Considérant que, si Mme A soutient que l'autorisation de réalisation des travaux n'a pas été précédée des autorisations de défrichement prescrites par les articles L. 311-1 et L. 312-1 du code forestier, ces articles ne sont pas applicables aux déboisements de parcelles appartenant à l'Etat et qu'ainsi le moyen soulevé est inopérant ;

Considérant que, si la requérante soutient que l'autorisation de travaux aurait méconnu l'article 12 de la loi du 2 mai 1930 sur les sites, aux termes duquel les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale , elle se borne à alléguer, à l'appui de ce moyen, que la société des autoroutes du sud de la France n'a pas produit à l'instance un plan de délimitation du site classé de la vallée du Trémoulou ; que, par suite, le moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant que l'autorisation de réalisation des travaux, révélée par la lettre du préfet du Lot du 9 janvier 2001, portait uniquement sur les travaux de l'autoroute A20 situés dans le champ de visibilité du monument historique constitué par le château d'Arcambal et ne concernait pas la réalisation des ouvrages hydrauliques de franchissement du Lot ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette autorisation n'aurait pas été précédée de l'enquête publique prévue par la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau est inopérant ;

Considérant, enfin, que l'illégalité de la convention de concession de la société des autoroutes du sud de la France ne peut être utilement invoquée à l'encontre d'une autorisation de réalisation des travaux ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société des autoroutes du sud de la France est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision du préfet du Lot du 9 janvier 2001 et le rejet de la demande présentée par Mme A devant le tribunal administratif de Toulouse ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société autoroutes du sud de la France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 2 novembre 2006 et le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 27 juin 2003, en tant qu'il a annulé la décision du préfet du Lot du 9 janvier 2001, sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme A devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société des autoroutes du sud de la France tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Maÿlis A, à la société des autoroutes du sud de la France et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 300036
Date de la décision : 13/11/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - POUVOIRS DU JUGE - MOYENS - MOYEN OPÉRANT À L'ENCONTRE DE LA DÉCISION D'AUTORISATION DES TRAVAUX - EXISTENCE - MÉCONNAISSANCE DES DISPOSITIONS RELATIVES AUX MONUMENTS HISTORIQUES [RJ1].

34-04-02-01 Une décision préfectorale, distincte de la déclaration d'utilité publique, d'autorisation de réalisation des travaux doit respecter les dispositions de la législation sur la protection des monuments historiques. Le moyen tiré de la méconnaissance de cette dernière est donc opérant à l'encontre de la décision préfectorale.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - CONTENTIEUX DE LA RESPONSABILITÉ - MÉCONNAISSANCE D'ENGAGEMENTS PRIS PAR L'ETAT À L'OCCASION DE LA DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE - ABSENCE EN L'ESPÈCE.

34-04-03 L'Etat s'était engagé, à l'occasion de la déclaration d'utilité publique d'une autoroute, à tenir compte des réserves exprimées par la commission d'enquête et à mettre en oeuvre une solution enterrée pour réduire l'emprise d'une autoroute au pied d'un château classé. Cet engagement portait sur le principe de l'enfouissement d'un tronçon de l'autoroute et non sur les modalités précises de celui-ci. Compte tenu de leur portée, l'Etat ne peut ainsi être considéré comme ayant méconnu ses engagements pris à l'occasion de la déclaration d'utilité publique en autorisant au final une partie faiblement enterrée de l'autoroute.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ - AGISSEMENTS ADMINISTRATIFS SUSCEPTIBLES D'ENGAGER LA RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - ENGAGEMENTS PRIS PAR L'ETAT À L'OCCASION D'UNE DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ POUR MÉCONNAISSANCE DE CES DERNIERS - ABSENCE EN L'ESPÈCE.

60-01-03 L'Etat s'était engagé, à l'occasion de la déclaration d'utilité publique d'une autoroute, à tenir compte des réserves exprimées par la commission d'enquête et à mettre en oeuvre une solution enterrée pour réduire l'emprise d'une autoroute au pied d'un château classé. Cet engagement portait sur le principe de l'enfouissement d'un tronçon de l'autoroute et non sur les modalités précises de celui-ci. Compte tenu de leur portée, l'Etat ne peut ainsi être considéré comme ayant méconnu ses engagements pris à l'occasion de la déclaration d'utilité publique en autorisant au final une partie faiblement enterrée de l'autoroute.


Références :

[RJ1]

Rappr. 2 juillet 2001, Commune de la Courneuve, n° 211231, p. 327.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 nov. 2009, n° 300036
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Richard Senghor
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP DELVOLVE, DELVOLVE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:300036.20091113
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