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10/05/2010 | FRANCE | N°337874

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 mai 2010, 337874


Vu la requête, enregistrée le 31 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mamadou A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 5 décembre 2009 par laquelle les autorités françaises à Dakar (Sénégal) ont refusé son entrée en France et celle par laquelle le consul général de France à Dakar (Sénégal) a refusé de lui délivrer un visa de long séjour ;

2°) d'enj

oindre aux autorités françaises compétentes de prendre les dispositions nécessaires pou...

Vu la requête, enregistrée le 31 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mamadou A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 5 décembre 2009 par laquelle les autorités françaises à Dakar (Sénégal) ont refusé son entrée en France et celle par laquelle le consul général de France à Dakar (Sénégal) a refusé de lui délivrer un visa de long séjour ;

2°) d'enjoindre aux autorités françaises compétentes de prendre les dispositions nécessaires pour qu'il soit admis à demeurer à titre provisoire sur le territoire français, dans un délai de 3 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, d'enjoindre au consul général de France à Dakar (Sénégal) de lui accorder le visa sollicité et d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire de lui accorder le renouvellement de son récépissé de demande de titre de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que l'urgence est caractérisée compte tenu de la suspension de son traitement et du risque de licenciement pour abandon de poste ; qu'il est atteint de diabète ; que sa fille souffre de son absence ; qu'il subit un préjudice financier important ; qu'il est porté atteinte à un intérêt public en ce qu'il a la charge de la gestion d'un service public municipal ; qu'il existe un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées ; que la décision de refus d'entrée sur le territoire français est entachée d'un défaut de motivation ; qu'elle est entachée d'une erreur de droit en ce que le récépissé de demande de titre de séjour de M. A, en cours de validité, est suffisant pour rentrer sur le territoire national ; qu'elle est illégale au titre de l'exception d'illégalité dès lors qu'elle est fondée sur une circulaire ministérielle du 21 septembre 2009 qui, d'une part, opère une distinction entre les récépissés de demande de renouvellement et ceux de première demande de titre de séjour, non prévue par la loi et qui, d'autre part, méconnaît la liberté d'aller et venir et la liberté d'établissement ; que la décision de refus de délivrance de visa est entachée d'un défaut de motivation en ce qu'elle n'indique pas en quoi les documents de M. A sont inadéquats ou incohérents ; qu'elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que la fraude n'est pas établie ; qu'elle est entachée d'une erreur de fait en ce que sa qualité de fonctionnaire territorial est de nature à démontrer qu'il dispose de ressources suffisantes ; que les décisions attaquées méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles des articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu le recours présenté à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 8 mars 2010 ;

Vu la copie de la requête en annulation présentée par M. A ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2010, présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que le juge des référés ne peut enjoindre à l'administration de délivrer le visa sollicité ; que la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la situation de M. A résulte du retrait de sa nationalité ; que sa situation est due à son manque de diligence ; qu'il ne peut se prévaloir de la qualité de fonctionnaire puisqu'il ne dispose pas de la nationalité française ; qu'il peut bénéficier de soins au Sénégal ; qu'il n'est pas établi que la décision attaquée serait à l'origine des troubles de sa fille ; qu'il n'existe pas de moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ; qu'en effet, la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'est pas entachée par le défaut de motivation de la décision des autorités consulaires, à laquelle elle se substitue ; que la décision de refus de visa n'est pas entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle n'est aucunement fondée sur la circulaire ministérielle du 21 septembre 2009 ; que la circulaire précitée ne porte pas atteinte à la situation de M. A ; que le moyen tiré de l'erreur de fait est inopérant dès lors que la décision contestée ne se fonde pas sur ses ressources ; qu'elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisque le séjour de son épouse et de ses enfants, obtenu par fraude, est dépourvu de base légale ; qu'en outre, la décision contestée ne porte pas atteinte à son droit de mener une vie familiale normale dans son pays d'origine ; qu'elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative au droit de l'enfant dès lors qu'il ne peut se prévaloir de l'intérêt de son enfant qui séjourne frauduleusement en France ; qu'elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'elles ne créent d'obligations qu'à l'égard des Etats ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 7 mai 2010 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Le Bret-Desaché, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- le représentant de M. A ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés et des indications données à l'audience que M. A, qui s'était marié avec Mme Abibatou Keita au Sénégal en 1981 avec laquelle il avait eu trois enfants, est entré en France en 1984 ; qu'il a acquis la nationalité française en 1990 à la suite de son remariage, en 1989, avec une ressortissante française dont il a divorcé le 21 septembre 1993 ; qu'après ce divorce, il s'est marié à nouveau avec Mme Keita et a demandé à ce que cette dernière ainsi que leurs trois enfants puissent le rejoindre en France au titre du regroupement familial ; qu'une décision favorable au regroupement familial est alors intervenue et les visas nécessaires à l'entrée régulière en France de Mme Keita et des enfants ont été délivrés ; que Mme Keita a régulièrement séjourné en France depuis lors ; que M. A et Mme Keita ont eu en France un quatrième enfant né en 2000 ; que M. A est fonctionnaire titulaire de la ville de Metz ;

