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11/12/2015 | FRANCE | N°367116

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère ssr, 11 décembre 2015, 367116


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mars 2013 et 10 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Energie Planète demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 18 janvier 2013 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relative à l'application des classements des cours d'eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité écologique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000

euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu l...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mars 2013 et 10 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Energie Planète demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 18 janvier 2013 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relative à l'application des classements des cours d'eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité écologique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Déderen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

1. Considérant que, par une circulaire du 18 janvier 2013, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a défini les conditions de traitement, par les services de la police de l'eau et les services instructeurs des concessions hydroélectriques et des installations classées pour la protection de l'environnement, des projets d'ouvrages nouveaux dans le lit mineur des cours d'eau de la liste figurant au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement et les prescriptions à imposer aux ouvrages sur les cours d'eau de la liste figurant au 2° du I du même article ; que l'association France Energie Planète demande l'annulation pour excès de pouvoir de plusieurs dispositions de cette circulaire ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de la circulaire attaquée : " I. - Après avis des conseils généraux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. / Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. / " ; qu'aux termes de l'article R. 214-109 du même code : " Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-1, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants : / 1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ; / 2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ; / 3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ; / 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques. " ;

3. Considérant que la circulaire attaquée indique, dans son annexe 1, point 1.1 : " L'objectif du classement en liste 1 est, tout d'abord, d'empêcher, a priori, la construction de nouveaux seuils et barrages en lit mineur sans avoir à examiner des dossiers de demande d'autorisation ou de concession au cas par cas, dans le même esprit que les classements en " rivières réservées " au titre de l'article 2 de la loi de 1919 interdisaient a priori toute autorisation d'entreprise hydraulique nouvelle sans qu'il y ait besoin d'instruire les dossiers de demande. (...) en remplaçant la notion " d'entreprise hydraulique nouvelle " par celle d'" ouvrage, s'il constitue un obstacle à la continuité écologique " le législateur a clairement voulu, à travers le classement en liste 1, élargir le caractère non autorisable : / - à tout nouveau seuil ou barrage, quel qu'en soit l'usage (...). / Dès lors qu'un nouvel ouvrage en lit mineur doit être aménagé d'une passe à poisson et être géré pour assurer le transport sédimentaire afin de réduire son impact sur la continuité écologique en la rétablissant partiellement, il fait obstacle, par nature, à la continuité écologique. Il n'est donc légalement pas possible d'en autoriser la construction sur un cours d'eau en liste 1. Il ne peut pas être considéré que la construction d'un nouvel ouvrage barrant le lit mineur, aménagé d'une passe à poissons et géré pour le transport suffisant des sédiments, pourrait être autorisée sur un cours d'eau en liste 1 au motif qu'ainsi aménagé ou géré, il ne constituerait plus un " obstacle à la continuité écologique ". / En effet : / - d'une part, le classement en liste 1 a pour objectif d'apporter aux cours d'eau concernés une protection renforcée par rapport à la protection qu'assure la seule application de la loi sur l'eau sur les cours d'eau en général. Or, au titre de la seule police de l'eau, un aménagement ou une gestion assurant la circulation des poissons et le transport suffisant des sédiments seraient systématiquement exigés sur n'importe quel cours d'eau dans le cadre de l'autorisation d'un nouveau barrage. Si le classement en liste 1 n'avait pour but que d'imposer les aménagements ou modalités de gestion adéquats pour réduire l'impact des ouvrages sur la continuité écologique, et les autoriser dans ces conditions, il n'apporterait aucune plus-value de protection et serait inutile ; / - d'autre part, même aménagé de manière optimale, un ouvrage barrant le cours d'eau conserve un effet d'obstacle (efficacité partielle, retards cumulés, etc.), et génère de nombreux autres impacts liés à cet effet d'obstacle qui ne peuvent être réduits (effets de la retenue : ralentissement des eaux, réchauffement, uniformisation des milieux et des faciès du lit, etc.). Ainsi, la préservation renforcée de certains cours d'eau, voulue par le classement en liste 1, contre ces impacts résiduels irréductibles serait remise en cause avec une telle interprétation et ce classement n'aurait, de la même manière, aucune utilité. " ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point 2 que la construction d'un ouvrage sur un cours d'eau figurant sur la liste établie en application du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ne peut être autorisée que si elle ne fait pas obstacle à la continuité écologique ; que le respect de cette exigence s'apprécie au regard de critères énoncés à l'article R. 214-109 du même code, qui permettent d'évaluer l'atteinte portée par l'ouvrage à la continuité écologique ; que, par suite, en dispensant, de manière générale, les services compétents de l'instruction des demandes de construction de tout nouveau seuil et barrage sur ces cours d'eau, au motif que ces ouvrages constituent nécessairement des obstacles à la continuité écologique et ne peuvent par principe être autorisés, l'auteur de la circulaire a méconnu les dispositions applicables ; que, dès lors, l'association requérante est fondée à demander l'annulation des dispositions citées ci-dessus de l'annexe 1 de la circulaire ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que la circulaire indique, dans son annexe I1, point 1.6 : " la volonté du législateur est de maintenir les ouvrages existants qui sont en activité, sous réserve que leurs caractéristiques et leurs modalités d'exploitation permettent d'atteindre et de respecter les objectifs du classement en liste 1. Le renouvellement de titre correspond toutefois à une nouvelle autorisation ou concession. Pour cette raison, il doit être mis à profit pour repenser de manière approfondie les solutions de réductions des impacts ainsi que les mesures compensatoires. S'il est toujours important de tenir compte de l'équilibre financier de l'exploitation concernée, le renouvellement constitue l'occasion privilégiée d'exiger des efforts d'investissements qui peuvent être importants pour modifier les ouvrages ou leur exploitation afin d'atteindre le niveau de réduction d'impact adéquat. (...) / Il serait pertinent de profiter du renouvellement d'une autorisation ou d'une concession sur une section de cours d'eau pour exiger de manière cohérente et coordonnée les aménagements adéquats sur les ouvrages autorisés sans échéance situés à proximité en aval et en amont. " ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, il appartient au ministre, d'une part de prévoir le contrôle par les services instructeurs des incidences des ouvrages existants sur les cours d'eau figurant sur la liste établie en application du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement lors du renouvellement des concessions ou des autorisations, afin de prévenir toute atteinte à la continuité écologique, d'autre part, d'appeler leur attention sur l'édiction des prescriptions nécessaires, le cas échéant, au maintien de cette continuité ; qu'en conséquence, le moyen tiré de ce que les dispositions de la circulaire relatives aux ouvrages existants méconnaîtraient les articles L. 214-1, L. 214-17 et R. 214-109 du code de l'environnement doit être écarté ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / (...) 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. (...) " ; qu'en indiquant que " l'obligation d'assurer la continuité écologique n'est pas réservée aux seuls cours d'eau classés en liste 1 ou 2. Son rétablissement est un des intérêts mentionnés au 7° du I de l'article L. 211-1 du code de l'environnement au titre de la gestion équilibrée et durable de l'eau. Ainsi des prescriptions dûment justifiées peuvent être imposées à tout moment aux ouvrages en lit mineur de cours d'eau non classés pour réduire leur impact sur cette continuité. (...) ", l'auteur de la circulaire attaquée se borne à rappeler l'existence de dispositions distinctes de celles de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, dont les autorités administratives chargées de la police de l'eau doivent faire assurer le respect ; qu'en conséquence, le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée aurait illégalement ajouté aux dispositions de l'article L. 214-17 du code de l'environnement doit être écarté ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes du II de l'article L. 214-6 du code de l'environnement : " Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre. " ;

