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24/03/2014 | FRANCE | N°354283

France | France, Conseil d'État, 1ère sous-section jugeant seule, 24 mars 2014, 354283


VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 8 et 13 décembre 2005 par lesquelles les commissaires du gouvernement adjoints représentant les ministres chargés de l'agriculture et des finances ont approuvé la préemption par la société bretonne d'aménagement foncier et d'établissement rural (SBAFER) d'un ensemble de parcelles situées sur les communes de Melgven et de Concarneau et dénommé " la ferme de Rozormant ".

Par un jugement n° 0

63401 du 1er décembre 2009, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisi...

VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 8 et 13 décembre 2005 par lesquelles les commissaires du gouvernement adjoints représentant les ministres chargés de l'agriculture et des finances ont approuvé la préemption par la société bretonne d'aménagement foncier et d'établissement rural (SBAFER) d'un ensemble de parcelles situées sur les communes de Melgven et de Concarneau et dénommé " la ferme de Rozormant ".

Par un jugement n° 063401 du 1er décembre 2009, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions des 8 et 13 décembre 2005.

Par un arrêt nos 10NT00197, 10NT00234, 11NT00062 du 22 septembre 2011, la cour administrative d'appel de Nantes, sur la demande de la SBAFER et du ministre de l'agriculture, de l'alimentation et de la pêche, a annulé le jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er décembre 2009 en tant qu'il annulait la décision du 8 décembre 2005, a rejeté la demande de Mme A...tendant à l'annulation de cette décision et a rejeté le surplus des conclusions d'appel.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 novembre 2011, 23 février 2012 et 22 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SBAFER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt nos 10NT00197, 10NT00234, 11NT00062 du 22 septembre 2011 de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'il a rejeté les conclusions de son appel dirigées contre le jugement n° 063401 du 1er décembre 2009 du tribunal administratif de Rennes en tant que celui-ci a annulé la décision du commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances du 13 décembre 2005 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel relatives à la décision du 13 décembre 2005 ;

3°) de mettre à la charge de Mme A...la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SBAFER soutient que :

- la cour n'a pas répondu au moyen tiré du caractère définitif de la nomination de MmeB... ;

- elle a commis une erreur de droit en se fondant sur l'irrégularité de cette nomination, alors qu'elle était devenue définitive ;

- elle a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que Mme B...n'avait pas compétence pour exercer les fonctions de commissaire du gouvernement adjoint ;

- elle a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la délégation de signature qui lui avait été accordée par le directeur des services fiscaux des Côtes-d'Armor.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2012, Mme A...conclut au rejet du pourvoi et ce que soit mise à la charge de la SBAFER la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens du pourvoi n'est fondé.

Les parties ont été informées, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'" erreur " qu'aurait commise le commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances en approuvant la préemption envisagée, ce moyen se rattachant à la régularité de l'opération de préemption.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société bretonne d'aménagement foncier et d'établissement rural et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de MmeA....

CONSIDERANT CE QUI SUIT :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 143-1 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " Il est institué au profit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de fonds agricoles ou de terrains à vocation agricole (...) ". Aux termes de l'article L. 143-11 du même code : " Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural disposent, en vue de se substituer à l'adjudicataire, d'un délai d'un mois à compter de l'adjudication (...) ". Aux termes de l'article R. 141-9 du même code : " Le ministre de l'agriculture et le ministre chargé des finances nomment chacun pour siéger auprès d'une société un commissaire du Gouvernement et, le cas échéant, un commissaire adjoint. / Les commissaires du Gouvernement représentent le Gouvernement auprès de la société (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 143-10 du même code : " La société tient informés les commissaires du Gouvernement des acquisitions auxquelles elle a procédé et des adjudications auxquelles elle veut prendre part. / Les acquisitions d'un montant supérieur à celui fixé par un arrêté concerté du ministre de l'agriculture et du ministre chargé des finances doivent être soumises à l'approbation préalable des commissaires du Gouvernement (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...a été déclarée, le 16 novembre 2005, adjudicataire de parcelles et de bâtiments à usage agricole situés sur le territoire des communes de Melgven et de Concarneau. Après avoir recueilli, les 8 et 13 décembre 2005, en application des dispositions de l'article R. 141-10 du code rural, l'approbation de ses deux commissaires du gouvernement adjoints représentant, respectivement, le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé des finances, la société bretonne d'aménagement foncier et d'établissement rural (SBAFER) a décidé, le 16 décembre 2005, d'exercer son droit de préemption en se substituant à l'adjudicataire, conformément aux dispositions de l'article L. 143-11 du même code. Par un arrêt du 22 septembre 2011, la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er décembre 2009 en tant qu'il avait annulé pour incompétence la décision du 13 décembre 2005 du commissaire du gouvernement adjoint " finances ", en estimant que ce dernier n'était ni directeur départemental adjoint des impôts, ni directeur divisionnaire et qu'ainsi, il ne détenait pas le grade exigé par une décision du ministre de l'économie et des finances en date du 21 octobre 1969, prise en application des dispositions de l'article 8 du décret n° 61-610 du 14 juin 1961 relatif aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, ultérieurement codifié à l'article R. 141-9 du code rural.

