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28/03/2012 | FRANCE | N°322803

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 28 mars 2012, 322803


Vu la requête, enregistrée le 1er décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Michel A, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de Mlle Merveille B et de Mlle Dorcas C, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision implicite du consul général de France à Kinshasa (République démocratique du Congo) en tant qu'elle a re

fusé à Mlle Merveille B et à Mlle Dorcas C un visa d'entrée et de long séj...

Vu la requête, enregistrée le 1er décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Michel A, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de Mlle Merveille B et de Mlle Dorcas C, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision implicite du consul général de France à Kinshasa (République démocratique du Congo) en tant qu'elle a refusé à Mlle Merveille B et à Mlle Dorcas C un visa d'entrée et de long séjour en France au titre du regroupement familial ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer les demandes de visa dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Borie et Associés, avocat de M. A, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79 587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thierry Carriol, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, ressortissant de la République démocratique du Congo, entré en France le 1er juin 2001 et détenteur d'un titre de résident, a obtenu le 10 juin 2005 du préfet de la Creuse une autorisation de regroupement familial au bénéfice, d'une part, de Mme Cécile D, d'autre part, de la fille qu'ils ont eue ensemble, Mlle Dorcas C et, enfin, de Mlle Merveille B, fille qu'il a eue d'une précédente épouse aujourd'hui décédée, ces deux enfants vivant chez Mme Cécile D en République démocratique du Congo ; qu'il s'est vu refuser, par décision implicite du consul général de France à Kinshasa, les trois visas qu'il sollicitait au nom des trois personnes dont il vient d'être fait mention ; que, séparé de Mme Cécile D et remarié en France depuis le 18 juillet 2008, il n'a contesté le refus des autorités consulaires devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qu'en tant qu'il concerne ses deux enfants ; qu'il demande l'annulation de la décision de la commission confirmant les refus opposés à Mlles Dorcas C et Merveille B ;

Sur la légalité externe :

Considérant, en premier lieu, que, postérieurement à l'introduction de la requête devant le Conseil d'Etat dirigée contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours de M. A contre la décision implicite du consul général de France à Kinshasa prise à la suite de la demande de M. A introduite le 23 mai 2006, la commission a confirmé ce rejet par une décision explicite et motivée en date du 26 novembre 2009 intervenue en cours d'instance ; que, par suite, les conclusions de la requête doivent être regardées comme dirigées contre cette dernière décision ; que, dès lors, du fait de l'intervention de la décision de la commission en date du 26 novembre 2009, le moyen tiré d'une absence de motivation dont serait entachée la décision implicite de la commission est inopérant ;

Considérant, en second lieu, que M. A n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 aux termes desquelles : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ", dès lors que la décision attaquée, qui a été prise sur demande de l'intéressé et pour le compte de ses filles, Mlles Merveille B et Dorcas C, relève de l'exception prévue par ces dispositions ;

Sur la légalité interne :

Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que, dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;

Considérant que pour rejeter le recours dont elle était saisie contre les refus de visas opposés par les autorités consulaires, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur l'intérêt supérieur de Mlle Merveille B et sur le caractère incomplet et apocryphe des éléments relatifs à la situation maritale de M. A ;

Considérant, d'une part, que seuls des motifs tirés de l'atteinte à l'ordre public peuvent justifier légalement une décision de rejet de demande de visa lorsque le regroupement familial a été autorisé par le préfet ; que, par suite, le motif du refus de visa retenu par la commission et fondé, dans de telles circonstances, sur le motif tiré de l'intérêt supérieur de Mlle Merveille B est entaché d'illégalité ;

Considérant, d'autre part, que l'administration n'apporte pas la preuve de ce qu'elle allègue sur le caractère inauthentique du jugement de divorce prononcé entre le requérant et la mère de Mlle Dorcas C ;

Considérant que, pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire invoque, dans son mémoire en défense enregistré le 7 décembre 2009 et communiqué à M. A le 8 décembre 2009, un autre motif tiré de ce que la commission aurait été fondée à lui opposer la circonstance que l'intéressé, postérieurement à la mesure de regroupement familial pour son ex-épouse et ses deux enfants, avait limité son recours au cas de ces derniers, manifestant une volonté de détournement de la procédure ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans " ; qu'il appartient aux autorités chargées de statuer sur une demande de visa de séjour faisant suite à une mesure de regroupement familial accordée à un ressortissant étranger de vérifier si celui-ci remplit la condition mentionnée ci-dessus et tenant à la situation du demandeur au regard des règles relatives à l'état des personnes ;

Considérant que la demande de M. A en faveur de Mlle Merveille B a eu lieu postérieurement au décès de la mère de celle-ci intervenu en 1998 ; que si l'intéressé s'est remarié à deux reprises depuis lors et si Mlle Merveille B réside en République démocratique du Congo auprès de la deuxième épouse du requérant, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé conservait, à la date de la décision attaquée, son droit au regroupement familial ; que, par suite, le motif invoqué par le ministre dans son mémoire en défense n'est pas légalement justifié ;

Considérant en revanche que M. A ne peut utilement se prévaloir de l'autorisation de regroupement familial à l'appui de la demande de visa formulée en faveur de sa fille Dorcas C dès lors que l'union avec la mère de cette dernière, qui fondait la demande de regroupement familial, n'existait plus à la date de la décision de la commission ; qu'en raison de ces circonstances, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'aurait commis ni erreur de droit, ni erreur d'appréciation, en relevant que M. A avait perdu la qualité au titre de laquelle il avait obtenu le regroupement familial en faveur de sa fille et pour le couple qu'il formait avec la mère de celle-ci ; que la commission n'aurait pas davantage porté au droit de l'intéressée à une vie familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce motif ; que, dès lors, il y a lieu de procéder, dans le cas de Mlle Dorcas C, à la substitution de motif demandée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée qu'en tant qu'elle refuse la délivrance d'un visa à Mlle Merveille B ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à l'administration de réexaminer la seule demande de visa de Mlle Merveille B dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sans que cette injonction soit assortie d'une astreinte ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 novembre 2009 est annulée en tant qu'elle refuse la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à Mlle Merveille B.

Article 2 : Il est enjoint aux services consulaires de l'ambassade de France à Kinshasa de réexaminer la demande de visa de Mlle Merveille B dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Michel A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 322803
Date de la décision : 28/03/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 ÉTRANGERS. ENTRÉE EN FRANCE. VISAS. - DEMANDE DE VISA AU TITRE DU REGROUPEMENT FAMILIAL POUR UN ENFANT - UNION AVEC LA MÈRE DE L'ENFANT N'EXISTANT PLUS À LA DATE DE LA DÉCISION STATUANT SUR LA DEMANDE - CONSÉQUENCE - POSSIBILITÉ POUR LE RESSORTISSANT ÉTRANGER DE SE PRÉVALOIR UTILEMENT DE L'AUTORISATION DE REGROUPEMENT FAMILIAL PRÉALABLEMENT OBTENUE - ABSENCE.

335-005-01 Un ressortissant étranger ayant obtenu une autorisation de regroupement familial ne peut utilement se prévaloir de cette autorisation à l'appui de la demande de visa d'entrée et de long séjour formulée en faveur de son enfant, dès lors que l'union avec la mère de ce dernier, qui fondait la demande de regroupement familial formulée au titre de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), n'existait plus à la date de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 mar. 2012, n° 322803
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Philippe Martin
Rapporteur ?: M. Thierry Carriol
Rapporteur public ?: M. Julien Boucher

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:322803.20120328
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