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20/03/2015 | FRANCE | N°366345

France | France, Conseil d'État, 1ère ssjs, 20 mars 2015, 366345


Vu la procédure suivante :

Par une requête et par un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février 2013 et 9 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Allianz IARD et Allianz Vie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 15 de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 19 décembre 2012 portant extension d'accords et d'avenants examinés en sous-commission des conventions et accords du 6 décembre 2012 ;

2°) subsidiairement, de s

urseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la val...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et par un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février 2013 et 9 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Allianz IARD et Allianz Vie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 15 de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 19 décembre 2012 portant extension d'accords et d'avenants examinés en sous-commission des conventions et accords du 6 décembre 2012 ;

2°) subsidiairement, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la validité de l'accord du 8 décembre 2011 relatif au régime de prévoyance des salariés cadres et assimilés conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine et jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle qui lui a été renvoyée par décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- la décision du 25 juillet 2013 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les sociétés Allianz IARD et Allianz Vie ;

- la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil constitutionnel ;

- la décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de l'Institution de prévoyance du groupe Mornay (Klesia Prévoyance), à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, de la Fédération nationale du personnel d'encadrement des industries chimiques et connexes (CFE-CGC), de la Fédération nationale Force ouvrière des métiers de la pharmacie des laboratoires d'analyses de biologie médicale, du cuir et de l'habillement et de la Fédération nationale des syndicats chrétiens des services de santé et sociaux (CFTC).

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, " les garanties collectives dont bénéficient les salariés ", qui ont notamment pour objet, aux termes de l'article L. 911-2 du même code, de prévoir " la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité, des risques d'inaptitude " en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale, peuvent notamment être déterminées par voie de conventions ou d'accords collectifs. En vertu de l'article L. 911-3 du même code, ces accords peuvent être étendus dans les conditions prévues par le code du travail, sous réserve de dispositions spécifiques applicables lorsqu'ils ont pour objet exclusif la détermination de telles garanties collectives.

2. Par l'arrêté attaqué du 19 décembre 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a étendu l'accord collectif national du 8 décembre 2011 relatif au régime de prévoyance des salariés cadres et assimilés, conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine du 3 décembre 1997, qui a notamment pour objet de désigner l'Institution de prévoyance du groupe Mornay (IPGM) comme l'unique organisme gestionnaire de ce régime complémentaire de prévoyance.

3. En premier lieu, l'article L. 2261-19 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué, dispose que : " Pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus en commission paritaire. / Cette commission est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré ". L'accord en litige a été négocié et conclu au cours de plusieurs séances de la commission paritaire auxquelles toutes les organisations syndicales ont été convoquées. Il ne ressort pas des pièces du dossier que certains membres de cette commission auraient subi des pressions de nature à altérer le résultat de la négociation ou que les échanges informels qui auraient eu lieu entre les séances de la commission puissent être regardés comme une négociation d'éléments essentiels de l'accord, qui se serait déroulée en dehors de cette commission. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, les conditions de la négociation n'étaient pas de nature, en l'espèce, à faire légalement obstacle à l'extension de l'accord conclu le 8 décembre 2011.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective ". En vertu des dispositions combinées des articles L. 2271-1 et R. 2272-10 du même code, la sous-commission des conventions et accords peut exercer les missions de la commission relatives à l'extension et à l'élargissement des conventions et accords collectifs. En l'espèce, l'avis rendu le 6 décembre 2012 par la sous-commission des conventions et accords rappelle les conditions de négociation de l'accord et la procédure suivie, mentionne les remarques formulées par l'une des organisations syndicales et indique qu'aucune organisation représentative ne s'est opposée à l'extension de cet accord. Les sociétés requérantes ne sont, dès lors, pas fondées à soutenir qu'il serait insuffisamment motivé.

5. En troisième lieu, l'article L. 2261-27 du code du travail dispose que : " Quand l'avis motivé favorable de la Commission nationale de la négociation collective a été émis sans opposition écrite et motivée soit de deux organisations d'employeurs, soit de deux organisations de salariés représentées à cette commission, le ministre chargé du travail peut étendre par arrêté une convention ou un accord ou leurs avenants ou annexes : / 1° Lorsque le texte n'a pas été signé par la totalité des organisations les plus représentatives intéressées (...) / En cas d'opposition dans les conditions prévues au premier alinéa, le ministre chargé du travail peut consulter à nouveau la commission sur la base d'un rapport précisant la portée des dispositions en cause ainsi que les conséquences d'une éventuelle extension. / Le ministre chargé du travail peut décider l'extension, au vu du nouvel avis émis par la commission. Cette décision est motivée ". En l'absence d'opposition écrite et motivée de deux organisations d'employeurs ou de deux organisations de salariés représentées à la Commission nationale de la négociation collective, l'arrêté d'extension n'avait pas, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, à être motivé.

