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30/12/2015 | FRANCE | N°378268

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème ssr, 30 décembre 2015, 378268


Vu la procédure suivante :

La société Les Laboratoires Servier a demandé au tribunal administratif de Montreuil :

- d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle l'Agence française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a refusé de lui communiquer les données sources utilisées pour la réalisation du mémoire d'un étudiant de master II, ainsi que la décision implicite de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) confirmant ce refus après l'avis de la Commission d'accès aux documen

ts administratifs du 5 juillet 2012 ;

- d'enjoindre à l'ANSM, sous astreinte, de l...

Vu la procédure suivante :

La société Les Laboratoires Servier a demandé au tribunal administratif de Montreuil :

- d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle l'Agence française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a refusé de lui communiquer les données sources utilisées pour la réalisation du mémoire d'un étudiant de master II, ainsi que la décision implicite de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) confirmant ce refus après l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs du 5 juillet 2012 ;

- d'enjoindre à l'ANSM, sous astreinte, de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, les 2 576 fiches cliniques et échographiques ayant servi de données sources pour la réalisation de ce mémoire de master II.

Par un jugement n° 1207812 du 20 février 2014, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision implicite de rejet de l'ANSM, a enjoint à cette Agence, dans le délai de trois mois à compter de la notification de son jugement, de communiquer les fiches cliniques et échographiques en litige après avoir occulté les noms, jours et mois de naissance des patients concernés et les noms et villes d'exercice des médecins cardiologues ayant renseigné ces fiches, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 avril et 11 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ANSM demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montreuil du 20 février 2014 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la société Les Laboratoires Servier ;

3°) de mettre à la charge de la société Les Laboratoires Servier la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Les Laboratoires Servier ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'un étudiant en master de santé publique a réalisé, en juin 2011, pour le compte de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue en mai 2012 l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), un mémoire intitulé " Facteurs associés à une fuite aortique et/ou mitrale de grade supérieur ou égal à 1 chez les patients exposés au benfluorex : analyse des 2 576 fiches cliniques et échographiques adressées à l'AFSSAPS entre le 11 janvier et le 28 avril 2011 ", qui a été rendu public sur le site internet de cette agence ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision implicite par laquelle l'ANSM a, après l'avis défavorable émis par la Commission d'accès aux documents administratifs le 5 juillet 2012, refusé de communiquer à la société Les Laboratoires Servier les fiches cliniques et échographiques utilisées pour la réalisation de ce mémoire et a enjoint à l'Agence de communiquer à cette société, dans un délai de trois mois, les documents sollicités, après occultation des noms, jours et mois de naissance des patients concernés, ainsi que des noms et villes d'exercice des médecins cardiologues ayant renseigné les fiches ; que l'ANSM doit être regardée comme demandant l'annulation des articles 1er à 4 de ce jugement ;

2. Considérant qu'il résulte des articles 1er et 2 de la loi du 17 juillet 1978 que l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que les autres personnes de droit public et les personnes de droit privé chargées d'une mission de service public sont tenues de communiquer aux personnes qui en font la demande les documents administratifs qu'elles détiennent, définis comme les documents produits ou reçus dans le cadre de leur mission de service public, quels qu'en soient la forme et le support, sous réserve des dispositions de l'article 6 de cette loi ; qu'aux termes du I de cet article 6 : " Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la seule circonstance que la communication d'un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d'une partie à une procédure juridictionnelle ou qu'un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d'une instance engagée devant elle ne fait pas obstacle à sa communication ; que, toutefois, il revient à la personne chargée d'une mission de service public qui est sollicitée pour communiquer des documents qu'elle détient de vérifier notamment, au cas par cas et selon les circonstances de l'espèce, si leur communication risquerait d'empiéter sur les compétences et prérogatives d'une autorité judiciaire ou d'une juridiction, auxquelles il appartient seules, dans le cadre des procédures engagées devant elles et en vertu des principes et des textes qui leur sont applicables, d'assurer le respect des droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure ;

