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22/06/2012 | FRANCE | N°332172

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 22 juin 2012, 332172


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre et 21 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Guy A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0801971/2 du 2 juillet 2009 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 octobre 2007 par laquelle la Banque de France a refusé de lui accorder le bénéfice des dispositions des articles 12-2 et 23 du règlement annexé au décret du 29 mars 1968 portant régi

me de retraites des agents de la Banque de France, à ce qu'il soit enjoi...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre et 21 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Guy A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0801971/2 du 2 juillet 2009 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 octobre 2007 par laquelle la Banque de France a refusé de lui accorder le bénéfice des dispositions des articles 12-2 et 23 du règlement annexé au décret du 29 mars 1968 portant régime de retraites des agents de la Banque de France, à ce qu'il soit enjoint à la Banque de France de lui accorder le bénéfice de ces dispositions à compter du 31 octobre 2002, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de rectifier en conséquence le montant de son titre de pension, avec intérêts de droit ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision en date du 25 octobre 2007 par laquelle la Banque de France a refusé de réviser sa pension de retraite et d'enjoindre à la Banque de France de prendre les mesures impliquées par la décision dans un délai de deux mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la Banque de France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel, notamment son article 1er ;

Vu le traité de Rome instituant la Communauté européenne, ainsi que le traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 68-300 du 29 mars 1968 ;

Vu le décret n° 2007-262 du 27 février 2007 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Natacha Chicot, Auditeur,

- les observations de la SCP Richard, avocat de M. A, et de la SCP Laugier, Caston, avocat de la Banque de France,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Richard, avocat de M. A, et à la SCP Laugier, Caston, avocat de la Banque de France ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A, ancien agent de la Banque de France, a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er octobre 2002 par une décision de la Banque de France du 31 octobre 2002 ; que, par un courrier du 5 septembre 2007 adressé au gouverneur de la Banque de France, M. A a sollicité le bénéfice, à titre rétroactif, d'une part, des bonifications de service d'un an par enfant accordées aux agents féminins de la Banque de France sur le fondement de l'article 12-2 du règlement de retraite des agents titulaires de la Banque de France annexé au décret du 29 mars 1968, en vigueur à la date de liquidation de sa pension, d'autre part, de la majoration de pension accordée aux agents ayant élevé au moins trois enfants prévue par l'article 23 du même règlement ; que, par une décision du 25 octobre 2007, le chef du service des pensions de la Banque de France a rejeté la demande de M. A au motif que son titre de pension était devenu définitif en vertu de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ; que, par jugement du 2 juillet 2009, le tribunal administratif de Melun, après avoir déclaré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A tendant à l'application à sa situation de l'article 23 du règlement des pensions de retraite de la Banque de France, a rejeté le surplus de ses conclusions ; que le pourvoi formé par M. A doit, eu égard à son argumentation, être regardé comme dirigé contre l'article 2 de ce jugement, par lequel le tribunal administratif a rejeté le surplus des conclusions de l'intéressé, relatif à l'application à sa situation de l'article 12-2 du règlement des pensions de retraite de la Banque de France ;

Considérant que si la Banque de France constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public, elle n'a pas le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres ; qu'au nombre de ces caractéristiques figure l'application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée ; que le code des pensions civiles et militaires de retraite qui, en vertu de son article L. 2, bénéficie seulement aux fonctionnaires civils de l'Etat, aux magistrats de l'ordre judiciaire, aux militaires ou à leurs ayants droits, n'est pas applicable aux agents de la Banque de France ; que le régime de retraite applicable à ces agents a été régi, en vertu des articles L. 711-1 et R. 711-1 du code de la sécurité sociale, par le décret du 29 mars 1968 relatif au régime de retraite des agents titulaires de la Banque de France puis, à compter du 1er avril 2007, par le décret du 27 février 2007 ; que, par suite, le tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions de l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite pour rejeter le surplus des conclusions de M. A ; que ce dernier est, par suite, fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, que les décisions portant concession de pension régulièrement notifiées deviennent définitives et intangibles si elles ne sont pas contestées par les voies et dans les délais de recours de droit commun ; que si, en vertu des règles générales applicables au retrait des actes administratifs, l'auteur d'une décision individuelle expresse créatrice de droits peut légalement la rapporter, à la condition que cette décision soit elle-même illégale, dans le délai de quatre mois suivant la date à laquelle elle a été prise, le caractère intangible des décisions portant concession de pension fait obstacle à ce que leur bénéficiaire puisse en demander le retrait une fois cette dernière devenue définitive ;

Considérant que si l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit une dérogation au caractère intangible des décisions portant concession de pension en permettant, notamment, sur demande de l'intéressé ou à l'initiative de l'administration, la révision des pensions devenues définitives dans un délai d'un an à compter de leur notification en cas d'erreur de droit, aucune disposition du décret du 29 mars 1968 ainsi qu'aucun principe ou disposition du régime général de la sécurité sociale ne permettait au requérant, titulaire d'un titre de pension devenu définitif, de se prévaloir d'une telle dérogation ; qu'il appartenait, par suite, à M. A, s'il souhaitait contester la légalité de son titre de pension, de saisir la juridiction administrative dans les deux mois suivants sa notification ; que la Banque de France pouvait, dès lors, à bon droit, arguer du caractère définitif de sa décision du 31 octobre 2002 portant concession de pension pour refuser d'accéder à la demande de M. A, quand bien même cette dernière devrait être regardée comme tendant non pas à la révision mais au retrait de la décision du 31 octobre 2002 ;

Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que, statuant sur une question préjudicielle relative à une bonification d'ancienneté similaire, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 29 novembre 2001, un arrêt interprétant une disposition du droit communautaire sans limiter les effets dans le temps de cet arrêt n'affecte pas le droit d'un Etat membre de l'Union européenne d'opposer aux demandes de modification de pensions établies en violation de cette disposition un délai de forclusion, dès lors que ce délai, mentionné à l'article R. 421-1 du code de justice administrative, s'applique de la même manière aux recours qui sont fondés sur le droit communautaire et à ceux qui sont fondés sur le droit interne ; que M. A n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision la Cour de justice des Communautés européennes du 29 novembre 2001 fait obstacle à ce que la modification qu'il réclame lui soit refusée au motif que son titre de pension est devenu définitif ; qu'il n'établit pas, en outre, en quoi il serait ainsi porté atteinte à l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au droit à un recours effectif ni en quoi il pourrait utilement invoquer la prescription quinquennale prévue à l'article L. 3245-1 du code du travail ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la partie de la décision qu'il attaque ; que ses conclusions doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A, le versement de la somme demandée par la Banque de France sur le fondement de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Melun en date du 2 juillet 2009 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A devant le tribunal administratif de Melun et relatives à l'application à sa situation de l'article 12-2 du règlement des pensions de retraite de la Banque de France sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la Banque de France tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Guy A et à la Banque de France.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 332172
Date de la décision : 22/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - BANQUE DE FRANCE - AGENTS - PENSIONS - 1) CONTESTATION DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF - COMPÉTENCE DE PREMIER ET DERNIER RESSORT DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS (ART - R - 222-13 DU CJA) (SOL - IMPL - ) - 2) INTANGIBILITÉ DES DÉCISIONS DE CONCESSION DEVENUES DÉFINITIVES - EXISTENCE - CONSÉQUENCE - IMPOSSIBILITÉ DU RETRAIT.

13-025 1) Les litiges relatifs aux pensions des agents de la Banque de France ont le caractère de litiges en matière de pensions au sens du 3° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative (CJA) et relèvent donc, à ce titre, de la compétence de premier et dernier ressort des tribunaux administratifs, sauf conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 du même code. 2) Les décisions portant concession de pension des agents de la Banque de France régulièrement notifiées deviennent définitives et intangibles si elles ne sont pas contestées par les voies et dans les délais de recours de droit commun.

COMPÉTENCE - COMPÉTENCE À L'INTÉRIEUR DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - COMPÉTENCE EN PREMIER ET DERNIER RESSORT DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS - LITIGES RELATIFS AUX PENSIONS DES AGENTS DE LA BANQUE DE FRANCE - LITIGES EN MATIÈRE DE PENSIONS AU SENS DU 3° DE L'ART - R - 222-13 DU CJA - INCLUSION (SOL - IMPL - ).

17-05-012 Les litiges relatifs aux pensions des agents de la Banque de France ont le caractère de litiges en matière de pensions au sens du 3° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative (CJA) et relèvent donc, à ce titre, de la compétence de premier et dernier ressort des tribunaux administratifs, sauf conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 du même code.

48 COMPÉTENCE - COMPÉTENCE À L'INTÉRIEUR DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - COMPÉTENCE EN PREMIER ET DERNIER RESSORT DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS - PENSIONS DES AGENTS DE LA BANQUE DE FRANCE - CONTESTATION DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF - COMPÉTENCE DE PREMIER ET DERNIER RESSORT DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS (ART - R - DU CJA) (SOL - IMPL - ).

48 Les litiges relatifs aux pensions des agents de la Banque de France ont le caractère de litiges en matière de pensions au sens du 3° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative (CJA) et relèvent donc, à ce titre, de la compétence de premier et dernier ressort des tribunaux administratifs, sauf conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 du même code.

PENSIONS - PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE - QUESTIONS COMMUNES - INTANGIBILITÉ DES DÉCISIONS PORTANT CONCESSION DE PENSION RÉGULIÈREMENT NOTIFIÉES DEVENUES DÉFINITIVES - EXISTENCE - CONSÉQUENCE - IMPOSSIBILITÉ DU RETRAIT.

48-02-01 Les décisions portant concession de pension régulièrement notifiées deviennent définitives et intangibles si elles ne sont pas contestées par les voies et dans les délais de recours de droit commun. Par suite et sauf disposition législative dérogeant, comme c'est le cas de l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite, au caractère intangible de telles décisions, leur bénéficiaire ne peut en demander le retrait une fois qu'elles sont devenues définitives.

PENSIONS - PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE - QUESTIONS COMMUNES - RÉVISION DES PENSIONS ANTÉRIEUREMENT CONCÉDÉES - RÉVISION EN CAS D'ERREUR (ARTICLE L - 55 DU CODE) - RÈGLE DÉROGATOIRE AU CARACTÈRE D'INTANGIBILITÉ DES CONCESSIONS DE PENSION DEVENUES DÉFINITIVES - EXISTENCE.

48-02-01-10-005 L'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qui permet, notamment, sur demande de l'intéressé ou à l'initiative de l'administration, la révision des pensions devenues définitives dans un délai d'un an à compter de leur notification en cas d'erreur de droit, a le caractère d'une dérogation au caractère intangible des décisions portant concession de pension devenues définitives.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2012, n° 332172
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Edmond Honorat
Rapporteur ?: Mme Natacha Chicot
Rapporteur public ?: M. Bertrand Dacosta
Avocat(s) : SCP RICHARD ; SCP LAUGIER, CASTON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:332172.20120622
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