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29/10/2012 | FRANCE | N°329646

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 29 octobre 2012, 329646


Vu l'ordonnance du 9 juillet 2009, enregistrée le 10 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. B ;

Vu la requête, enregistrée le 16 décembre 2008 au greffe du tribunal administratif de Marseille, présentée par M. Abdelkader B, demeurant ... et tendant à ce que sa pension militaire de retraite soit revalorisée ;

Vu les autres pièces du dossi

er ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des ...

Vu l'ordonnance du 9 juillet 2009, enregistrée le 10 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. B ;

Vu la requête, enregistrée le 16 décembre 2008 au greffe du tribunal administratif de Marseille, présentée par M. Abdelkader B, demeurant ... et tendant à ce que sa pension militaire de retraite soit revalorisée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 81-734 de finances du 3 août 1981 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, notamment son article 68 ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, notamment son article 211 ;

Vu la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de M. B,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de M. B ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B, ressortissant algérien, a été admis par arrêté du 20 janvier 1986 au bénéfice d'une pension militaire de retraite dont le taux a été fixé en application de l'article 26 de la loi n° 81-734 de finances du 3 août 1981 ; qu'il a saisi le 16 décembre 2008 le tribunal administratif de Marseille d'une demande de revalorisation de sa pension ; que cette demande a été transmise par le président de ce tribunal au Conseil d'Etat ; que, par arrêté du 19 septembre 2011, l'administration a procédé à l'octroi d'une pension au taux de droit commun et aux rappels des arrérages correspondants à compter du 16 décembre 2008 ; que M. B demande, dans le dernier état de ses écritures, que sa pension de retraite soit revalorisée à compter du 1er janvier 2004, période non couverte par la prescription prévue par l'article L. 53 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Sur le non-lieu à statuer concernant la période postérieure au 16 décembre 2008 :

2. Considérant que par arrêté du 19 septembre 2011, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a accordé à M. B une pension au taux de droit commun et fixé au 16 décembre 2008 la date de jouissance de cette pension revalorisée ; qu'il a ainsi fait droit partiellement à la demande de M. B ; qu'il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur les conclusions de ce dernier relatives à cette période ;

Sur la période du 1er janvier 2004 au 15 décembre 2008 :

3. Considérant que, dans l'exercice du contrôle de conformité des lois à la Constitution qui lui incombe selon la procédure définie à l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a le pouvoir d'abroger les dispositions législatives contraires à la Constitution ; que les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher ; qu'il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit à l'ensemble des conclusions du requérant en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit, pour statuer sur les conclusions qu'il n'a pas déjà accueillies, écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne dont la méconnaissance n'aurait pas été préalablement sanctionnée ;

4. Considérant qu'à cette fin, lorsqu'est en litige une décision refusant au requérant l'attribution d'un droit auquel il prétend et qu'est invoquée l'incompatibilité de la disposition sur le fondement de laquelle le refus lui a été opposé avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, il incombe au juge, en premier lieu, d'examiner si le requérant peut être regardé comme se prévalant d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel et, en second lieu, quand tel est le cas, si la disposition législative critiquée doit être écartée comme portant atteinte à ce bien de façon discriminatoire et, par suite, comme étant incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention ;

5. Considérant que, pour la période antérieure au 16 décembre 2008, le taux de la pension de M. B a été calculé en application des dispositions combinées de l'article 26 de la loi du 3 août 1981, qui prévoyaient notamment que les pensions attribuées aux ressortissants algériens sur le budget de l'Etat n'étaient pas révisables à compter du 3 juillet 1962 et continuaient d'être payées sur la base des tarifs en vigueur à cette même date, et de l'article 68 de la loi du 20 décembre 2002, dont le paragraphe II dispose que " Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France. Les parités de pouvoir d'achat du pays de résidence sont réputées être au plus égales à celles de la France (...) " ;

6. Considérant que M. B soutient que ces dispositions sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce qu'elles instaurent une discrimination fondée sur la nationalité ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ;

8. Considérant que les pensions de retraite constituent, pour les militaires et agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées ; que M. B peut ainsi se prévaloir d'un droit patrimonial, qui doit être regardé comme un bien au sens des stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et peut demander au juge d'écarter l'application des dispositions de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 et de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 en invoquant leur incompatibilité avec les stipulations de l'article 14 de la convention ;

9. Considérant d'une part qu'il ressort des termes mêmes du premier alinéa précité de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 que les pensions perçues par les ressortissants algériens ne sont pas revalorisables dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que, dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité ; que d'autre part il résulte du I et du II de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 que les prestations servies aux ressortissants algériens sont calculées en fonction des parités relatives de pouvoir d'achat entre la France et l'Etat de résidence lors de la liquidation initiale des droits ; que la différence de situation existant entre d'anciens militaires selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions militaires de retraite, une différence de traitement ; que, ces dispositions étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles ne pouvaient justifier le refus opposé par le ministre de la défense à la demande présentée par M. B de bénéficier d'une pension au taux de droit commun ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 53 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dont se prévaut le ministre chargé du budget : " Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la quatrième année qui suit celle de l'entrée en jouissance normale de la pension, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux quatre années antérieures " ; que M. B ayant fait sa demande de pension le 16 décembre 2008, les droits de celui-ci au rappel des arrérages de sa pension se limitent à la période postérieure au 1er janvier 2004 ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant a droit, comme il le soutient, au bénéfice d'une pension militaire de retraite au taux de droit commun pour la période du 1er janvier 2004 au 15 décembre 2008 ;

Sur les intérêts :

12. Considérant que M. B a droit aux intérêts légaux sur les rappels d'arrérages de sa pension à compter du 16 décembre 2008, pour les arrérages dus à cette date et, pour les arrérages postérieurs à cette date, au fur et à mesure de leurs échéances successives ;

Sur les conclusions tendant au prononcé d'une injonction sous astreinte :

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin de prononcer l'astreinte demandée, d'enjoindre au ministre chargé des pensions de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la liquidation de la pension de M. B, conformément à la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B de la somme de 2 000 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. B relative à la période postérieure au 16 décembre 2008.

Article 2 : L'Etat versera à M. B, conformément aux motifs de la présente décision, les arrérages correspondant à la revalorisation de sa pension de retraite pour la période comprise entre le 1er janvier 2004 au 15 décembre 2008.

Article 3 : Les arrérages versés pour la période postérieure au 1er janvier 2004 porteront intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2008, puis au fur et à mesure de l'échéance des arrérages.

Article 4 : Il est enjoint au ministre de l'économie et des finances de procéder, dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la liquidation de la pension de retraite de M. B selon les modalités fixées par la présente décision.

Article 5 : L'Etat versera à M. B une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Abdelkader B, au ministre de la défense et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 329646
Date de la décision : 29/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 29 oct. 2012, n° 329646
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jean-Pierre Jouguelet
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:329646.20121029
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