La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/08/2014 | FRANCE | N°364585

France | France, Conseil d'État, 1ère sous-section jugeant seule, 27 août 2014, 364585


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SAS Valette Foie gras a demandé au tribunal administratif de Toulouse, premièrement, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 août 2002 par laquelle le directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Midi-Pyrénées lui a refusé toute aide publique à la formation en raison d'une infraction en matière de travail dissimulé et, deuxièmement, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 100 246 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de

cette décision illégale, majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SAS Valette Foie gras a demandé au tribunal administratif de Toulouse, premièrement, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 août 2002 par laquelle le directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Midi-Pyrénées lui a refusé toute aide publique à la formation en raison d'une infraction en matière de travail dissimulé et, deuxièmement, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 100 246 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de cette décision illégale, majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2004.

Par un jugement n° 0704713 du 29 juillet 2011, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, annulé la décision du 7 août 2002 rejetant la demande d'aide publique de la société au titre de l'engagement de développement de la formation des industries agro-alimentaires de Midi-Pyrénées ainsi que la décision refusant de lui verser une participation au titre du fonds social européen révélée par le courrier du préfet de la région Midi-Pyrénées à l'organisme paritaire collecteur agréé AGEFOS-PME du 8 juillet 2002 et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un arrêt n° 11BX02577 du 16 octobre 2012, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la SAS Valette Foie gras tendant, premièrement, à la réformation du jugement du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire et, deuxièmement, à ce qu'une somme de 230 597,65 euros soit mise à la charge de l'Etat en réparation du préjudice subi, majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 décembre 2012 et 18 mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Valette Foie gras demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt n° 11BX02577 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 octobre 2012 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, auditeur,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Sas Valette Foie Gras.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SAS Valette Foie gras a mis en place un plan de formation à destination de ses salariés pour les années 2001, 2002 et 2003 et sollicité, à cette fin, des aides publiques au titre du fonds social européen et de l'engagement de développement de la formation conclu avec l'Etat sur le fondement de l'article L. 951-5 du code du travail. Par une décision du 7 août 2002, le directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Midi-Pyrénées a refusé d'accorder à la société une aide au titre de l'engagement de développement de la formation des industries agro-alimentaires de la région pour l'année 2002, en raison de la constatation par les services d'inspection du travail d'une infraction en matière de travail dissimulé. Par un jugement du 27 novembre 2003, le tribunal correctionnel de Cahors n'a toutefois pas retenu le délit de travail dissimulé et a condamné la SAS Valette Foie gras à une contravention de cinquième classe pour omission de déclaration préalable à l'embauche. Par un jugement du 29 juillet 2011, le tribunal administratif de Toulouse a, par voie de conséquence, annulé la décision du 7 août 2002, ainsi que la décision refusant de verser à la société une participation au titre du fonds social européen pour l'année 2002, mais a, en revanche, rejeté les conclusions indemnitaires de la société. Par un arrêt du 16 octobre 2012, contre lequel la SAS Valette Foie gras se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la réformation du jugement du 29 juillet 2011 en ce qu'il rejetait ses conclusions indemnitaires et à ce qu'une somme de 230 597,65 euros, majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, soit mise à la charge de l'Etat en réparation du préjudice subi.

Sur les moyens susceptibles d'entraîner l'annulation de l'arrêt dans son entier :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convention bilatérale signée par la société requérante avec l'organisme paritaire collecteur agréé AGEFOS-PME portait uniquement sur les financements accordés à la société au titre du fonds social européen pour l'année 2001, qui n'étaient pas en litige devant les juges du fond. La cour n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit en jugeant que le tribunal administratif avait suffisamment motivé son jugement en s'abstenant de répondre au moyen tiré de ce que la société aurait perdu une chance d'obtenir des subventions publiques telles qu'elles ressortaient de la convention conclue avec l'AGEFOS-PME.

3. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si la société requérante faisait valoir qu'elle avait perdu une chance de bénéficier de toute aide publique, elle ne sollicitait une indemnisation au titre du préjudice subi qu'en tant qu'elle n'avait pas bénéficié d'aides publiques au titre, d'une part, du fonds social européen et des cofinancements nationaux qui y sont nécessairement adjoints et, d'autre part, de l'engagement de développement de la formation. Le tribunal ayant annulé, d'une part, la décision du 7 août 2002 portant refus d'attribution de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2002 et, d'autre part, la décision refusant de verser à la société une participation au titre du fonds social européen pour l'année 2002, révélée par un courrier du préfet de la région Midi-Pyrénées à l'AGEFOS-PME du 8 juillet 2002, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la portée de la décision du 7 août 2002 était sans incidence sur l'éventuel droit à réparation du préjudice subi par la société.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur le préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir des aides au titre de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2001 :

4. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et ne s'est pas méprise sur la portée de ses écritures en estimant qu'elle demandait réparation du préjudice subi au titre de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2001, sans justifier de la réalité de ce préjudice.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur le préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier d'une aide au titre de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2002 :

5. Aux termes de l'article L. 324-13-2 du code du travail, alors applicable : " Lorsque l'un des agents de contrôle mentionnés à l'article L. 324-12 a constaté par procès-verbal l'existence d'une infraction définie aux articles L. 324-9 et L. 324-10 ainsi qu'aux articles L. 125-1 et L. 125-3, l'autorité administrative compétente, eu égard à la gravité des faits constatés, à la nature des aides sollicitées et à l'avantage qu'elles procurent à l'employeur, peut, pendant une durée maximale de cinq ans, refuser d'accorder les aides publiques à l'emploi ou à la formation professionnelle mentionnées par décret à la personne physique ou morale ayant fait l'objet de cette verbalisation, sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées ". Les articles L. 324-9 et L. 324-10 du code du travail alors applicable interdisent le travail dissimulé et les articles L. 125-1 et L. 125-3 le marchandage.

