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10/05/2017 | FRANCE | N°391519

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 10 mai 2017, 391519


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 6 juillet et 6 octobre 2015 ainsi que le 31 mai et le 24 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société France Télévisions demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2015-232 du 27 mai 2015 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) l'a mise en demeure de ne pas s'opposer à la reprise par la société Playmédia, en application de l'article 34-2 de la loi du 30 s

eptembre 1986, sur son site internet playtv.fr, des services qu'elle édite ;

2°...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 6 juillet et 6 octobre 2015 ainsi que le 31 mai et le 24 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société France Télévisions demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2015-232 du 27 mai 2015 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) l'a mise en demeure de ne pas s'opposer à la reprise par la société Playmédia, en application de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, sur son site internet playtv.fr, des services qu'elle édite ;

2°) de mettre à la charge du CSA la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 ;

- la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 ;

- l'arrêt C-134/10 de la Cour de justice de l'Union européenne du 3 mars 2011 ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Bobo, auditeur,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société France Télévisions et à Me Haas, avocat de la société Playmedia.

1. Considérant que, par une décision du 27 mai 2015, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a mis en demeure la société France Télévisions de se conformer aux dispositions de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 en ne s'opposant pas à la reprise de ses programmes par la société Playmédia, en flux continu, sur son site internet ; que la société France Télévisions demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette mise en demeure en soutenant que la société Playmédia ne peut pas bénéficier de l'obligation prévue à l'article 34-2 de la loi précitée ;

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

2. Considérant qu'aucune disposition non plus qu'aucun principe n'impose que la décision par laquelle le CSA met le titulaire de l'autorisation d'exploiter un service audiovisuel en demeure de se conformer à ses obligations, qui ne revêt pas le caractère d'une sanction, soit précédée d'une procédure contradictoire ; que la société France Télévisions ne saurait utilement invoquer, pour soutenir qu'une telle procédure était requise en l'espèce, la circonstance que la mise en demeure attaquée remettrait en cause l'analyse faite par le CSA dans une décision du 23 juillet 2013 par laquelle il a statué, en application des dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sur le différend né du refus de la société France Télévisions de passer avec la société Playmédia des contrats relatif à la reprise des services de télévision qu'elle édite sur le site internet de cette société ; que la mise en demeure litigieuse énonce avec une précision suffisante les faits constatés par le CSA et l'obligation qu'il estime avoir été méconnue et à laquelle il invite la société France Télévisions à se conformer à l'avenir ; que, dès lors, les moyens tirés du défaut d'une procédure contradictoire et d'une insuffisance de motivation doivent être écartés ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

3. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 31, relatif aux obligations de diffuser (" must carry "), de la directive 2002/22/CE " service universel " : " 1. Les Etats membres peuvent imposer des obligations raisonnables de diffuser ("must carry"), pour la transmission des chaînes ou des services de radio et de télévision spécifiés, aux entreprises qui, sous leur juridiction, exploitent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique d'émissions de radio ou de télévision, lorsqu'un nombre significatif d'utilisateurs finals de ces réseaux les utilisent comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision. De telles obligations ne peuvent être imposées que lorsqu'elles sont nécessaires pour atteindre des objectifs d'intérêt général clairement définis et doivent être proportionnées et transparentes. Ces obligations sont soumises à un réexamen périodique " ; que ces dispositions reconnaissent aux Etats membres la faculté d'instituer, sous réserve des conditions qu'elles prévoient, une obligation de diffusion de certains services de radio et de télévision pesant sur des entreprises qui exploitent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique de tels services ; que le a) de l'article 2 de la directive 2002/21 du Parlement et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive cadre), auquel renvoie l'article 2 de la directive " service universel ", définit les " réseaux de communications électroniques" comme " les systèmes de transmission et, le cas échéant, les équipements de commutation ou de routage et les autres ressources, y compris les éléments de réseau qui ne sont pas actifs, qui permettent l'acheminement de signaux par câble, par voie hertzienne, par moyen optique ou par d'autres moyens électromagnétiques, comprenant les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres fixes (avec commutation de circuits ou de paquets, y compris l'internet) et mobiles, les systèmes utilisant le réseau électrique, pour autant qu'ils servent à la transmission de signaux, les réseaux utilisés pour la radiodiffusion sonore et télévisuelle et les réseaux câblés de télévision, quel que soit le type d'information transmise " ; qu'aux termes du point 45 de l'exposé des motifs de cette même directive : " Les services fournissant un contenu, tels qu'une offre de vente de contenus de radiodiffusion sonore ou de télévision, ne sont pas couverts par le cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques. Les fournisseurs de ces services ne devraient pas être soumis aux obligations de service universel pour ces activités. La présente directive est, par conséquent, sans préjudice des mesures arrêtées au niveau national, conformément à la législation communautaire, à l'égard de ces services " ;

