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18/10/2012 | FRANCE | N°362867

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 18 octobre 2012, 362867


Vu la requête, enregistrée le 19 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société X et M. Y ; les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 6 août 2012 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financier prononçant à l'encontre de la société X une sanction pécuniaire de 100 000 euros et ordonnant la publication de la décision sur le site internet de l'Auto

rité des marchés financiers;

2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés finan...

Vu la requête, enregistrée le 19 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société X et M. Y ; les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 6 août 2012 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financier prononçant à l'encontre de la société X une sanction pécuniaire de 100 000 euros et ordonnant la publication de la décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers;

2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers de suspendre la publication de la décision du 6 août 2012, le jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que :

- M. Y, président de la société X, a intérêt à agir contre la décision contestée, qui le nomme ;

- la condition d'urgence est remplie tant à l'égard de la société X, en ce que l'exécution de la décision aggraverait encore sa situation et lui interdirait de retrouver rapidement les ratios prudentiels réglementaires qu'elle s'est engagée à respecter dans le courant du second semestre 2012 en réponse aux mises en demeure de l'Autorité de contrôle prudentiel, qu'à l'égard de M.Y en ce que la publication de la décision, laquelle n'est pas anonymisée, affecte ses activités et entache sa réputation ;

- que les moyens suivants sont de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée : méconnaissance du principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement, les autorités ici en cause disposant d'un secrétariat commun ; insuffisance de motivation de la décision contestée qui ne répond pas à l'argumentation tirée du défaut d'impartialité du rapporteur ; caractère non fondé du grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 412-1 du code monétaire et financier relatives aux offres publiques faute que les campagnes litigieuses soient des offres au public au sens de l'article L. 411-1 de ce code, que l'obligation d'établir et de diffuser un prospectus repose sur le prestataire de services d'investissement et qu'ait été respecté le principe de nécessité des peines, lequel impose l'application immédiate de la loi pénale plus douce, alors que la règlementation sur laquelle repose la sanction a été modifiée en cours de procédure; caractère non fondé du grief tiré du non respect des dispositions des articles L. 341-1 et L. 341-10 du même code relatives au démarchage la commission ayant renversé la charge de la preuve, commis une erreur de droit dans l'interprétation des dispositions de l'article L. 411-2 du même code relatives aux investisseurs qualifiés, affirmé à tort qu'elle avait procédé à la commercialisation d'instruments financiers alors qu'il s'agissait de conseils en investissement ; caractère disproportionné de la sanction financière ; défaut de motivation de la décision en tant qu'elle ordonne la publication de la sanction ; méconnaissance dans cette même mesure des articles L. 621-15 du même code, de l'article 25 de la directive 2003/71 CE du 4 novembre 2003, du principe de proportionnalité, de l'article 6§2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du droit au recours effectif ; illégalité de la décision en tant que, n'ayant pas anonymisé le texte en tant qu'il mentionne M. Y malgré sa demande, elle doit être regardée comme comportant une sanction déguisée à son égard ;

Vu la décision dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cette décision ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2012, présenté pour l'Autorité des marchés financiers, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge des requérants le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la requête est irrecevable en tant qu'elle émane de M. Y, qui n'a pas intérêt à agir ; que la condition d'urgence n'est pas remplie faute pour la société d'établir, s'agissant de la sanction financière, que l'exécution de celle-ci menacerait son existence même et, en ce qui concerne la publication non anonymisée de la sanction, qu'elle lui causerait ainsi qu'à M. Y un préjudice disproportionné au but d'intérêt général qu'elle poursuit à cet égard ; qu'aucun des moyens soulevés ne sont de nature à faire naître un doute sérieux quant la légalité de la décision contestée ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société X et M. Y, qui concluent aux mêmes fins que la requête ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société X et M. Y, d'autre part, l'Autorité des marchés financiers ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 15 octobre 2012 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société X et de M. Y ;

- les représentants de la société X ;

- M. Y ;

