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13/01/2010 | FRANCE | N°334507

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 janvier 2010, 334507


Vu la requête, enregistrée le 10 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Jacques A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 7 juillet 2009, confirmée le 13 novembre 2009, par laquelle la directrice des services judiciaires a rejeté sa demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge, dans les fonctions de premier président de la cour d'appel de Toulouse ;<

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Vu la requête, enregistrée le 10 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Jacques A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 7 juillet 2009, confirmée le 13 novembre 2009, par laquelle la directrice des services judiciaires a rejeté sa demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge, dans les fonctions de premier président de la cour d'appel de Toulouse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. A soutient que sa requête est recevable dans la mesure où elle tend à la suspension d'une décision qui lui fait grief, dès lors qu'il a formulé une demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge et qu' il ne s'est donc pas borné à solliciter un avis sur l'interprétation à donner de la loi organique n° 86-1303 du 23 décembre 1986 ; que la condition d'urgence est remplie ; que la décision contestée implique, outre des conséquences d'ordre matériel, un déclassement fonctionnel par rapport à ses responsabilités actuelles ; qu'en outre, l'intérêt général qui s'attache à son maintien en activité à la présidence de la cour d'appel de Toulouse justifie qu'il ne soit pas à très brève échéance affecté à d'autres fonctions ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu'elle est entachée d'une erreur de droit ; qu'il résulte en effet des dispositions combinées des articles 76 et 37 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et de l'article 1er de la loi organique n° 86-1303 du 23 décembre 1986 relative au maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation que rien ne s'oppose à ce qu'un président de cour d'appel demande à être maintenu dans ses fonctions de chef de cour jusqu'à son soixante-huitième anniversaire, dès lors qu'à cette date il n'est pas en fonction depuis sept années ; qu'une telle interprétation est au demeurant retenue pour l'application des dispositions comparables qui concernent les conseillers d'Etat qui président une cour administrative d'appel ; qu'enfin la décision contestée méconnaît le principe de l'inamovibilité des magistrats du siège, énoncé à l'article 65 de la Constitution et repris à l'article 4 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation présentée à l'encontre de cette décision ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 28 décembre 2009 , présenté pour M. A, qui reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; il soutient, en outre, qu'une disposition expresse a été introduite dans le code des juridictions financières par la loi du 21 décembre 2001 pour que les magistrats de la Cour des comptes ne puissent exercer les fonctions de président de chambre régionale des comptes au-delà de la limite d'âge ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2010, présenté par le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui conclut au rejet de la requête ; le ministre soutient, à titre principal, que la requête à fin d'annulation de M. A n'est pas recevable en tant qu'elle est dirigée, non contre une décision faisant grief au requérant, mais contre un courrier par lequel l'administration s'est contentée de donner son interprétation du droit applicable ; il soutient, à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de la disposition contestée ; qu'en premier lieu la directrice des services judiciaires du ministère de la justice et des libertés avait compétence liée pour proposer un poste de conseiller à la Cour de cassation à M. A, dès lors que celui-ci demandait à être maintenu en activité au-delà de la limite d'âge ; qu'il en résulte que l'ensemble des moyens présentés par le requérant sont inopérants ; qu'en deuxième lieu et en tout état de cause, le moyen tiré de l'erreur de droit n'est pas susceptible de créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, dès lors que la loi organique n°86-1303 du 23 décembre 1986, qui doit être interprétée strictement, prévoit explicitement que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation sont maintenus en activité pour exercer les fonctions de conseiller à la Cour de cassation ; que la situation des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation est différente de celle des conseillers d'Etat et des conseillers maîtres à la Cour des comptes, qui peuvent exercer l'ensemble des fonctions afférentes à leur grade, alors que les dispositions organiques applicables aux membres de la Cour de cassation distinguent les fonctions, différentes par leur nature, de conseiller à la Cour de cassation et de premier président de cour d'appel ; qu'enfin la décision contestée ne méconnaît pas le principe de l'inamovibilité des magistrats du siège ; qu'en effet il résulte des dispositions précitées de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et de la loi organique n° 86-1303 du 23 décembre 1986 que, au-delà de 65 ans, le maintien en activité d'un magistrat du siège de la Cour de cassation n'est possible que pour exercer des fonctions de conseiller à la Cour de cassation ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 7 janvier 2010, présenté pour M. A, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 janvier 2010, présenté par le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire en défense ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment les articles 64 et 65 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, et notamment ses articles 37, 76 et 76-1 ;

Vu la loi organique n° 86-1303 du 23 décembre 1986 relative au maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 8 janvier 2010 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Barthélemy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- M. A ;

