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04/04/2012 | FRANCE | N°326200

France | France, Conseil d'État, 5ème sous-section jugeant seule, 04 avril 2012, 326200


Vu le pourvoi, enregistré le 17 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° S 07/00047 du 15 janvier 2009 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a réformé le jugement n° 05/046 du 13 juin 2007 du tribunal départemental des pensions de Paris et accordé à M. Hamady A la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, les arrérages ainsi que les intérêts moratoires et intérêts capit

alisés y afférents à compter du 1er janvier 2001 ;

2°) réglant l'affai...

Vu le pourvoi, enregistré le 17 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° S 07/00047 du 15 janvier 2009 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a réformé le jugement n° 05/046 du 13 juin 2007 du tribunal départemental des pensions de Paris et accordé à M. Hamady A la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, les arrérages ainsi que les intérêts moratoires et intérêts capitalisés y afférents à compter du 1er janvier 2001 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

Vu la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 du Conseil constitutionnel ;

Vu la décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Brouchot, avocat de M. Hamady A,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Brouchot, avocat de M. Hamady A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Hamady A, ressortissant sénégalais ayant servi dans l'armée française du 8 octobre 1954 au 1er août 1960, s'est vu attribuer à compter du 15 octobre 1989 une pension militaire d'invalidité de 15%, concédée initialement au taux cristallisé en vigueur au 2 janvier 1975, en application de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960, modifié par l'article 22 de la loi de finances rectificative du 31 décembre 1981, avant d'être revalorisée, à compter du 1er janvier 1999, en application des I, II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 ; que, par courrier du 25 octobre 2004, M. A a saisi le payeur général du trésor d'une demande tendant à ce que le taux de sa pension soit, à compter du 15 octobre 1989, revalorisé à un taux identique à celui des anciens combattants français et à ce que lui soient versés les arrérages de sa pension revalorisée échus à compter de cette date, assortis des intérêts moratoires et de leur capitalisation ; que, sa demande ayant été rejetée, M. A a saisi le tribunal départemental des pensions de Paris qui, par jugement du 13 juin 2007, a fait droit à cette demande ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 janvier 2009 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a, sur son appel, réformé partiellement ce jugement en fixant au 1er janvier 2001 la date de la revalorisation de la pension, et jugé que M. A avait droit à compter de cette date aux arrérages correspondant à la différence entre le montant de la pension revalorisée et celui qui lui a été versé ainsi qu'aux intérêts afférents et à leur capitalisation ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, pour écarter l'application au cas de M. A des dispositions des I, II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 instituant un dispositif de révision des prestations versées aux ressortissants de pays placés antérieurement sous souveraineté française et résidant hors de France lors de la liquidation de leurs droits à pension, la cour régionale des pensions s'est bornée à indiquer que ces dispositions législatives étaient discriminatoires au regard des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans s'expliquer sur les raisons qui la conduisaient à une telle conclusion ; que le ministre de la défense et des anciens combattants est par suite fondé à soutenir que son arrêt est insuffisamment motivé et à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la décristallisation de la pension et le versement d'arrérages :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause " ; qu'enfin aux termes du troisième alinéa du même article : " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. " ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution qu'une disposition législative déclarée contraire à la Constitution sur le fondement de l'article 61-1 n'est pas annulée rétroactivement mais abrogée pour l'avenir à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par sa décision ; que par sa décision n° 2010-108 QPC en date du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que " si, en principe la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration " ;

Considérant que, lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposition déclarée inconstitutionnelle, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions précitées, soit de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la décision a produits sont susceptibles d'être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu'il aura prises pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution du litige, au besoin d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur ;

Considérant que, par sa décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, à l'exception de celles de son paragraphe VII ; qu'il a jugé que " afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, l'abrogation des dispositions précitées prendra effet à compter du 1er janvier 2011 ; afin de préserver l'effet utile de la présente décision, il appartient, d'une part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu'au 1er janvier 2011 dans les instances dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d'autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de la présente décision " ;

Considérant que, à la suite de cette décision, l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a défini de nouvelles dispositions pour le calcul des pensions militaires d'invalidité, des pensions civiles et militaires de retraite et des retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placées sous le protectorat ou la tutelle de la France, et abrogé plusieurs dispositions législatives, notamment celles de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960 ; que, par ailleurs, son paragraphe VI prévoit que : " Le présent article est applicable aux instances en cours à la date du 28 mai 2010, la révision des pensions prenant effet à compter de la date de réception par l'administration de la demande qui est à l'origine de ces instances " ; qu'enfin, aux termes du XI du même article : " Le présent article entre en vigueur au 1er janvier 2011 " ;

