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16/03/2016 | FRANCE | N°373818

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème ssr, 16 mars 2016, 373818


Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) de Labourdette a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Haute-Garonne sur sa demande du 23 août 2006 de faire procéder à la dépollution pyrotechnique d'un terrain qu'elle a acquis en vue d'une opération d'aménagement dans la commune du Fauga (Haute-Garonne) et de condamner l'Etat à lui verser, avec intérêts moratoires, la somme de 2 339 634 euros hors taxe en réparation du préjudice qu'elle estimai

t avoir subi à la date du 31 décembre 2007 du fait du rejet de sa demande...

Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) de Labourdette a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Haute-Garonne sur sa demande du 23 août 2006 de faire procéder à la dépollution pyrotechnique d'un terrain qu'elle a acquis en vue d'une opération d'aménagement dans la commune du Fauga (Haute-Garonne) et de condamner l'Etat à lui verser, avec intérêts moratoires, la somme de 2 339 634 euros hors taxe en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à la date du 31 décembre 2007 du fait du rejet de sa demande.

Par un jugement n° 0702647 du 4 mai 2012, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision implicite de rejet du préfet de la Haute-Garonne et a condamné l'Etat à verser à la société une somme de 110 640 euros, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2007.

Par un arrêt n° 12BX01747 du 8 octobre 2013, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de la SNC de Labourdette dirigé contre ce jugement en tant qu'il ne faisait pas droit intégralement à sa demande d'indemnité.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 9 décembre 2013, 10 mars 2014 et 26 octobre 2015, la SNC de Labourdette demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'engager les travaux de dépollution pyrotechnique des parcelles lui appartenant dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 76-225 du 4 mars 1976 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la société de Labourdette ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de Labourdette a acquis un terrain appartenant à la société nationale des poudres et explosifs dans la commune du Fauga (Haute-Garonne) dans le cadre de l'aménagement d'une zone d'aménagement concerté ; qu'à l'occasion des travaux de terrassement menés sur ce site, des munitions datant de la seconde guerre mondiale, soit antérieurement à la période d'exploitation par la société nationale des poudres et explosifs, ont été découvertes ; que la société de Labourdette a saisi le préfet de la Haute-Garonne d'une demande de dépollution pyrotechnique du site ; que le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 4 mai 2012, a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a rejeté cette demande ; que le tribunal administratif a également condamné l'Etat à verser une somme de 110 640 euros à la société de Labourdette en estimant que le refus de faire procéder à la dépollution pyrotechnique était de nature à entraîner la responsabilité de l'Etat mais que les fautes commises par les entreprises qui étaient intervenues sur le chantier pour le compte de la société de Labourdette étaient de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité à hauteur de 50 % ; que la société de Labourdette se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 octobre 2013 rejetant son appel formé contre le jugement du tribunal administratif en tant qu'il a fixé à 110 640 euros la réparation du préjudice qu'elle a subi ;

Sur la régularité de la procédure devant la cour administrative d'appel :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 613-1 du code de justice administrative : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close. Cette ordonnance n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. / Les lettres remises contre signature portant notification de cette ordonnance ou tous autres dispositifs permettant d'attester la date de réception de ladite ordonnance sont envoyés à toutes les parties en cause quinze jours au moins avant la date de la clôture fixée par l'ordonnance " ; qu'en vertu des articles R. 431-1, R. 431-2 et R. 431-13 du même code, lorsqu'une partie est représentée devant une cour administrative d'appel par un avocat, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire ; qu'en vertu de l'article R. 611-8-2 du même code, les juridictions administratives peuvent adresser, par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 de ce code (Télérecours), à un mandataire toutes les communications et notifications prévues par le livre VI du code de justice administrative ;

