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04/12/2009 | FRANCE | N°329173

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 04 décembre 2009, 329173


Vu le jugement du 23 juin 2009, enregistré le 24 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande de la SOCIETE RUEIL SPORTS tendant à obtenir la décharge des pénalités pour absence de bonne foi dont ont été assortis les suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt qui lui ont été assignés au titre de l'exercice clos en 2001, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demand

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Vu le jugement du 23 juin 2009, enregistré le 24 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande de la SOCIETE RUEIL SPORTS tendant à obtenir la décharge des pénalités pour absence de bonne foi dont ont été assortis les suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt qui lui ont été assignés au titre de l'exercice clos en 2001, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) La nature juridique des pénalités fiscales, qui présentent le caractère de sanction attachée à des faits commis par un contribuable, fait-elle obstacle, en vertu du principe de personnalité des peines résultant de l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à ce qu'un contribuable juridiquement distinct puisse se voir infliger de telles pénalités pour des faits commis par un autre contribuable aux droits desquels il vient à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission '

2°) Ou, nonobstant le principe de personnalité des peines, l'objet des pénalités fiscales, qui est de prévenir et de réprimer l'évasion et la fraude fiscale par les contribuables justifie-t-il, eu égard à la continuité économique et patrimoniale résultant des opérations de fusion ou de scission, que ces pénalités, au même titre que les impositions en principal dont elles sont l'accessoire, puissent être mises à la charge de la société absorbante '

3°) Dans la première hypothèse, l'application du principe de personnalité des peines est-elle susceptible d'être conditionnée par la circonstance que la société fusionnée ou scindée a procédé à sa dissolution dans le but avéré d'éluder l'impôt ou par la circonstance que la société absorbante a participé à la commission des faits qui sont à l'origine des pénalités litigieuses '

Vu les observations, enregistrées le 21 juillet 2009, présentées par la SOCIETE RUEIL SPORTS ;

Vu les observations, enregistrées le 20 août 2009, présentées par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Rapporteur public ;

REND L'AVIS SUIVANT

1°) et 2°) Aux termes du paragraphe 2 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en vertu de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

Le principe de personnalité des peines trouve sa source, en droit interne, dans les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et découle, dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe de la présomption d'innocence posé au paragraphe 2 de l'article 6.

Les pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent et n'ont pas pour objet la seule réparation pécuniaire d'un préjudice, constituent, même si le législateur a laissé le soin de les établir et de les prononcer à l'autorité administrative, des accusations en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte que le contribuable, personne physique ou personne morale, qui conteste devant le juge de l'impôt les pénalités fiscales qui lui ont été infligées peut invoquer la méconnaissance des stipulations du paragraphe 2 de cet article pour critiquer l'application de ces pénalités.

Toutefois, un système d'imposition se fondant principalement sur les déclarations établies par les contribuables ne saurait préserver les intérêts financiers légitimes de l'Etat sans un régime de sanctions efficace. La nécessité de préserver le caractère effectif et dissuasif des pénalités fiscales impose ainsi d'appliquer le principe de personnalité des peines en tenant compte des spécificités des personnes morales, qui peuvent notamment décider de se transformer et de poursuivre leurs activités, sous une nouvelle forme juridique, à l'occasion d'opérations de restructuration.

Dès lors, eu égard aux objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l'évasion fiscale auxquels répondent les pénalités fiscales, le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que, à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission, ces sanctions pécuniaires soient mises, compte tenu de la transmission universelle du patrimoine, à la charge de la société absorbante, d'une nouvelle société créée pour réaliser la fusion ou de sociétés issues de la scission, à raison des manquements commis, avant cette opération, par la société absorbée ou fusionnée ou par la société scindée.

3°) Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Paris, à la SOCIETE RUEIL SPORTS et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 329173
Date de la décision : 04/12/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - AMENDES - PÉNALITÉS - MAJORATIONS - PRINCIPE DE PERSONNALITÉ DES PEINES - 1) SOURCE EN DROIT INTERNATIONAL - CONVENTION EDH (ART - 6§2) [RJ1] - 2) APPLICATION AUX SANCTIONS FISCALES - POSSIBILITÉS D'AMÉNAGEMENTS EN CE QUI CONCERNE LES PERSONNES MORALES - EXISTENCE [RJ2] - 3) CAS DES OPÉRATIONS DE FUSION OU DE SCISSION DE SOCIÉTÉS.

19-01-04 1) Le principe de personnalité des peines découle, dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH), du principe de la présomption d'innocence posé au paragraphe 2 de l'article 6.,,2) Un système d'imposition se fondant principalement sur les déclarations établies par les contribuables ne saurait préserver les intérêts financiers légitimes de l'Etat sans un régime de sanctions efficace. La nécessité de préserver le caractère effectif et dissuasif des pénalités fiscales impose d'appliquer le principe de personnalité des peines en tenant compte des spécificités des personnes morales.... ...3) Eu égard aux objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l'évasion fiscale auxquels répondent les pénalités fiscales, le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que, à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission, ces sanctions pécuniaires soient mises, compte tenu de la transmission universelle du patrimoine, à la charge de la société absorbante, d'une nouvelle société créée pour réaliser la fusion ou de sociétés issues de la scission, à raison des manquements commis, avant cette opération, par la société absorbée ou fusionnée ou par la société scindée.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE (ART - 6) - PRINCIPE DE PERSONNALITÉ DES PEINES - 1) SOURCE - ARTICLE 6§2 [RJ1] - 2) APPLICATION AUX SANCTIONS FISCALES - POSSIBILITÉS D'AMÉNAGEMENTS EN CE QUI CONCERNE LES PERSONNES MORALES - EXISTENCE [RJ2] - 3) CAS DES OPÉRATIONS DE FUSION OU DE SCISSION DE SOCIÉTÉS.

26-055-01-06 1) Le principe de personnalité des peines découle, dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH), du principe de la présomption d'innocence posé au paragraphe 2 de l'article 6.,,2) Un système d'imposition se fondant principalement sur les déclarations établies par les contribuables ne saurait préserver les intérêts financiers légitimes de l'Etat sans un régime de sanctions efficace. La nécessité de préserver le caractère effectif et dissuasif des pénalités fiscales impose d'appliquer le principe de personnalité des peines en tenant compte des spécificités des personnes morales.... ...3) Eu égard aux objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l'évasion fiscale auxquels répondent les pénalités fiscales, le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que, à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission, ces sanctions pécuniaires soient mises, compte tenu de la transmission universelle du patrimoine, à la charge de la société absorbante, d'une nouvelle société créée pour réaliser la fusion ou de sociétés issues de la scission, à raison des manquements commis, avant cette opération, par la société absorbée ou fusionnée ou par la société scindée.


Références :

[RJ1]

Cf. Cour EDH, 29 août 1997, A. P., M. P. et T. P. c/ Suisse, n° 71/1996/690/882, Recueil 1997-V.,,

[RJ2]

Rappr. Section, 22 novembre 2000, Société Crédit Agricole Indosuez Cheuvreux, n° 207697, p. 537.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2009, n° 329173
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mme Anne Egerszegi
Rapporteur public ?: M. Glaser Emmanuel

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:329173.20091204
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