En ce qui concerne la période postérieure au 25 octobre 2004 :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et celles de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 qui définissaient, à la date de la décision attaquée, le montant des droits à pension militaire d'invalidité de M. A, ont été abrogées à compter du 1er janvier 2011, les premières par l'article 211 de la loi de finances pour 2011, les secondes par la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 ; qu'en application du VI de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, dont la portée a été précisée ci-dessus, il y a lieu d'écarter ces dispositions législatives pour statuer sur la demande de M. A tendant à obtenir une pension militaire d'invalidité décristallisée à compter de la date de réception de sa demande par l'administration, soit à compter du 25 octobre 2004 ;

Considérant que l'article 211 de la loi de finances pour 2011 prévoit de nouvelles règles pour le calcul du montant des pensions des personnes qu'il mentionne ; que ces règles, ainsi que le reconnaît d'ailleurs le ministre, sont applicables pour le calcul de la pension militaire d'invalidité de M. A à compter du 25 octobre 2004, date de sa demande ; que c'est par suite à bon droit que le tribunal départemental des pensions de Paris a reconnu à M. A le droit à une pension d'invalidité au taux français à compter du 25 octobre 2004 et au versement des arrérages correspondant à la différence entre le montant de la pension ainsi revalorisée et celui qui lui a été versé ;

En ce qui concerne la période antérieure au 25 octobre 2004 :

Quant au rappel des arrérages de la pension militaire d'invalidité de M. A :

Considérant que, dans l'exercice du contrôle de conformité des lois à la Constitution qui lui incombe selon la procédure définie à l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a le pouvoir d'abroger les dispositions législatives contraires à la Constitution ; que les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher ; qu'il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit à l'ensemble des conclusions du requérant en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit, pour statuer sur les conclusions qu'il n'a pas déjà accueillies, écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne dont la méconnaissance n'aurait pas été préalablement sanctionnée ;

Considérant qu'à cette fin, lorsqu'est en litige une décision refusant au requérant l'attribution d'un droit auquel il prétend et qu'est invoquée l'incompatibilité de la disposition sur le fondement de laquelle le refus lui a été opposé avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, il incombe au juge, en premier lieu, d'examiner si le requérant peut être regardé comme se prévalant d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel et, en second lieu, quand tel est le cas, si la disposition législative critiquée doit être écartée comme portant atteinte à ce bien de façon discriminatoire et, par suite, comme étant incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention ;

Considérant qu'aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959, rendu applicable aux ressortissants sénégalais par l'article 14 de la loi du 21 décembre 1979, modifié par l'article 22 de la loi du 31 décembre 1981 : " I - A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation (...) " ; qu'aux termes de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 : " I. - Les prestations servies en application des articles 170 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959, 71 de la loi de finances pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959) et 26 de la loi de finances rectificative pour 1981 (n° 81-734 du 3 août 1981) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants./ II. - Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France. Les parités de pouvoir d'achat du pays de résidence sont réputées être au plus égales à celles de la France. (...) / Les parités de pouvoir d'achat sont celles publiées annuellement par l'Organisation des Nations unies ou, à défaut, sont calculées à partir des données économiques existantes. / III. - Le coefficient dont la valeur du point de pension est affectée reste constant jusqu'au 31 décembre de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu la liquidation des droits effectuée en application de la présente loi. Ce coefficient, correspondant au pays de résidence du titulaire lors de la liquidation initiale des droits, est ensuite réévalué annuellement. / (...) " ;

Considérant que M. A soutient que les dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu'elles instaurent une discrimination fondée sur la nationalité en faisant dépendre le montant de la pension militaire d'invalidité attribuée au militaire de nationalité étrangère de son lieu de résidence au moment de la liquidation initiale de celle-ci, alors qu'elles ne prévoient pas la prise en compte d'un critère de résidence pour le pensionné de nationalité française ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ;

Considérant, d'une part, que les pensions d'invalidité accordées aux anciens combattants et victimes de la guerre, qui sont des allocations pécuniaires personnelles, constituent pour leurs bénéficiaires des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er précité du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. A peut demander au juge d'écarter l'application des dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 en invoquant leur incompatibilité avec les stipulations de l'article 14 de la convention ;

