La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2010 | FRANCE | N°306832

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 10 juin 2010, 306832


Vu le pourvoi, enregistré le 22 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de M. Philippe A contre le jugement du 4 novembre 2004 du tribunal administratif de Poitiers, a annulé ce jugement et accordé à M. A la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti

au titre de l'année 2000, ainsi que des intérêts de retard co...

Vu le pourvoi, enregistré le 22 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 26 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de M. Philippe A contre le jugement du 4 novembre 2004 du tribunal administratif de Poitiers, a annulé ce jugement et accordé à M. A la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2000, ainsi que des intérêts de retard correspondants ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur,

- les observations de Me de Nervo, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me de Nervo, avocat de M. A ;

Considérant qu'aux termes de l'article 151 octies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées par une personne physique à l'occasion de l'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition de l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé affectés à l'exercice d'une activité professionnelle ou de l'apport d'une branche complète d'activité peuvent bénéficier des dispositions suivantes : / a. L'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables fait l'objet d'un report jusqu'à la date de la cession à titre onéreux ou du rachat des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations par la société si elle est antérieure (...) / b. L'imposition des plus-values afférentes aux autres immobilisations est effectuée au nom de la société bénéficiaire de l'apport selon les modalités prévues au d du 3 de l'article 210 A pour les fusions de sociétés (...) ; que, pour l'application de ces dispositions, l'apport de l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé affectés à l'exercice d'une activité professionnelle peut comprendre des éléments du passif de l'exploitation, à l'exclusion des dettes personnelles de l'apporteur sans lien avec l'exploitation ; que le bénéfice du report d'imposition prévu à cet article est soumis à la condition que l'actif immobilisé net des éléments de passif éventuellement compris dans l'apport et directement attachés à ces immobilisations ait été rémunéré exclusivement sous forme d'actions ou de parts sociales de la société bénéficiaire de l'apport ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a fait apport le 30 septembre 2000 à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), dont il était l'unique associé, de l'ensemble des éléments d'exploitation de l'entreprise individuelle de régie publicitaire qu'il exploitait depuis 1994 ; qu'il a reçu en échange des parts de l'EURL pour une valeur de 701 874 F (107 000 euros) correspondant à la différence entre l'actif immobilisé apporté et l'excédent du passif repris sur l'actif circulant apporté ; que le contribuable a placé la plus-value résultant de cette opération sous le régime de report d'imposition prévu à l'article 151 octies du code général des impôts ; qu'à l'issue de la vérification de comptabilité de l'entreprise individuelle, l'administration a remis en cause le bénéfice de ce régime et imposé immédiatement la plus-value réalisée au titre de l'année 2000 ;

Considérant que, pour faire droit, par l'arrêt attaqué, à l'appel présenté par M. A contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers qui avait rejeté sa demande en décharge des impositions supplémentaires résultant de ce redressement, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que, lorsqu'un entrepreneur individuel apporte à une société l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé affecté à l'exercice de son activité professionnelle, le transfert à la société du passif professionnel lié à l'activité ne fait pas obstacle à ce que cet entrepreneur bénéficie des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si ce passif professionnel était directement attaché aux immobilisations apportées, la cour a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, que si M. A soutient que le directeur des services fiscaux a, pour rejeter sa réclamation, retenu une base légale différente de celle sur laquelle l'administration avait fondé les redressements au cours de la procédure d'imposition, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas ainsi été mis à même de se défendre équitablement devant l'administration ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté, dès lors que l'administration, qui ne peut renoncer au bénéfice de la loi fiscale, est en droit, lorsqu'elle statue sur la réclamation du contribuable, de substituer à cette fin une base légale nouvelle à celle initialement retenue pour la liquidation des impositions et que le contribuable peut contester ce nouveau fondement, de manière contradictoire, dans le cadre de la procédure contentieuse devant la juridiction administrative saisie du litige ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la valeur des titres reçus par M. A en contrepartie de l'apport à l'origine du litige a été calculée en déduisant de la valeur des immobilisations apportées un passif dont il est constant qu'aucun de ses éléments n'était directement attaché à ces immobilisations ; qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut que cette opération n'entre pas, par suite, dans le champ des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts ;

Considérant, en troisième lieu, que M. A se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la réponse ministérielle du 20 février 1995 à la question posée par M. BorlooBorloo, député, de savoir si, pour l'application de l'article 151 octies du code général des impôts, l'apport en société d'une entreprise individuelle peut être placé sous ce régime de faveur lorsqu'il est réalisé pour partie à titre onéreux à la suite soit d'une prise en charge du passif, soit du versement immédiat ou différé de sommes d'argent ; que, selon les termes de cette réponse, pour l'application de ce texte, l'apport peut s'accompagner de la prise en charge des éléments de passif qui sont directement attachés à l'entreprise ; que cette réponse, qui n'avait pas été rapportée par l'administration à la date du fait générateur de l'imposition en litige, constitue, contrairement à ce que le tribunal administratif a jugé, une interprétation formelle de la loi fiscale qui est opposable à l'administration en ce qu'elle admet que les titres reçus en contrepartie de l'apport peuvent rémunérer la valeur des immobilisations apportées nette de tous éléments de passif directement attachés à l'entreprise individuelle de l'apporteur, et non seulement des éléments de passif directement attachés aux immobilisations de cette entreprise ;

Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction qu'un emprunt souscrit par M. A auprès d'un établissement bancaire le 30 mai 2000 est au nombre des éléments de passif pris en charge par la société bénéficiaire de l'apport, et dont la valeur est venue en déduction, pour la détermination de la rémunération sous forme de titres de l'apport, de la valeur des immobilisations ; qu'il ressort des termes mêmes de l'offre de prêt figurant au dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté qu'il s'agissait d'un emprunt personnel non affecté ; que si M. A fait état d'éléments tendant à démontrer l'affectation à des dépenses professionnelles du produit de cet emprunt, au demeurant pour une fraction seulement de son montant, l'administration fait valoir, sans être sérieusement contredite, qu'à supposer même qu'une partie du produit de cet emprunt ait été affectée à de telles dépenses, sa souscription ne s'explique que par l'existence de besoins de trésorerie de l'entreprise apparus à la suite de prélèvements personnels effectués par M. A pour des montants très supérieurs aux résultats de son entreprise ; que, dans ces conditions, cet emprunt ne saurait être regardé comme directement attaché à l'entreprise individuelle de M. A ; que par conséquent, l'apport à l'origine du litige n'entre pas dans les prévisions de la réponse ministérielle du 20 février 1995 à M. Borloo ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande ;

Considérant, enfin que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 26 avril 2007 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Bordeaux et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT et à M. Philippe A.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 306832
Date de la décision : 10/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2010, n° 306832
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Rapporteur public ?: M. Olléon Laurent
Avocat(s) : DE NERVO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:306832.20100610
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award