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26/04/2017 | FRANCE | N°400457

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 26 avril 2017, 400457


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'EURL 2B a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 juillet 2009 par laquelle le maire d'Aigremont a refusé de lui accorder un permis de construire ainsi que la décision du 2 octobre 2009 rejetant son recours gracieux contre ce refus. Par un jugement n° 0911170 du 16 janvier 2012, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12VE00971 du 29 avril 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appe

l formé par l'EURL 2B contre le jugement du tribunal administratif de Versaill...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'EURL 2B a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 juillet 2009 par laquelle le maire d'Aigremont a refusé de lui accorder un permis de construire ainsi que la décision du 2 octobre 2009 rejetant son recours gracieux contre ce refus. Par un jugement n° 0911170 du 16 janvier 2012, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12VE00971 du 29 avril 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'EURL 2B contre le jugement du tribunal administratif de Versailles.

Par une décision n° 382902 du 21 janvier 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire.

Par un arrêt n° 15VE00242 du 7 avril 2016, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté l'appel formé par l'EURL 2B contre le jugement du tribunal administratif de Versailles du 16 janvier 2012.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juin 2016, 7 septembre 2016 et 21 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'EURL 2B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 7 avril 2016 ;

2°) de mettre à la charge de la commune d'Aigremont la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Thoumelou, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'EURL 2B, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune d'Aigremont.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 11 février 2009, l'EURL 2B a déposé une demande de permis de construire en vue de la reconstruction à l'identique d'un tennis couvert, situé sur le territoire de la commune d'Aigremont, détruit partiellement, en 1996, par une tempête, puis entièrement, en 1998, par un incendie. Par un arrêté du 22 juillet 2009, confirmé sur recours gracieux le 2 octobre 2009, le maire de cette commune a rejeté sa demande. Par l'arrêt attaqué du 7 avril 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'EURL 2B contre le jugement du 16 janvier 2012 par lequel le tribunal administratif de Versailles avait rejeté sa demande d'annulation des décisions du maire.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

3. Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains : " La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié ". La loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures a modifié ces dispositions, ultérieurement reprises à l'article L. 111-15 du même code, pour prévoir que : " La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié ".

4. Pour rejeter la demande de permis de construire présentée par l'EURL 2B, le maire de la commune d'Aigremont, après avoir estimé que la société ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, s'est fondé sur l'article AU 1 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune, applicable à la zone concernée par le projet, aux termes duquel : " Toutes les constructions sont interdites ". La cour a jugé que le maire avait commis une erreur de droit en opposant ainsi à la société la prescription de dix ans du droit de reconstruire à l'identique un bâtiment détruit par un sinistre, qui n'avait commencé à courir qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009. Elle a cependant rejeté l'appel de la société en estimant, comme le faisait valoir la commune, que le refus de permis contesté aurait pu être légalement pris par le maire d'Aigremont sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, qui dispose que : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

5. En statuant ainsi, la cour n'a pas procédé à une substitution de base légale, ainsi qu'elle le mentionne à tort dans son arrêt, mais elle a, comme le soutient l'EURL 2B, substitué au motif tiré de l'interdiction de toute construction dans la zone, en vertu du règlement du plan local d'urbanisme, celui tiré du risque certain et prévisible, de nature à mettre gravement en danger leur sécurité, auxquels les occupants du bâtiment seraient exposés en cas de reconstruction, pouvant être opposé sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, y compris en cas de reconstruction à l'identique. Dès lors, en se bornant à constater que le maire aurait pu légalement refuser le permis de construire sollicité sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, sans rechercher en outre s'il résultait de l'instruction qu'il aurait effectivement pris la même décision en se fondant sur ce motif, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que l'EURL 2B est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Le motif retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

Sur la légalité du rejet de la demande de permis de construire présentée par l'EURL 2B :

8. D'une part, lorsqu'une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'un droit précédemment ouvert sans condition de délai, ce délai est immédiatement applicable mais ne peut, à peine de rétroactivité, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Si, en adoptant les dispositions de la loi du 13 décembre 2000 insérées à l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, le législateur n'a pas entendu permettre aux propriétaires d'un bâtiment détruit de le reconstruire au-delà d'un délai raisonnable afin d'échapper à l'application des règles d'urbanisme devenues contraignantes, les modifications apportées à cet article par la loi du 12 mai 2009 ont notamment eu pour objet de créer expressément un délai ayant pour effet d'instituer une prescription extinctive du droit, initialement conféré par la loi du 13 décembre 2000 aux propriétaires d'un bâtiment détruit par un sinistre, de le reconstruire à l'identique. Il suit de là que le délai qu'elle instaure n'a commencé à courir, dans tous les autres cas de destruction d'un bâtiment par un sinistre, qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.