Considérant, d'autre part, qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ; que les pensions d'invalidité servies en application du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de la guerre ont pour objet de garantir à leurs bénéficiaires une réparation due à raison d'infirmités imputables aux événements ou circonstances décrits à l'article L. 2 du code et de compenser les pertes de revenus et les charges financières résultant de ces infirmités ; qu'en faisant dépendre, pour les seuls pensionnés de nationalité étrangère, le montant de la pension militaire d'invalidité d'un critère de résidence au moment de la liquidation initiale de celle-ci, les dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 instaurent une différence de traitement entre les titulaires de pensions, quant à la fixation du montant de ces dernières, qui n'est pas justifiée par une différence de situation eu égard à l'objet des pensions militaires d'invalidité ; que cette différence de traitement ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec l'objectif de la loi du 30 décembre 2002 ; que les dispositions des II et III de l'article 68 de cette loi étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le ministre de la défense était tenu d'en écarter l'application ;

Considérant, en outre, que M. A peut, contrairement à ce que soutient le ministre, sans qu'y fassent obstacle les dispositions du second alinéa du IV de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, demander au juge d'écarter l'application des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 ; que ces dernières dispositions, qui créent une différence de traitement, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de pensions, en interdisant toute revalorisation, à compter de la date qu'elles fixent, pour les seules pensions de militaires qui n'ont pas la nationalité française, sans que le critère de nationalité puisse être regardé comme un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi, sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal départemental des pensions de Paris a jugé que les dispositions du I de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 étaient, en tant qu'ils concernent les pensions militaires d'invalidité, incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à demander qu'il soit fait application de ces dispositions ;

Quant à la prescription :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la troisième année qui suit celle de l'entrée en jouissance normale de la pension, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures " ;

Considérant que le fait que M. A n'ait demandé la décristallisation de sa pension militaire d'invalidité que le 25 octobre 2004 résulte d'un fait personnel qui lui est imputable, au sens de ces dispositions, dès lors qu'aucune circonstance ne l'empêchait de se prévaloir, dès la date de cette liquidation, des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre des dispositions du I de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ; que, dès lors que le ministre a opposé la prescription instituée par ces dispositions, M. A ne pouvait prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée auprès de l'administration et aux trois années antérieures ; que l'intéressé ayant présenté, ainsi qu'il a été dit, sa demande de revalorisation de sa pension le 25 octobre 2004, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal départemental des pensions de Paris a fixé au 15 octobre 1989 la date de la revalorisation de la pension accordée à M. A et à demander que cette date soit, conformément aux dispositions de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, fixée au 1er janvier 2001 ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant que M. A a demandé le versement des intérêts sur les arrérages de la pension militaire d'invalidité qui lui étaient dus ; qu'il y a lieu de faire droit à ses conclusions, à compter du 25 octobre 2004, date de réception de sa demande de décristallisation de sa pension militaire d'invalidité ; qu'il a simultanément demandé la capitalisation des intérêts afférents à ces arrérages ; qu'à cette date, il n'était pas dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande, seulement à compter du 25 octobre 2005 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal départemental des pensions de Paris a accordé à M. A le bénéfice des intérêts sur les sommes qui lui sont dues et de leur capitalisation à compter d'une date antérieure ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Paris du 15 janvier 2009 est annulé.

Article 2 : Le jugement du 13 juin 2007 du tribunal départemental des pensions de Paris est annulé en tant qu'il accorde à M. A le bénéfice d'une pension d'invalidité revalorisée pour la période du 15 octobre 1989 au 1er janvier 2001 et en tant qu'il assortit les sommes qui lui sont dues des intérêts de droit capitalisés à compter du 15 octobre 1989.

Article 3 Le rappel d'arrérages de la pension de M. A sera assorti des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2004. Les intérêts dus au 25 octobre 2005 et à chaque échéance annuelle ultérieure seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le surplus des conclusions du recours du ministre de la défense et des anciens combattants devant la cour régionale des pensions de Paris est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS et à M. Hamady A.


Synthèse
Formation : 5ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 326200
Date de la décision : 04/04/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2012, n° 326200
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Sylvie Hubac
Rapporteur ?: M. Philippe Ranquet
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : BROUCHOT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:326200.20120404
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