3. Considérant qu'il ressort du dossier de la procédure devant la cour administrative d'appel de Bordeaux que, par ordonnance du 16 octobre 2012, la clôture de l'instruction de l'affaire a initialement été fixée au 16 novembre 2012 ; que la cour a été informée par un courrier du 14 novembre 2012 que la société de Labourdette changeait d'avocat et que ce dernier sollicitait le report de la clôture de l'instruction ; que, par une ordonnance du 14 novembre 2012, la clôture de l'instruction a été reportée au 8 février 2013 ; que le nouvel avocat de la société de Labourdette a produit un mémoire le 6 février 2013, lequel mentionnait une adresse différente de celle figurant sur le précédent courrier de la société du 14 novembre 2012 ; que, par une ordonnance du 8 février 2013, la clôture de l'instruction a été reportée au 11 mars 2013 ; qu'en l'absence de mention explicite du changement d'adresse de l'avocat dans le courrier accompagnant le mémoire du 6 février 2013, le greffe de la cour pouvait communiquer cette dernière ordonnance à l'adresse indiquée dans le courrier du 14 novembre 2012 ; que, toutefois, cette ordonnance n'a pas été notifiée au mandataire de la société de Labourdette dans des conditions permettant de s'assurer que, contrairement à ce que soutient cette dernière, elle a bien été reçue par son destinataire ; que, dès lors, faute pour le greffe de la juridiction d'avoir entrepris des démarches complémentaires pour informer le mandataire du report de la clôture de l'instruction, la notification de cette clôture à la société requérante n'a pas été faite dans des conditions régulières ; que cette irrégularité n'a toutefois pas, par elle-même, pour effet d'entacher d'irrégularité l'arrêt attaqué mais seulement de rendre la clôture de l'instruction inopposable à la société de Labourdette, qui pouvait ainsi présenter des moyens ou des conclusions nouvelles postérieurement à cette clôture ; qu'il suit de là que la société de Labourdette n'est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque qu'en tant que la cour n'a pas statué sur les moyens ou sur les conclusions nouvelles qu'elle a présentées, postérieurement à la clôture de l'instruction, dans un mémoire du 30 août 2013 ; que si ce mémoire reprenait, sans développer de moyens nouveaux, les écritures présentées par la société dans son mémoire du 6 février 2013, il présentait également des conclusions nouvelles aux fins d'enjoindre à l'Etat de procéder sans délai aux opérations de dépollution pyrotechnique du terrain appartenant à la société de Labourdette ; que la société est donc fondée à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions, qui étaient recevables ;

Sur les autres moyens du pourvoi :

En ce qui concerne la responsabilité :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 4 mars 1976 fixant les attributions respectives du ministre de l'intérieur et du ministre de la défense en matière de recherche, de neutralisation, d'enlèvement et de destruction des munitions et explosifs : " Sur l'ensemble du territoire national, la recherche, la neutralisation, l'enlèvement et la destruction des munitions, mines, pièges, engins et explosifs sont de la compétence / Du ministre de l'intérieur, en tout temps, sur terrain civil (...) " ;

5. Considérant qu'en estimant, au vu d'un rapport du chef du centre interdépartemental de déminage de Toulouse du 3 mai 2005 et du devis de la société chargée de l'étude, que les opérations de dépollution pyrotechnique avaient été rendues plus complexes par la dispersion des munitions et engins explosifs pendant les travaux de terrassement menés sur le site par les entreprises qui intervenaient pour le compte de la société de Labourdette, alors que ces sociétés ne pouvaient ignorer leur présence à ce moment, et que ces comportements avaient eu pour conséquence d'augmenter le coût de la dépollution, même si la société de Labourdette avait formulé une proposition de préfinancement de ces travaux, la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation ; qu'en déduisant que l'imprudence ou la négligence des contractants de la société de Labourdette était de nature à exonérer partiellement l'Etat de sa responsabilité résultant de la faute commise en refusant de faire procéder à la dépollution pyrotechnique du terrain en méconnaissance de l'article 2 précité du décret du 4 mars 1976, ce refus ayant pour origine l'importance du coût de l'opération, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'elle n'a pas dénaturé les faits en ne tenant pas compte de ce que le ministre aurait reconnu sa responsabilité exclusive dans une autre affaire ;

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

6. Considérant qu'en estimant que les éléments produits par la société ne permettaient pas de rattacher les frais financiers qu'elle soutient avoir supportés à la réalisation de l'opération en cause, la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société n'est fondée à demander l'annulation de l'arrêt, qui est suffisamment motivé, qu'en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions aux fins d'injonction ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société de Labourdette au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 octobre 2013 est annulé qu'en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de la société de Labourdette aux fins d'injonction.

Article 2 : Le jugement des conclusions présentées en appel par la société de Labourdette et tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de procéder à la dépollution pyrotechnique du terrain qu'elle possède dans la commune du Fauga est renvoyé à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société de Labourdette au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SNC de Labourdette est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SNC de Labourdette et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème ssr
Numéro d'arrêt : 373818
Date de la décision : 16/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mar. 2016, n° 373818
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mathieu Herondart
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:373818.20160316
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