- les représentants du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant que M. Jacques A, magistrat de l'ordre judiciaire, a été nommé par décret du 21 juillet 2002 conseiller à la Cour de cassation pour exercer les fonctions de premier président de la cour d'appel de Rouen ; qu'un décret du 3 mai 2007 l'a nommé dans les fonctions de premier président de la cour d'appel de Toulouse ; que M. A, qui atteindra le 10 février 2010 l'âge de soixante-cinq ans, a demandé à être maintenu en activité, pour trois ans au-delà de la limite d'âge, dans ses fonctions de premier président de la cour d'appel de Toulouse, en application de la loi organique du 23 décembre 1986 relative au maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation ; que, par une décision du 7 juillet 2009, confirmée le 13 novembre suivant, la directrice des services judiciaires, agissant par délégation du garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande au motif qu'un magistrat du siège de la Cour de cassation ne pouvait être maintenu en activité que pour exercer des fonctions de conseiller à la Cour de cassation ; que M. A demande la suspension de l'exécution de cette décision ;

Considérant que la décision contestée, qui se prononce sur la demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge présentée par M. A, a le caractère d'une décision faisant grief ; que le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés n'est donc pas fondé à soutenir que la requête à fin de suspension présentée par M. A ne pourrait être accueillie au motif que, faute d'être dirigée contre une décision faisant grief, sa demande d'annulation ne serait pas recevable ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 76 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat, la limite d'âge pour les magistrats de l'ordre judiciaire est fixée à soixante-cinq ans. Toutefois est fixée à soixante-huit ans la limite d'âge des magistrats occupant les fonctions de premier président et de procureur général de la Cour de cassation ; que l'article 1er de la loi organique du 23 décembre 1986 prévoit en outre que les magistrats hors hiérarchie du siège et du parquet de la Cour de cassation sont, sur leur demande, maintenus en surnombre en activité pour trois ans au-delà de la limite d'âge pour exercer respectivement les fonctions de conseiller et d'avocat général à la Cour de cassation ;

Considérant, d'autre part, que la loi organique du 25 juin 2001 a modifié l'article 37 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature en prévoyant que nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de premier président d'une même cour d'appel et que la fonction de premier président de cour d'appel est exercée par un magistrat hors hiérarchie du siège de la Cour de cassation ; que, dans la rédaction que lui a donnée la loi organique du 25 juin 2001, l'article 37 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précise qu'un magistrat qui n'occupe pas déjà un emploi de conseiller à la Cour de cassation lors de sa désignation en qualité de premier président de cour d'appel est nommé concomitamment à un emploi hors hiérarchie du siège de la Cour de cassation et que, s'il n'a pas reçu d'autre affectation à l'expiration de la période de sept années qui est la durée maximale d'occupation de ses fonctions dans une même cour d'appel, le premier président est déchargé de celles-ci par décret du Président de la République et exerce alors au sein de la Cour de cassation les fonctions auxquelles il a été initialement nommé ;

Considérant que le moyen tiré de ce que la combinaison des dispositions issues de ces lois organiques ne permet pas au garde des sceaux, ministre de la justice de refuser d'accéder à la demande de maintien en activité pour trois ans au-delà de la limite d'âge, dans les fonctions de premier président de cour d'appel, d'un magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation qui exerce ces fonctions depuis moins de sept années est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée ;

Considérant que, si l'article 76-1 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 prévoit que les magistrats sont maintenus en fonction, sauf demande contraire, jusqu'au 30 juin suivant la date à laquelle ils ont atteint la limite d'âge , la proximité de la date à laquelle M. A atteint la limite d'âge fait apparaître, eu égard aux conséquences qui s'attachent à cette limite, une situation d'urgence ;

Considérant que de tout ce qui précède il résulte que M. A est fondé à demander la suspension de la décision contestée jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux se soit prononcé sur la légalité de cette décision ; qu'il est prévu que la requête à fin d'annulation présentée par M. A sera examinée par la section du contentieux lors de sa séance publique du 26 février prochain ; qu'il appartient, en conséquence, à l'administration de ne régler la situation administrative de M. A, qui a formulé en temps utile, avant son soixante-cinquième anniversaire, une demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge, qu'après la décision que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux rendra à l'issue de cette séance ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision du 7 juillet 2009, confirmée le 13 novembre 2009, par laquelle la directrice des services judiciaires a rejeté la demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge, dans les fonctions de premier président de la cour d'appel de Toulouse, présentée par M. Jacques A est suspendue.

Article 2 : L'Etat versera à M. Jacques A la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Jacques A et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 334507
Date de la décision : 13/01/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2010, n° 334507
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Bernard Stirn
Avocat(s) : SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:334507.20100113
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