6. En quatrième lieu, par sa décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, qui permet qu'un accord collectif, sous réserve du réexamen au moins tous les cinq ans des modalités d'organisation de la mutualisation des risques selon des conditions et une périodicité fixées par cet accord, prévoie une mutualisation des risques dont il organise la couverture auprès d'un ou plusieurs organismes tels qu'une institution de prévoyance, auxquels adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application de l'accord, y compris si elles ont déjà adhéré à un contrat ou souscrit un contrat auprès d'un organisme différent pour garantir les mêmes risques à un niveau équivalent. Toutefois, il a décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité de cet article ne prendrait effet qu'à compter de la publication de sa décision, intervenue le 16 juin 2013, et ne serait pas applicable aux contrats en cours. La légalité d'un acte s'appréciant à la date de son édiction, les sociétés requérantes ne sauraient utilement soutenir que l'arrêté qu'elles attaquent devrait être annulé en raison de l'inconstitutionnalité dont sont entachées les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale.

7. En cinquième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté d'extension : " Lorsque les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l'article L. 911-1 prévoient une mutualisation des risques dont ils organisent la couverture auprès d'un ou plusieurs organismes (...), auxquels adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application de ces accords, ceux-ci comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité les modalités d'organisation de la mutualisation des risques peuvent être réexaminées. La périodicité du réexamen ne peut excéder cinq ans ". En l'espèce, il résulte de la combinaison des stipulations du dernier alinéa de l'article 23 des dispositions générales de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine du 3 décembre 1997, dans sa rédaction issue de l'avenant du 7 juillet 2003 étendu par arrêté du 6 octobre suivant, et de l'article 9 des dispositions particulières aux cadres de cette convention, dans sa rédaction issue de l'accord du 2 décembre 2009 étendu par arrêté du 1er décembre 2010, que les organisations représentatives signataires de la convention ou y ayant adhéré doivent, au vu des résultats du régime, réexaminer le choix du ou des organismes assureurs ou coassureurs tous les 5 ans au plus tard et peuvent procéder à un appel d'offres dans des conditions qu'il leur appartient de définir d'un commun accord. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en étendant un accord ne comportant pas de clause fixant les conditions et la périodicité du réexamen des modalités d'organisation de la mutualisation des risques, le ministre chargé du travail aurait méconnu les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale citées ci-dessus.

8. En sixième lieu, l'article L. 420-2 du code de commerce prohibe " l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ". Il ne résulte pas de la circonstance, seule invoquée par les sociétés requérantes, que les parties à l'accord du 8 décembre 2011 ont confié la gestion du régime de prévoyance des salariés cadres et assimilés de la pharmacie d'officine à un unique organisme, l'IPGM, quand bien même elles auraient fait le choix de s'écarter pour partie des critères fixés dans l'appel d'offres organisé à cette fin, que cet accord et l'arrêté procédant à son extension aient placé cette institution en situation d'abuser d'une position dominante sur le marché de la protection complémentaire en matière de santé dans le secteur des officines de pharmacie, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 420-2 du code de commerce. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté attaqué serait illégal au motif qu'il renforcerait les effets d'une situation d'exploitation abusive d'une position dominante.

9. En dernier lieu, les sociétés requérantes soutiennent que l'accord du 8 décembre 2011 a été conclu en méconnaissance, tout d'abord, des règles relatives aux modalités d'organisation d'une procédure de mise en concurrence entre organismes assureurs dont les organisations représentatives s'étaient imposé le respect, notamment par le protocole d'accord du 18 avril 2011, ensuite, des obligations d'impartialité que devaient respecter les représentants des organisations syndicales participant à la négociation et, enfin, de l'obligation de transparence, qui découle du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, et qui implique l'impartialité de la procédure de mise en concurrence. D'une part, ces moyens, qui commandent la solution du litige soumis au Conseil d'Etat, soulèvent une contestation sérieuse. D'autre part, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 octobre 2014, qui se prononce sur des questions dont dépend la réponse à ces moyens, fait l'objet d'un pourvoi en cassation. Dans ces conditions, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, ainsi qu'il lui est loisible, de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête des sociétés Allianz IARD et Allianz Vie, jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée sur ce pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête des sociétés Allianz IARD et Allianz Vie jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 octobre 2014.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Allianz IARD, à la société Allianz Vie et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée à Klesia Prévoyance, à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, à l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, à la Fédération nationale du personnel d'encadrement des industries chimiques et connexes (CFE-CGC), à la Fédération nationale Force ouvrière des métiers de la pharmacie, des laboratoires d'analyses de biologie médicale, du cuir et de l'habillement et à la Fédération nationale des syndicats chrétiens des services de santé et sociaux CFTC.


Synthèse
Formation : 1ère ssjs
Numéro d'arrêt : 366345
Date de la décision : 20/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2015, n° 366345
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:366345.20150320
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