4. Considérant qu'aux termes du I de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " I.- Sur le territoire métropolitain, tout distributeur de services sur un réseau n'utilisant pas de fréquences terrestres assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel met gratuitement à disposition de ses abonnés les services des sociétés mentionnées au I de l'article 44 et la chaîne Arte, diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique ainsi que la chaîne TV 5, et le service de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique ayant pour objet de concourir à la connaissance de l'outre-mer, spécifiquement destiné au public métropolitain, édité par la société mentionnée au I de l'article 44, sauf si ces éditeurs estiment que l'offre de services est manifestement incompatible avec le respect de leurs missions de service public. Lorsqu'il propose une offre de services en mode numérique, il met également gratuitement à disposition des abonnés à cette offre les services de ces sociétés qui sont diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique " ; qu'aux termes de l'article 2-1 de la loi du 30 septembre 1986 : " Pour l'application de la présente loi, les mots : distributeur de services désignent toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques au sens du 2° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques. Est également regardée comme distributeur de services toute personne qui constitue une telle offre en établissant des relations contractuelles avec d'autres distributeurs " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que le législateur a prévu une obligation de diffusion de certains services de télévision qui pèse sur les distributeurs de services tels qu'ils les a définis, qu'ils puissent ou non être regardés, au sens des directives précitées, comme exploitants des réseaux de communications électroniques ; que l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 ne reprend pas explicitement les conditions mentionnées au paragraphe 1 de l'article 31 de la directive 2002/22/CE, notamment celle selon laquelle un nombre significatif d'utilisateurs finals des réseaux soumis à l'obligation de diffusion doivent les utiliser comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision ; que, par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article 34-2 de la loi que l'obligation de diffusion qu'elle met à la charge des distributeurs de services a pour corollaire l'obligation pour les services de télévision qui en bénéficient d'accepter cette diffusion, sauf dans le cas où l'offre de services du distributeur est manifestement incompatible avec le respect de leurs missions de service public ;

5. Considérant que la société Playmédia propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur un site internet et se rémunère principalement par la diffusion de messages publicitaires qui précèdent et accompagnent le visionnage ; que, se prévalant de la qualité de distributeur de services au sens de l'article 2-1 de la loi du 30 septembre 1986, la société estime tirer des dispositions de l'article 34-2 de cette loi le droit de diffuser les programmes édités par la société France Télévisions ; que la société France Télévisions, qui diffuse elle-même ces programmes en flux continu et en direct sur un site internet qu'elle met à la disposition du public, a été mise en demeure par le CSA de ne pas s'opposer à leur diffusion par la société Playmédia ; qu'à l'appui de son recours pour excès de pouvoir contre cette mesure, elle fait valoir que les conditions prévues au paragraphe 1 de l'article 31 de la directive 2002/22/CE ne sont pas remplies dès lors, en particulier, qu'il n'est pas possible d'affirmer que des utilisateurs du réseau internet en nombre significatif l'utilisent comme leur principal moyen pour recevoir des émissions de télévision ; que la société soutient également que l'obligation d'accepter la diffusion de ses programmes sur le site de Playmédia porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle qu'elle détient, ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 2 février 2016 qui a condamné cette société pour concurrence déloyale et pour actes de contrefaçons pour avoir diffusé les programmes édités par la société France Télévisions sans son accord ;

6. Considérant que l'issue du litige dépend de la réponse aux questions suivantes :

1°) Une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet doit-elle, de ce seul fait, être regardée comme une entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique d'émissions de radio ou de télévision au sens du paragraphe 1 de l'article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002 '

2°) En cas de réponse négative à la première question, un Etat membre peut-il, sans méconnaître la directive ou d'autres règles du droit de l'Union européenne, prévoir une obligation de diffusion de services de radio ou de télévision pesant à la fois sur des entreprises exploitant des réseaux de communications électroniques et sur des entreprises qui, sans exploiter de tels réseaux, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet '

3°) En cas de réponse positive à la deuxième question, les Etats membres peuvent-ils s'abstenir de subordonner l'obligation de diffusion, en ce qui concerne les distributeurs de services qui n'exploitent pas des réseaux de communications électroniques, à l'ensemble des conditions prévues au paragraphe 1 de l'article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002, alors que ces conditions s'imposeront en vertu de la directive en ce qui concerne les exploitants de réseaux '

4°) Un Etat membre qui a institué une obligation de diffusion de certains services de radio ou de télévision sur certains réseaux peut-il, sans méconnaître la directive, prévoir l'obligation pour ces services d'accepter d'être diffusés sur ces réseaux, y compris, s'agissant d'une diffusion sur un site internet, lorsque le service en cause diffuse lui-même ses propres programmes sur internet '

5°) La condition selon laquelle un nombre significatif d'utilisateurs finals des réseaux soumis à l'obligation de diffusion doivent les utiliser comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision prévue au paragraphe 1 de l'article 31 de la directive 2002/22/CE doit-elle, s'agissant d'une diffusion par internet, s'apprécier au regard de l'ensemble des utilisateurs qui visionnent des programmes de télévision en flux continu et en direct sur le réseau internet ou des seuls utilisateurs du site soumis à l'obligation de diffusion '

7. Considérant que ces questions présentent une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de la société France Télévisions ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la société France Télévisions jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions énoncées au point 6 de la présente décision.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à France Télévisions, à la société Playmédia, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la ministre de la culture et de la communication et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 391519
Date de la décision : 10/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2017, n° 391519
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Bobo
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:391519.20170510
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