8. Considérant que la circulaire attaquée indique, dans son annexe 1, point -1.4 : " (...) la reconstruction d'un ouvrage ruiné ou en partie démoli en raison de l'absence d'entretien, de l'abandon ou de l'action du temps équivaut juridiquement à la construction d'un nouvel ouvrage constituant un obstacle à la continuité écologique. Elle ne peut donc pas être autorisée sur un cours d'eau en liste I. Il en est de même s'il s'agit d'un ouvrage fondé en titre dont la jurisprudence, en outre, confirme de manière constante la perte du droit lorsqu'il y a ruine du seuil ou barrage (...). En tout état de cause, en cohérence avec le 1.1 ci-dessus, une rehausse qui entraîne le passage d'un ouvrage existant d'un régime de déclaration à celui d'une autorisation au titre de la rubrique 3.1.1.0 ne peut pas être autorisée. / Si la rehausse conduit à ce qu'un barrage franchissable directement ne le soit plus et qu'une passe à poissons soit nécessaire, il y a lieu de considérer qu'il s'agit de la construction d'un nouvel ouvrage constituant un obstacle à la continuité ne pouvant pas être autorisée. " ; qu'il résulte de ce qui a été énoncé au point 4 que, si elle est assimilable à la construction d'un nouvel ouvrage, la reconstruction d'un ouvrage fondé en titre dont le droit d'usage s'est perdu du fait de sa ruine ou de son changement d'affectation ne peut légalement être regardée comme faisant par nature obstacle à la continuité écologique et comme justifiant le refus de l'autorisation sollicitée, sans que l'administration n'ait à procéder à un examen du bien fondé de la demande ; que, par suite, l'association requérante est fondée à demander l'annulation des dispositions citées ci-dessus de l'annexe 1 de la circulaire ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est fondée à demander que l'annulation des passages de la circulaire attaquée cités aux points 3 et 8 ci-dessus ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à l'association France Energie Planète, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les dispositions de la circulaire du 18 janvier 2013 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relative à l'application des classements des cours d'eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité écologique citées aux points 3 et 8 de la présente décision sont annulées.

Article 2 : L'Etat versera à l'association France Energie Planète la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association France Energie Planète et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 367116
Date de la décision : 11/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 déc. 2015, n° 367116
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Déderen
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:367116.20151211
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