9. Il ressort des pièces du dossier que la structure couvrant les courts de tennis a été détruite en novembre 1996 à la suite d'une tempête et que le pavillon restant l'a été par un incendie en novembre 1998. La demande présentée par l'EURL 2B ne peut ainsi être regardée comme formée au-delà d'un délai raisonnable afin d'échapper à l'application des règles d'urbanisme devenues contraignantes. Par suite, lors de l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009, l'EURL pouvait encore se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme dans leur rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000. Le délai de dix ans institué par la loi du 12 mai 2009 n'ayant commencé à courir à son égard, s'agissant d'un bâtiment détruit par un sinistre, que le 14 mai suivant, il ne pouvait lui être opposé le 22 juillet 2009, date de la décision de refus en litige.

10. D'autre part, il ressort des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme que le droit à reconstruction qu'il prévoit n'a pas un caractère absolu, dès lors que tant le plan local d'urbanisme qu'une carte communale peuvent y faire échec par des dispositions spéciales relatives à la reconstruction. Toutefois, les dispositions de l'article AU 1 du règlement du plan local d'urbanisme applicable sur le territoire de la commune, prévoyant que " Toutes les constructions sont interdites ", ne peuvent être regardées comme des dispositions spéciales relatives à la reconstruction, de nature à faire obstacle à l'application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme.

11. Il suit de là que, en estimant que la société requérante ne pouvait plus, eu égard à la date du sinistre, se prévaloir d'un droit à reconstruction sur le fondement de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme et que, dès lors, les dispositions de l'article AU 1 du règlement du plan local d'urbanisme faisaient obstacle à la délivrance du permis de construire sollicité, le maire d'Aigremont a commis une erreur de droit.

12. Il est vrai que, pour établir que sa décision était légale, la commune d'Aigremont invoque, dans ses écritures en défense, un autre motif, tiré de ce que le refus était justifié au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

13. En effet, par les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, le législateur n'a pas entendu donner le droit de reconstruire un bâtiment dont les occupants seraient exposés à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité. Il en va notamment ainsi lorsque c'est la réalisation d'un tel risque qui a été à l'origine de la destruction du bâtiment pour la reconstruction duquel le permis est demandé. Dans une telle hypothèse, il y a lieu, pour l'autorité compétente, de refuser le permis de construire ou de l'assortir, si cela suffit à parer au risque, de prescriptions adéquates, sur le fondement de l'article R 111-2 du code de l'urbanisme.

14. Toutefois, en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le sinistre survenu en 1996 concernait une structure datant de 1974 et que la localisation du terrain d'assiette n'est pas de nature à faire craindre des risques particuliers d'intempéries. Dans ces conditions, alors que le tennis couvert en vue duquel la demande de permis a été déposée revêt simultanément le caractère d'un établissement recevant du public, soumis au règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans ces établissements, et notamment à celles de ses dispositions applicables aux structures gonflables, il n'apparaît pas que le risque présenté par la structure objet de la demande de permis présente un risque de nature à justifier légalement le refus du permis de construire sollicité. Il n'y a, dès lors, pas lieu de procéder à la substitution de motifs demandée.

15. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, les autres moyens soulevés par l'EURL 2B et tirés, en premier lieu, de l'insuffisante motivation de la décision du maire d'Aigremont et, en second lieu, du retrait illégal d'un permis de construire tacite acquis dès le 11 avril 2009 ne sont pas de nature, en l'état du dossier soumis au Conseil d'Etat, à justifier l'annulation de la décision attaquée.

16. Il résulte de ce qui précède que l'EURL 2B est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du maire d'Aigremont des 22 juillet et 2 octobre 2009.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Aigremont, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 6 000 euros à verser à l'EURL 2B au titre des frais qu'elle a exposés tant en première instance et en appel que devant le Conseil d'Etat. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de l'EURL 2B, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 7 avril 2016 et le jugement du tribunal administratif de Versailles du 16 janvier 2012 sont annulés.

Article 2 : Les décisions du maire d'Aigremont des 22 juillet et 2 octobre 2009 sont annulées.

Article 3 : La commune d'Aigremont versera une somme de 6 000 euros à l'EURL 2B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune d'Aigremont présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'EURL 2B et à la commune d'Aigremont.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 400457
Date de la décision : 26/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2017, n° 400457
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Thoumelou
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:400457.20170426
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