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10/04/2015 | FRANCE | N°377207

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème ssr, 10 avril 2015, 377207


Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 avril 2014, 1er décembre 2014 et 9 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Red Bull on Premise et la société Red Bull off Premise demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 6 mars 2014 relative aux contributions sur les boissons et préparations liquides pour boissons sucrées et édulcorées et à la contribution sur les boissons dites énergisantes, publiée le 6 mars 2014 au bulletin officiel des douanes n° 7015, en tant qu'elle concer

ne la contribution sur les boissons dites énergisantes ;

2°) de mettre à...

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 avril 2014, 1er décembre 2014 et 9 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Red Bull on Premise et la société Red Bull off Premise demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 6 mars 2014 relative aux contributions sur les boissons et préparations liquides pour boissons sucrées et édulcorées et à la contribution sur les boissons dites énergisantes, publiée le 6 mars 2014 au bulletin officiel des douanes n° 7015, en tant qu'elle concerne la contribution sur les boissons dites énergisantes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts ;

- la décision n° 2014-417 QPC du 19 septembre 2014 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maryline Saleix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société Red Bull On Premise et de la société Red Bull Off Premise ;

1. Considérant que l'article 1613 bis A du code général des impôts, issu de l'article 18 de la loi du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, a créé une contribution perçue sur les boissons dites énergisantes contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine pour 1 000 millilitres, destinées à la consommation humaine, relevant des codes NC 2009 et 2202 du tarif des douanes, conditionnées dans des récipients et destinées à la vente au détail soit directement, soit par l'intermédiaire d'un professionnel ; que les sociétés Red Bull on Premise et Red Bull off Premise demandent l'annulation de la circulaire intitulée " Contributions sur les boissons et préparations liquides pour boissons sucrées et édulcorées, contribution sur les boissons dites énergisantes ", en tant qu'elle interprète les dispositions de cet article ; que si la circulaire contestée a été abrogée le 31 décembre 2014, leur recours pour excès de pouvoir conserve un objet, dès lors qu'elle a auparavant reçu application ;

2. Considérant que, par la décision n° 2014-417 QPC du 19 septembre 2014, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées, qui excluaient du champ d'application de la contribution les boissons faisant l'objet d'une commercialisation au détail dans un même conditionnement et ayant une teneur en caféine supérieure à 220 milligrammes pour 1000 millilitres dès lors qu'elles ne sont pas des boissons " dites énergisantes ", instituaient, entre les boissons destinées à la vente au détail et contenant une teneur en caféine identique selon qu'elles sont ou non qualifiées de boissons " dites énergisantes ", une différence de traitement sans rapport avec l'objectif de protection de la santé publique poursuivi par le législateur et, par suite, contraire au principe d'égalité devant l'impôt ; qu'il a, en conséquence, déclaré les mots " dites énergisantes " figurant au premier alinéa du I de l'article 1613 bis A contraires à la Constitution et le surplus de cet article conforme à la Constitution ; qu'il a toutefois assorti la déclaration d'inconstitutionnalité ainsi prononcée d'un report dans le temps de ses effets en décidant de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation des mots " dites énergisantes " afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de cette déclaration d'inconstitutionnalité dont l'entrée en vigueur immédiate aurait eu pour effet d'élargir l'assiette d'une imposition ;

3. Considérant que le Conseil constitutionnel ayant ainsi différé jusqu'au 1er janvier 2015 les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité qu'il prononçait, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à s'en prévaloir à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir contre la circulaire du 6 mars 2014 ;

4. Considérant, toutefois, que les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher ; qu'il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit aux conclusions d'une requête en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

6. Considérant que l'article 1613 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2014, applicable à la date de la circulaire attaquée, circonscrit l'assiette de la contribution qu'il prévoit aux seules boissons, commercialisées dans les mêmes formes et ayant le même seuil minimal de caféine, qui sont " dites énergisantes " ; qu'ainsi que les sociétés requérantes le soutiennent, ces dispositions créent une différence de traitement non justifiée entre les entreprises productrices de boissons contenant de la caféine selon que ces boissons sont ou non " dites énergisantes ", qualification dont la circulaire du 6 mars 2014 s'est employée à préciser la teneur ; qu'elles sont, par suite, incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec l'article premier de son premier protocole additionnel ; que, dès lors, la circulaire contestée ne pouvait légalement prescrire d'en faire application ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, les sociétés requérantes sont fondées à demander l'annulation de ses dispositions en tant qu'elles ont trait à l'application de l'article 1613 bis A du code général des impôts et à la contribution sur les boissons dites énergisantes ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser aux sociétés Red Bull on Premise et Red Bull off Premise au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La circulaire du 6 mars 2014 intitulée " Contributions sur les boissons et préparations liquides pour boissons sucrées et édulcorées, contribution sur les boissons dites énergisantes " est annulée en tant qu'elle a trait à l'application de l'article 1613 bis A du code général des impôts et à la contribution sur les boissons dites énergisantes.

Article 2 : L'Etat versera aux sociétés Red Bull on Premise et Red Bull off Premise une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Red Bull on Premise, à la société Red Bull off Premise et au ministre des finances et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème ssr
Numéro d'arrêt : 377207
Date de la décision : 10/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DISTINCTION DISCRIMINATOIRE AU SENS DE CET ARTICLE COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 1P1 - DÉFINITION - DISTINCTION QUI NE POURSUIT PAS UN OBJECTIF D'UTILITÉ PUBLIQUE OU N'EST PAS FONDÉE SUR DES CRITÈRES OBJECTIFS ET RATIONNELS EN RAPPORT AVEC LES BUTS DE LA LOI.

26-055-01-14 Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel (1P1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et l'article 14 de cette convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LES PROTOCOLES - DROIT AU RESPECT DE SES BIENS (ART - 1ER DU PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL) - DISTINCTION DISCRIMINATOIRE AU SENS DE CET ARTICLE COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 14 CEDH - DÉFINITION - DISTINCTION QUI NE POURSUIT PAS UN OBJECTIF D'UTILITÉ PUBLIQUE OU N'EST PAS FONDÉE SUR DES CRITÈRES OBJECTIFS ET RATIONNELS EN RAPPORT AVEC LES BUTS DE LA LOI.

26-055-02-01 Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel (1P1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et l'article 14 de cette convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOYENS - ARTICULATION ENTRE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ ET CONTRÔLE DE CONVENTIONNALITÉ - PRINCIPE [RJ1].

54-07-01-04 Les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher. Il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit aux conclusions d'une requête en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne.

PROCÉDURE - ARTICULATION ENTRE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ ET CONTRÔLE DE CONVENTIONNALITÉ - PRINCIPE [RJ1].

54-10-09 Les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher. Il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit aux conclusions d'une requête en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne.


Références :

[RJ1]

Cf., sur l'articulation entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, CE, Assemblée, 13 mai 2011, Mme M'Rida, n°316734, p. 211.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2015, n° 377207
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Maryline Saleix
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:377207.20150410
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