3. Pour demander au juge d'écarter le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur d'une décision administrative au motif que celui-ci ne remplissait pas les conditions requises pour exercer les fonctions au titre desquelles il a pris cette décision, l'administration peut utilement invoquer le caractère définitif de la décision de nomination de l'intéressé dans ses fonctions. Or, pour écarter l'argumentation soulevée en défense par la SBAFER, qui invoquait le caractère définitif de la décision du 28 avril 2005 du directeur des services fiscaux des Côtes-d'Armor désignant Mme B...en tant que commissaire du gouvernement adjoint auprès de la SBAFER, la cour administrative d'appel a estimé que cette désignation, fût-elle définitive, était sans incidence sur l'appréciation de la légalité de la décision d'approbation du 13 décembre 2005. Par suite, son arrêt est entaché d'erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que la SBAFER est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur la légalité de la décision d'approbation du 13 décembre 2005, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond.

Sur les fins de non-recevoir opposées par Mme A...devant la cour administrative d'appel de Nantes :

6. En premier lieu, la présentation d'une action par un avocat ou un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ne dispense pas le juge administratif de s'assurer, le cas échéant, lorsque la partie en cause est une personne morale, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour engager cette action. Une telle vérification n'est toutefois pas normalement nécessaire lorsque la personne morale requérante est dotée, par des dispositions législatives ou réglementaires, de représentants légaux ayant de plein droit qualité pour agir en justice en son nom. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 225-51-1 et L. 225-56 du code de commerce applicables aux sociétés anonymes que le directeur général ou, lorsque la direction générale de la société est assumée par le président du conseil d'administration, le président-directeur général, ainsi que les directeurs généraux délégués, sont investis des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société et représentent la société dans ses rapports avec les tiers. Ils ont ainsi, de plein droit, qualité pour agir en justice au nom de la société. En l'espèce, la requête d'appel de la SBAFER, constituée sous la forme de société anonyme, est signée par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation mandaté par elle et mentionne qu'elle est présentée pour celle-ci, représentée par son président-directeur général. Par suite, le moyen tiré de ce que la requête serait irrecevable au motif qu'elle ne mentionnerait pas les nom et prénom de la personne physique habilitée à la représenter en justice doit être écarté.

7. En deuxième lieu, la requête d'appel de la SBAFER comporte l'énoncé de moyens. Elle satisfait ainsi aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

8. En dernier lieu, la SBAFER avait la qualité de partie à l'instance introduite par Mme A...devant le tribunal administratif de Rennes, tendant à l'annulation de la décision par laquelle le commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances a approuvé la préemption d'un ensemble de parcelles qu'elle avait décidée. Par suite, elle a qualité pour relever appel du jugement qui a annulé cette décision.

Sur la légalité de la décision du 13 décembre 2005 du commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances :

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., inspectrice des impôts, désignée le 28 avril 2005 en tant que commissaire adjoint auprès de la SBAFER par le directeur des services fiscaux des Côtes-d'Armor, ne remplissait pas les conditions de grade imposées, à cette date, par la décision du ministre de l'économie et des finances du 21 octobre 1969. En l'absence de publication de cette décision du 28 avril 2005, la SBAFER n'est pas fondée à soutenir que celle-ci serait devenue définitive et que Mme A...ne pourrait plus, en conséquence, se prévaloir de l'irrégularité de cette désignation. Toutefois, un fonctionnaire irrégulièrement nommé aux fonctions qu'il occupe doit être regardé comme légalement investi de ces fonctions tant que sa nomination n'a pas été annulée. Or la décision du 4 mai 2005 désignant Mme B...en tant que commissaire adjoint auprès de la SBAFER n'a pas été annulée. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'incompétence de Mme B...pour annuler la décision d'approbation prise par celle-ci le 13 décembre 2005.

10. Toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...devant le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d'appel de Nantes à l'encontre de la décision du commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre des finances.

11. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la SBAFER aurait adressé au commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances des renseignements incomplets ou inexacts et aurait ainsi empêché celui-ci de se prononcer en toute connaissance de cause sur la préemption envisagée.

12. En second lieu, il résulte des dispositions applicables aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural que l'ensemble des litiges relatifs aux acquisitions et rétrocessions de terres qu'elles opèrent relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires, à l'exception de ceux relatifs à la régularité des actes administratifs unilatéraux par lesquels les commissaires du gouvernement ou les ministres qu'ils représentent approuvent les décisions qu'elles prennent dans ce domaine. En soutenant que le commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances aurait commis une " erreur " en approuvant la préemption envisagée, Mme A...conteste en réalité la légalité de l'opération de préemption elle-même. Il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur ce point.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SBAFER est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 13 décembre 2005 du commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre chargé des finances auprès de la SBAFER.

14. Les conclusions présentées par Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...le versement à la SBAFER de la somme que celle-ci demande au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 22 septembre 2011 de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du 1er décembre 2009 du tribunal administratif de Rennes sont annulés en tant qu'ils ont statué sur la légalité de la décision d'approbation du 13 décembre 2005 du commissaire du gouvernement adjoint représentant le ministre des finances.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme A...devant le tribunal administratif de Rennes tendant à l'annulation de la décision du 13 décembre 2005 sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la SBAFER et les conclusions de Mme A...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société bretonne d'aménagement foncier et d'établissement rural (SBAFER) et à Mme C...A....

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 1ère sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 354283
Date de la décision : 24/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 mar. 2014, n° 354283
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Rémi Decout-Paolini
Rapporteur public ?: Mme Maud Vialettes
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:354283.20140324
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