- Me Ohl, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

- le représentant de l'Autorité des marchés financiers ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 octobre 2012, présentée pour l'Autorité des marchés financiers ; elle soutient que les pièces produites à l'audience ne confirment pas les propos qui y ont été tenus à propos de l'atteinte portée à la réputation de la société X et de M. Y par la publication de la décision sur internet ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 octobre 2012, présentée pour la société X et M. Y qui reprennent les conclusions et les moyens de leur requête ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'à la suite d'une enquête ouverte en août 2009, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a sanctionné la société X Finance pour avoir procédé, dans le courant de l'année 2009, d'une part, à des offres au public de titres financiers sans diffuser de document d'information, en méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 412-1 du code monétaire et financier, d'autre part, à un démarchage de clients en vue de commercialiser des instruments financiers non admis aux négociations sur un marché réglementé, en méconnaissance des dispositions des articles L. 341-1 et L. 341-10 du même code ;

Sur la recevabilité de la requête :

3. Considérant que M. Y, président directeur général de la société X, n'est pas recevable, alors même que son nom est mentionné dans le corps de la décision contestée, à en demander la suspension faute que son dispositif lui fasse grief, aucune sanction n'ayant été prononcée à son encontre ; que, par suite, la requête ne peut qu'être rejetée en tant qu'elle émane de M. Y ;

Sur les conclusions à fin de suspension, d'injonction et d'astreinte :

4. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier et des précisions apportées lors de l'audience que la sanction pécuniaire de 100 000 euros infligée à la société X, de même que la publicité donnée à cette sanction par sa publication sur le site de l'AMF depuis le début du mois d'août, risquent d'aggraver les difficultés financières qu'elle rencontre et de compromettre le plan d'actions visant à retrouver un ratio de solvabilité et des fonds propres conformes à la réglementation et qu'elle s'est engagée, en juillet et octobre 2012, à mener à bonne fin à la suite des observations que lui a adressées l'Autorité de contrôle prudentiel ; qu'il apparaît ainsi que la décision porte atteinte de façon suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante pour que la condition d'urgence soit regardée comme remplie ;

5. Considérant, d'autre part, que l'article L. 412-1 du code monétaire et financier soumet à une obligation d'établissement et de diffusion d'un document d'information les personnes ou les entités qui procèdent à une offre au public de titres financiers ; que l'article L. 411-1 du même code définit ces offres ; que l'article L. 411-2 exclut toutefois de cette définition notamment les offres dont le montant est inférieur à un montant fixé par le règlement général de l'AMF ;

6. Considérant que le moyen tiré de ce que la commission des sanctions de l'AMF a fait application, aux faits qu'elle a relevés, des dispositions du règlement général en vigueur à l'époque de ces faits et dont elle a relevé qu'elles n'avaient pas été modifiées depuis, alors qu'est intervenue le 1er juillet 2012 une modification de cette règlementation est, en l'état de l'instruction, propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la sanction financière ; qu'il y a lieu dans ces conditions de suspendre la décision contestée en tant qu'elle prononce une sanction pécuniaire à l'encontre de la société X ;

7. Considérant que cette suspension implique nécessairement qu'il soit également fait droit aux conclusions tendant à la suspension de la sanction complémentaire de publication dont a été assortie, en application de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier et en l'absence de circonstances particulières, la sanction pécuniaire ; qu'eu égard, d'une part, aux effets de la suspension de celle-ci, qui ne la font pas disparaître de l'ordonnancement juridique, d'autre part, à la nécessité d'informer pleinement les personnes intéressées de cette suspension et de ses motifs, il y a lieu d'ordonner à l'AMF de mentionner sur son site Internet que la sanction pécuniaire à l'égard de la société X a été suspendue par la présente ordonnance jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa requête ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AMF le versement à la société X de la somme de 2 000 euros qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société X qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

O R D O N N E :

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Article 1er : les conclusions de la requête en tant qu'elles émanent de M. Y sont rejetées.

Article 2 : La décision du 6 août 2012 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers est suspendue en tant qu'elle prononce une sanction financière à l'encontre de la société X.

Article 3 : Il est enjoint à l'Autorité des marchés financiers de mentionner sur son site Internet la suspension prononcée par la présente ordonnance.

Article 4 : l'Autorité des marchés financiers versera à la société X la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par l'Autorité des marchés financiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la société X, à M. Y et à l'Autorité des marchés financiers.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 362867
Date de la décision : 18/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 oct. 2012, n° 362867
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Boulouis
Avocat(s) : SCP VINCENT, OHL ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:362867.20121018
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