4. Considérant que, pour juger que l'ANSM ne pouvait, pour refuser la communication des documents sollicités, se fonder sur les dispositions du f) du 2° du I de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, le tribunal a relevé que la seule circonstance que les documents en cause avaient été versés au dossier d'instruction du juge pénal, dans le cadre des poursuites engagées devant les tribunaux de grande instance de Paris et de Nanterre pour des faits liés à la commercialisation du médicament Mediator, ne suffisait pas à établir que leur communication porterait atteinte au déroulement de procédures engagées devant des juridictions ; que, toutefois, l'ANSM faisait également valoir, en se prévalant de l'avis défavorable rendu par la Commission d'accès aux documents administratifs le 6 juillet 2012, des circonstances particulières, tenant notamment à la mise en examen ainsi qu'au placement sous contrôle judiciaire de la société Les Laboratoires Servier et à l'existence d'une expertise judiciaire en cours, pour justifier du risque d'empiètement sur les compétences et prérogatives de l'autorité judiciaire ; que, faute d'avoir répondu à cette argumentation, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, les articles 1er à 4 de son jugement doivent être annulés ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Les Laboratoires Servier, qui avait commercialisé le Mediator, spécialité pharmaceutique contenant du benfluorex, avant la suspension de son autorisation de mise sur le marché en novembre 2009, était, lorsqu'elle a introduit la demande de communication litigieuse, mise en examen et placée sous contrôle judiciaire ; que l'identification des effets secondaires de ce médicament, objet de l'étude réalisée sous l'égide de l'ANSM, constituait un élément essentiel de la caractérisation des éléments matériels de l'infraction pour laquelle elle était ainsi poursuivie et qu'une expertise judiciaire était en cours, susceptible de porter sur l'analyse des données sources de cette étude ; que, par suite, la communication à la société Les Laboratoires Servier des données sources utilisées pour la réalisation du mémoire mentionné au point 1 était de nature à porter atteinte au déroulement d'une procédure juridictionnelle, au sens du f) du 2° du I de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; que le silence gardé par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris sur la demande que lui avait adressée le directeur général de l'ANSM le 18 mai 2012 pour recueillir son avis sur le caractère communicable du document sollicité par la société ne peut être regardé comme une autorisation de l'autorité compétente, telle qu'elle est prévue par ces dispositions ; qu'enfin, la société ne saurait se prévaloir de l'exercice des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure dans le cadre de la procédure pénale en cours ; qu'en conséquence, l'ANSM était fondée, en se fondant sur le risque d'atteinte au déroulement de procédures judiciaires, à refuser de communiquer à la société Les Laboratoires Servier les données que celle-ci sollicitait ; que, dès lors, la circonstance, invoquée par la société, que la communication de ces données n'aurait pas été susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée des patients concernés ou au secret médical est, à la supposer établie, sans incidence sur la légalité du refus de communication ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Les Laboratoires Servier n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de l'ANSM confirmant le rejet de sa demande de communication des fiches cliniques et échographiques sollicitées ; que ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Les Laboratoires Servier une somme de 3 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de l'ANSM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er à 4 du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 20 février 2014 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande de la société Les Laboratoires Servier tendant à l'annulation du refus de l'ANSM de lui communiquer les données sources utilisées pour la réalisation du mémoire " Facteurs associés à une fuite aortique et/ou mitrale de grade supérieur ou égal à 1 chez les patients exposés au benfluorex : analyse des 2 576 fiches cliniques et échographiques adressées à l'AFSSAPS entre le 11 janvier et le 28 avril 2011 ", ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La société Les Laboratoires Servier versera une somme de 3 000 euros à l'ANSM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la société Les Laboratoires Servier.

Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème ssr
Numéro d'arrêt : 378268
Date de la décision : 30/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2015, n° 378268
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Sirinelli
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi
Avocat(s) : HAAS ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:378268.20151230
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