6. Si, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en va autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale. Dans cette hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal. Il en va ainsi pour l'application de l'article L. 324-13-2 du code du travail.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 7 août 2002 du directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Midi-Pyrénées portant refus d'attribution de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2002 est justifiée par " l'existence d'infraction constatée par les services d'inspection du travail en matière de travail dissimulé ", en application de l'article L. 324-13-2 du code du travail. Toutefois, le tribunal correctionnel de Cahors, par un jugement du 27 novembre 2003, devenu définitif, n'a déclaré la SAS Valette Foie gras coupable que d'une contravention de cinquième classe pour omission de déclaration préalable à l'embauche. Dès lors, la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur l'avis défavorable du directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Lot, qui était motivé par l'existence du délit de travail dissimulé, pour juger que la SAS Valette Foie gras ne pouvait se prévaloir d'une perte de chance sérieuse de bénéficier d'une aide au titre de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2002. Il suit de là que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué dans cette mesure.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur le préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier d'une aide au titre de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2003 :

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante soutenait devant la cour qu'elle avait perdu une chance sérieuse de bénéficier d'aides au titre de l'engagement de développement de la formation pour financer le plan de formation qu'elle avait mis en oeuvre tant en 2002 qu'en 2003. Or la cour n'a statué sur ce chef de préjudice qu'en ce qui concerne l'année 2002. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que la cour a omis de statuer sur le préjudice relatif au refus d'attribution d'aides au titre de l'engagement de développement de la formation pour l'année 2003 et à demander l'annulation de l'arrêt attaqué dans cette mesure.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la perte de chance de bénéficier d'une aide au titre du fonds social européen pour l'année 2002 :

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du dossier de demande d'aide au titre de l'objectif 3 du fonds social européen présenté par la SAS Valette Foie gras, que celle-ci justifiait de façon suffisamment précise des actions de formation envisagées pour un projet qui serait mis en oeuvre du 1er septembre 2001 au 31 août 2002, visant notamment à améliorer les méthodes de travail par le déploiement de progiciels de gestion intégrée et de paye, le développement de la traçabilité des produits et la mise en place d'un système d'évaluation des compétences. Il en ressort également que ces actions étaient susceptibles de répondre aux priorités fixées par le document unique de programmation 2000-2006 de l'objectif 3, au nombre desquelles figure l'objectif de " moderniser les organisations du travail et développer les compétences ", comme en témoigne, au demeurant, le fait que la société a bénéficié de cette aide pour l'année 2001. Par suite, la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la société requérante n'établissait pas que les formations mises en oeuvre au titre de l'année 2002 répondraient aux priorités fixées par le document unique de programmation 2000-2006 de l'objectif 3 du fonds social européen et ne justifiait donc pas d'une perte de chance d'obtenir une aide du fonds social européen pour l'année 2002. Il suit de là que la société requérante est fondée à demander l'annulation, dans cette mesure, de l'arrêt qu'elle attaque.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la perte de chance de bénéficier d'une aide au titre du fonds social européen pour l'année 2003 :

10. Pour rejeter la demande de la société requérante relative à la perte de chance d'obtenir une aide au titre du fonds social européen pour l'année 2003, la cour a relevé que le société n'avait formé aucune demande d'aide à ce titre pour l'exercice 2003 et que si elle soutenait avoir renoncé à présenter une demande en raison du motif du refus qui lui avait été opposé en 2002, ce motif était fondé sur la méconnaissance par la société de ses obligations en matière sociale pour la seule année 2002 et n'impliquait pas par lui-même l'adoption par l'administration de la même position pour l'année 2003. En statuant ainsi, la cour, qui a estimé au terme d'une appréciation souveraine non arguée de dénaturation que les motifs du refus opposé en 2002 ne pouvaient être regardés comme de nature à rendre vaine la présentation d'une demande au titre de 2003, n'a pas commis d'erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant seulement qu'il statue sur ses conclusions à fin d'indemnisation du préjudice subi du fait de la perte de chance de bénéficier d'aides publiques au titre, d'une part, de l'engagement de développement de la formation pour les années 2002 et 2003 et, d'autre part, du fonds social européen pour l'année 2002.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la SAS Valette Foie gras au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 octobre 2012 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la SAS Valette Foie gras à fin d'indemnisation du préjudice subi du fait de la perte de chance de bénéficier d'aides publiques au titre de l'engagement de développement de la formation pour les années 2002 et 2003 et du fonds social européen pour l'année 2002.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la SAS Valette Foie gras au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SAS Valette Foie gras est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SAS Valette Foie gras et au ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social.


Synthèse
Formation : 1ère sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 364585
Date de la décision : 27/08/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 aoû. 2014, n° 364585
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julia Beurton
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:364585.20140827
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award