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23/09/2013 | FRANCE | N°351109

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 23 septembre 2013, 351109


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 21 juillet et le 16 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Média Bonheur (Radio Bonheur), dont le siège est 5 rue de la Motte à Pléneuf Val André (22370), représentée par son gérant en exercice ; la société Média Bonheur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 5 avril 2011 par lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dans le cadre de l'appel à candidatures lancé le 1er juin 2010 en vue de l'ex

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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 21 juillet et le 16 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Média Bonheur (Radio Bonheur), dont le siège est 5 rue de la Motte à Pléneuf Val André (22370), représentée par son gérant en exercice ; la société Média Bonheur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 5 avril 2011 par lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dans le cadre de l'appel à candidatures lancé le 1er juin 2010 en vue de l'exploitation de services de radio par voie hertzienne dans le ressort du comité technique radiophonique de Caen, a rejeté ses candidatures dans les zones de Château-Gontier, Laval et Mayenne et délivré des autorisations à Radio Nostalgie dans la zone de Château-Gontier, à Fun Radio, Ouï FM et RTL 2 dans la zone de Laval et à Fun Radio dans la zone de Mayenne ;

2°) d'enjoindre au CSA de réexaminer sa candidature dans un délai de deux mois ;

3°) de mettre à la charge du CSA le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de la société Média Bonheur, à la SCP Boutet, avocat de la société Nostalgie et à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la société Ouï FM ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une décision n° 2010-472 du 1er juin 2010, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lancé un appel à candidature en vue de l'attribution de fréquences radiophoniques dans le ressort du comité technique radiophonique de Caen ; que le conseil a délibéré le 5 avril 2011 sur l'attribution des fréquences disponibles dans les zones de Laval, de Mayenne et de Château-Gontier ; que la société Média Bonheur, qui s'était portée candidate en vue de la diffusion du service Radio Bonheur, demande l'annulation pour excès de pouvoir des décisions rejetant sa candidature dans ces trois zones ainsi que des autorisations délivrées à d'autres candidats ;

Sur les conclusions dirigées contre les autorisations délivrées dans les zones litigieuses :

2. Considérant que les autorisations délivrées à Radio Nostalgie dans la zone de Château-Gontier, à Fun Radio, Ouï FM et RTL 2 dans la zone de Laval et à Fun Radio dans la zone de Mayenne ont été publiées au Journal officiel le 5 mai 2011 ; que la requête de la société Média Bonheur ayant été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 juillet 2011, plus de deux mois après cette publication, ses conclusions tendant à leur annulation sont tardives et, par suite, irrecevables ;

Sur les conclusions dirigées contre les refus opposés à la société Média Bonheur :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 : " Sous réserve des dispositions de l'article 26 de la présente loi, l'usage des fréquences pour la diffusion de services de radio par voie hertzienne terrestre est autorisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans les conditions prévues au présent article. (...) Le conseil accorde les autorisations en appréciant l'intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels, la diversification des opérateurs, et la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence. Il tient également compte : 1° De l'expérience acquise par le candidat dans les activités de communication ; / 2° Du financement et des perspectives d'exploitation du service notamment en fonction des possibilités de partage des ressources publicitaires entre les entreprises de presse écrite et les services de communication audiovisuelle (...) ; / 5° De la contribution à la production de programmes réalisés localement ; / 6° Pour les services dont les programmes musicaux constituent une proportion importante de la programmation, des dispositions envisagées en faveur de la diversité musicale au regard, notamment, de la variété des oeuvres, des interprètes, des nouveaux talents programmés et de leurs conditions de programmation. (...) Le Conseil veille également au juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion, d'une part, et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants, d'autre part. Il s'assure que le public bénéficie de services dont les programmes contribuent à l'information politique et générale " ; qu'aux termes du second alinéa de l'article 32 de la loi du 30 septembre 1986 : " Les refus d'autorisation sont motivés (...). Lorsqu'ils s'appliquent à un service de radio diffusé par voie hertzienne terrestre, ils peuvent être motivés par référence à un rapport de synthèse explicitant les choix du conseil au regard des critères mentionnés aux articles 1er et 29 " ;

