La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2017 | FRANCE | N°400608

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 14 juin 2017, 400608


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juin et 9 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Roche demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 décembre 2015 par laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre des finances et des comptes publics ont refusé d'inscrire sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale la spécialité Avastin pour son

indication en association au paclitaxel, au topotécan ou à la doxorubicine lipos...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juin et 9 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Roche demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 décembre 2015 par laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre des finances et des comptes publics ont refusé d'inscrire sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale la spécialité Avastin pour son indication en association au paclitaxel, au topotécan ou à la doxorubicine liposomale pégylée chez les patientes adultes atteintes d'un cancer épithélial de l'ovaire, des trompes de Fallope ou péritonéal primitif, en rechute, résistant aux sels de platine, qui n'ont pas reçu plus de deux protocoles antérieurs de chimiothérapie et qui n'ont pas été préalablement traitées par du bevacizumab ou d'autres inhibiteurs du VEGF ou d'autres agents ciblant le récepteur du VEGF, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux qu'elle a formé contre ce refus ;

2°) d'enjoindre aux ministres intéressés de procéder à cette inscription dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2016-349 du 24 mars 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale : " I.- L'Etat fixe, sur demande du titulaire de l'autorisation de mise sur le marché ou à l'initiative des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, la liste des spécialités pharmaceutiques bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché dispensées aux patients hospitalisés dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 qui peuvent être prises en charge, sur présentation des factures, par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées au 1° du même article (...). Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées à l'article L. 162-22-6 (...) ", lesquelles sont prises en charge dans le cadre de forfaits. Aux termes de l'article R. 162-42-7 du même code, applicable à la date du 23 décembre 2015 : " La liste des spécialités pharmaceutiques et les conditions de prise en charge des produits et prestations mentionnés à l'article L. 162-22-7 sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale sur recommandation du conseil de l'hospitalisation ".

2. Par une décision du 23 décembre 2015, prise sur une recommandation du conseil de l'hospitalisation du 30 juillet 2015, le ministre des finances et des comptes publics et le ministre des affaires sociales et de la santé ont refusé d'inscrire sur la liste des spécialités pharmaceutiques prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale la spécialité Avastin, commercialisée par la société Roche, pour son indication en association au paclitaxel, au topotécan ou à la doxorubicine liposomale pégylée chez les patientes adultes atteintes d'un cancer épithélial de l'ovaire, des trompes de Fallope ou péritonéal primitif, en rechute, résistant aux sels de platine, qui n'ont pas reçu plus de deux protocoles antérieurs de chimiothérapie et qui n'ont pas été préalablement traitées par du bevacizumab ou d'autres inhibiteurs du VEGF ou d'autres agents ciblant le récepteur du VEGF. La société Roche demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ainsi que de la décision implicite par laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé a rejeté son recours gracieux contre ce refus.

Sur la légalité de la décision du 23 décembre 2015 :

3. Aux termes de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie : " Les dispositions suivantes sont applicables lorsqu'un médicament n'est couvert par le système national d'assurance-maladie qu'après que les autorités compétentes ont décidé d'inclure le médicament en question dans une liste positive de médicaments couverts par le système national d'assurance-maladie. (...) / 2) Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s'appuient. (...) / 3) Les États membres publient dans une publication appropriée et communiquent à la Commission (...) les critères sur lesquels les autorités compétentes doivent se fonder pour décider d'inscrire ou non des médicaments sur les listes. (...) ".

4. Dans un arrêt C-271/14 et C-273/14 du 16 avril 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6 de la directive citée ci-dessus du Conseil du 21 décembre 1988 doit être interprété en ce sens que l'obligation de motivation prévue aux points 3 et 5 de cet article est applicable à une décision qui restreint les conditions de remboursement ou réduit le niveau de prise en charge d'un médicament en l'excluant de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation dont la prise en charge est assurée dans le cadre de forfaits de séjour et de soins. Il en va nécessairement de même, au regard des points 2 et 3 du même article, d'une décision qui refuse l'inscription d'un médicament sur la même liste.

5. Le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement, après l'expiration des délais impartis pour sa transposition, édicter des dispositions méconnaissant les objectifs définis par la directive du Conseil du 21 décembre 1988. Or il résulte de l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les points 2 et 3 de l'article 6 de cette directive imposaient la motivation, en fonction de critères préalablement publiés et communiqués à la Commission, d'une décision telle que celle attaquée par la société requérante, qui refuse l'inscription de la spécialité Avastin, dans l'indication en litige, sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

6. Il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que les critères sur lesquels les ministres se sont fondés pour décider de ne pas inscrire la spécialité Avastin sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, dans l'indication en litige, n'ont fait l'objet ni d'une publication, ni d'une communication à la Commission, avant l'adoption de la décision du 23 décembre 2015. Ainsi, la société requérante est fondée à soutenir que cette décision a été prise en méconnaissance des objectifs de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Roche est fondée à demander l'annulation de la décision du 23 décembre 2015 qu'elle attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre cette décision.

Sur la légalité de la décision par laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé a rejeté le recours gracieux de la société Roche :

8. A la date à laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé a rejeté le recours gracieux de la société Roche formé contre la décision du 23 décembre 2015 par courrier du 9 février 2016, le décret du 24 mars 2016 relatif à la procédure et aux conditions d'inscription des spécialités pharmaceutiques sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, publié au Journal officiel de la République française du 25 mars 2016, avait introduit dans le code de la sécurité sociale des articles R. 162-45-8 et R. 162-45-9 précisant les critères d'inscription sur cette liste d'une ou plusieurs indications d'une spécialité pharmaceutique bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché. Toutefois, en l'absence de réexamen de la demande de la société Roche en fonction des critères fixés par le décret du 24 mars 2016, la décision attaquée, née du silence gardé pendant deux mois par le ministre des affaires sociales et de la santé sur le recours gracieux formé par la société requérante, ne peut qu'être également annulée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

10. L'annulation prononcée par la présente décision n'implique pas nécessairement que l'administration prenne une mesure dans un sens déterminé. Il y a lieu, en revanche, d'enjoindre aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de réexaminer la demande d'inscription de la société Roche dans un délai de six semaines à compter de la notification de la présente décision.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 23 décembre 2015 par laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre des finances et des comptes publics ont refusé d'inscrire sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale la spécialité Avastin, pour l'indication sollicitée, et la décision implicite rejetant le recours gracieux formé par la société Roche contre ce refus sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de réexaminer la demande de la société Roche d'inscription de la spécialité Avastin, dans l'indication sollicitée, dans un délai de six semaines à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Roche, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 400608
Date de la décision : 14/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 jui. 2017, n° 400608
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sandrine Vérité
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:400608.20170614
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award