Considérant toutefois qu'à la suite d'investigations diligentées à l'initiative de la préfecture de la Moselle à l'occasion de l'instruction de la demande de Mme Keita d'accéder à la nationalité française, la cour d'appel de Metz a, par un arrêt en date du 5 décembre 2006 confirmant un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Metz, en se fondant sur les dispositions de l'article 147 du code civil, jugé nul le mariage contracté en 1989 avec une ressortissante française en estimant que M. A n'avait pas valablement établi avoir divorcé de Mme Keita préalablement à son remariage ; que la cour d'appel en a déduit la caducité de la déclaration de nationalité souscrite par l'intéressé et la perte de la nationalité française ; que cet arrêt est devenu définitif après que le pourvoi formé par M. A n'a pas été accueilli par la Cour de cassation le 1er août 2008 ;

Considérant que M. A a ensuite sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; qu'alors qu'il était titulaire d'un récépissé de titre de séjour valable jusqu'au 21 décembre 2009, il s'est rendu au Sénégal au mois de novembre 2009 ; qu'il s'est vu opposer à Dakar, le 5 décembre 2009, un refus d'embarquer à bord de l'avion qui devait lui permettre de regagner la France ; qu'il a alors déposé une demande de visa de long séjour pour rejoindre sa famille, laquelle a été rejetée par le consul général de France à Dakar le 19 janvier 2010 ; que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été saisie le 10 mars 2010 ; que le juge des référés du Conseil d'Etat, saisi le 11 mars 2010 d'une demande fondée sur l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté cette demande par une ordonnance du 17 mars 2010 au motif que la situation de M. A ne présentait pas un caractère d'urgence imminente tel qu'elle conduisait à faire application des dispositions de cet article du code de justice administrative ;

Sur les conclusions à fin de suspension :

Considérant que M. A a présenté, le 31 mars 2010, une nouvelle demande en référé, fondée cette fois sur les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de la décision lui refusant l'entrée sur le territoire français ainsi qu'à la suspension de la décision ayant refusé de lui délivrer un visa de long séjour ; que ces dernières conclusions, qui relèvent, eu égard à la date à laquelle elles ont été présentées, de la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat, sont recevables alors même que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne s'est pas encore prononcée sur le recours qui lui a été adressé ; que les conclusions à fin de suspension de la décision de refus d'entrée ne sont, dans les circonstances de l'affaire, pas manifestement insusceptibles de se rattacher à la compétence du Conseil d'Etat ; qu'il appartient en conséquence au juge des référés du Conseil d'Etat de se prononcer sur la requête de M. A ;

En ce qui concerne la condition d'urgence :

Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'exécution des décisions contestées interdit à M. A de regagner son domicile et de rejoindre son épouse et son enfant âgé de neuf ans ainsi que les autres membres de sa famille qui résident régulièrement en France ; qu'en lui interdisant de reprendre l'exercice de ses activités professionnelles, cette exécution le prive, de même que sa famille, de ressources financières, sa rémunération ayant été temporairement suspendue par la ville de Metz en l'absence de service fait ; qu'elle porte ainsi gravement atteinte à la situation de M. A ; que, d'une part, la circonstance alléguée en défense que l'intéressé se serait lui-même placé dans cette situation en se rendant au Sénégal de sa propre initiative comme, d'autre part, l'intérêt public qui s'attache au respect de la chose jugée par l'autorité judiciaire ne sont pas, dans les circonstances de l'espèce, de nature à retirer à la situation son caractère d'urgence ; qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence, telle qu'exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, est remplie au cas présent ;

En ce qui concerne la légalité des décisions attaquées :

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance./ 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ;

Considérant que la circonstance que M. A a perdu la nationalité française par l'effet de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Metz est sans incidence sur l'appréciation de la réalité de sa situation personnelle et familiale et ne saurait le priver du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A vit en France depuis 1984 ; que son épouse, régulièrement entrée en France en 1993, y réside depuis lors régulièrement et est titulaire d'une carte de résident, dont la délivrance est créatrice de droits, valable jusqu'en octobre 2013 ; que leurs quatre enfants, dont le dernier, âgé de neuf ans, est né en France, résident régulièrement en France de même que leurs trois petits-enfants nés en France ; que les décisions attaquées, en interdisant à M. A de regagner son domicile et de rejoindre sa famille après un bref séjour au Sénégal, ont brutalement interrompu ses relations familiales ; que, de plus, du fait de sa résidence régulière et habituelle en France depuis plus de vingt cinq ans, M. A a noué, au titre de sa vie privée comme de son activité professionnelle, des relations personnelles et sociales en France, également interrompues par l'exécution des décisions attaquées, dont la qualité est attestée par les pièces versées au dossier et notamment, pour ce qui concerne son action dans le domaine social, par l'attestation signée par le maire de Metz ;

Considérant, dans ces conditions, que le moyen tiré de ce que ces décisions ont porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquelles elles ont été prises et traduisent ainsi une ingérence non nécessaire dans une société démocratique est, en l'état de l'instruction, propre à faire sérieusement douter de la légalité des décisions attaquées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A est fondé à demander la suspension des décisions qu'il conteste ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, de réexaminer, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la présente ordonnance et dans le respect des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la demande de visa présentée par M. A, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution des décisions ayant refusé à M. A l'entrée sur le territoire français et la délivrance d'un visa de long séjour est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la présente ordonnance, la demande de visa présentée par M. A.

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Mamadou A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 337874
Date de la décision : 10/05/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2010, n° 337874
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stahl
Rapporteur ?: M. Jacques-Henri Stahl
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:337874.20100510
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