4. Considérant, d'autre part, que, par ses communiqués n° 34 du 29 août 1989 et n° 281 du 10 novembre 1994, le CSA, faisant usage de la compétence que lui confère le deuxième alinéa de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986 de déterminer des catégories de services en vue de l'appel à candidature pour l'exploitation de services de radiodiffusion sonore par voie hertzienne terrestre, a déterminé cinq catégories ainsi définies : services associatifs éligibles au fond de soutien, mentionnés à l'article 80 (catégorie A), services locaux ou régionaux indépendants ne diffusant pas de programme national identifié (catégorie B), services locaux ou régionaux diffusant le programme d'un réseau thématique à vocation nationale (catégorie C), services thématiques à vocation nationale (catégorie D), et les services généralistes à vocation nationale (catégorie E) ;

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Considérant que la lettre du président du CSA du 20 mai 2011 notifiant à la société Media Bonheur le rejet de ses candidatures se réfère à l'extrait de procès-verbal de la séance plénière du 5 avril 2011 qui permet d'identifier ceux des critères énumérés par les articles 1er et 29 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi que les éléments de fait sur lesquels le conseil s'est fondé pour refuser les autorisations demandées ; que les décisions de refus attaquées comportent ainsi la motivation exigée par les dispositions du second alinéa de l'article 32 de la loi du 30 septembre 1986 ; que le CSA n'était pas tenu de se prononcer sur chacun des critères énumérés aux articles 1er et 29 pour justifier les motifs de refus opposés à la société requérante ; que le moyen tiré de ce que la motivation de ces décisions ne permettrait pas d'identifier les candidats retenus manque en fait ;

En ce qui concerne la légalité interne :

Quant à la zone de Château-Gontier :

6. Considérant que, dans la zone de Château-Gontier, où étaient déjà autorisés deux services en catégorie A, un service en catégorie D et un en catégorie E, le CSA a attribué les deux fréquences disponibles à Sweet FM en catégorie B et à Nostalgie en catégorie D ; qu'il a justifié ce choix au regard des impératifs de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels et de diversification des opérateurs par la circonstance que Sweet FM, service généraliste musical implanté dans la Sarthe, proposait un programme d'intérêt local quotidien d'une durée de 20 heures 59 minutes, dans une catégorie ne bénéficiant d'aucune autorisation, et que Nostalgie, service musical à destination d'un public adulte, diffusait au moins 60 % de chansons françaises, susceptible de répondre aux attentes du public de la zone ; qu'il a rejeté la candidature de Radio Bonheur en catégorie B au motif qu'elle proposait un programme d'intérêt local d'une durée inférieure à celle du candidat retenu dans cette catégorie ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le CSA, en opérant un tel choix au vu des dossiers de candidature, ait procédé à une inexacte application des critères énumérés par la loi ni méconnu les impératifs prioritaires de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels, de diversification des opérateurs et la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence ; que la société n'est, par suite, pas fondée à demander l'annulation du rejet de sa candidature dans cette zone ;

Quant à la zone de Mayenne :

7. Considérant que, dans la zone de Mayenne, où étaient déjà autorisés un service en catégorie A, un service en catégorie B, trois en catégorie D et un en catégorie E, le CSA a attribué la seule fréquence disponible à Fun Radio en catégorie D ; qu'il a justifié ce choix au regard des impératifs de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels et de diversification des opérateurs en relevant qu'il s'agissait d'une radio thématique musicale, " justifiant par ailleurs d'une certaine notoriété sur la zone avant l'appel " ; qu'il a rejeté la candidature de Radio Bonheur en catégorie B au motif que la société proposait un service thématique musical diffusant majoritairement des chansons françaises des années 1950 à 1980 dont le format était déjà représenté par MFM Radio et France Bleu Mayenne qui proposent la diffusion de programmes musicaux à destination des adultes ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en se fondant sur de tels éléments, le CSA ait fait une inexacte application de la loi du 30 septembre 1986 ; que la circonstance que le nombre de fréquences autorisées en catégorie D soit passé de trois à quatre, alors que les catégories A, B et E ne disposent que d'une autorisation, n'est pas à elle seule de nature à faire regarder le rejet de la candidature de la société Media Bonheur comme entaché d'erreur d'appréciation au regard notamment de l'objectif de diversification des opérateurs ;

Quant à la zone de Laval :

8. Considérant que, dans la zone de Laval où étaient déjà autorisés dix-huit services dont deux en catégorie A, deux en catégorie B, deux en catégorie C, neuf en catégorie D et trois en catégorie E, le CSA a attribué les trois fréquences disponibles à Fun Radio, Ouï FM et RTL 2 en catégorie D ; qu'il a justifié ce choix au regard des impératifs de sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels, de diversification des opérateurs ainsi que des possibilités de partage des ressources publicitaires entre les services de communication audiovisuelle ; qu'il a rejeté la candidature de Radio Bonheur en catégorie B au motif que ce service prévoyait de diffuser de la publicité spécifique à cette zone et qu'il convenait de ne pas " déstabiliser le marché publicitaire de cette zone déjà exploité par quatre opérateurs commerciaux et deux opérateurs associatifs " ;

9. Considérant que le CSA doit veiller à ce qu'une diversification suffisante des opérateurs et le jeu normal de la concurrence permettent, en préservant notamment un accès équilibré de tous les opérateurs à la ressource publicitaire et aux marchés des droits, que l'objectif fondamental de pluralisme et l'intérêt du public soient respectés ; que s'il a estimé que le marché de la publicité locale dans la zone de Laval était trop limité pour lui permettre d'autoriser un service supplémentaire y ayant recours, la société requérante fait valoir, sans être sérieusement contredite, que seuls les deux services déjà autorisés en catégorie B sont véritablement actifs sur ce marché, qui demeure susceptible de se développer, et que le service qu'elle se proposait d'exploiter n'y aurait eu recours que dans une mesure limitée, compte tenu de la part de ses ressources tirée de la diffusion de publicités nationales ; qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que le financement de ce service n'aurait pas pu être assuré, ni que sa présence dans la zone aurait été de nature à remettre en cause le financement des services de catégorie A, B et C déjà autorisés ; que, par ailleurs, le choix d'attribuer les trois fréquences disponibles à des services relevant de la catégorie D, déjà représentée par neuf services, implique un déséquilibre entre catégories contraire à l'impératif de diversification des opérateurs et à l'objectif, fixé à l'avant-dernier alinéa de l'article 29 de la loi du 30 septembre 1986, de juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants ; qu'ainsi, la société requérante est fondée à soutenir que le refus qui lui a été opposé dans la zone de Laval résulte d'une erreur d'appréciation au regard des critères prévus par la loi ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Média Bonheur est fondée à demander l'annulation de la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 5 avril 2011 qui rejette sa candidature pour l'exploitation d'un service de radiodiffusion sonore dans la zone de Laval ; qu'en revanche, elle n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions du 5 avril 2011 qui rejettent sa candidature dans les zones de Château-Gontier et de Mayenne ;

11. Considérant que l'annulation de la décision du CSA du 5 avril 2011, en ce qui concerne la zone de Laval, implique seulement qu'il se prononce à nouveau sur la candidature de la société Média Bonheur dans cette zone ; que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner au CSA de réexaminer cette candidature dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette mesure d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Média Bonheur, de la société Radio Nostalgie Réseau et de la société Ouï FM tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du 5 avril 2011 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté la candidature de la société Média Bonheur en vue de l'exploitation du service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne Radio Bonheur dans la zone de Laval est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Conseil supérieur de l'audiovisuel de prendre les mesures nécessaires au réexamen, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de la candidature de la société Média Bonheur à l'exploitation d'un service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne terrestre dans la zone de Laval.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Média Bonheur est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Radio Nostalgie Réseau et la société Ouï FM tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Média Bonheur, à la société Radio Nostalgie Réseau, à la société Ouï FM, à la SARC VH Com, à la SA Serc, à la SA Sodera et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Copie pour information en sera adressée à la ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 351109
Date de la décision : 23/09/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 sep. 2013, n° 351109
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: Mme Fabienne Lambolez
Avocat(s) : SCP BOUTET ; SCP GADIOU, CHEVALLIER ; SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:351109.20130923
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